Première partie du report ICI.
Jeudi 23 juin :
On l’a toujours un peu mauvaise suite à l’annulation inexpliquée de Turnstile (qui n’annule d’ailleurs aucune autre date de sa tournée européenne : mystère et boules de billard). Mais ça ne va vraiment pas durer, car les Allemands de Slope, un peu censés les remplacer ce jour-là à la Warzone, confirment tout l’immense bien que l’on pense d’eux depuis Losin’ Grip et Street Heat. Sorte de croisement pas si improbable que ça entre Infectious Grooves, Suicidal Tendencies et du NYHC old school, leur hardcore /fusion funk metal ultra catchy conquiert largement la Warzone, d’autant que le groupe, remonté à bloc et très heureux d’être là (il s’agit sans doute du plus gros concert de leur jeune carrière), saisit à pleines mains l’opportunité offerte par le Hellfest et délivre un set impérial. Son parfait, technique sans faille, impact maximal du double chant, énergie débordante et sourires jusqu’aux oreilles sont les maîtres mots de cette performance qui, on l’espère, n’est pas passée inaperçue. En tout cas ici, on prend bien note, et on range avec plaisir Slope dans la catégorie « groupes qui vont peser dans la scène hardcore ». Très prometteur. (Romain Lefèvre)
Pour occuper une large scène comme celle de la Warzone, on peut reconnaître l’efficacité de l’organisation tactique de Worst Doubt qui ressemble à celle d’une équipe de foot à cinq : un bassiste qui la parcourt de long en large, en défense devant le batteur, deux guitaristes ailiers qui montent aux avant-postes et un chanteur avant-centre à la pointe de l’attaque. Devant une foule très importante pour la première demi-journée de ce Hellfest II, alias le retour du fest de la vengeance, le hardcore metal Air Max Requin des Parisiens fait mosher une fosse très excitée le temps d’un set irréprochable. Si un groupe peut devenir la vraie locomotive de la scène hardcore française, c’est bien celui-là et il vient de le démontrer.
Zeal And Ardor traîne toujours comme un boulet sa prestation calamiteuse au Roadburn lors de ses débuts en live. Depuis, deux albums et des dizaines de concerts ont transformé le groupe de Manuel Gagneux en une machine extrêmement bien rodée. Sous la Temple blindée, les Suisses sont acclamés par un public déjà acquis à leur cause. S’éloignant de la formule « passage gospel/blues/blast black metal » pour dessiner les contours d’un metal moderne assez unique, les titres du dernier album équilibrent très bien une heure de show qui passe à une vitesse folle. Gagneux est en voix, ses musiciens sont hyper pro et sans avoir besoin d’en faire des tonnes, Z&A se voit ovationné après avoir asséné « Death to the Holy » ou « Don’t You Dare ». C’est certain, la prochaine fois que le groupe sera programmé à Clisson, ce sera sur l’une des Mainstages, car rien ne semble pouvoir arrêter son ascension.
Il est des concerts dont on sait d’avance qu’ils ne décevront pas. C’est le cas de ceux de Hangman’s Chair qui, portés par le magnifique A Loner sorti l’année dernière, assurent sur la Valley un set d’une heure de très haute volée. Leur cold doom urbain surpuissant et mélancolique ne ressemble à rien d’autre et puisqu’ils bénéficient d’un des meilleurs sons qu’il nous a été donné d’entendre sur cette scène (cette batterie, nom de Dieu !) et d’un lightshow superbe, les Parisiens jouent sur du velours. Après un petit détour côté Banlieue triste (les transcendants « Naïve » et « Sleep Juice »), ils en reviennent à leur dernier album pour un final qui laisse pantois tant il s’avère parfait. Non, Hangman’s Chair n’est pas l’un des meilleurs groupes français actuels. Il est l’un des meilleurs groupes actuels tout court. (Bhaine)
Une spécificité de Hellfest 2022 part 2 est l’arrivée en force dans la programmation de projets pagan/folk dont la dimension acoustique et l’aura rituelle viennent télescoper la bacchanale festivalière habituelle. Dans ce cadre, la dimension boréale et la mythologie viking sont largement convoquées dans des champs expressifs se démarquant des chansons à boire et à combattre plus typée heavy metal d’Amon Amarth et consorts. Habitués des lieux, puisque déjà présents en 2018, les Danois-Norvégiens-Allemands de Heilung investissent la scène avec la même dimension chamanique et farouche. Masques surmontés de cornes de cerf, tuniques tombantes (et blanche pour la chanteuse), visages peinturlurés, le décorum a peu changé et sert toujours d’habillage à une musique aux consonances percussives et naturalistes, avec ce mélange de bruits d’eau, d’os percutés, de bois frottés, que l’habituelle irruption de la horde de guerriers néolithiques, lances et boucliers en main, transporte dans une dimension collective incantatoire et hypnotique, avec ces danses répétitives en ronde, proche d’une tarentelle envoûtante.
Le public, nombreux, en redemande et peut dès lors s’ouvrir à d’autres agapes du même acabit, quoique plus subtiles. On pense en particulier à leur compatriote Amalie Bruun, la chanteuse de Myrkur, dont le projet Folkesange renoue indubitablement avec une direction folk affirmée, se détournant du black metal atmosphérique et des tensions de ses débuts. Sur scène samedi, vêtue d’une robe à la blancheur immaculée et accompagnée de musiciens aux poses médiévales, armés de tambourins ou rivés aux archets de leur violon et violoncelle, la blonde interprète monopolise la lumière avec son chant à la fois épuré et grave, qui met en transe ses alliages de poésie scandinave et de lyrisme à la dramaturgie tellurique que viennent surligner d’élégants drones synthétiques enveloppants.
Même effet opérant et mystique dimanche 26 pour le duo sibérien Nytt Land du couple Anatolyi et Natalya Pakhalenko, bien que l’on sente une pesanteur plus glaciale dans l’alliance de voix, de percussions et de cordes du duo. La voix gutturale d’Anatolyi et celle plus nasillarde de Natalyia s’accordent à merveille pour mettre en lévitation des sonorités rêches évoquant la dureté et la sauvagerie distante d’une toundra frémissante dans un substrat ambient/folk lentement syncopé.
Bien entendu, dans le domaine, la palme de la performance la plus dramatique et fascinante revient aux Norvégiens de Wardruna (déjà programmés en 2017) qui clôturent dans une ambiance de cérémonie funéraire elliptique la première journée sur la Mainstage du festival. La beauté des chants enchevêtrés du chanteur-mentor Einar Selvik et de la chanteuse Lindy Fay Hella illumine littéralement un décor féérique évoquant la voûte céleste d’un ciel arctique bleuté nimbé de milliers d’étoiles ou la croûte terrestre d’un sol marécageux libéré du permafrost. Les modulations vocales de pièces comme « Lyfjaberg » ou « Solringen » libèrent un fourmillement d’impressions, entre transe modulée, répétitivité frénétique et jeux d’harmonie plus charnels. Dans cette mise en relief épidermique et sensuelle, la richesse et la variété de l’instrumentation acoustique multiplient l’impact émotionnel et auditif. Flûtes en os, cornes de bouc et de chèvre, lurs (sorte de trompe en bronze), diverses harpes et lyres, dont certaines à archet, percussions, aident à revisiter la tradition servant de viatique à la musique de Wardruna sans la couper de ses résonances plus contemporaines. En fin de concert, Einar Selvik évoque d’ailleurs ce cheminement musical, entre passé et présent, de la musique d’inspiration traditionnelle de Wardruna, en insistant sur son caractère intemporel et universaliste. Un discours à la fraîcheur réconfortante, empli de paix et de compassion, tandis que les températures elles-mêmes semblent entourer la performance exceptionnelle du groupe d’un frimas spirituel idoine. De quoi espérer plus de vibrations de cet ordre dans un festival dont la démesure inhumaine donne parfois le tournis. Plus largement, il est intéressant de noter que ce ritualisme affirmé sert de point d’entrée aux joutes scéniques de plusieurs autres groupes et artistes, black metal notamment, présents sur les scènes du Hellfest cette année (mais pas seulement, on songe ainsi à l’excellente prestation, quelques heures plus tôt sur la Temple, de la musicienne italienne Lili Refrain, mélange de boucles de guitares, de loops vocales, de sonorités synthétiques ou percussives, et d’inflexions scéniques évoquant une Siouxsie plus moderne et expérimentale). (Laurent Catala)
Vendredi 24 juin :
Enforced nous avait déjà donné notre dose de crossover thrash power-tripien le week-end dernier, et cette fois ce sont les Californiens de Dead Heat qui administrent le rappel avec une demi-heure intense, entre galopades pour circle pits rapides et mosh-parts vicieuses. Le chanteur fait scander le nom du groupe sur leur fédérateur « Age of DH » et tout le monde a l’air de s’éclater devant la Mainstage même s’il est encore très tôt. Le crossover, c’est la vie. (Bhaine)
Le blackened hardcore des Américains de Portrayal Of Guilt de bon matin, voilà le genre de proposition qui sait nous séduire, d’autant plus qu’on ne les a jamais vus, et qu’on a le sentiment que les Texans se bonifient à chacune de leurs sorties, qu’ils enchaînent d’ailleurs à un rythme de stakhanovistes. On retrouve donc le trio sous une Temple relativement dégarnie, pour une demi-heure globalement pas placée sous le signe de la jovialité et de l’amusement. En tout cas, Portrayal Of Guilt jouit d’un son excellent et nous crache un bon petit set bien haineux, sous l’impulsion d’un Matt King concentré sur moult pédales d’effets auxquelles il a recours (cette singularité est d’ailleurs l’un des attraits du groupe). La setlist, principalement axée sur les deux derniers albums, et notamment le bien nommé Christfucker, sied bien au lieu, sans doute moins à l’horaire matinal – telle est la loi des grands festivals –, et permet à Portrayal Of Guilt d’emporter une assez nette adhésion de la Temple, visiblement appréciative de leur approche minimaliste et protéiforme du black metal.
