Samedi 29 juin 2024.
Certes on est plus tout jeune, certes aussi, se pointer à 11 h 30 du matin sur site un troisième jour de festival est un peu rude – d’autant plus avec la météo dégueulasse qu’on se pastille toute la journée –, mais pour autant, il est complètement exclu de rater le premier concert en France de Konvent, quintette doom death danois un peu particulier de par sa composition, puisqu’il est, à notre connaissance, l’un des très rares groupes « extrêmes » à être uniquement composé de femmes (avec les Brésiliennes de Crypta et Nervosa, qui partagent d’ailleurs plusieurs membres/ex-membres) : bravo à elles, et selon la formule consacrée, « More Women On Stage ». Mais si Konvent nous intéresse, c’est surtout pour son excellent premier album, Puritan Masochism, sorti en 2020. Et si leur second est plus dispensable, il nous tarde de voir comment les Danoises s’en sortent dès potron-minet, à la Valley, sous un vieux ciel gris aussi bas que parcouru de bruine, soit un temps qui sied merveilleusement à leur musique pas franchement joviale. Et après une petite demi-heure passée en leur compagnie, on peut dire qu’elles s’en sortent avec les honneurs : le son est excellent et le quintette profite pleinement de l’événement. Un peu statiques durant l’exécution des morceaux, la lenteur de leur doom death aérien et pesant n’aidant pas à se déchaîner, les Danoises livrent une prestation solide et semblent très heureuses d’être là, de même qu’un public assez nombreux et soutenant vu l’horaire matinal. Le concert se déroule sans accrocs et se conclut sur leur meilleur morceau, « Puritan Masochism », et son riff Deftonien (si si, on vous assure) qui fait ployer toutes les nuques alentour : on est curieux de les revoir dans des conditions plus adaptées.
On poursuit notre aventure avec un groupe que nous avons énormément vu ces dernières années, et dont on peut dire qu’il s’agit de l’une des belles cotes de la scène death metal actuelle : les inénarrables Sanguisugabogg. De fait, le quartet de l’Ohio s’est forgé une place de choix grâce à son death metal aussi lourd qu’abrutissant, mâtiné de gros breaks hardcore et singularisé par un batteur qui n’hésite pas en mettre partout. Reconnaissons-le, ces types tournent tout le temps, avec tout le monde, et ce depuis bientôt quatre-cinq ans, ce qui finit par forcer le respect : on les a ainsi vu passer du Klub au Petit Bain, puis du festival Rock In Bourlon à l’Altar du Hellfest donc, en à peine deux ans. D’ailleurs, la scène est globalement un exercice qu’ils maîtrisent, même si en toute honnêteté, on les a déjà vus donner meilleur concert que celui qu’ils nous assènent en cet automnal samedi après-midi. L’aspect « grande scène » ne leur sied pas nécessairement, car si Ced Davis (tout de merch Speed vêtu) occupe l’espace comme le bon gros coreux qu’il est, son comparse Drew Arnold est plus en retrait. Idem en ce qui concerne le bon Devin Swank, impayable frontman aux shorts trop longs, aux bras trop gros, et aux mimiques exceptionnelles (notamment durant les parties blastés) : la scène parait ce jour un peu grande pour lui, et on l’a déjà vu plus excité. Le son n’est pas fantastique non plus, ce qui n’est cependant pas bien grave puisque la plupart des riffs pachydermiques n’ont de toute façon guère besoin de haute-fidélité sonore pour être reçus pour ce qu’ils sont : de grosses sèches dans les bourses. La set-list est grosso modo identique à celle jouée à Bourlon, avec un maximum de titres issus d’Homicidal Ecstasy, les deux meilleurs morceaux de Tortured Whole (« Dragged By A Truck » et l’incontournable tube « Dead As Shit ») mais, hélas, aucun extrait du truculent Pornographic Seizures. Bref, bon concert mais on commence à les avoir beaucoup vus en peu de temps, et une forme de lassitude commence à s’installer : on envisage sérieusement une petite Sanguisugapause, d’autant plus qu’on a déjà l’esprit tourné, et bien plus emballé, vers ce qui suit.
