[Report] Hellfest 2022 part.1

Le Hellfest est revenu et le Hellfest a vaincu. Avec 362 groupes à l’affiche d’une double édition s’étalant sur sept jours, le festival clissonnais est devenu le plus gros de France et fait preuve d’une santé d’acier en cette difficile période post-pandémie puisqu’il affichait encore une fois complet quelques heures après la mise en vente des billets du second week-end. La météo s’en est aussi mêlée avec deux jours de canicule extrême, puis de la pluie, mais aujourd’hui Ben Barbaud et son équipe peuvent déclarer que ce Hellfest historique, de par son gigantisme, de par la présence d’énormes têtes d’affiche comme Nine Inch Nails et Metallica, qui s’y produisaient pour la première fois, s’est déroulé au mieux. Retour sur sept journées intenses, en commençant évidemment par les trois originellement prévues en 2020 :

 Vendredi 17 juin

Higher Power

Avec le hardcore plein de mélodies de Higher Power, la violence est plus dans la température qui monte que sur scène de la Warzone. Mais si on peut avoir du mal avec certains titres trop pop des Anglais, en concert, on a essentiellement droit à leurs excellents singles (dont « Low Season », génial) et aux morceaux les plus costauds type « Can’t Relate » de leur premier album. Comme en plus, la voix de Jimmy Wizard reste aussi juste dans les parties chantées que dans les plus énervées, il n’y a absolument rien à redire. Si tout ce qui va défiler à la Warzone pendant ces sept jours de fest est du même tonneau, ça s’annonce on ne peut mieux.

Difficile de ne pas penser à Power Trip et à son chanteur Riley Gale qui nous a quittés l’année dernière lorsque les Américains d’Enforced entament leur bref et intense set sous l’Altar. Car voilà le même thrash crossover louchant vers le hardcore avec une énergie que n’auraient pas reniée les Texans cités plus haut. Dire que ça fonctionne auprès d’un public pas encore massif mais surmotivé est un euphémisme. S’appuyant majoritairement sur Kill Grid, leur tuerie d’album sorti en 2021, le set n’est qu’une enfilade ininterrompue de mosh-parts fatales et de riffs thrash parfaits portés par un chanteur déchaîné. Au point qu’à la fin de cette demi-heure à haute intensité, une seule question se pose : et si ce successeur potentiel à Power Trip était encore meilleur que lui ?

C’est Jack Kelly de Slapshot qui le dit : « Je vais avoir soixante ans et j’ai l’air moins fatigué que vous. » Et il est vrai que ce vétéran cabossé du hardcore le plus direct et sévèrement burné semble increvable. Anti-glamour au possible, tout le groupe, dont le guitariste Johnny Rioux – ancien Street Dogs et The Bruisers –, ressemble à une bande de vieux boxeurs qui refuseraient de se coucher. This is Boston, not L.A. Sans être exceptionnel, le concert se montre solide de bout en bout. Aussi bien lorsque sont joués les quelques morceaux plus récents (enfin, qui ont moins de trente ans) que les classiques tirés de Back on the Map. Et comme les gros durs ont aussi un cœur, on a droit à une reprise de The Smiths. Seul regret : qu’ils n’aient pas joué leur réinterprétation coup de poing de « Personal Jesus » de Depeche Mode.

« On vient d’un endroit qui s’appelle les années 90. » Et effectivement, on ne peut pas faire plus 90s que le rap/metal/fusion/hardcore de Dog Eat Dog, l’un des seuls groupes au monde à compter un saxophoniste dans ses rangs tout en restant écoutable. Alors que tous les tubes sont interprétés avec une joie et un enthousiasme communicatifs, c’est toute la Warzone qui prend feu et jumpe sur « Who’s the King », « Rocky » ou « No Fronts » comme à une fête de lycée circa 1996. Ça s’enflamme un peu moins sur un titre plus récent mais D.E.D., porté par les fondateurs John Connor et Dave Neabore (ainsi qu’un tour manager qui s’improvise MC de façon très convaincante !), remporte haut la main le trophée du set le plus fun de la journée. « If these are good times? » Carrément.

Dog Eat Dog

À 23h00 sur la Warzone, c’est parti pour Cro-Mags ou plutôt, le Harley Flanagan show. Sorti du purgatoire qui lui a valu de se faire « voler » SON groupe par son chanteur John Joseph et son batteur Mackie Jayson, et même de passer par la case prison après une altercation couteau à la main, le bassiste le plus vénère du New York Hardcore mène à nouveau SES Cro-Mags. Et ça le met tellement en joie qu’il vient chauffer le public dix minutes avant de démarrer son set. Pour l’entourer, deux nouveaux guitaristes sérieux et appliqués ainsi que le fidèle et solide G-Man à la batterie qui accompagne Flanagan depuis une quinzaine d’années. Ce qu’il y a de formidable dans ce concert de Cro-Mags, c’est évidemment Flanagan, littéralement déchaîné. Mais ce qui pêche, c’est aussi Flanagan. Déjà parce qu’il ne joue que très vaguement de la basse, ce qui parasite le rendu global des morceaux. Et, surtout, parce que tous les classiques du culte Age of Quarrel sont « chantés » ou baragouinés au jugé. On a même l’impression qu’il ne souvient plus des paroles, et ce bon vieux Harley multiplie les pains comme s’il était chargé de distribuer le petit déjeuner le lendemain matin à tout le camping du Hellfest. Les nouveaux titres et extraits de Best Wishes sont toutefois mieux interprétés. Le meilleur moment du show s’avère même être « These Streets » du mal-aimé Revenge à égalité avec le final habité « Apocalypse Now ». De toute façon, rien ne peut abîmer le capital sympathie du bonhomme, tout en speech gênant, grimaces de cartoon et bravades viriles (et en galère totale pour enlever son t-shirt…). Finalement, Cro-Mags version JM s’en tire mieux pour tout ce qui concerne Age of Quarrel. Mais pour le reste, c’est Harley le patron.

