[Report] Roadburn 2019 (deuxième jour)

Par Romain Lefèvre & Thierry Skidz (et Pierre-Antoine Riquart pour Anna Von Hausswolff)

VENDREDI

On commence cette seconde journée comme il se doit, c’est-à-dire en arrivant en retard et en ratant Gold (dont on a d’ailleurs plutôt entendu beaucoup de bien) et Throane (un peu pareil). Le retour aux affaires commence donc avec les psyché-marathoniens croates de Seven That Spells, qui vont occuper la Green Room pendant toute l’après-midi. Ils ont en effet été conviés à interpréter l’intégralité de leur ambitieuse trilogie The Death and Resurrection of Krautrock, commencée il y a huit ans avec Aum, poursuivie en 2014 avec Ion et achevée l’an passé avec Omega. De ces trois albums, notre préférence se portera sur Aum,  le plus dynamique et peut-être aussi le plus varié du lot, alternant drone avec batterie freestyle, psyché folky et space-kraut proggy comme sur le percutant « Rock Ist Krieg ». De l’avis de leur guitariste, ce premier set était une catastrophe (“The first set was a mistake, due to me being a perfectionist and an old fart. It was the worst show ever”, dira-t-il à la fin de leur second set). En ce qui nous concerne, c’était vraiment très bien, avec l’impression d’avoir écouté un groupe math rock jouant du psyché, très cérébral, plein de contretemps et de contrepoints diaboliques.

Dans le même temps, on faisait jouer notre don d’ubiquité pour voir le début du set de Secret Cutter dans une minuscule Hall of Fame déjà blindée, à l’un des seuls horaires de la journée où il était vaguement possible d’y entrer. Le trio américain, encore assez confidentiel malgré deux excellents albums (nette préférence le mécanique et massif sans-titre de 2014, mais le second, Quantum Eraser, sorti en 2018, est très bon aussi), est visiblement tout content de cette affluence, et pilonne donc la Hall of Fame de son grind /sludge aussi pesant qu’agressif avec un entrain qui fait plaisir à voir. Pas de basse, pas d’artifices, juste une guitare au son insensé (et qui sonne un peu comme celles de LLNN d’ailleurs) et des compositions simples, à l’efficacité redoutable. On vous les conseille pour peu que vous appréciiez les mélanges de genres crades. Las, on doit rapidement quitter ces sbires pour s’empresser de rallier la Mainstage, où une célébration peu commune de l’ego de Tom G. Warrior se prépare.

Mainstage évidemment blindée pour assister au fameux Requiem du Suisse à bonnet, joué par son fabuleux (aucune ironie, ce groupe est véritablement excellent) Triptykon, accompagné pour l’occasion du Metropole Orkest. Le début du concert est assez poussif, le son excellent mais clairement trop bas (ce qui permet au moins d’entendre parfaitement l’orchestre), mais surtout la qualité et la maturité de la composition (une sorte de blackened heavy un tantinet pompeux et un rien basique) laisse à désirer, ce qui n’est guère étonnant quand on sait que la première des trois parties du fameux Requiem figurait sur Into the Pandemonium et a donc été écrite par un Tom G. Warrior alors âgé de 22 ans et venant à peine de se lancer dans l’aventure Celtic Frost. La composition sonne clairement datée en 2019, et il est finalement assez heureux que l’orchestre soit là pour tenter d’anoblir cette première section, qui fait un peu peine à voir en comparaison des deux autres. La seconde justement, parlons-en, puisque c’est celle qui fut écrite en dernier, et spécialement pour l’occasion. Œuvre d’un homme alors bien plus mature et expérimenté, elle permet enfin au groupe et à l’orchestre d’œuvrer à l’unisson plutôt que l’un à côté de l’autre. Plus fine, mesurée et nettement moins metal, c’est la partie qui aura emporté notre adhésion, et nous aura permis d’entrer dans le show, lequel se conclut par une troisième partie tout aussi excellente, car composée par un Tom G. Warrior alors en pleine renaissance avec la reformation de Celtic Frost et surtout la sortie de l’exceptionnel Monotheist (dont le titre « Winter » constitue cette fameuse troisième partie). On serait bien en peine de vous décrire précisément le rendu global de cette œuvre tant celle-ci aura, en une heure, soufflé le chaud et le froid, tutoyé le ridicule comme le sublime, et commencé poussivement pour finir nettement mieux. Mais l’exercice de style était en tout cas intéressant, Tom et sa troupe de goths l’ont relevé avec aisance et un certain brio (malgré un son de basse qui, sauf erreur, disparut de manière soudaine à mi-concert), l’orchestre était impeccable, le public globalement très réceptif, bref, difficile d’en dire autre chose que « pari réussi ».