Et ce qui suit se déroule à quelques mètres, à la Temple, où on va enfin pouvoir voir Wayfarer après les avoir lamentablement raté à Paris en mars dernier : c’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup, car rappelons-le, Wayfarer a sorti l’an dernier un album exceptionnel, l’un des tout meilleurs disques de 2023 : American Gothic. Tout ce qu’on demande alors, c’est un maximum d’extraits de ce dernier, un son décent, et du Romance With Violence – leur précédent disque, brillant également – pour combler les trous. Et ma foi, c’est exactement ce qu’on a, avec en bonus le plaisir de constater qu’en plus d’être brillants (on rappelle que la majorité du groupe évolue également dans Stormkeep et Lykotonon, et partage son batteur avec Blood Incantation), ces garçons s’avèrent charismatiques en diable. Le son est, pour sa part, aussi bon qu’il peut l’être à la Temple, et ne fait en tous cas pas obstacle au kiff. Quant à la set-list, elle n’est pas loin de nous combler, le groupe jouant une bonne demi-heure d’American Gothic. Ouvrant le concert avec le terrassant enchaînement « The Thousand Tombs Of Western Promise »/« The Cattle Thief », il nous régale aussi de l’élégante « Black Plumes Over God’s Country », sans oublier l’imparable « To Enter My House Justified ». Et si on regrette évidemment l’absence de « False Constellation » (set écourté par le format festival oblige), on a par contre le droit à deux belles tranches de Romance With Violence, « The Iron Horse » et « The Crimson Rider ». On en ressort franchement jouasse, et avec une seule idée en tête : les voir en tête d’affiche dès que possible. Clairement un de nos concerts de cette édition.
On assiste ensuite à un drôle de moment à l’Altar, en compagnie de nos égyptologues préférés du brutal death metal : Nile. Voilà bien longtemps qu’on n’a pas vu les Américains sur scène, et leur dernière prestation ne nous a pas laissé un souvenir impérissable : c’était probablement au Hellfest 2018, et on se rappelle avoir trouvé Karl Sanders bien rincé. Mais il se trouve justement que ce soir, il manque à l’appel. En effet, le bougre est malade, et puisque Brian Kingsland ne participe généralement qu’aux activités « studio », voici Nile réduit à un très inhabituel trio, ce qui nous inquiète sur la qualité de ce à quoi on va assister. Pas coté batterie, car George Kollias est bien présent et compte comme plusieurs batteurs à lui tout seul. Par contre, on se demande si Dan Vadim Von (basse + chant) et Zach Jeter (guitare + chant), à peine arrivés dans le groupe, vont assurer sans Papi Sanders. Et autant vous dire que notre inquiétude vole en éclats en quelques minutes : doté d’un son excellent et superbement équilibré entre les trois instruments et le double chant (au prix d’un volume un peu faiblard, ce qui nous va bien puisqu’au moins, on comprend ce qui se passe), « Nile sans Karl » assomme l’Altar. Les deux nouvelles recrues sont, sans grande surprise (cf. leurs pedigree respectifs), des monstres de compétence tant au chant que sur leur instrument, et ils assurent tous deux, avec charisme et sans difficulté apparente, un concert de très haut niveau. Bien entendu, il manque une guitare (et même deux si on compare aux derniers disques), et donc un paquet d’arrangements et d’ornements mélodiques orientaux chers au colonel Sanders passent à la trappe. C’est évidemment dommage tant les mélodies singulières de Nile sont leur principale marque de fabrique, mais cette simplification n’a pas que des désavantages : les compositions deviennent plus lisibles, et reconnaissons qu’en format concert, c’est loin d’être déplaisant. On a ainsi droit à des versions amincies des monuments « Sacrifice Unto Sebek », « Black Seeds Of Vengeance », « Defiling The Gates Of Ishtar », « Sarcophagus », ou encore de l’imparable « Lashed To The Slave Stick ». Et franchement, ça fonctionne à merveille, au point de se demander, à la fin de ce set objectivement brillant, si le vieux Karl ne devrait laisser tomber le chant pour se concentrer sur la guitare. Cela laisserait davantage de place aux deux brutes précitées qui, de toute évidence, se débrouillent parfaitement bien sans lui, soutenues par un Kollias absolument impérial, comme à son habitude. (Romain Lefèvre)