C’est toujours un plaisir que de retrouver les jeunes Franciliens de Pogo Car Crash Control, que new Noise suit depuis leurs débuts prometteurs. Et si le chemin parcouru se mesure à la taille de leur audience au Hellfest, alors celui-ci est énorme, puisque cette année, Pogo joue devant une Warzone blindée et ne laisse pas passer l’occasion d’y défendre bec et ongles son dernier album, le très bon Fréquence Violence. Le quatuor est dans une forme olympique, le son plutôt très bon, et l’accent est évidemment mis sur le dernier-né du groupe. On a ainsi le droit à l’excellent « Reste Sage » et au singulier – et franchement superbe – « Cristaux liquides » (on vous conseille d’ailleurs d’en regarder le clip), à « Fréquence violence » et son refrain tubesque, mais aussi à « Traitement mémoire », « Ville prison », « Aluminium », « Criminel potentiel », « Tourne pas rond » ou encore « Tu peux pas gagner ». Les PCCC ajoutent à ça quelques morceaux plus anciens et offrent une prestation hyper solide, résultat éclatant de toute l’expérience déjà accumulée malgré leur jeunesse, et se mettent aisément dans la poche une Warzone qu’ils auront bien fait giguer pendant une heure. On émet donc ici même le vœu pieu que leur prochain passage au Hellfest se fasse en soirée, voire, qui sait, en Mainstage ?
Pas le temps de niaiser, maintenant qu’on a bien rigolé avec Pogo, retour aux choses tout à fait sérieuses puisqu’on court à l’Altar assister à la leçon de death dispensée par les Californiens de Skeletal Remains, une belle addition à la déjà interminable liste de très bons groupes death metal venus dégommer/honorer l’Altar depuis qu’elle existe. Leçon qui démarre cependant de façon un rien poussive, le mix nous semblant assez approximatif. Or, le death old school des Américains étant plutôt technique et véloce, ceci s’avère légèrement problématique puisqu’on ne comprend pas forcément bien tout ce qui se passe. Fort heureusement, le son s’améliore (ou est-ce notre ouïe qui se détériore ? Après tout, n’en sommes-nous pas déjà au 5e jour de festival ?) en cours de route, et on apprécie bien davantage la fin de concert que le début, notamment parce que le groupe joue, ô joie, « Eternal Hatred », meilleur morceau de son fort solide dernier album en date, The Entombment of Chaos. Pour le reste, Skeletal Remains délivre une performance solide bien qu’assez statique (ce qui est assez fréquent dans le genre), devant une Altar plutôt convaincue si on en croit le pit, d’un fort beau gabarit. (Romain Lefèvre)
« We’re Youth Code from Los Angeles, California, let’s fuck this entire place to the ground », annonce Sara, voix hardcore du duo EBM en débarquant sur une Mainstage démesurée, vêtue d’un tee-shirt noir implorant « God please, fuck my mind for good ». À plusieurs mètres d’elle, Ryan se tient derrière des machines, dans son tee-shirt Godflesh blanc, et lance aussitôt des instrumentations indus aux beats dansants. Bondissante dans son jean troué noir et ses vans, la hurleuse éructe ses lignes de chant devant un backdrop orné de leur logo en lettres gothiques. Et c’est parti pour une petite heure de morceaux abrasifs entre Skinny Puppy et Front 242, ponctués d’invectives et de crachats d’une Sara à la gestuelle de coreuse, dont le récent « Puzzle », qui provoquera la pluie, bientôt suivi d’un vibrant « Commitment to Complications ». Comme à l’époque où il ouvrait pour Carpenter Brut, le binôme prouve ainsi son côté « tout terrain », à l’exception peut-être des gueulantes sans véritable puissance de Ryan (mais qui viennent tout de même renforcer la pugnacité de l’ensemble), et nous rend impatients de les retrouver en club la nuit.
Avec HEALTH, on reste en famille (californienne), pour ce qui constituera notre set coup de cœur de l’édition 2022. Un ravissement, parce que – et ceux qui auront vu le trio au Hellfest ou ailleurs vous le confirmeront –, non seulement leur mélange d’indus et de dream pop (le chant sensible de Jake Duzsik) tient de la grâce la plus improbable mais, a fortiori dans un contexte metal, on se réjouit de pouvoir se désaltérer avec des morceaux comme « Strange Days », « New Coke » ou « Stonefist ». Entrecoupé de bidouillages bruitistes aux pédales ou micros – alors exécutés basse dans le dos par le dansant et headbanguant John Famiglietti –, le set passera en un éclair, mélange d’onirisme et d’abrasivité (les attaques noisy, la frappe tribale de BJ Miller…) avec une petite surprise à la fin : un featuring de Sara de Youth Code pour leur morceau commun « Innocence ». (Élodie Denis)
Un backdrop noir orné d’un gigantesque NEP (pour Nitzer Ebb Produkt) annonce le concert le moins metal de l’histoire des Mainstages du Hellfest. Remplaçant d’une autre légende electro/industrielle, Skinny Puppy, qui a déclaré forfait quelques mois auparavant, c’est un Nitzer Ebb orphelin de son chanteur Douglas McCarthy, toujours malade, qui déploie son EBM athlétique dès les premiers beats de « Control I’m Here ». C’est Bon Harris, l’habituel man-machine/percussionniste du groupe qui assure (plutôt très bien) les scansions, laissant synthés et programmations à David Gooday. Avec Harris au chant, malheureusement les pads/percus et leur indéniable impact visuel sont de facto remisés au placard. Moins frontal que dans ses jeunes années, le duo compense néanmoins habilement le déficit physique par une approche plus féline et encore plus hypnotique et répétitive. Les titres réarrangés club s’enchaînent les uns aux autres en mode set minimal-techno. « Hearts and Minds », « Captivate », « Lightning Man », les classiques « Murderous » et « Join in the Chant », les trois premiers disques sont logiquement mis à l’honneur, laissant néanmoins la place à l’album du retour, Industrial Complex (2010). On pourra bien sûr regretter la dimension brutale des versions originales (« Murderous », « Down on Your Knees »), d’ailleurs plus en accord avec le festival, et préférer le culte du corps en mouvement inscrit dans l’ADN de Nitzer Ebb, mais ne boudons pas notre plaisir ; danser comme un robot entre un faux Jack Sparrow, des gus déguisés en licorne et des fans de Sabaton médusés n’avait pas de prix !