C’est assez rare au Hellfest, d’autant plus à la Warzone, mais les concerts catastrophes arrivent ici aussi. Et ça la fout mal quand une formation de l’importance de Suicidal Tendencies est concernée. À cause d’un problème de bagages, Mike Muir et sa clique sont privés de leurs instruments et de tout leur matériel. Ça ne partait donc pas bien d’entrée. Et dès l’interminable « You Can’t Bring Me Down » version longue, trèèèès longue, le guitariste Ben Weinman (ex-The Dillinger Escape Plan) souffre de gros problèmes de son. Quand ça ne veut pas… L’attraction, c’est bien sûr le bassiste intérimaire Tye Trujillo qui succède à son père trente ans après, avec exactement la même allure et le même jeu. Maman surveillera d’ailleurs le fiston sur le côté de la scène pendant tout le concert… Déjà englué dans un set un peu poussif, Muir a la bonne idée de faire monter une cinquantaine de personnes sur scène au bout de vingt-cinq minutes qui, on a pigé l’astuce, l’obligent à rester statique pendant la demi-heure qui reste. Autant dire que si c’est marrant sur l’instant, ça devient vite très lourd. Le set tourne de plus en plus à l’approximatif et on repart vraiment déçus de ce qui devait être le point d’orgue d’une très grande journée sur la Warzone. (Bhaine)

Pas évident d’ambiancer une Mainstage à l’heure du déjeuner, sous un soleil de plomb qui plus est, mais les Burning Heads, toujours montés sur ressorts, s’y collent avec un enthousiasme communicatif. Ils n’ont plus vingt ans (le groupe a même soufflé ses trente bougies), pourtant, c’est tout comme. Le set commence sur les chapeaux de roues avec un « Pharmageddon » à toute berzingue, qui fait l’effet vitaminé d’un shot de jus carotte-orange-gingembre (le mal de ventre en moins). Guidées par l’impeccable chanteur Fra, qui a rejoint le groupe il y a une paire d’années, les discrètes légendes d’Orléans enquillent les titres de leur dernier album, Torches of Freedom, et tubes skate-punk imparables des années 1990. Comme « Break Me Down », qui nous ramène à la glorieuse époque des clips de Best of Trash sur M6, « Reaction » ou « Super Modern World ». Les pogos s’enchaînent et, si les crêtes s’affaissent sous la pression des jets d’eau balancés sur le public, la banane des festivaliers demeure. La tension ne baisse que le temps d’un « Fear » aux accents ska-reggae, « un morceau chaloupé, qui va bien avec le temps ». « Fun, passion, énergie » : fidèles à leur leitmotiv, les Burning Heads offrent un show revigorant, auquel il est difficile de ne pas adhérer.

Mais où sont donc passés les Infecticide, qui doivent se produire trois jours de suite ? Pas de trace des trublions sur la petite scène du Hell City Square, la mini-ville aux spectaculaires décors post-apocalyptiques du festival… Soudain, ils apparaissent, tout bourdonnants, derrière les grilles d’une cage en hauteur, jouxtant un établissement à la façade traversée d’un obus fumant proposant un « Three Nipples Show ». Avec leurs superbes masques et accoutrements d’insectes et autres créatures poilues bizarroïdes aux yeux globuleux, guitare vert fluo en bandoulière, les trois Parisiens experts en déguisements cousus main ont opté, comme toujours, pour des tenues voyantes mais peu compatibles avec la canicule. Forcément, c’est tout de suite la « Bagarre générale », un refrain repris en chœur par les quelques dizaines de festivaliers présents, qui lèvent le nez et le poing pour regarder le show en scandant : « Bagarre générale, bagarre générale, violence gratuite, pour tous ! » Pour rester dans le thème des insectes, une chenille s’organise. « Merci humains ! C’est Infecticide, vos petits copains qui grattent. Tout ce sang à sucer », salive le chanteur devant la foule indisciplinée qui s’est lancée dans un combat de pistolets à eau. Comme à leur habitude, avec un sens certain de l’entertainement, ces héritiers de Devo balancent le meilleur de leur new-wave punk-electro dada et foutraque, des « Animaux sauvages », qui « se croient chez eux, ne respectent rien », à « La Voiture de la police ». « Qui a mis le feu à la voiture de la police ? C’est toi ? C’est toi ? », s’époumone le leader. On n’aura sans doute jamais la réponse à cette question, mais on sait qui sont les rois de la fête.

La dernière fois qu’on a vu Frank Carter And The Rattlesnakes, l’incendiaire rouquin anglais, fondateur de Gallows, avait passé plus de temps dans le public (ou plutôt, sur le public) que sur la scène. « One two three four! » Chemise à motif python ouverte, le showman tatoué jusqu’aux yeux démarre avec « My Town », aussi groovy que violent. « You let your dog shit on the street », gronde-t-il, alors qu’un wall of death commence à se former. Très vite, il ne tient plus, descend de son piédestal, et va à la rencontre du public, serrant des pinces par ci, se faisant porter par là (assis, debout, la tête à l’envers…), se baladant même au milieu du pit plus tard, tel Moïse fendant les eaux de la mer Rouge. « J’ai attendu ça putain de longtemps ! Formez un circle pit autour de moi ! », ordonne-t-il. Plus tard, avant « Wild Flowers », pour faire partager les joies du mosh-pit, il crée un « safe space » pour les femmes. Frank Carter sait galvaniser les foules comme personne, et c’est toujours un plaisir de le voir en live.