Il nous tardait de voir enfin sur scène les deux groupes phares du musicien/producteur américain Arthur Rizk, Sumerlands et Eternal Champion. Le décès récent de leur bassiste commun Brad Raub nous avait fait redouter l’annulation, ce qui aurait été plus que compréhensible, mais les groupes ont décidé de lui rendre hommage en maintenant les concerts. Sumerlands débute sur la Mainstage 2 aux aurores avec « Twilight Points The Way » de leur second album Dreamkiller. Premier constat, le groupe joue sans bassiste et une photo de Brad Raub est projetée en guise de backdrop sur grand écran. Les musiciens se sont sûrement dit que le remplacer par un intérimaire sans prendre le temps d’encaisser son décès était sûrement un choix un tantinet hasardeux. Avec le recul, et même s’il est étrange de ne pas voir de bassiste sur scène, c’était sûrement ce qu’il y avait de mieux à faire pour honorer sa mémoire. Seul le choix de la photo en backdrop, coupée par manque d’adaptation au format de l’écran, aurait pu être plus judicieux, Brad Raub ne respirant pas spécialement la joie sur ce cliché. Côté musique, le son est correct, les prestations guitares/batterie fidèles aux albums, mais c’est au niveau du chant que ça pêche sévèrement. Brendan Radigan a vraisemblablement du mal à monter dans les aigus, si bien qu’on se dit que les nombreux effets agrémentant son chant sur albums n’avaient peut-être pas uniquement pour but que de rappeler les années 80… Seuls deux extraits, « Blind » et « Force Of A Storm » sont tirés du premier LP et vu le peu de bien que nous pensons de sa production, on est heureux de les entendre avec un son digne de ce nom. Le groupe demeure relativement statique d’où une prestation mi-figue mi-raisin qui se termine sur le tube « Edge Of The Knife ». Si nous n’avons pas été complètement convaincus, il nous tarde tout de même de les revoir dans une salle de taille moyenne et en soirée car à ce stade, Sumerlands n’est pas fait pour une mainstage.
Trente minutes plus tard c’est au tour d’Eternal Champion de monter sur scène. Même constat, Rizk est toujours aussi statique, mais sa prestation à la guitare s’avère impeccable. Leur batteur souffre de quelques problèmes techniques qui n’entachent pas le concert. Parlons cette fois de leur emblématique chanteur Jason Tarpey, excellent dans son rôle de guerrier tiré de la mythologie nordique. Le groupe démarre sur « A Face In The Glare » et le cri introductif de Tarpey est reproduit à l’identique et sert d’exclamation de ralliement entre chaque morceau. Le set d’Eternal Champion se montre en définitive plus mémorable que celui de son petit frère Sumerlands, principalement grâce à la prestation de son chanteur qui n’oublie pas d’enfiler sa cotte de maille pour interpréter le dernier morceau, l’hymne du groupe « I Am The Hammer », que le public présent reprend avec plaisir à tue-tête. Très sympathique, mais ces petits champions méritent aussi des conditions plus appropriées. (Pierre Antoine Riquart)
Midi. On commence la journée à la Mainstage avec les trois jeunes Néo-Zélandais d’origine maorie d’Alien Weaponry, dont le bassiste Tūranga Morgan-Edmonds arbore un impressionnant moko (tatouage facial). Ces tout jeunes habitués du festival (ils y ont joué à 18 ans, et sont à peine plus vieux aujourd’hui), formés autour des deux frangins Lewis (chant) et Henry de Jong (batterie) à l’âge où l’on mange généralement ses crottes de nez, ont percé il y a quelques années, signé avec Napalm Records et tournent désormais avec des groupes comme Gojira ou Ministry. Leur thrash propre et moderne, rehaussé de chants de guerre traditionnels haka, déroule l’histoire tourmentée de leur pays, ancienne colonie britannique. Le premier morceau du set, « Raupatu » (confiscation), parle d’ailleurs des terres maories que le gouvernement néo-zélandais s’est approprié au 19e siècle. À moitié en langue maorie Te Reo, qu’ils militent pour garder vivante, à moitié en anglais : « Vous ne pouvez pas prendre notre langue/Vous ne pouvez pas prendre notre peuple » chante Lewis de Jong, torse nu et en treillis militaire. Dreadlocks dans le vent, groove féroce : difficile de ne pas penser à Sepultura période Roots, auquel ils sont souvent comparés. Si les passages « hakacore » apportent une fraîcheur et une originalité certaines, les morceaux en anglais restent bien plus classiques. Mais la sauce prend, en témoignent les nombreux moshpits.