Killing Joke fait partie des quelques groupes à participer aux deux week-ends de ce Hellfest très spécial. Sa première prestation en clôture dominicale de la Valley avait été particulièrement intense. Un son et une performance parfaitement chaotiques, à même de restituer l’Apocalypse selon Saint Jaz et ses apôtres Geordie, Youth et Ferguson (soit le line-up originel). Pour moitié consacrée à la période 80-82, la setlist réactive les éternels « Requiem », « Wardance », « The Wait », « Pssyche », les réguliers « The Fall of Because » et « Bloodsport » ou le plus rare « We Have Joy ». Aussi bien impliqués dans les registres mélodiques (« Love Like Blood »), primitifs (« Money Is Not Our God ») ou carrément metal (« The Death and Resurrection Show »), le groupe maintient une intensité palpable et donc communicative d’un bout à l’autre du concert. Les gars ne sont clairement pas en mode promo (aucun extrait du nouvel EP Lord of Chaos) et guère enclins à visiter leur passé récent. Tout juste consentent-ils à s’arrêter sur leur Pylon de 2015, avec un « I Am the Virus » dont Jaz n’aurait sans doute manqué pour rien au monde de rappeler la portée prémonitoire. Un rituel à la sauvagerie galvanisante qui laissait entrevoir une tout autre formule en ce vendredi 24, une fois calée sur la NIN-Stage et cette fois au grand jour. Raté ! On espérait légitimement une place de choix laissée au très metal-Indus Pandemonium, parfaitement raccord avec la thématique reznorienne du jour ; las ! Le groupe se contente de recracher la même setlist, débutant cette fois par un « Love Like Blood » plus immédiatement identifiable pour la foule de néophytes. Pas d’« Exorcism », « Millenium » ou « Whiteout » donc, pas plus que d’« Asteroid », « Aeon » ou « European Super State », pas même un petit « Eighties » qui aurait à coup sûr mis tout le monde d’accord. Jaz Coleman et sa bande semblent cette fois préférer la jouer sans risque, à rebours donc des principes d’urgence et de danger qui font pourtant toute la létalité du Joker. Et comme le show s’avère poussif (malgré un Coleman toujours très en voix) et le son très brouillon, c’est sur une note forcément très frustrante que s’achève ce double rendez-vous. (Stéphane Leguay)
Sous la Valley, on assiste à l’un des meilleurs concerts de Godflesh qu’il nous a été donné de voir. Un son titanesque, notamment celui de la basse de G.C. Green, et un Justin Broadrick, cheveux longs et vêtu d’un tee-shirt SPK, littéralement possédé par sa musique. Lui qui émettait quelques doutes quant au futur de Godflesh il n’y a pas si longtemps, parce que, se sentant vieillir, il n’était pas persuadé de pouvoir assurer le type de chant que nécessite ce metal industriel massif… La période de confinement l’aurait-elle ressourcé ? Ou est-ce le plaisir de retrouver la scène après tant de temps ? Reste qu’on l’aura rarement vu délivrer un set d’une telle intensité. Si bien que l’impact des morceaux en devient quasi physique, et les classiques « Streetcleaner », « Weak Flesh », « Pulp », « Like Rats », comme les plus récents « Post Self » et « Shut Me Down », ou les inattendus « Jesu » et « Love Is a Dog from Hell » renvoient l’impression de véritables blocs de ciment sonores. Intense ! Un des meilleurs concerts de ce second week-end, pourtant pas avare en prestations premiums.
Celle de Human Impact sous la même Valley en est une : OK, le son s’avère un peu crado, et dès les premières minutes Chris Spencer casse sa sangle de guitare (qu’un roadie vient lui panser à coups de ruban adhésif), mais peu importe, les morceaux du groupe gagnent fortement en hargne sur scène. Ne les ayant jamais vus auparavant, on ne sait pas s’il s’agit là uniquement de l’effet live, ou de la présence d’une nouvelle section rythmique, Phil Puleo et Chris Pravdica ayant été remplacés par Jon Syverson (batterie, Daughters) et Cooper (basse, ex-Made Out Of Babies). Ce dernier se donne en tout cas à fond, martelant sa basse comme si sa vie en dépendait et sautant dans tous les sens du début à la fin du concert. Nombreux ont été les déçus par ce changement de line-up, mais si on ne sait pas ce qu’elle produira sur disque, sur scène cette formation en impose et Human Impact convainc ici totalement. À revoir au plus vite.
En 2019, le concert au Hellfest de Ministry nous avait réconciliés avec une formation devenue les dix précédentes années une triste blague sur scène, la faute à des musiciens sans charisme et à un Jourgensen plus mort que vivant. Et cette fois, le groupe se sera révélé carrément exceptionnel. Pas autant que durant son âge d’Or (pour nous la « période Barker »), mais le revoir à un tel niveau semblait inespéré il y a encore quelque temps. Ceci grâce à l’ex-Tool Paul D’Amour, nouveau bassiste réinjectant ici un peu de classe, et au batteur Roy Mayorga (Amebix, Stone Sour…) qui, lui, insuffle une énergie folle aux morceaux. Et la setlist n’y est pas pour rien non plus avec un enchaînement des plus grands classiques de Ministry, jugez donc : « Breathe », « The Missing », « Deity », « Stigmata », « Burning Inside », « N.W.O. », « Just One Fix », « Thieves » et « So What » ! Auxquels s’ajoutent la reprise du « Supernaut » de Black Sabbath (enregistrée par 1000 Homo Djs, mais souvent jouée par Ministry), l’excellent « Bad Blood » (de Dark Side of the Spoon et présent sur la B.O. de Matrix) ainsi que deux extraits du très bon Moral Hygiene paru l’an dernier, « Alert Level » et « Good Trouble ». Et si Jourgensen fait toujours un peu peine à voir, c’est avec une réelle conviction qu’il hurle dans son micro. Il terminera d’ailleurs le concert en râlant après les organisateurs qui empêchent le groupe de jouer un rappel, alors que le public, malgré une pluie devenue de plus en plus diluvienne au fil du concert, en redemande. (Olivier Drago)
Au rayon des légendes heavy/hard rock, le set d’Alice Cooper démontre que Maître Vincent Furnier n’est pas encore touché par les avanies de l’âge (en dépit de ses 74 ans !). Trimbalant toujours son mirifique show horror rock, avec bébés gloutons géants et guillotine tranchante, le Monsieur Loyal du hard rock traverse les gouttes avec ses hits imparables, de « I’m Eighteen » à « Poison », en passant par « Billion Dollar Babies » et « School’s Out ». Et lorsqu’il intègre une étonnante reprise du « Another Brick in the Wall » de Pink Floyd, on repense à la prestation d’Helloween la veille avec son improbable cameo de The Police (quelques mesures et vocalises reggae) en plein « I Want Out », au cours d’un set où l’entrecroisement au chant des trois vocalistes du groupe – Kai Hansen, Michael Kiske et Andi Deris – se sera avéré particulièrement convaincant d’autant plus que le groupe a joué nombre de morceaux de son excellent premier album, Walls of Jericho. Avec son maquillage, Alice Cooper avait déjà l’air vieux quand il était jeune, alors son pas de danse assuré et sa voix sans rides laissent présager encore quelques années de prestige à ses excentricités. Tant mieux. (Laurent Catala)
La pluie a provoqué un afflux inattendu vers les tentes et c’est donc dans une Valley bien garnie que New Model Army affronte la déloyale concurrence de Nine Inch Nails (les deux groupes se partageant qui plus est un bon nombre de fans). NIN ou pas, NMA tend d’entrée son arc post-punk épique en décochant un « I Love the World » intense, qui donne le tempo à la prestation qui suit. Justin Sullivan, SG à la main, arpente la scène comme un tigre en cage entre chaque titre et polarise toute l’attention. Le set, judicieusement pensé pour un festival où le groupe ne joue clairement pas à domicile, fait la part belle à sa version la plus électrique. Pas de ballades, ni de down tempo donc, mais des hymnes certifiés (« Get Me Out », « Here Comes the War », « The Charge »), des brûlots calibrés pour le live (« Angry Planet », « Never Arriving »), des sing-along fédérateurs (« Believe It ») et un « The Hunt » de circonstance (« celle-ci nous a été empruntée par Sepultura »), de quoi se mettre une bonne partie du public dans la poche. Le son est excellent et les premières rangées, très testostéronées, répondent en chœur à chaque refrain, tendent bras et poings, pogotent (plus ou moins) gentiment sur les nombreux extraits de Thunder & Consolation, Impurity et The Love of Hopeless Causes. La présence du violoniste Ed Alleyne‐Johnson permet en outre à New Model Army d’interpréter pleinement les « Innocence », « Lurhstaap » et bien sûr le très attendu « Vagabonds » qui ferme le ban de la meilleure des manières, alors qu’on n’a pas vu le temps passer ! (Stéphane Leguay)