Difficile de faire l’impasse sur The Offspring. En cette fin d’après-midi, tout le festival semble s’être donné rendez-vous devant la Mainstage pour re(voir) les vieilles gloires du punk mélodique californien aux plus de 40 millions d’albums vendus, qui ne se sont jamais séparées et ont toujours les cheveux coiffés avec les pattes du réveil. Dexter Holland (chant, guitare) et Noodles (guitare), fidèles au poste, campent un drôle de duo sans s’en rendre compte, avec Noodles dans le rôle du gars qui parle de la pluie et du beau temps entre les morceaux. « Il fait beau, hein, Dexter ? Il y a du monde, non ? », pérore Noodles, tout guilleret. Et ledit Dexter, caché derrière ses grosses lunettes de soleil, d’agréer mollement. Ont-ils joué « Pretty Fly (for a White Guy) » ? « Why Don’t You Get a Job? » ? « Come Out and Play » ? « The Kids Aren’t Alright », avec un public très compact qui fait « oh-oh » ? « Self Esteem » en rappel ? Bien sûr que oui. Tous ces classiques de jeunesse, hymnes du punk à roulettes, comme figés dans le formol MTV mais de plus en plus nasillards, sont débités par les quinquas avec un professionnalisme poli. Qu’importe, tout le monde hurle les paroles. « On va vous jouer une paire de nouveaux morceaux », dit Noodles avant de balancer un extrait de Let the Bad Times Roll. Les gens tirent la tronche. Pas de problème, finalement : ce sont exactement les mêmes qu’à l’époque. Mais pourquoi changer, après tout, quand on peut rester éternellement bloqué en 1993 ?

Ambiance irish pub de rigueur et kilts de sortie pour les Bostoniens de Dropkick Murphys. C’est parti pour plus d’une heure de banjo, d’accordéon, de cornemuse, de confettis, de flammes et de rondes, en somme, de celtic punk bon enfant. Le chanteur Al Barr étant retenu pour un problème familial, c’est le bassiste Ken Casey qui assure seul les parties vocales avec plus ou moins de bonheur, en tournant sur lui-même et faisant des allers-retours d’un bout à l’autre de la scène, ne sachant trop où aller. Au programme, chants traditionnels irlandais (comme le fameux « Johnny I Hardly Knew Ya » et ses « Hurroo, hurroo »), ballades de marin (« Rose Tattoo »), tubes sociaux (« The States of Massachusetts »), reprises (dont « TNT » d’AC/DC, on ne sait pas trop pourquoi) et chansons à boire (« Barroom Hero »). Allergiques au biniou s’abstenir.

Deftones

Il est 1h du matin et les Californiens de Deftones sont évidemment ultra attendus. Ils sont venus avec l’équipe B, sans le guitariste Stephen Carpenter, pour différentes raisons (« Avec tout ce qui se passe dans le monde, je ne suis pas encore prêt à partir de chez moi et à quitter le territoire », a expliqué ce dernier dans un communiqué de presse, après avoir exprimé des points de vue platistes et anti-vaccin). Et sans le bassiste Sergio Vega, remercié il y a quelques mois. Derrière, les gens sont nombreux à être allongés sur l’herbe, sous les étoiles, pour profiter d’un spectacle qui s’annonce rêveur et éthéré. Pourtant, pas de quoi enfiler son bonnet de nuit tout de suite : ça démarre musclé et torturé avec « Genesis » et « Rocket Skates ». L’enchaînement de « Be Quiet and Drive (Far Away) » et « My Own Summer (Shove It) » nous ramène à l’époque du neo-metal triomphant d’Around the Fur. Sur « Change (in the House of Flies) », l’émotion est bien là. Même si le son, lui, n’y est pas toujours, ces morceaux exsudant l’étrangeté n’ont pas pris une ride. Un long concert en demi-teinte, mélancolique, mi-contemplatif mi-patate, qui ne parvient jamais totalement à décoller, ponctué par les lamentations (et petits cris) d’un Chino Moreno visiblement ému. (Éléonore Quesnel)

À peine le temps de célébrer des retrouvailles émues avec le site après trois ans de séparation que l’on file déjà à la Warzone pour assister à une parfaite petite mise en jambe, sous la forme du hardcore mélodique mâtiné de neo-metal des Anglais de Higher Power, dont le dernier album nous a particulièrement bottés. Pour son premier passage en terres clissonaises, le groupe, ravi d’être là, assure un court – horaire oblige – mais solide set, notamment au niveau du chant clair, sur lequel on avait quelques doutes. Le son est décent, bien que loin d’être le meilleur qu’on aura sur la Warzone au cours de ces 7 journées, la setlist regorge de tubes faisant la part belle à 27 Miles Underwater, sans oublier le précédent LP (Soul Structure, excellent aussi, bien que plus classiquement hardcore), le soleil brille, il fait déjà salement chaud et ça ne va pas s’arranger, mais on passe un excellent moment. Clairement un groupe prometteur et à revoir sur un plus gros créneau.

Power Trip étant tombé (pro-tip : d’ailleurs, si vous voulez vous faire des potes en festival, portez un hoodie ou un t-shirt Power Trip, efficacité garantie, et cela vous donnera maintes occasions de porter des toasts à la mémoire de Riley Gale, paix à son âme), on erre depuis comme des âmes à peine, à la recherche du groupe capable de reprendre la flamme du crossover thrash / hardcore et de la ramener au niveau d’excellence atteint par les Texans en l’espace de deux LP. Et sans s’enflammer, il est clair qu’Enforced fait partie des plus sérieux prétendants au trône. Là aussi en l’espace de deux albums, les Américains ont mis la Virginie tout en haut de la carte du crossover, et se retrouvent pour la première fois au Hellfest afin d’y défendre leur dernier – et fantastique – album, Kill Grid. Exercice réussi haut la main : le quintette, aidé d’un son parfait, d’une énergie dévorante et d’une attitude bien agressive, fracasse l’Altar avec ses avalanches de mosh-parts et d’accélérations thrash old school. Un futur grand à n’en pas douter.