Toujours sur la Mainstage, un groupe un peu moins jeune, voire revenu d’entre les morts après une longue traversée du désert : Anvil. L’enclume. Les attachants Canadiens heavy, pionniers du speed metal, qui ont connu un gros retour de hype à la fin des années 2000 à la faveur du documentaire Anvil! The Story Of Anvil, sont de nouveau au Hellfest et visiblement très contents d’être là. À 68 balais, Steve « Lips » Kudlow et sa gueule d’amour joue toujours son fameux solo de guitare au vibromasseur, à vitesse réglable. Son acolyte Robb Reiner est encore présent derrière les fûts, depuis 1978, comme lui. Sous l’indéboulonnable bandana du batteur, les longs cheveux ont blanchi. Le charme, il faut le dire, opère beaucoup moins que lors de leur prestation sympathique en 2010, dans la foulée de la sortie du documentaire, grâce auquel ces improbables cousins de Spinal Tap avaient pu rencontrer un public plus jeune. Mais les fans de la première heure, qui font tomber le K-way alors qu’un rayon de soleil pointe le bout de son nez, ont l’air d’apprécier ces petits instantanés hardos et hurlants des 80s, comme « 666 », « Mothra » ou « Badass Rock’n’Roll » (nous, on ne va pas mentir, on a plus de mal). Avec en apothéose, bien sûr, le tube de 1982 « Metal On Metal ».
À l’heure du coup de barre post-prandial, on retrouve sur la Mainstage Black Stone Cherry, qui dispense avec bonhomie son hard rock du Kentucky biberonné au bourbon et au bluegrass. On nous avait promis des « riffs à l’embonpoint fièrement assumé » (dixit le Hellfest). En effet, le set est aussi généreux qu’un barbecue du Midwest. Le batteur John Fred Young, coutumier du fait, se lance dans de longs et copieux solos que le public écoute religieusement. Chris Robertson, l’imposant chanteur, tattoo d’Hendrix sur le bras, tricote lui aussi sur son manche. Ambiance bon enfant. Puis l’irrésistible tube « Blame It On The Boom Boom » met tout le monde d’accord… Au même moment, The Casualties, groupe de street punk oï new-yorkais des années 90, met le feu à la Warzone. Trente-cinq ans plus tard, les crêtes colorées (et même les doubles crêtes) sont encore hautes. Un drapeau anarchie flotte devant la scène. « Chaos Sound », « Punk Rock Love », « Riot »… C’est à l’ancienne, criard, parfois approximatif, mais ça défoule. « Total fucking chaos! »
Plus tard sur la même scène, voilà Didier Wampas Psycho Attacks qui revisite les vieux classiques des Wampas (« on ne joue que des morceaux des années 80 », prévient d’emblée Didier, accompagné de ses vieux complices, dont Effelo). Comme « Marilou » ou « Rien à foutre », sur un mode retour aux sources mais pas nostalgique pour un sou. Le « punk retraité », en chemise hawaïenne rose qu’il fera bientôt tomber, slamme dès le troisième morceau avant d’entamer une reprise de « Brand New Cadillac » de Vince Taylor, accompagné d’une contrebasse psychobilly en diable. Après « J’ai quitté mon pays » : « J’espère que personne n’aura à le faire dans trois semaines », lance-t-il, en cette veille du premier tour des élections législatives. Entorse aux eighties : un « Rimini » a cappella (car le Tour de France, nous informe l’artiste, qui aime décidément chanter sur les gens, passait par là ce jour-là). Didier Wampas est le roi ! Une heure plus tard, les Danois de Nekromantix, arborant des coupes Pompadour rockab’ résistant à l’humidité environnante, reprennent le flambeau psychobilly, avec une contrebasse en forme de cercueil noir, cette fois-ci. Horror punk, monstres, SF… Avec des titres comme « Nice Day For A Resurrection », « Nekrofelia » ou « Haunted Cathouse », ils livrent un live survolté, digne de Ze Craignos Monsters, à réveiller les morts !