Pour sa première venue au Hellfest, Nine Inch Nails donne le ton d’emblée : avec le sample d’introduction de « Mr. Self Destruct » et ses bruits de coups portés, l’entrée en scène de la tête d’affiche de cette journée tout en tension indus/EBM et énergie ne peut que capter les novices ou réfractaires metalleux et mettre en transe les fans. L’heure et demie de show à venir s’annonce frontale. Trent Reznor, Atticus Ross, Alessandro Cortini, Ilan Rubin et Robin Finck assènent donc une setlist majoritairement tournée vers les fondamentaux Broken et The Downward Spiral (« Wish », « Last », l’effréné et stroboscopé « March of the Pigs », « Piggy », « Reptile » et ses lights vertes, « Heresy », « Closer », « Gave Up », « Hurt »). Et quand ils sortent de cet axe fondateur cinglant, c’est pour aller, par exemple, vers un « Letting You » dans une version plus bruitiste et apocalyptique que sur l’inégal The Slip, relevé par un jeu de lumières crues rasantes mettant en avant la scénographie ultra sobre mais classieuse et les musiciens habités tout de noir vêtus dans un décor constitué de six cages métalliques abritant des spots. Tout du long, sur les écrans jouxtant de part et d’autre la Mainstage, les captations vidéo de John Crawford (aka Kraw, le directeur artistique actuel de NIN) s’affichent en noir et blanc, avec plus ou moins de grain, et accentuent s’il en était encore besoin le perfectionnisme de l’ensemble. Autres « écarts » à Broken et The Downward Spiral : deux titres du récent EP Add Violence, « Burn » (de la B.O. de Tueurs nés), l’incontournable « Head Like a Hole », « Sanctified » dans sa version live actualisée dub et trancey ou encore le « The Hand That Feeds » de With Teeth, et l’imparable doublette « The Frail »/« The Wretched » de The Fragile qui plonge la scène et la foule dans un relatif répit bleu électrique avant un « Heresy » rageur et plutôt rare en live. Mais la véritable surprise arrive aux trois quarts du set quand Reznor remercie le public et l’orga, puis se lance dans un speech tout en humilité et déférence envers ses influences présentes ce jour au Hellfest (Alice Cooper, Killing Joke, Ministry, Nitzer Ebb – ces deux derniers tourneront en automne avec NIN), et salue les nouvelles pousses (Youth Code, HEALTH). On entend d’ailleurs ici en filigrane que Reznor a imposé la programmation assez extraordinaire, au sens premier, de la Mainstage de ce 24 juin. Intervention et transition à propos puisqu’entrent en scène les trois membres de HEALTH pour interpréter pour la première fois live « Isn’t Everyone », single plutôt mélancolique, addictif et collaboratif entre NIN et HEALTH sorti en avril. La fin du set est signifiée par l’inévitable « Hurt », baigné de lumières orangées post-incendiaires, où après un discret remerciement, Reznor s’éclipse, suivi de son infernale troupe. NIN aura encore une fois réussi à cumuler rigueur, sauvagerie et intensité avec maestria. (Catherine Fagnot)
Depuis 1994 et la première fois où nous avons vu Megadeth sur scène, aucun de ses concerts ne nous avait emballés, si bien qu’il était devenu l’un de ces groupes qu’on ne se déplaçait plus pour voir, même s’il jouait dans notre ville ou sur la scène d’à côté dans un festival. Mais la curiosité nous a poussés à regarder sur Arte le show donné durant le premier week-end de ce Hellfest 2022, et le rendu nous a donné envie d’assister à la seconde prestation de Mustaine and co. Fortement envie même, puisque trempés jusqu’aux os depuis le concert de Ministry en début de soirée, nous avons attendu jusqu’à 1h du matin. Et pas de regrets. Si Mustaine, qui s’est battu contre un cancer ces dernières années, reste statique et chante à l’économie, ses partenaires du moment – Kiko Loureiro à la guitare, James LoMenzo à la basse et Dirk Verbeuren à la batterie – jouent extrêmement bien et tiennent admirablement la scène. Les décors et projections sont kitsch juste ce qu’il faut, et la setlist se révèle impériale, avec les incontournables « Hangar 18 », « Sweating Bullets », « Symphony of Destruction », « Peace Sells », « Trust », « In My Darkest Hour » et « Holy Wars », joué en rappel, auxquels s’ajoutent malheureusement le gênant « À tout le Monde », dont le refrain se voit évidemment repris en chœur par la foule. On apprécie beaucoup plus « Dystopia », très bon extrait de l’album de 2016 du même nom et surtout « Angry Again », l’un des meilleurs morceaux de Megadeth, tiré de la B.O. de Last Action Hero, que Mustaine présente, presque gêné, comme « un film qui n’a pas fait de bons scores au Box-Office » – ce qui est vrai, mais il s’agit surtout d’un excellent film, et sa B.O. se montre tout aussi réussie avec de fabuleux morceaux d’Alice In Chains, Anthrax ou AC/DC. Bref, en 2022, on a enfin apprécié un concert de Megadeth. (Olivier Drago)
Samedi 25 juin :
My Own Private Alaska avait grandement fait parler de lui il y a plus de dix ans grâce à la singularité de son line-up (voix + batterie + piano) et un album produit par Ross Robinson, avant de splitter sans rencontrer le succès promis. Revenus aux affaires sous forme de quatuor l’année dernière (avec un claviériste en plus), les piano-coreux français font mieux que convaincre les curieux massés sous la Valley en mettant tout ce qu’ils ont dans ce screamo si singulier. Leur chanteur, ex-Psykup, a du mal à rester assis, et question épaisseur sonore, le piano n’a rien à envier à des guitares poussées à onze. Visiblement ému par l’accueil d’un public conquis et pourtant pas acquis d’avance, My Own Private Alaska démarre on ne peut mieux sa seconde vie.
Quelques minutes avant l’entrée en matière de Xibalba sur la Warzone, nous sommes dix devant la scène à nous faire tremper sous une pluie tenace et pénible. Mais on garde la foi : le hardcore/death/doom d’inspiration maya des Californiens ne peut que réveiller la fureur d’une divinité solaire, c’est obligé. Et, incroyable mais vrai, c’est exactement ce qui se passe… à la seconde même où Nathan Rebolledo (qui a une dégaine de second rôle patibulaire dans Breaking Bad) et les trois autres débarquent. Avec le soleil, c’est aussi l’enfer maya qui se déchaîne dans le pit. Pit où on se fait très mal sous les coups de massue hallucinants des cholos metalleux. « Hasta La Muerte », « La Injusticia », « Cold »… c’est la guerre et un appel au sacrifice humain. Brian Ortiz, compositeur et guitariste du groupe, manque à l’appel (il ne donne quasiment plus de concerts et se consacre à son projet death metal Tzompantli, cf. new Noise #63), mais même à une seule guitare, voici le hardcore le plus lourd jamais entendu en terre clissonnaise. « Goddamn », lâche Rebolledo en constatant les dégâts dans la fosse. Goddamn, en effet. (Bhaine)
Oui, le concert qu’on attend le plus ce jour-là est clairement celui des Californiens de Xibalba (terme désignant le monde des morts chez les Mayas, semble-t-il), tant les belliqueux chicanos se font rares dans nos contrées, leur dernier passage en France datant de 2015 ou 2016. Le petit peuple de la Warzone ne s’y trompe d’ailleurs pas, puisqu’avec le retour du soleil, les Américains jouent devant une audience plutôt dodue. Audience plutôt charnue donc, comme le style pratiqué par Xibalba, leur mélange hardcore metal/OSDM/doom death s’avérant, comme on s’y attendait, incroyablement jouissif et propice à l’émeute en concert. En grande forme, ravi d’être là et doté d’un son excellent, le groupe déchaîne sur la Warzone ses mosh-parts implacables et ses gros tapis de double transforment les environs de la scène en un vaste défouloir. La setlist parcourt toute la déjà riche carrière du groupe, de « Hasta la Muerte » à « Anos en Infierno » en passant par « No Serenity », « Cursed », « La Injusticia » ou encore « Stoneheart ». Bref, la bagarre est totale, l’ambiance n’est pas à la gaudriole et on s’aventure dans le circle pit sans s’y faire casser une dent ou une côte : succès. Un des meilleurs concerts de la Warzone, voire du festival tout court, et on vous l’affirme en toute objectivité… ou pas. (Romain Lefèvre)
Le crust punk/metal à l’heure du déjeuner ? Concept intéressant, mais il n’est pas question qu’on loupe le set des Suédois de Martyrdöd, qu’on n’a jamais vus live alors qu’on ponce leur discographie depuis bien des lunes. Mais soyons honnêtes : on n’assiste vraiment pas au meilleur concert de cette double édition 2022. Devant une Warzone assez clairsemée (le crust restant un genre de niche), le quatuor offre une performance honnête, mais tout de même amoindrie par l’état d’ébriété, a priori assez avancé – surtout pour l’horaire du concert, 12h15 –, du bon Mikael Kjellman (ex-Skitsystem, donc un gars qui traine ses guêtres dans la fange d-beat/crust depuis un bon bail). Le bonhomme est aussi heureux d’être là qu’il est saoul, et… il est vraiment très heureux d’être là ! Ses trois comparses ont l’air tout à fait sobres et assurent leurs parties sans coup férir, mais Kjellman enchaîne les pains. Il n’y a pas à dire, il incarne l’esprit crust punk à merveille. Ceci dit, circle pit et bonne rigolade sont de mise, et « List » ainsi qu’une flopée d’autres tubes sont joués, on ne boude donc pas notre plaisir. Au total, un concert plus marrant que convaincant.