Enfin, les agendas s’alignent et nous permettent de croiser la route de Gatecreeper, les fils du désert de Sonora, et c’est en toute logique sous une chaleur de plomb que nous les retrouvons sous l’Altar. Pas vraiment impressionnés par les conditions climatiques (« we’re from the desert: we like it that way », nous indique un Chase Mason qui avait sans doute un peu froid puisqu’il était vêtu de deux t-shirts superposés alors qu’il devait faire dans les 39 degrés), les natifs de l’Arizona assomment l’Altar de leur death metal trainant et groovy, fait de morceaux plutôt faciles d’accès et aisément mémorisables. Doté d’un son absolument excellent (un des meilleurs qu’on ait entendu sous la tente death durant cette double édition), le quintette maîtrise son affaire à la perfection et alimente la fournaise qu’est devenue le pit avec force bûches death doom / OSDM aux relents hardcore. Là encore, on tient ici, a priori, un futur poids lourd du genre (et déjà bien installé au sein de la scène).

Gatecreeper

Voir Matt Pike en concert est toujours un évènement assez singulier : avec Sleep, il dispose en général d’un son exceptionnel, et se tient relativement tranquille. Avec High On Fire, son bébé mutant thrash sludgy, c’est tout le contraire : il ne tient pas en place et il faut généralement s’attendre à un son dégueulasse (même en salle). Cahier des charges encore une fois, hélas, respecté à la lettre, sous une Valley où il devait faire environ 240 degrés : le trio joue très (trop) fort, et il faut vraiment maîtriser la dense discographie du groupe pour s’y retrouver tant le son est bordélique. Ce n’est plus un ingé-son qu’il faut à Matt Pike, c’est un colonel de gendarmerie à la retraite, pour le forcer à arrêter de régler ses amplis à 25 sur 10. Mais pour celles et ceux qui sont arrivés à passer au-dessus de cet énorme écueil (c’est notre cas : sans trop savoir comment ni pourquoi, on a réussi à rester jusqu’au bout), le concert est plutôt bon : grosse énergie, setlist blindée de tubes (« Carcosa », « Rumors of War », l’enchaînement final « Fury Whip » / « Snakes for the Divine » : décent), on en ressort globalement contents.

Cela doit bien faire quatre ou cinq fois qu’on voit At The Gates à l’Altar, parfois en trainant un peu des pieds, et pourtant, on en ressort systématiquement repu et ravi. Mais on doit bien dire que ce cru 2022 restera comme l’un des meilleurs, grâce à deux éléments clés : un son absolument parfait et une setlist intouchable, parcourant toute la discographie du groupe, en s’arrêtant sur tous les tubes des « deux époques » de la vie du quintette suédois : des inévitables « Blinded by Fear » et « Slaughter of the Soul » aux plus récents « Death and the Labyrinth » ou « Spectre of Extinction » (et même l’excellent « Touched by the White Hands of Death »), At The Gates n’oublie aucune époque, aucun album, et délivre, comme à son habitude, une prestation de patrons, ce bon vieux Tomas Lindberg en tête. Les nouveaux morceaux de The Nightmare of Being passent bien l’épreuve du live, à l’exception de « The Paradox » (qu’on trouve déjà pénible sur l’album), et à ce stade, le groupe ne semble guère vieillir, ni vouloir ralentir : profitons en tant que ça dure.

Voir Mayhem est toujours un petit évènement tant on parle là d’un groupe éminemment important dans l’histoire des musiques extrêmes au sens large, et du black metal en particulier. De plus, il se trouve qu’on ne les avait pas vus live depuis une dizaine d’années : pas question de louper ça, d’autant que le groupe a regagné une sorte de momentum avec la sortie du solide Daemon en 2019. C’est d’ailleurs tout naturellement que Mayhem en dispense ici quelques morceaux choisis (« Bad Blood », « Malum » « Falsified and Hated »), au sein d’un concert globalement réparti en trois blocs, séparés par des interludes, le groupe changeant de tenues entre chaque « acte » : de ce qu’on en comprend sur le moment, le premier est axé sur les albums « récents », le second, très court, est dédié au monument De Mysteriis Dom Sathanas, et le dernier est clairement plus punk et frontal, et donc majoritairement dédié à Deathcrush. Et malgré l’horaire tardif et la fatigue, on n’a pas grand-chose à redire sur la prestation de Mayhem : le son est, de là où l’on se trouve, plutôt très bon (mais on a entendu bien d’autres sons de cloche), Attila Csihar est toujours aussi ravagé, l’exécution nous semble sans faille et la setlist est bonne (même si elle boude l’immense Grand Declaration of War). En revanche, on a toujours du mal avec Teloch, son attitude de poseur et son look de YouTubeur d’extrême droite nous semblant en cocasse décalage avec le reste des membres du groupe. Insuffisant, néanmoins, pour nous gâcher une heure bien vite passée en compagnie d’un des plus augustes représentants du Malin sur terre. (Romain Lefèvre)