On termine la journée avec Suicidal Tendencies à la Warzone, un grand classique, avec Ben Weinman (The Dillinger Escape Plan) à la guitare, Jay Weinberg (ex-Slipknot) à la batterie, un jeune bassiste bouillonnant (Tye Trujillo, le fils de Robert, ex-ST, comme tout le monde le sait, et qui se produit avec Metallica ce même soir) et un… zbeul total (c’est-à-dire circle pits, mais sur la scène, par exemple). Un peu trop, d’ailleurs. Et comme d’habitude, aucun morceau de de The Art Of Rebellion ou Suicidal For Life n’est joué, ni même du plus récent World Gone Mad, le groupe se contentant encore un fois de jouer ses vieux classiques d’avant 1992… Il est 2h du matin. C’est la fin. Tout le monde est rincé, il est temps de remballer. Jusqu’à tard au Metal Corner du camping, « Porcherie » des Bérus résonne. (Éléonore Quesnel)
On suppose qu’avec la notoriété qu’il a acquise depuis la sortie d’Unison Life, Brutus va fédérer en masse cet après-midi à la Valley. On ne se trompe pas, et on a bien fait d’arriver en avance pour se placer, car l’esplanade est totalement bondée au moment où le trio belge l’investit à 16h. Visiblement très émue face à un public faisant bruyamment entendre tout son amour pour le groupe, la batteuse-chanteuse Stefanie Mannaerts ne cache cependant pas son immense plaisir d’être là. Axant l’essentiel de son set sur son troisième album dont il jouera cinq extraits sur les huit titres interprétés, le trio délivre un show qui se décline en post : post-hardcore, post-rock et post-metal sont entremêlés au sein d’une musique très personnelle sur laquelle se pose le chant magnifique de Stefanie, entre harangue et délicatesse. Très en place mais aussi un peu statique, le trio nous envoûte en alternant moments élégiaques et parties plus musclées. Chaque titre recueille l’approbation du public visiblement aussi ravi que nous d’assister à un concert tout bonnement excellent. On regrettera un peu que son immense premier album ne soit pas plus mis à l’honneur (un seul extrait, « Justice De Julia II ») mais faire la fine bouche face à un tel concert serait malvenu tant Brutus s’est montré convaincant d’un bout à l’autre des quarante-cinq minutes qui lui étaient imparties.
Il est 17h45 et on se précipite à l’Altar pour juger une fois encore sur pièce de la vélocité et de la précision thrash d’un des maîtres du genre de ces vingt-cinq dernières années à savoir The Haunted. Le son n’est pas toujours des plus équilibré côté guitares mais le concert est énorme, les Suédois piochant largement au sein de leur discographie avec, immense bonheur, trois extraits de son monument Revolver (« 99 », « All Against All » et « No Compromise »). La set-list est d’ailleurs bien répartie entre les titres issus d’albums où Peter Dolving tenait le micro et ceux avec Marco Aro. Et si ce dernier ne nous fera jamais oublier son prédécesseur, force est d’admettre que sa prestation du jour est impeccable de puissance et d’intensité et qu’il s’approprie correctement les morceaux autrefois interprétés par Dolving. Si au fond de la tente, l’ambiance reste mesurée et attentive, au plus près de la scène c’est le feu dans le pit et le public célèbre comme il se doit une performance millimétrée et impériale comptant son lot de grands moments (« Brute Force », « The Medication », « The Flood », « Hollow Ground » et l’incontournable « Hate Song » en fin de set). On quitte l’Altar, hautement contenté, dès les premiers applaudissements, car Extreme enchaîne directement derrière.