On retrouve la Warzone sous un magnifique soleil de fin d’après-midi, et quelques heures après Xibalba, on a rendez-vous avec d’autres Californiens, mais dans une tout autre ambiance, puisqu’on pourrait dire, certes un peu vulgairement, que c’est l’heure de la chiale. En effet, les groupes de screamo/post-hardcore se font généralement rares à l’affiche du Hellfest, donc quand l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur représentant de cette scène, est en ville (enfin, en vignoble), pas question de le louper. On n’est d’ailleurs pas les seuls à avoir pris rendez-vous avec Touché Amoré puisque la Warzone est fort bien garnie quand Jeremy Bolm & co. montent sur scène. Là encore le son est excellent, et là encore le groupe est clairement très heureux d’être de retour en Europe, après des années particulièrement compliquées pour les groupes américains essayant de tourner dans le Vieux Monde. Et c’est sans doute grâce à cette exaltation des retrouvailles que Touché Amoré nous offre une performance majuscule : carrée à souhait, bourrée d’énergie, et évidemment à fleur de peau. La setlist est solide, faisant la part belle à leur excellent (sans doute leur meilleur après l’intouchable Is Survived By) dernier album, Lament : le groupe en joue près de la moitié, dont « Come Heroine », « Exit Row » et bien sûr « Reminders ». On a aussi le droit à une flopée de morceaux de Stage Four (dont on est bien moins clients), mais ils nous semblent meilleurs en live que sur album, et, ouf, le groupe honore tout de même Is Survived By a minima, avec « Harbor » et surtout l’exceptionnel « Just Exist ». On n’aurait pas été contre davantage de « vieux » titres, mais ne boudons pas notre plaisir, Touché Amoré claque un excellent concert, touché par le fantastique accueil que lui réserve la Warzone : quelle belle fin de journée. (Romain Lefèvre)
Quatrième participation pour Discharge qui aligne, ô miracle, le même line-up qu’en 2016. C’est d’ailleurs la première fois que le groupe conserve le même effectif (8 ans) depuis ses débuts en 77. Côté setlist, on reste malheureusement aussi dans la stabilité puisque 18 (!) des 22 titres joués cet après-midi l’avaient déjà été lors de leur dernier Hellfest. C’est donc reparti pour un tour de « A Hell on Earth », « Fight Back », « Protest and Survive » ou « Never Again », le gang de Stoke-On-Trent concentrant sa première moitié de concert sur le séminal Hear Nothing, See Nothing, Say Nothing et les 12 » de l’époque. Autant dire que ça D-beat sévère sur fond de riffs sinistres et cradingues (« The Blood Runs Red », « War’s No Fairytale »). L’électricité chaotique qui transpire du pit tranche pourtant avec le statisme des musiciens. Jeff Janiak a beau arpenter la scène de sa démarche lourdaude de punk à chiens, le vétéran Roy Wainwright (qui, lui, ressemble carrément à un clodo) et ses acolytes se contentent du minimum, chacun cloué à sa place. Pas grave, le public assure le spectacle, y compris sur les plus récents « Hate Bomb » et « New World Order » tiré du remarquable End of Days (2016, dernière sortie en date) ou « Accessories by Molotov » de l’éponyme de 2002. Le chant de Janiak, toujours très proche des éructations de l’historique Kelvin Morris, assure l’homogénéité vocale des deux périodes (80-83 et 2002-2016) qui constituent le set d’un Discharge plutôt convaincant sur cette Warzone toujours aussi bien nommée, à défaut de nous avoir terrassés de surprise.
Il faut vraiment vouloir croquer dans une madeleine de Proust pour s’infliger un concert de Guns N’ Roses en 2022, à plus de 100 mètres de la scène et entouré de metalleux rigolards et de curieux bien bavards. Mais comme un trauma qu’on tente de vaincre, on se sent obliger d’assister ENFIN au concert qui nous avait été refusé en 1992 ! Et tant pis s’il n’y a plus de Faith No More ni de Soundgarden dans le package, au moins peut-on se féliciter d’accueillir cette fois le GN’R canal (semi) historique (pas de Slash ni de Duff McKagan lors du Hellfest 2012). Avec « It’s So Easy », « Mr. Brownstone » et « Welcome to the Jungle » en triptyque d’intro, on se dit que la madeleine risque de tenir ses promesses. Et tant pis pour le son forcément moyen à cette distance et les bien vilaines vidéos en fond de scène. Axl est en voix et la setlist en mode best of : « Sweet Child O’Mine », « Civil War », « Patience », « You Could Be Mine », « Paradise City » ou l’inévitable reprise de Dylan « Knockin’ on Heaven’s Door ». D’ailleurs, en parlant de reprises, le groupe s’est fait plaisir avec l’évident « Live & Let Die » des Wings, le « Slither » de Velvet Revolver ou « Back in Black » et « I Wanna Be Your Dog » de-qui-vous-savez. Une inutile doublette qui renvoie plus à une fête de la musique sur la place du marché d’Aubenas qu’à une performance hollywoodienne devant 40 000 personnes ! Mais comme l’heure est à la mansuétude que génère le souvenir attendri, on passe rapidement à autre chose : pêle-mêle le gibus de Slash, ses soli interminables, les éructations bien senties d’Axl, son piano de 64 mètres de long sur « November Rain », un « Coma » massif, les deux claviéristes/choristes sub-existants (tradition des emplois fictifs chez Guns), des « Nightrain », « Reckless Life » ou « Shadow of Your Love » bien véner’… Bref, plein de choses à voir et à entendre, à défaut d’être 100 % impliqué dans le show. On remarque néanmoins l’absence de « Chinese Democracy », mis de côté pour la première fois depuis 2013 et remplacé par « Better », tiré du même album et qui se montre tout aussi convaincant live, une fois passé entre les mains de Slash et Duff. Un petit pouce levé enfin pour les tout récents « Hard Skool » et surtout « Absurd », taillés pour la scène… ou pour un remake d’Appetite for Destruction. Un bon concert donc, pas transcendant, mais qui laisse le sentiment d’avoir enfin vu une véritable incarnation de Guns N’ Roses. Même trente ans après son âge d’or.