Mayhem

Si ses albums plus récents (dont une collaboration avec Kadavar sous le nom Eldovar) nous ont moyennement convaincus, c’est en live qu’Elder impressionne vraiment en déployant son stoner progressif et lancinant. Comme pour Year Of No Light le dimanche, la durée allouée semble difficilement adaptée au répertoire des musiciens, puisqu’ils ne peuvent jouer que quatre titres. Cependant elle permet d’éviter toute lassitude, surtout que l’adjonction du deuxième guitariste renforce l’efficacité du son et que le choix des compositions jouées s’avère judicieux (« Sanctuary »). Ainsi, lorsque les derniers riffs se taisent sous la tente de la Valley, le public conquis réserve une ovation à la bande de Nick DiSalvo. (Émilie Denis)

Elder

Trente bonnes minutes sous les tentes devant Cadaver puis Seth auront été nécessaires pour être mentalement prêts à affronter la fournaise de la Warzone où se tient le premier concert français de Mordred depuis… l’Espace Ornano (Paris) en 1991 ! La trend funk-metal d’alors étant depuis devenue nostalgie, c’est avec un réel plaisir que l’on accueille des Californiens tout heureux de pouvoir mélanger sur scène le neuf avec l’ancien. Les titres de leur tout récent quatrième album The Dark Parade (« Malignancy », « I Am Charlie », « Demonic #7 » etc., soit une bonne moitié du set) se fondent ainsi très bien avec les classiques « State of Mind », « Every Day’s a Holiday » ou « Killing Time ». Même groove, mêmes accents metal, mêmes scratches incisifs de DJ Pause, même chant Mike-Pattonesque de Scott Holderby, la recette-fraîcheur tombe à point nommé sous ce soleil de plomb qui pourtant assomme et engourdit. Ainsi, le public bon enfant sautille, pogote gentiment, attrape les CD lancés à la volée depuis la scène et accueille à grands cris l’inoxydable et très plombé « Falling Away » qui clôt quarante-cinq minutes de fusion 90s propre et convaincante, totalement calibrée festival.

Riffs cyclopéens, barbes au vent et visuels psychédéliques, Mastodon est dans la place et fait ce qu’il sait faire de mieux : bûcheronner dans la dentelle (ou tisser des taules de métal, comme vous préférez). Bénéficiant d’un son correct (c’est-à-dire le meilleur que l’on puisse obtenir de ces satanées Mainstages), les Georgiens éparpillent shreds carnassiers, soli mélodiques et descentes de toms aux quatre coins d’un set impeccable de précision et de techniques, sans jamais se prendre l’ornière de la démonstration. Comme depuis leurs débuts, certains pourront leur reprocher d’en foutre partout et de surcharger le spectre sonique, mais force est de constater que c’est cette surenchère dans la virtuosité, conjuguée à un ADN sludge pachydermique qui rend les performances live de Mastodon aussi colossales qu’implacables. Côté setlist, c’est du classique de festival : on assure la promo du dernier album Hushed and Grim, avec pas moins de six titres (dont « The Crux » ou « Teardrinker ») qui s’invitent entre les habituels « Megalodon », « Crystal Skull », « Black Tongue » ou « Mother Puncher ». Un show attendu donc (quoiqu’on n’avait pas vu venir le solo de Brent Hinds en mode crowd-surfing pour conclure « Blood and Thunder »), mais pleinement satisfaisant.

Mastodon

Annoncé au Hellfest dès 2019, soit un an après un set acoustique concocté au pied levé dans cette même Valley pour pallier la soudaine absence de son batteur, Baroness aura ainsi dû patienter quatre longues années et deux éditions annulées avant de pouvoir re-électrifier pour de bon son heavy/stoner racé. Et le quartette de Savannah en a visiblement sous le pied ! Riffs-parpaings, soli ruisselants ou chorus millimétrés, les guitares de John Dyer Baizley et de la très expressive Gina Gleason font feu de tout bois et dominent une setlist qui se pare de toutes les couleurs de la discographie de la Baronne. Du rouge inaugural (« Rays on Pinion ») aux reflets de Gold & Grey (« Tourniquet », seul extrait du dernier album en date), en passant par la période bleue (« War, Wisdom and Rhyme », « The Sweetest Curse »), Yellow & Green (« Eula », « March To the Sea ») et pourpre (« Shock Me », quel tube !), le nuancier est complet. Une réponse live pleine d’envie et de fureur, à la hauteur de ces deux années de silence qui semblent avoir marqué le groupe, comme le confie Baizley lors du touchant préambule à « A Horse Called Golgotha ». La réaction du public, elle, est sans appel, celui-ci reprenant spontanément le gimmick final d’« Isak » aussitôt le groupe sorti de scène. (Stéphane Leguay)

 

Samedi 18 juin

Ils sont à l’aise sous le cagnard de la Warzone, les Parisiens de Frustration, même si les aspérités de leur post-punk froid et tout en angles collent mal au climat. Mené par un Fabrice Gilbert droit dans ses bretelles, ils délivrent un set plein d’énergie, devant une foule de bonne humeur qui pogote le sourire aux lèvres, tandis que la sécurité, hilare elle aussi, arrose et désaltère les festivaliers avec des bouteilles d’eau. Rien à voir avec leur dernier passage au festival, donc, lors duquel ils avaient joué sans public dans le cadre du Hellfest From Home, pandémie oblige. Un set joyeux et étonnamment intimiste, revisitant leurs vingt ans de carrière, avec l’inévitable « No Trouble » en acmé.