On arrive avec un léger retard au concert d’Extreme sur la Mainstage 1. Bien plus en forme que lorsque nous les avions vus ici même en 2014, la formation emmenée par Gary Cherone et Nuno Bettencourt offre une prestation très honorable devant un public malheureusement un peu amorphe et globalement assez peu concerné. Pourtant le groupe ne démérite pas, offrant ses tubes attendus des années 90 (« Decadence Dance », « Get The Funk Out », « Kid Ego », « Play With Me ») mais aussi trois extraits de son très bon dernier album 6, dont notamment l’excellent single « Rise » en toute fin de prestation. Nous avons droit à l’incontournable moment acoustique où sont interprétés « Hole Hearted », l’instrumental « Midnight Express » et, bien évidemment « More Than Words » faisant fatalement sortir un peu le large public de sa torpeur pour donner de la voix. En bon guitar hero qui se respecte, Bettencourt en fait naturellement des tonnes, mais on ne peut qu’être admiratif face à un tel niveau de virtuosité qu’il n’hésite pas à étaler sur « Flight Of The Wounded Bumblebee ». Au final, pas un des plus grands concerts de la journée mais une parenthèse 90s (mais pas que) des plus appréciables. (Bertrand Pinsac)
Devant son mur d’amplis Marshall réellement impressionnant, le guitariste virtuose Yngwie Malmsteen n’a rien perdu de la fougue de ses pourtant lointaines jeunes années. La silhouette s’est un peu épaissie, mais les plans serrés sur les solos impeccables, où l’on remarque toujours son imitable style classique, lignée Bach/Paganini, ne trompe pas sur la marchandise. Celle-ci est d’autant plus appréciée que Malmsteen est en forme, de bonne humeur, et distille ses plans de guitare les plus vertigineux sur les morceaux tirés de ses disques les plus accrocheurs, Rising Force et Trilogy. Certes, on doit bien se farcir quelques hits metal FM 80s comme « You Don’t Remember, I’ll Never Forget » – et le bien meilleur « Heaven Tonight », très bien chanté par Nick Marino, le précieux claviériste – mais Malmsteen sait jouer les entertainers heavy rock, avec ses mimiques de jeu, ses poses de guitares acrobatiques et un final particulièrement noise foutraque qui montre qu’il en a encore dans le moteur.
En matière de folk metal, les Anglais de Skyclad ont de l’énergie à revendre et l’omniprésence du violon apporte un supplément d’âme bienvenu à l’incontestable touche tzigane et entraînante de leur musique, en particulier sur les titres les plus anciens du groupe, aux structures mélodiques tarabiscotées comme « The Widdershins Jig » ou « Spinning Jenny ». La troupe du chanteur Kevin Ridley a beau ne plu être très active sur le plan discographique (le dernier album, Forward Into The Past, date de 2017), elle excelle toujours sur scène avec ses titres les plus dansants comme « Another Fine Mess », où perce l’ombre de Thin Lizzy (le groupe reprenant d’ailleurs leur « Emerald » dans la foulée).
« Hellfest ! Vous croyez quoi ? Qu’avec votre nom, Jesus va se priver de vous pisser dessus ? ». Évidemment, un concert de Mr Bungle est par définition imprévisible. Mais quand cette imprévisibilité se traduit par un mur d’eau de pluie astiquant la tête, le dos et les épaules pendant la totalité du concert, comptez sur Mike Patton pour vous donner son avis dessus. Un zèle communicatif qui se révèle la première bonne nouvelle : le chanteur/frontman semble en grande forme, ce qui est toujours bon signe. Le reste du groupe est à l’avenant (avec rien moins que Scott Ian d’Anthrax et Dave Lombardo de Dead Cross et Fantômas pour accompagner les anciens du groupe Trey Spruance et Trevor Dunn, on est paré !), mais Patton tient le lead, en particulier quand il s’amuse au crooner désaxé (« Satan Never Sleeps », la reprise de circonstance de Timi Yuro, ou « Hopelessly Devoted To You », cover de John Farrar). Entretemps, les fauves et les riffs sont lâchés, avec l’habituel sens de la dérision du combo. Petit cadeau déjanté avec l’interprétation du fanfaronnant « My Ass Is On Fire » du premier album, mais ce sont surtout les morceaux tirés du récent forfait enregistré par le line-up actuel, The Raping Wrath Of The Easter Bunny Demo, qui ont la cote (« Anarchy Up Your Anus », « Bungle Grind », « Eracist », « Spreading The Thighs Of Death »), et c’est en effet lorsque que le groupe œuvre dans ce registre thrash/thrashcore très technique que l’on se régale le plus. La version française du « Speak English or Die » de S.O.D., rebaptisée « Speak French or Die » s’avère aussi un must absolu, tandis que la reprise du « Hell Awaits » de Slayer, ou celle du « Territory » de Sepultura, avec Andreas Kisser en invité (Wolfgang van Halen, le fiston d’Eddy s’était pointé quelques minutes auparavant pour une reprise du Loss Of Control de son paternel), font décoller les semelles boueuses. Plus fort que la pluie et le froid, Mr Bungle !