À peine plus audacieux que leurs potes d’épingles à nourrice, The Exploited auront également largement pioché dans la setlist de leur dernier raid clissonais (2015). La faute à un répertoire, il est vrai, bourré de classiques difficilement évitables en festival. De « I Believe in Anarchy » à « Fuck the System » en passant par la reprise des Vibrators « Troops of Tomorrow », Wattie Buchan (re)passe donc en revue 42 ans de street punk, de mohawk défiant la gravité et d’accent écossais imbitable. Toujours aussi peu bavard, le brailleur ne perd pas de temps en discours inutiles et réalimente sans cesse à coup de « Dead Cities », « Beat the Bastards », « Alternative », « UK 82 » ou « Dogs of War » les énormes pogos et circle pits de la Warzone. Une prestation sans pause ni baisse de régime, servie par un son propre et une attitude parfaitement vindicative. Tout le monde aura donc la dose de glaviot et de morgue toute britannique qu’il était venu chercher (« Fuck the USA », « The Massacre »). Le classique bas de plafond « Sex & Violence » clôt l’émeute avec, grand classique du lieu, une soixante de personnes venues investir la scène. De quoi redonner un dernier coup de fouet à Exploited qui rebranche ses amplis au milieu de la foule pour un « Punks Not Dead » bordélique à souhait, et donc de circonstance ! (Stéphane Leguay)
Un problème de transport a décalé le set de Conjurer à un horaire tardif. Plus de dilemme entre eux et Xibalba, mais conflit d’intérêts avec Converge Bloodmoon. On choisit le groupe originaire de la ville de Rugby (fameuse pour vous savez quoi…) lequel se lance dans la mêlée avec « It Dwells », l’ouverture de son dernier album Páthos. Bon condensat de sa musique, le morceau épique alterne salves de violence et breaks quasi post-rock pour laisser place à « Thankless », un des titres phares issu de Mire et doté de lignes de chant clair redoutables assez typées metalcore. Le nouveau batteur s’en tire avec les honneurs, le bassiste headbangue toujours comme si sa vie en dépendait et les deux chanteurs guitaristes invectivent un public peu nombreux mais captivé par ce metal progressif alambiqué. (Émilie Denis)
On ne va pas se raconter d’histoire : à part leurs mères, et encore, presque personne n’a vraiment aimé l’album Converge : Bloodmoon, fruit de la collaboration entre Converge, Stephen Brodsky de Cave In, la gothique Chelsea Wolfe et son binôme Ben Chisholm. Mais, miracle, leurs morceaux passent mille fois mieux en live. Le son est parfait, Bannon chante juste (quand on vous dit qu’il s’agit d’un miracle), Brodsky se montre impérial, et Chelsea Wolfe est reléguée au rang de choriste de luxe qu’on entend à peine (ouf !) : on n’en demandait pas tant. En plus de la quasi-intégralité de l’album honni, les sept musiciens reprennent « Wretched World » d’Axe to Fall et… on apprécie grandement le résultat, tout comme on a finalement apprécié la totalité du concert. (Bhaine)
Dimanche 26 juin
Légère déception d’entrée lorsque Year Of The Knife prend d’assaut la Warzone : Tyler Mullen, l’un des meilleurs frontmen du hardcore US actuel, est remplacé au micro par la bassiste Madison Watkins, son compagnon Brandon Watkins lâchant la guitare pour prendre la basse (qu’on n’entendra, de plus, pas beaucoup). La chanteuse intérimaire donne de sa personne et fait mieux que s’en tirer avec les honneurs. Son enthousiasme se montre même communicatif, et si on regrette la guitare manquante et le line-up réduit, le groupe maintient un bon niveau de tension sur une scène qui va proposer toute la journée du hardcore tout frais sous toutes ses formes. Et le featuring furieux du chanteur de Judiciary annonce un set à venir qui risque de tout casser…
Et ce set qui casse tout, on y a effectivement droit. Non seulement le plutôt agile (vu le gabarit du bestiau) Jake Collinson au micro se montre aussi énervé que si l’intégralité des festivaliers avait insulté sa famille, mais en plus le gros son est au rendez-vous. Judiciary, pour faire simple, c’est du hardcore metal riche en riffs thrash/death à la All Out War, en plus dynamique et 100 % orienté bagarre. Texan, quoi. Quasiment tout leur unique album Surface Noise y passe avant qu’ils n’achèvent les derniers coreux encore debout avec l’appel au mosh « Axis of Equality » de l’EP du même nom. This is Hardcore.
Regarde les Hommes Tomber et Hangman’s Chair ayant chacun de leur côté triomphé quelques jours plus tôt, leur collaboration s’annonce comme une célébration. Bien sûr, à trois guitares, deux batteries, deux basses et deux chants, le risque est grand que l’ensemble tourne à la bouillie difficilement intelligible ou à la jam qui s’étire en longueur. Mais comme c’est déjà la troisième fois qu’ils se prêtent à l’exercice, le show s’avère très carré. Ces réinterprétations en mode big band de titres de chacun des deux groupes ont quelque chose d’inédit et fonctionnent particulièrement bien sur ceux de Hangman’s Chair (les guitaristes de RLHT ont l’air de s’éclater à les jouer). On ne retrouve pas la précision et l’ampleur de leurs sets respectifs, mais ces quarante-cinq minutes constituent un bonus formidable qu’on aimerait voir immortalisé un jour sur vinyle.
Les New-Yorkais d’Incendiary avaient déjà foulé la Warzone en 2018 et impressionné les festivaliers matinaux qui les découvraient alors. Quatre ans après, ils bénéficient d’un meilleur spot et en font un très bon usage. On reste dans le hardcore metallique pratiqué depuis le début de journée à la Warzone mais avec un groove plus proche des sautillants Snapcase. Le flow et le débit du chanteur Brendan Garrone rappellent eux un certain Zach de la Rocha à sa meilleure période (avec Inside Out, donc), le discours pro-choice fait plaisir à entendre et on a droit à tous les meilleurs titres de Thousand Mile Stare et Cost of Living. Avec en plus une nouvelle compo qui annonce un quatrième album à sortir dans quelques mois et qu’on attend déjà de pied ferme.
Avec Terror, toujours la même histoire : on se dit qu’on les a déjà vus mille fois, que leurs disques sont assez oubliables et qu’on va sûrement partir au bout de deux morceaux. Sauf que dans les faits, ça n’arrive jamais. Le plus New York Hardcore des groupes californiens vous attrape à la gorge d’entrée. Scott Vogel est un maître de cérémonie expert en castagne mise en musique et il ne leur faut pas plus de deux minutes pour transformer la Warzone en joyeux et violent bordel. D’accord, ils jouent à peine trois nouveaux titres très vite expédiés du récent Pain into Power, mais tout le monde s’en fout et repart aussi fatigué que satisfait. En live, Terror reste absolument intouchable.
Comment Ignite peut-il survivre sans son Zoli Teglas, chanteur emblématique au timbre de voix inimitable ? C’est ce qu’on vient découvrir sur la Warzone ce dimanche. Et on ne regrette pas d’avoir fait le déplacement. Le nouveau venu, Eli Santana, aurait pu être intimidé par l’ampleur de la tâche et anesthésié par la pression. Que nenni. Il en fait tellement des caisses, aussi bien au niveau du chant que de l’attitude scénique, qu’il en devient hilarant. À ses côtés, les (plus ou moins) historiques membres du groupe semblent motivés comme jamais, quitte à assez vite tirer la langue. On se retrouve ainsi avec une alternance de moments formidables (les chœurs de « Bleeding », le génial « Embrace ») et d’autres très gênants. Avec notamment les quelques titres de leur récent et assez mauvais album sans titre, mais aussi la présence un peu laborieuse du bassiste au milieu du circle pit, la reprise de U2 en hommage à l’Ukraine (mais arrêtez de faire chier les Ukrainiens avec U2, ils souffrent déjà assez comme ça !) et les poses shampoing L’Oréal de Santana. Il va même jusqu’à se coller face à la caméra qui le filme en gros plan pendant que ses longs cheveux flottent majestueusement grâce au ventilateur judicieusement placé… Il faut reconnaître qu’ils ont tous l’air de s’éclater, le public aussi, on se laisse donc porter et on chante très fort avec eux parce que, quitte à se lancer sur l’autoroute de la gênance, autant ne respecter aucune limitation de vitesse et foncer tout phare éteint. (Bhaine)
On commence cette journée marathon – car il faut le dire : la programmation du jour est absolument exceptionnelle – de bon matin (11h05), avec les brillants Rouennais de Sordide et leur black metal singulier, sur la forme (des inspirations allant du punk au grunge en passant par le black metal le plus canonique) comme sur le fond (un propos engagé, clairement antinationaliste, à contre-courant des obsessions interlopes de tout un pan de la scène black metal). Il s’agit là d’un groupe pour lequel on a le plus grand respect, très actif depuis une petite dizaine d’années (quatre albums depuis 2014), et l’on se réjouit de s’être levés de bonne heure pour aller les voir, malgré les six jours de festival alourdissant déjà bien le paletot. Sordide, de son côté, nous offre un set principalement axé sur son dernier album, l’excellent Les Idées blanches, avec notamment « Je n’ai nul pays », le superbe et si mélancolique « Ne savoir que rester », et un « Vers jamais » à la conclusion rallongée pour clore un set très solide, mais dont l’impact nous aura semblé un rien limité par un son pas exceptionnel. On en ressort donc mi-contents, mi-contrits, et on a hâte de les revoir dans des conditions sans doute plus propices à leur musique (par exemple, dans un lieu et à un horaire qui permettraient d’embrasser l’espoir d’un noir pouvoir).
On les a vus un paquet de fois, les Bordelais de Year Of No Light, libres penseurs d’un post-metal instrumental total, aussi puissant que cinématographique, mais à chaque fois le plaisir demeure intact tant le groupe maîtrise son affaire. Cette fois-ci, on s’attendait clairement à entendre du Consolamentum (le dernier grand œuvre des six garçons, sorti en 2021) à foison, et on n’a pas été déçus puisque le groupe lui taille logiquement la part du lion, en nous offrant « Objurgation », Le magnifique « Alètheia » et « Interdit aux Vivants, aux Morts et aux Chiens », la setlist étant par ailleurs complétée par l’inévitable « Stella Rectrix ». Le son, pour sa part, est excellent, et le large public présent sous la Valley à cette heure pourtant dédiée aux agapes (YONL joue à 12h50) connait et apprécie le groupe et son style singulier. Bref, on peut globalement affirmer qu’on passe là une excellente demi-heure en compagnie du plus fier représentant de la scène post-metal hexagonale, véritable machine à faire rêver et voyager par le son, et pourtant capable de tirs de barrage d’une puissance absolument terrassante. Seul petit regret, on espérait secrètement – car il nous semble qu’ils l’ont joué deux mois auparavant au Roadburn – avoir droit à l’incroyable « Traversée », et on ne l’a point eu, mais ne soyons pas bégueules pour autant, et reconnaissons que Year Of No Light nous a, une fois de plus, transportés. Un immense groupe, qui mériterait de toute évidence un créneau plus étendu à la Valley.