Burning Heads, les Sheriff… Cette année au Hellfest, les groupes punk français historiques ont décidément la cote, et ce ne sont pas les Washington Dead Cats, programmés sur la Warzone, qui prouveront le contraire. Formés dans les années 1980, en plein boom du rock français alternatif, dont ils deviendront des figures, les vétérans psychobilly-garage-surf, fans de l’esthétique rétro-série B, sont toujours dans le paysage. L’époque n’est plus aux creepers compensées et à la gomina ? Qu’importe : les cousins français des Stray Cats, forts d’un nouvel album paru au printemps, Monkey Brain, ne dérogent pas à leur style. Voici donc Mat Firehair, la mèche et la voix toujours fières, et sa bande, balancer leur musique garage festive et pleine de cuivres, devant un public de connaisseurs et curieux enthousiaste. « Nous, ce qu’on aime, c’est les chats morts ! », disent-ils avant d’entonner « I’m a Dead Cat ». Ce groupe qui en a encore sous la pédale fait un peu figure d’ovni au Hellfest, et c’est tant mieux.

Le cas Steel Panther est particulier. Sexiste ? Ou tout simplement crétin ? Certains aimeraient bien voir le groupe de Los Angeles, avec des titres comme « It Won’t Suck Itself », « Fat Girl » ou « Asian Hooker », crucifié pour excès de misogynie et de beauferie. Celui-ci parodie, avec force perruques, bandanas et maquillage, les groupes de hair/glam metal qui hantaient Sunset Strip dans les années 1980. Ambiance laque, groupies et Whisky A Go Go, donc. Mais aujourd’hui, comme pour Gronibard par exemple, la blague grasse passe de plus en plus mal. Le NME dit même d’eux qu’ils font de « l’incel rock » (du mouvement des « célibataires involontaires », profondément misogyne)… Pourtant, quand on voit le groupe sur la Mainstage cette après-midi, difficile de les prendre au sérieux, tant ils sont outranciers dans leurs provocations vulgaires (« Les femmes sont très excitées aux premiers rangs. Ça commence à sentir le poisson ! »). « All I wanna do is fuck, fuck », scande Michael Starr, bandana rose, tignasse blonde et froc plus-serré-tu-meurs, devant un public s’étendant à perte de vue, qui slamme ou prend son mal en patience en attendant Megadeth. Le show, remuant, mi-stand-up mi-heavy metal, est redoutable d’efficacité. Satchel, guitare zébrée et t-shirt Gojira déchiré, en fait des tonnes. Des titres qui passent bien en live, un chant impeccable, une imitation hilarante d’Ozzy Osbourne en grand-père traîne-la-patte pour une reprise de « Crazy Train » de haut vol… Il y a du spectacle, et du niveau, c’est sûr. Le chanteur déconne avec le public, fait monter une spectatrice sur scène, lui chante la sérénade (si toutefois on peut qualifier ça de sérénade). Puis en fait monter des dizaines d’autres sur « 17 Girls in a Row », ainsi qu’une bassiste française, pour un final festif. Un set galvanisant pour certains, et très lourdingue pour d’autres. S’agit-il de brocarder avec brio le sexisme des hard-rockers des années 1980, et de se payer leur tête comme jamais ? Ou d’humilier avec acharnement les femmes depuis vingt ans, à travers des paroles consternantes ? Chacun tranchera.

Steel Panther

Il est 21h30 et Sepultura joue à l’Altar, une scène beaucoup trop petite pour contenir les nombreux festivaliers qui veulent les voir. Tout le monde joue des coudes pour s’approcher. Le groupe d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui formé par les frangins Cavalera en 1984 au Brésil, mais l’actuelle mouture de Sepultura porte haut le flambeau des légendes du thrash metal, et s’apprête à nous le prouver ce soir à coups de mandales. Le bassiste Paulo Jr., seul rescapé de la formation originelle, fait face au guitariste Andreas Kisser (un vieux de la vieille lui aussi, arrivé en 1987). Devant eux, le chanteur Derrick Green, Américain à la voix surpuissante taillée pour le hardcore, qui a eu la lourde tâche de succéder à Max Cavalera en 1997. Juste derrière, le jeune prodige Eloy Casagrande, un genre de mutant de la batterie, monstre de technique biberonné aux rythmes brésiliens, recruté à 20 ans en 2011. Très vite, les quatre musiciens installent dans l’Altar une atmosphère moite et surchauffée, en jouant d’emblée de vieux titres mythiques de Sepultura : « Arise » (de 1991, quand ils étaient encore dans leur période thrash/death), « Territory »… « On va vous jouer plein de morceaux qui font partie de l’histoire de Sepultura, mais on présente aussi notre dernier album », rappelle le chanteur, avant de balancer un extrait de Quadra, sur lequel Casagrande, décidément machine de guerre, peut faire montre de toute sa technicité. Le set est surpuissant, ne baissant en intensité que pour mieux faire monter l’émotion, comme sur « Guardians of Earth », un morceau épique sur la préservation de l’Amazonie. Pour continuer de faire émulsionner la sauce sur la fin, le groupe joue « Ratamahatta » (en portugais), et Green enchaîne en sautant : « Um, dois, três, quatro ! » Le riff antique du méga-tube « Roots Bloody Roots » retentit alors dans l’Altar. Il n’en fallait pas plus pour que tout le monde l’imite, fou de joie, pour profiter de ce final grandiose, en forme de feu d’artifice. Le Sepultura d’aujourd’hui n’a pas à rougir comparé à ses précédentes incarnations. (Éléonore Quesnel)