Deux ans après son premier passage au Hellfest, revoir Metallica si tôt à l’affiche du festival clissonnais avait presque surpris les afficionados. « Déjà ? », pouvait-on décemment se dire, même si le quatuor californien avait sorti depuis son nouvel album, 72 Seasons. Bon, voir Metallica n’étant pas la pire des corvées, on est donc prêt à jeter un coup d’œil supplémentaire, après le concert globalement satisfaisant de l’édition 2022. Un coup d’œil, car voir Metallica n’est par contre pas la plus simple des choses au Hellfest, d’autant plus quand la réalisation vidéo sur les écrans se perd dans des jeux de décomposition et de fenêtres plus petites les unes que les autres. La pluie et l’humidité aidant, les rangs se clairsement un peu pour laisser le groupe ouvrir comme à son habitude sur ses précieux classiques (« Creeping Death », For Whom The Bell Tolls », « Hit The Lights »). Ça joue plutôt bien (hormis quelques coups de toms perdus de Lars Ulrich) et les morceaux qui suivent, extraits de l’album jaune, prennent même de meilleurs couleurs sur l’autel ruisselant de la Mainstage 1 (« 72 Seasons » « Too Far Gone? »). C’est là que survient l’incident : une reprise aussi inutile musicalement qu’artistiquement pénalisable pour le show de « L’Aventurier » d’Indochine. Seuls Kirk Hammett et surtout Robert Trujillo, préposé au chant, se livrent à cette petite facétie, pas bien méchante, non, mais à quoi bon se tirer une balle dans le pied avec une reprise moche, plutôt que jouer un titre supplémentaire de Master Of Puppets, par exemple ? Car, pour le coup, le groupe nous envoie une excellente version de l’instrumental « Orion » (en hommage à Cliff Burton) qui ferait presque oublier l’enchaînement avec l’horrible « Nothing Else Matters ». De facto, la fin du show se révèle plus poussive avec un « Master Of Puppets » un peu décousu. Bon, on verra dans deux ans ce que les Four Horsemen auront prévu comme « surprises », quand ils reviendront vendanger dans le secteur.
Les mauvaises langues diront que programmer Saxon si tard en fin de soirée (d’une soirée très pluvieuse, qui plus est !) n’était pas faire un cadeau à leur grand âge. Mais force est de reconnaître que les godfathers de la NWOBHM (la deuxième vague du heavy metal anglais, incarnée par Maiden & Co) assurent pleinement leur statut sur la Mainstage 2. Mieux, leur show est sans doute visuellement l’un des plus réussis du festival, avec leur aigle-géant étincelant pivotant sans cesse dans les airs, comme pour mieux atterrir sur la foule encore bien compacte. Biff Byford, 73 ans au compteur, et dernier soudard de la grande époque (avec le batteur Nigel Glocker) tient magistralement le chant d’un concert qui s’apparente rapidement à un best-of. Les hymnes de Strong Arm Of The Law (« Dallas 1 Pm », « Heavy-Metal Thunder »), de Wheels Of Steel, et surtout de Denim And Leather défilent chacun leur tour tandis que le grand écran feuillette les pochettes de l’imposante discographie. Sans surprise, c’est le pimpant « Princess Of The Night » tiré de ce dernier album, qui conclut un show sans failles. (Laurent Catala)
La dernière fois que Dismember avait joué en tête d’affiche France, c’était à la Péniche Alternat en 2004, avec trois membres d’origine sur cinq, pour défendre un album que personne n’a acheté (le pourtant plutôt costaud Where Ironcrosses Grow) et devant, allez, soixante personnes… Deux décennies plus tard, cet indiscutable membre du très fermé club des Big 4 du swedeath, reformé en 2019, revient enfin sur nos terres en tête d’affiche de l’Altar… Mais au même moment, un petit groupe américain dont vous avez peut-être entendu parler, du nom de Metallica, se produit sur la grande scène. D’où un début de prestation sans grande ambiance, la tente n’étant alors remplie qu’à moitié. Heureusement, Matti Kärki, entre fatalisme et désinvolture, choisit d’en rire un peu, notant par exemple entre deux morceaux quand les Four Horsemen attaquent « Orion » (« ah merde, j’adore ce titre ! »). Paradoxalement, cet apparent manque d’enjeu, mais aussi le plaisir évident que prennent les cinq musiciens – LE line-up historique du groupe entre 1990 et 1997 – à jouer ensemble donnent au concert un côté « jam entre potes » presque bon