Parmi l’un des deux ou trois concerts qu’on attend le plus aujourd’hui, et ce, malgré une programmation aussi pléthorique que qualitative, figure celui de Blood Incantation. Le quatuor de Denver a en effet marqué la scène death metal depuis une petite décennie avec sa proposition aussi singulière qu’exigeante : un death metal progressif, aussi brutal et alambiqué que psychédélique et onirique, aux thématiques cosmiques marquées du sceau de la science-fiction. Le groupe vient d’ailleurs de surprendre son monde avec un nouvel album entièrement ambient, le très cinématographique Timewave Zero. Mais c’est bien pour jouer du bon gros death metal velu et spatial que Blood Incantation se présente devant une Altar fort bien garnie (NdRC : Ah ?! On a plutôt été surpris par le peu de monde), ce qui confirme le statut de darling de la scène acquis par les Américains, notamment grâce à leur dernier album en date, le très célébré Hidden History of the Human Race (à titre personnel, on lui préfère tout de même l’incroyable Starspawn). C’est donc naturellement vers Hidden History que penche la setlist, puisque le groupe en exécute trois titres (« The Giza Power Plant », « Inner Paths » et le fleuve « Awakening from the Dream […] »), contre un seul de Starspawn (le titre éponyme, en ouverture de set), ainsi que « Hovering Lifeless », issu de leur seconde démo et reprise sur l’EP Interdimensional Extinction. Malgré cette solide setlist et l’excellente prestation du groupe, clairement à la hauteur de son statut récent de cador de la scène, on reste sur une impression positive mais pas exceptionnelle, la faute à un son un peu aléatoire (le chant, notamment, trop en retrait dans le mix), ce qui ne pardonne guère vu la technicité marquée des compositions. À revoir d’urgence, et si possible dans des conditions sonores optimales.
Malgré un dernier album (A History of Nomadic Behavior) assez dispensable et souffrant largement de la comparaison avec ses illustres prédécesseurs, voir Eyehategod en concert est tout de même une opportunité qu’on ne laisse pas passer. Car au-delà du statut culte du quatuor au sein de la scène de NOLA, il s’agit du genre de groupe dont on se dit que chaque concert peut être le dernier, tant on s’inquiète de la santé de Mike Williams. Ce dernier, déjà passé très proche de la faucheuse par le passé et poursuivi de longue date par les démons de l’addiction, nous semblait s’en être libéré ces dernières années. Seulement, vu son état du soir, on a la triste impression qu’il a totalement replongé : titubant et à peine audible entre les morceaux, il assure tout de même une prestation honnête au chant, mais en s’accrochant à son micro comme à une bouée de sauvetage. Inquiétant. Le reste du groupe est égal à lui-même, avec un Jimmy Bower goguenard, pas toujours bien en place, mais tellement impayable qu’on lui pardonne bien volontiers, la section rythmique se chargeant pour sa part de rendre l’ensemble à peu près carré. Mais on ne va pas voir Eyehategod pour assister à une démonstration de technique, on y va pour partager un moment de défoulement punk salutaire, les pieds dans le bayou. Et c’est ce à quoi nous avons droit ce soir (même si on a déjà assisté à d’infiniment meilleures performances du groupe), avec une setlist heureusement pas trop axée sur A History of Nomadic Behavior, laissant leur due place aux « tubes » du groupe : « Sister Fucker », « Blank », « Parish Motel Sickness », l’inévitable « Medicine Noose », « New Orleans Is the New Vietnam » ou encore « Peace Thru War ». (Romain Lefèvre)
Place aux Tchèques de Cult Of Fire, dont la scénographie s’avère juste incroyable. Assis en tailleur dans des fauteuils amples surmontés de statues animalières dignes des plus grandes représentations des divinités de la cosmogonie hindoue et des épopées du Mahabharata et du Ramayana, le guitariste et le bassiste encagoulés assènent dans leur pose immuable un déferlement de riffs black/metal épiques des plus sensoriels. Placé devant la batterie et derrière un autel aux candélabres fumants, le chanteur masqué dirige la cérémonie comme un grand maître de Kali se livrerait à des libations funestes, ses effets de manche contrôlés servant d’impulsions à un chant camouflé frontalement black. Outre ses aspects théâtralisés réussis, la musique du groupe donne un bonus d’âme supplémentaire – et d’effets sonores, avec cette trame perméable aux sonorités du râga indien et du psyché rock seventies – au post-black metal mélodique de groupes à cagoules comme les Polonais de MGLA (auteurs d’un concert sobre mais efficace un peu plus tard) ou au black/metal nihiliste et primaire des infernaux Finlandais d’Archgoat, eux aussi à créditer d’un concert à l’âpreté et l’immédiateté géniale juste après.
En matière de théâtralité rituelle, les vieilles recettes metalliques s’avèrent elles aussi capables de fonctionner à merveille, en particulier quand il s’agit d’un groupe aussi essentiel que le Mercyful Fate de King Diamond. Même si le King est le seul membre restant de la formation d’origine (avec le guitariste Hank Shermann), auxquels s’ajoutent donc le batteur Bjarne T. Holm et le guitariste Mike Wead (présents dans les différentes reformations occasionnelles depuis les années 90) et le petit nouveau Joey Vera (Armored Saint, ex-Anthrax) à la basse. Là encore, la scénographie plutôt old school, avec cet escalier surmonté d’une croix renversée, fonctionne à merveille pour servir un set qui revisite le meilleur des albums historiques de cette formation culte du heavy metal : « The Oath » (quelle intro !), « A Dangerous Meeting » et « Come To the Sabbath » de Don’t Break the Oath, « Black Funeral », « Evil » et « Satan’s Fall » de Melissa, « A Corpse Without Soul » du EP Mercyful Fate, et un excellent inédit, préfiguration plutôt intéressante du nouvel album à venir, « The Jackal of Salzburg ». Entouré de musiciens aussi sobres qu’efficaces, King Diamond déballe avec tout son bagout costumé habituel la plénitude de sa formule lyrique et appuyée à la fois, avec force maquillage, micro-crucifix et casque de bélier. Le public ne s’y trompe pas, et si quelques-uns s’envolent rapidement prendre leur ticket dans la queue pour le show de Metallica qui s’annonce à quelques dizaines de mètres, les rangs restent serrés tant la puissance imparable du groupe semble ici resurgir avec tout son panache des enfers. (Laurent Catala)
Toujours un plaisir de retrouver les musiciens de Thou après leurs nombreux concerts surprises au dernier Roadburn. Chaque fois que Bryan Funck éructe « Behind the mask, Another mask…» sur « The Changeling Prince », comme en ouverture de ce set sous la Valley, on se demande s’il parle de son groupe (la formule a d’ailleurs donné son titre à un morceau apaisé sur l’EP Inconsolable avec Emily McWilliams et Melissa Guion au chant). En effet, sur disques, Thou joue avec les apparences, brouille les pistes, collabore (avec The Body dont ils interprètent ce soir « The Devils of Trust Steal the Souls of the Free » issu de l’album commun, ou encore récemment avec Emma Ruth Rundle) et s’affranchit souvent du carcan metal. En live, surtout au Hellfest, il montre plutôt son visage sludge. Celui impassible de Bryan, regard fixe, yeux écarquillés dans le vague, qui, pince-sans-rire, prend un selfie en milieu de concert « Pour sa maman ». Ou encore celui tout sourire du bassiste qu’on croirait sorti d’un groupe indie genre Built To Spill ou Pavement et qui contraste avec les mines concentrées d’un batteur exalté et de trois guitaristes assénant des riffs d’une lourdeur A.O.C Nouvelle-Orléans. (Émilie Denis)