Tryptikon & Metropole Orkest © Visual_Violence

 

Pendant ce temps et malgré de lourds handicaps, Mythic Sunship emballait pourtant sans mal le Patronage avec ses rythmes endiablés et son psychédélisme bouillonnant. Déjà, un groupe psyché danois, instrumental qui plus est, ça ne fait pas rêver (à part chez les connoisseurs de Causa Sui ou Papir et de leur label El Paraiso sur lequel Mythic Sunship a sorti deux très bons albums l’an passé). Alors lorsqu’on apprend qu’ils sont également adeptes de la jam interminable et, comble de l’horreur, affublé d’un saxophone, on se dit que l’on va rapidement sombrer corps et biens. Mais non, aussi incroyable soit-il, et ce, dès le départ de la régate, ces quatre Danois trouvent la force de nous enjailler les cœurs avec douceur et facilité dans une joie communicative, une sève incandescente et revigorante s’échappant de leurs amplis. Les musiciens sont suffisamment talentueux et inventifs pour nous emporter avec eux. Le saxo est assez free ; le guitariste au touché soyeux, noyé dans une douce réverb, dispose d’une propension naturelle à verser dans le magma fusionnel ; et l’ahurissant batteur préfère visiblement l’agitation des remous et des grosses déferlantes plutôt que de lézarder sur de longues plages immobiles et se languir dans des eaux stagnantes. Encore une belle surprise.

Suite à ça, retour des trois Cariocas de Deafkids au sein du Patronage, accompagnés cette après-midi par Pet Brick, soit le duo electro-noisy composé d’Igor Cavalera et du britannique Wayne Adams (Ladyscraper, Death Pedals, Melting Hand, Big Lad, Johnny Broke, Shitwife…). Autant dire que cette freenoise brutale aux folles polyrythmies laisse peu de place aux guitares, Igor alternant avec le batteur des Deafkids derrière les fûts et aux percussions.  Excellent concert, sous l’œil bienveillant de Timothy Leary en vidéo, que l’on pourrait situer entre nos souvenirs de Todd et Gnod.

Deafkids & Petbrick © Visual_Violence

 

Retour à la Mainstage, car voilà quelques éditions qu’on se dit que la sémillante Anna Von Hausswolff méritait totalement d’en fouler les planches, convaincus que sa musique à la fois envoûtante et mystique comblerait parfaitement un public habitué à la diversité. Et à en croire la salle comble qui se présente devant nous dix minutes avant le début de son show, on avait raison de croire l’alchimie possible. On arrive malgré tout à se faufiler pour se placer suffisamment devant, et suffisamment en retrait pour apprécier autant la gestuelle du groupe que le son toujours aussi parfait de la 013. La déesse suédoise débute son concert avec « The Truth, The Glow, The Fall » et ensorcelle une salle qui de toute façon, était déjà visiblement acquise à sa cause. Que ce soit avec son synthé ou avec les notes fluettes dispensées par ses musiciens, le groupe dans son entier hypnotise la quasi-totalité des personnes présentes. C’est ensuite le macabre qui prend le relais avec « Pomperipossa » où la voix d’Anna, cette fois aussi délicate que celle de Kate Bush, nous nous fait dresser les poils ou mouiller les yeux. Il faut voir cette petite femme d’à peine 1m60 faire preuve d’autant de charisme et de prestance scénique que toute la troupe de Heilung sur la même scène la veille pour le croire. Anna nous berce, nous charme, nous lacère également avec ses cris d’écorchée vive et démontre à quel point le psychédélisme chez elle n’est pas surfait. Que ce soit avec « The Mysterious Vanishing of Electra », « Come Wander with Me » ou encore « Deliverance », Anna délivre une prestation sensationnelle à la hauteur de ce qu’on attendait. L’un de ses meilleurs concerts de cette édition.

Anna Von Hausswolff © Paul Verhagen

 

On file ensuite à Koepelhal voir les toujours élégants Young Widows jouer Old Wounds en intégralité, et sans que la performance ne nous colle au mur, on passe un agréable moment, grâce encore une fois à un son excellent (jamais gagné vu la nature de grand hangar industriel des lieux), mais aussi et surtout grâce à la singularité des compositions du second album des hommes du Kentucky, nous baladant pendant une petite heure entre post-hardcore, noise rock, post-punk et on ne sait trop quoi d’autre. Typiquement le genre de groupe à l’esthétique et à la signature sonore affirmées, et qui a toute sa place dans un festival comme le Roadburn.

Emma Ruth Rundle & Thou © Paul Verhagen

 

On ne s’éloigne ensuite guère de la Koepelhal et bien nous en prend puisqu’on va y assister à l’un des meilleurs concerts de cette édition. En tournée ensemble depuis le mois de janvier aux US, Thou et Emma Ruth Rundle nous font l’honneur de partager la scène ce vendredi soir, pour un set composé de morceaux originaux créés ensemble pour un futur disque en commun (prévu pour être enregistré cet été), plus une reprise (hommage ?) costaude et habitée des Cranberries, « Hollywood ». Malgré les quatre guitares (une pour Emma, trois pour Thou avec celle de KC Stafford, à la basse l’an passé), le son est absolument parfait, clair et puissant, dans cette grande halle à la haute coupole. Les hurlements éraillés de Bryan Funck se mêlent à la voix automnale d’Emma quand les deux ne s’attribuent pas des parties distinctes ou que KC ne vienne y ajouter la sienne. Comme d’habitude, le groove est souple et monstrueux avec un Mitch Wells, de retour à la basse, toujours aussi cool avec son jeu tout aux doigts à la Shahzad Ismaily. Meilleur show de cette édition pour certains d’entre nous !