enfant. Un exploit puisqu’on tout de même affaire là à du gros death qui tâche canal historique, HM-2 en surchauffe et potards sur 11. Et plus la tente se remplit, plus l’ambiance devient chaude, voire bouillante, notamment grâce à une set-list en mode cavalcade piochant, étonnement, dans toute leur discographie, là où on aurait pu s’attendre à ce que Dismember joue à fond la carte nostalgie. Certes, il ne reste plus beaucoup de cheveux sur le crâne de David Blomqvist et Kärki approche du quintal, mais lorsqu’on a dans son arsenal des morceaux du calibre de « Skin Her Alive » (soit le death metal personnifié en deux petites minutes), « Casket Garden », « Dreaming In Red », « Fleshless » (avec son break fatal reproduit fidèlement sur le bord de la scène en mode air guitar par un Yann de Mass Hysteria et Karras visiblement heureux comme un gamin dans un magasin de jouets), et lorsque la prestation se termine devant une tente enfin pleine à craquer, on se dit que la péniche Alternat et les plans lose sont peut-être (enfin) un lointain souvenir… (Z)
Celles et ceux qui ont lu notre live report du Mystic Festival savent à quel point notre frustration a été immense d’y avoir loupé Chelsea Wolfe à cause d’une pluie diluvienne. Les conditions météo n’étant pas avenantes pour cette journée du samedi en terre clissonnaise, nous étions en conséquence équipés d’un poncho de compétition pour parer à toute éventualité, d’autant plus que la Valley est devenue une scène extérieure depuis l’année dernière. Bien évidemment, c’est une pluie intense qui débute juste avant le concert de la reine louve. Cela ne l’empêche pas d’entamer sa prestation sur un « Whispers In The Echo Chambers » envoûtant. « Feral Love », morceau poignant avec lequel nous avons découvert cette fabuleuse artiste résonne ensuite dans les enceintes de la Valley. Quel plaisir d’entendre ce superbe titre de 2013 qui comme nous l’imaginions, s’intègre parfait au style actuel plus électronique de Madame Wolfe. La set-list fait bien évidemment la part belle au récent She Reaches Out To She Reaches Out To She, dont cinq titres sont interprétés. Hiss Spun et Abyss se voient également mis à l’honneur avec respectivement trois et deux morceaux, dont les puissants et massif « 16 Pysche » et « Vex ». Les growls se voient cette fois assurés par Rikke Emilie List, la chanteuse de Konvent. Le concert se termine sur « Flatlands » tiré de sa compilation de chansons acoustiques de 2012, un choix surprenant, mais tout à fait à propos pour clore un des meilleurs concerts de cette édition 2024.
Dernier concert de la journée sur la Valley après la détonation sous déluge de pluie prodiguée par Mr Bungle : Julie Christmas, en pleine tournée de promotion de son nouvel album Ridiculous And Full Of Blood. Le groupe, composé entre autres de son époux producteur Andrew Schneider à la basse, de John LaMacchia de Candiria et Johannes Persson de Cult Of Luna aux guitares et de Chris Enriquez de Spotlights à la batterie, démarre sur un air bien connu, « Bones In The Water », de Battle Of Mice, avant que la prêtresse Julie n’entre sur scène affublée d’un masque relativement flippant. Elle effectue de nombreux petits pas d’un air qui semble menaçant pour murmurer les paroles angoissantes de ce morceau très particulier. Le ton est posé, atypique et magistral. Le groupe enchaîne avec le riff principal totalement pachydermique et emporte l’intégralité du public présent venu en masse admirer l’une des artistes les plus passionnantes des scènes post-metal et noise rock. Masque tombé, Julie Christmas et son groupe enchaînent les tubes de Ridiculous And Full Of Blood dans le désordre. « End Of The World » hypnotise littéralement toute l’assemblée au rythme des cris de la dame comme de ceux de Johannes Persson avant d’emporter très loin lorsque le refrain sublime est interprété. C’est beau, majestueux, nous n’avons rien vu de tel de la journée et il est aisé d’attribuer l’award du meilleur concert de cette édition 2024 du Hellfest à ce line-up de Julie Christmas qui ne pourrait mieux lui convenir. Merci, un grand merci ! (Pierre-Antoine Riquart)
Journée 1 jeudi 27 juin
Journée 2, vendredi 28 juin
Journéé 4, dimanche 30 juin
(Merci à Leonor Ananké pour ses photos)