« Les flammes de l’enfer ressemblent à une balade au parc à côté de ma souffrance actuelle », rétorque Dina Meyer dans le film Dead in Tombstone, un direct to DVD avec Danny Trejo sorti la même année que Machete Kills pour surfer sur le succès du film de Robert Rodriguez. Cette phrase nous reviendra en tête pendant l’immonde prestation de Sabaton, plus particulièrement pendant leur kitschissime et symphonique « Christmas Truce » (il faut rouler le r) interprété devant une modélisation 3D de sapin enneigé. Un set que nous subirons afin de nous faufiler dans une foule déjà compacte formée des nombreux fans des Scandinaves et de spectateurs désireux, comme nous, de se placer pour Metallica. « Guerrero », surnom du Mexicain buriné dans le gentil navet précité est d’ailleurs un sobriquet qu’aurait pu revendiquer le chanteur tchéco-suédois Joakim Brodén vêtu d’un treillis, comme tous ses petits copains musiciens obsédés par la guerre (notion clef de tous les concepts-albums de Sabaton) mais aussi et surtout d’un ridicule ersatz de gilet par balles à base de plaques de métal antidérapantes. Cela le rend un peu raide, comme Danny Trejo toujours, sans l’excuse de l’âge cependant (70 ans pour l’acteur). D’ailleurs, il devient vite gênant de voir un grand dadais de 40 ans visiblement resté coincé au stade des petits soldats, enchaîner les morceaux heavy metal de mauvais goût consacrés aux boucheries de toutes sortes, non loin d’une réplique de tank avec quelques effets pyrotechniques cheap censés reproduire l’ambiance des champs de bataille (des flammes donc, sur « Bismarck » – oui oui, c’est le titre du morceau –, des fumigènes et pétards sur l’introduction de leur « Primo Victoria »…). Terriblement gênant de les voir exalter les guerres de conquêtes et autres luttes armées, à plus forte raison en plein conflit russo-ukrainien. Si bien que seule l’adhésion massive des fans qui nous entourent (dont quelques préados visiblement transportés et conquis) nous retiendra de gueuler « Balancez-moi ça à Marioupol ! » (Élodie Denis)
Non, cette fois Ugly Kid Joe ne nous aura pas convaincus. Peut-être parce qu’il s’agit de la quatrième fois que nous assistons à l’un de ses concerts depuis sa reformation, et que la lassitude nous gagne. Alors oui, Whitfield Crane chante exceptionnellement bien, en plus d’être passé depuis longtemps maître dans l’art de mener le public à la baguette. Mais, justement, le voir interagir avec les spectateurs exactement de la même façon que les trois fois précédentes enlève une grosse part de magie à ce concert. D’autant que le groupe nous semble virer de plus en plus « classic rock », à l’image du nouveau morceau joué, « That Ain’t Livin’ », composition hommage – pour ne pas dire plagiat total – au AC/DC période Bon Scott. Le prochain album du groupe a d’ailleurs été décrit par le guitariste Dave Fortman comme un disque plus « rock’n’roll », avec des morceaux « mixés à la façon de ceux des Rolling Stones et une reprise du “Lola” de The Kinks ». Et de la même façon qu’il nous est devenu insupportable d’entendre « Hurt » à la fin de chaque concert de Nine Inch Nails, ou « Nothing Else Matters » lors d’un concert de Metallica, on ne peut contenir un grand soupir lorsque le groupe entame son tube de 1994 « Cat’s in the Cradle » (une reprise de Harry Chapin)… Ah, ces ballades « passages obligés »… Et que dire de cette inutile reprise du « Ace of Spades » de Motörhead en fin de set ? On aura néanmoins apprécié « Neighbor », « Devil’s Paradise », « No One Survives », « I’m Allright » et le fusionnant « Funky Fresh Country Club », mais on doute de se déplacer la prochaine fois qu’ils joueront dans nos environs… À noter un batteur qui n’était ni Shannon Larkin (qui a enregistré les parties de batterie du prochain album) ni Zac Morris (qui les accompagnait live ces dernières années et figure dans le clip de leur dernier single, « Kill The Pain« ).
Carcass et Triptykon jouent l’un après l’autre en même temps que… Metallica, si bien qu’on a rarement vu la Temple et l’Altar si vides. Comme à leur habitude, les Anglais donnent là un concert impérial durant lequel les morceaux des deux albums post-reformation fonctionnent aussi bien que les classiques « Exhume to Consume », « Heartwork », « Incarnated Solvent Abuse » ou « Corporal Jigsore Quandary ». On est également heureux de voir l’accueil réservé au « Keep on Rotting in the Free World » extrait de l’excellent mais mal-aimé Swansong. Quant à Tom G. Warrior et ses sbires, ils déploient cette lourdeur si caractéristique qui est la leur devant une petite poignée de fans conquis. Rien à redire, le quatuor joue comme si le chapiteau avait été plein à craquer. Seul bémol en ce qui nous concerne : les vieux titres de Celtic Frost que le groupe se sent probablement obligé de jouer (« Circle of the Tyrants », « Mesmerized », « Dethroned Emperor ») et qui composent la moitié du set, alors qu’avec ses deux albums, ses deux EP, et Monotheist, le dernier album de CF, le plus proche dans l’esprit et le son de Triptykon, il a largement de quoi assurer en live sans ces classiques qui dénotent un peu parfois. Voilà néanmoins deux concerts qui ne nous ont pas du tout fait regretter de ne pas avoir choisi Metallica, au contraire. (Olivier Drago)
Nous y voilà donc, à l’orée de cet évènement qu’on nous aura vendu, à raison, comme historique : Metallica au Hellfest. Encore aura-t-il fallu pour ça, histoire de n’être pas trop mal situé, subir les pires flammes de l’enfer. 30 minutes de Black Label Society. Un show entier de Sabaton, tout en carton et contreplaqué, au beau milieu d’un nid de fans :
« C’est trop mortel Sabaton, non ?!
— Non. »
Les commentaires navrants sur l’évolution de Metallica, de l’âge de pierre à nos jours :
« Master of Puppets, c’est quand même un sacré album ! »
Et des phrases surréalistes comme seul le Hellfest sait nous en réserver au détour d’un concert :
« Tu sais que j’ai été pendant sept ans représentant chez les choucroutes Stoeffler ? »
Presque deux heures de tortures chinoises donc, avant que le fameux extrait de Le Bon, la Brute et le Truand n’apparaisse enfin sur les écrans géants. Tuco et Ennio Morricone sifflent le début des hostilités, et c’est sur « Whiplash » que les Four Horsemen investissent la scène, devant une foule à perte de vue. Combien sommes-nous ? 50 000 ? 60 000 ? Plus ? Difficile à dire ainsi perdus dans cette immensité humaine qu’on ose à peine regarder dans les yeux, sous peine de flippe garantie. On se concentre donc sur cette scène à la structure singulière, avec avancée vers le public et mini-snakepit pour happy fews. Mais qu’attendre d’un concert de Metallica en 2022 ? Devenu roi du monde, multimillionnaire, multiplatiné, multi-tout, que peut offrir le groupe de San Francisco sur scène, lui qui a tout connu, tout conquis ? L’urgence, le danger ne faisant logiquement plus partie de son quotidien, il reste le plus plaisir de jouer (assez visible, un bon point) et ce fameux entertainment à l’américaine. Va donc pour le show et le divertissement. Et il faut reconnaître que James Hetfield est passé maître en la matière. Aussi sympa que Lars Ulrich peut être horripilant, le chanteur tient le public dans sa main, échange, blague (« qu’est-ce qu’on va jouer, maintenant qu’on a fait nos meilleures chansons ? », après trois titres), fanfaronne (« Metallica, finally at Hellfest »), alerte sur les dangers de l’isolement suicidaire au milieu de « Fade To Black »… En redoutables experts rompus au live depuis 40 ans, Metallica enchaîne donc ses hymnes les plus incandescents (« Creeping Death », « Damage Inc. », « Seek & Destroy »), les plus lourds (« Sad But True », « For Whom the Bell Tolls », « Harvester of Sorrow »), ses classiques ++ (« Enter Sandman », « One », « Nothing Else Matters »), revisite (trop) brièvement le dernier Hardwired… To Self-Destruct (« Moth into Flame ») et ose même, non sans autodérision, le challenge St. Anger (« Dirty Window »). La performance, millimétrée, ne laisse que peu de place à l’aventure, peu servie de surcroît par un son moyen qui peine à imposer les guitares et la double grosse caisse. Trujillo et Hetfield, toujours aussi techniquement affutés et faisant ronronner la machine, grâce soit finalement rendue à Kirk Hammett, qui en met quelques-unes à côté et à Ulrich, qui fait du Ulrich, de donner un peu de vie et de fragilité à un ensemble au professionnalisme clinique par ailleurs. Tout le monde se quitte bons amis sur un « Master of Puppets » convaincant, bien chaud mais pas très brûlant. À l’image de ce concert, peut-être historique, mais dont les plus vieux peineront sans doute à se rappeler les détails dans quelques mois. (Stéphane Leguay)