À chaque fois qu’on voit les Italiens (et c’est tout de même la 3e fois), notre certitude en sort renforcée : Messa est un futur grand, et on est prêts à parier qu’ils joueront, un jour, beaucoup plus tard sur cette Valley, figurant légitimement parmi ses têtes d’affiche. Cette certitude tient à plusieurs choses : leur classe naturelle, tellement supérieure à celle de tous les autres groupes doom à chanteuse (Messa est beau à voir jouer, surtout Sara et Alberto – le genre de garçon qui a vendu son âme au Malin, un soir de pleine lune au coin d’un bois, pour disposer du Don du Rock), et leur talent, dont les limites sont repoussées, voire explosées, à chaque album. Nous étions curieux de voir comment les nouveaux morceaux passeraient l’épreuve du live, nous sommes tout à fait rassurés après cette heure en leur compagnie, laquelle s’est écoulée en un clin d’œil : en concert, « Dark Horse » devient un tube à la vivacité absolument imparable, « Pilgrim » confirme que les orientations méditerranéennes/orientales prises par le groupe sur Close sont parfaitement à propos, « If You Want Her to Be Taken » s’avère être un parfait opener, aussi envoûtant que terrassant de lourdeur, et « Rubedo » se révèle tout aussi indispensable et emballant. Ajoutons à ça un son absolument parfait, une performance vocale plus qu’impressionnante de Sara, et un groupe heureux de l’accueil – particulièrement chaleureux – qui lui est réservé par une Valley conquise, et on tient là l’un des tout meilleurs concerts de cette première édition. (Romain Lefèvre)

Knocked Loose

Mais que fabrique Knocked Loose sur une Mainstage à 13h30 ? Leur place, c’était à 21h00 sur la Warzone, pas ailleurs. On ne va pas chercher à comprendre puisque de toute façon, la température a déjà dépassé les 40° et rester debout en plein soleil pendant quarante minutes devient une épreuve en soi. Les KL ne semblent, eux, pas trop souffrir des conditions (ils viennent du Kansas cela dit…) et livrent une prestation haut de gamme et irréprochable avec le bassiste de Kublai Khan en remplaçant de luxe qui fait mieux que tenir sa place. Dommage que le niveau sonore soit si faible parce que le hardcore tout en breaks massifs de KL exige d’éclater un minimum les tympans de l’auditeur pour l’ambiancer comme il faut. Tête d’affiche en Warzone avec un volume maousse la prochaine fois, d’accord ?

Dans les conditions météorologiques extrêmes du moment, a-t-on vraiment envie de s’infliger une heure de post-metal instrumental risquant d’être chiante comme la pluie sans l’effet rafraîchissant ? Mais c’est peut-être justement parce qu’on a le cerveau en surchauffe que le set muet de Pelican passe aussi bien qu’une glace deux parfums par temps de canicule. Revenu (provisoirement ?) dans son line-up d’origine, le groupe de Chicago ne se contente pas de jouer les titres qui ont fait sa réputation à ses débuts et préfère varier les tempos et les accroches. Entre metal headbangable et post-rock massif, le son est parfait, l’exécution aussi et tout le monde passe visiblement un super moment, musiciens compris.

Pelican

« Ces trois dernières années, j’ai survécu à deux cancers », déclare Roger Miret d’Agnostic Front devant le parterre d’une Warzone bien compact. Si l’immense majorité des artistes présents au Hellfest ont la banane d’être présents, lui a, en plus, l’air fou de joie d’être simplement en vie. Et malgré le poids des années et le pacemaker, il déambule sur la scène alors que le groupe enchaîne une setlist ultra-classique (« Old New York », « Crucified », « Gotta Go », « The Eliminator »…) qui fonctionne toujours aussi bien avec le public. Public qui va même donner de la voix sur la reprise de « Blitzkrieg Bop » qui clôture cette prestation good vibes des parrains du hardcore new-yorkais.

La présence de Mono et du Jo Quail Quartet a quelque chose d’incongru. C’est le type de collaboration qui aurait plus sa place dans un auditorium que dans un festival tout en bruit et en fureur avec, dans le cas présent, Sepultura qui joue trois cents mètres plus loin. Il aurait pourtant été dommage de se priver d’un moment d’une telle classe. On se laisse même porter par cette fragilité et ces bourrasques bruitistes hypnotiques. Lorsque la violoncelliste du Jo Quail Quartet, AA Williams (qui a déjà elle aussi collaboré avec les Japonais de Mono), se met au clavier et au chant, c’est comme si le temps s’arrêtait. La formidable explosion finale qui survient ensuite confirme cette impression d’avoir assisté non seulement à un concert unique mais touché par la grâce.

En 2019, Envy convainquait tout le monde. Même certains festivaliers qui ignoraient jusqu’à l’existence des Japonais avaient fini en transe et en larmes. Autant dire que cette fois, les rois du post-screamo étaient plus qu’attendus. Avec fébrilité, même, car c’est avec un peu de retard et des problèmes de son qu’ils démarrent leur set. Mais tout rentre vite dans l’ordre et la Valley vibre comme un seul être sur « Footsteps in the Distance » et les nombreux titres de The Fallen Crimson. Envy a beau avoir trente ans d’existence, ce n’est que maintenant et sûrement sous l’impulsion de ses nouveaux membres que le groupe semble accepter et embrasser son statut. Tetsuya Fukagawa lâche quelques mots entre les morceaux, les guitaristes s’agitent et brandissent leurs guitares bien haut. Ce n’est pas Mötley Crüe non plus, mais on les a connus beaucoup moins expansifs… L’émotion monte aussi bien sur scène que dans le public, transporté par une ferveur collective qui, si elle n’est pas de l’ampleur délirante de celle d’il y a trois ans, fait du concert d’Envy l’un des très grands moments d’un festival pourtant pas avare dans le précieux et l’exceptionnel. (Bhaine)

 

Dimanche 19 juin

Est-ce qu’un autre festival que le Hellfest oserait programmer à la fois les Ukrainiens de Jinjer et les Russes de Moscow Death Brigade ? Sur la Warzone où les groupes les plus débiles font généralement un carton, les rappeurs antifa moscovites qui débitent leur discours politisé sur de gros riffs metal sont parfaitement à leur place. Entre leurs invectives pro-migrants, leur look cagoule/survêt Lacoste/sac banane, le type déguisé en crocodile et leurs chansons aussi entraînantes que foncièrement connes, tout est parfait pour se mettre bien en début d’après-midi. Il faut dire que la canicule délirante est passée, notre cerveau a définitivement fondu et dans ces conditions, MDB ne peut que remporter un franc et massif succès qui tourne au délire complet. Et tout le reste de la journée, on va garder en tête « Never Walk Alone » ou « Brotherhood and Sisterhood ». C’est fort, quand même.