Emma Ruth Rundle & Thou © Paul Verhagen

 

At The Gates © Paul Verhagen

 

 

Retour à la Mainstage ensuite, et malgré tout le bien qu’on pense du groupe, on n’attendait pas forcément grand-chose de ce show d’At The Gates, les retours de leur dernière tournée n’étant pas très positifs. Grossière erreur. Ils nous ont concocté un repas gastronomique bourré d’excellentes surprises pour cette soirée spéciale. Et ça commence d’entrée avec un amuse-bouche pas banal, une cover du « Red » de King Crimson, un des albums préférés de Mr Lindberg (cf. interview Revolver du 15 mai 2018). S’enchainent ensuite une très bonne sélection de classiques (« Slaughter of the Soul », « Blinded By Fear », « Cold », « Suicide Nation ») et de nouveaux titres post-reformation (comme le très bon et limite mélancolique « Heroes & Tombs »), entrecoupés par une étonnante version soutenue par le synthé d’Anna Von Hausswolff du « Koyaanisqatsi » composé par Philip Glass pour le fameux film-docu du même nom, produit par Coppola et réalisé par Godfrey Regio en 1982. Autre grosse surprise avec l’entrée en scène de Matt Pike pour interpréter une superbe reprise de « The Tempter », un des plus gros tubes de Trouble, en version encore plus doomy que l’original. Et encore une surprise de taille : l’arrivée de Rob Miller (ex-chanteur d’Amebix et actuel Tau Cross) pour chanter « Daggers of Black Haze » et « The Mirror Black » en duo avec Tompa, comme sur leur EP sorti en début d’année. Avant de conclure sur un rappel 100% dédié aux puissances nocturnes incluant « To Drink from the Night Itself », premier single du dernier album, et « The Night Eternal », les princes du melodeath suédois accueillent également les violoncelles du Jo Quail Quartet sur trois morceaux. Tous les participants viennent ensuite saluer de concert sous les ovations ô combien méritées de l’ensemble du public de la Main Stage. Grandiose. Tellement bon que l’on en a loupé (sans trop de regrets) les psychonautes portugais de Black Bombaim qui fricotaient dans la Green Room à côté, avec le saxo luisant de la légende free jazz Peter Brötzmann, ainsi que les pourtant excellents black-metalleux ricains de L’Acéphale. Comme dirait Dédé Gide, faire des choix, c’est renoncer.

At The Gates / Matt Pike © Paul Verhagen

 

Affreux dilemme ensuite : le BM suédois canonique de Craft (dont on a plutôt aimé le dernier album, White Noise & Black Metal) ou le doom ultra prometteur des Italiens de Messa, accompagnés pour l’occasion d’un saxophone. Le choix sera trivial et le couperet tombe comme le froid polaire sur nos pauvres épaules : on a vu Messa en octobre dernier au Desertfest (d’ailleurs on vous en parlait ici : http://www.noisemag.net/report-desertfest-belgium-2018 ), et jamais Craft. Ce sera donc la Koepelhal et un BM suédois qui sied a priori bien mieux aux températures alors ridiculement peu élevées qui siègent en ces contrées. Et sans totalement regretter notre choix (en fait, si, on regrette, parce que Messa a visiblement retourné Het Patronaat), il faut bien admettre qu’on n’aura pas été particulièrement scotchés par la performance assez molle des Suédois, pourtant pas avares en bons albums et en compositions aussi vicieuses que catchy. Dans une salle clairsemée et à une heure un peu avancée, coincés entre Loop et Messa, les cinquante minutes de set des vétérans (formation en 1994 tout de même, même si le groupe n’aura jamais réellement dépassé le stade de second couteau d’une scène BM suédoise bien davantage cornaquée par les grosses machines que sont Marduk, Dark Funeral ou Watain) nous paraissent bien longues et surtout bien peu originales. On y aura entendu, bien évidemment, pas mal de morceaux issus du dernier album en date et, sauf erreur, au moins un ou deux de Void et Fuck the Universe, mais on y aura surtout entendu, hélas, rien de bien fascinant.

Craft © Visual_Violence

 

Plus mémorable sera le set de Loop : même si leur passage cette année s’avère moins marquant que leur fabuleux concert de 2014, et ce, malgré le renfort de la section rythmique des non moins fabuleux The Heads, ce retour de Loop sur la Main Stage nous aura quand même régalés d’une bonne heure de tubes shoegaze et psyché noisy hypnotiques dont Robert Hampson a le secret (« Straight To Your Heart », « Black Sun », « Collision »,  « The Nail Will Burn », « This Is Where You’re End », « Burning World » en rappel, parfaite conclusion à ce Burning Darkness Day programmé par Herre Lindberg). On se fait la même réflexion qu’en 2014 avec la sensation prégnante de voir l’histoire en marche d’une bonne partie de la musique britannique en voyant jouer ce groupe majeur, chaînon manquant parfait entre le space rock 70s et la britpop 90s.

JEUDI SAMEDI DIMANCHE

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