Moscow Death Brigade

Si Moscow Death Brigade a fait jumper le public de la Warzone, Jesus Piece est là pour le réduire en bouillie. L’une des figures les plus en vue de la nouvelle scène hardcore américaine n’est pas venue pour plaisanter, même si entre chaque titre, ses membres ne peuvent pas contenir de larges sourires face à la réception qui leur est faite. Ils n’ont peut-être jamais joué sur une scène aussi grande et Aaron Heard, intenable, l’arpente avec envie entre deux rugissements. Assemblages carrés de riffs à la Obituary sur groove hardcore beatdown destructeur, chaque nouveau morceau est un violent coup de marteau sur la tête. « Conjure Life », « Oppressor », une nouvelle compo… dans le pit, ça fait des ravages et en 35 minutes, c’est plié, on est essorés. Et quel bien ça fait…

Entre Down en Mainstage et Life Of Agony à la Valley, le choix est cornélien. Vu que ce sont deux groupes de metal 90s qui vont essentiellement jouer des titres de leur premier album, il y a forcément des chances que certains aient l’impression de devoir choisir entre leur père et leur mère… Mais va pour LOA dont le dernier passage au Hellfest avait été aussi émouvant que réussi. Comme en plus ils sont filmés pour Arte Concert, on sent dès les premières minutes qu’ils vont se donner à fond. Déjà que Mina Caputo n’a pas besoin de ça pour faire le show… La nouvelle batteuse Veronica Bellino fait, elle, du super boulot, le guitariste Joey Z et le bassiste Alan Robert assurent comme toujours et la seule réserve qu’on émettra concerne finalement la façon de chanter très bizarre de Caputo sur des morceaux comme « Weeds ». Pour tout ce qui touche à l’album River Runs Red (qui occupe les trois quarts de la setlist), rien à redire même si la voix n’a plus la puissance et la profondeur d’antan. Et malgré la présence de fans fidèles, le public ne réagit pas avec le même engouement que la dernière fois. Globalement, le concert reste très bon. On espérait juste s’enflammer un peu plus…

Korn, on le sait, c’est tout ou rien. Ou du moins, le risque est toujours présent que le concert soit vraiment mauvais puisque lorsqu’ils se plantent, ils ne font pas semblant. Et ça commence plutôt mal sur les deux premiers titres : Jonathan Davis n’a pas l’air en voix (il y a peu, il expliquait ne s’être toujours pas remis du Covid, ce qui l’a obligé à assurer plusieurs dates assis…), le son est mauvais et on n’a plus d’images sur les trois écrans géants. Quand elles reviennent, un petit changement dans la réalisation : on ne verra plus du tout Ra Diaz, le très bon bassiste intérimaire débauché chez Suicidal Tendencies. Doucement, le show va monter en puissance. La bascule se fait réellement à mi-parcours, lorsque Davis prend la cornemuse sur l’intro de « Shoots and Ladders ». Korn, comme le public, va progressivement retrouver de l’énergie, et Davis, le niveau qui est le sien. L’enchaînement de tubes jusqu’au « Blind » final tourne alors au sans faute et la déception annoncée laisse place à une très bonne surprise.

Walls Of Jericho, un de ces groupes qui n’a pas vraiment d’intérêt sur disque mais qui assure toujours des concerts haut de gamme, à la limite de la performance sportive professionnelle. Cette cuvée 2022 ne va pas contredire ce postulat. C’est même le grand prix cardio de tout le festival. Sur un hardcore rentre-dedans teinté de metalcore, la chanteuse et bodybuildeuse Candace Kucsulain, court, moshe, hurle, harangue la foule… pendant presque une heure d’efforts continus, sans s’avérer le moins du monde essoufflée à la fin. Niveau musique, originalité zéro, mais l’énergie sur scène emporte tout. Comme en plus, ils se retrouvent avec le niveau sonore le plus élevé entendu à la Warzone ce week-end, dans la fosse, c’est une grande séance de transpiration collective. En festival, Walls Of Jericho fonctionne toujours très bien, on le savait déjà. Mais pour les avoir vus un nombre incalculable de fois, on peut dire qu’il s’agit de très loin de leur meilleur concert au Hellfest.

Pour clôturer cette journée réussie sur la Warzone, l’honneur revient aux vétérans de Sick Of It All. Voilà un moment qu’on se dit que les années n’ont absolument aucune prise sur eux, mais peut-être qu’après cette très longue pause pandémique, le temps aura-t-il fini par faire son œuvre ? Il n’en est heureusement rien. SOIA reste un incroyable groupe de scène et les frères Koller, que ce soit Pete en très grande forme qui saute et court dans tous les sens ou Lou au chant, toujours impeccable, ne vieillissent pas. La seule vraie surprise du show, c’est le feu d’artifice qui se déclenche derrière eux et colle parfaitement à leur New York Hardcore énergique et joyeux. « Injustice System », « Friends Like You », « Stepdown »… ne sont pas que des madeleines de Proust mais des titres qu’on aura toujours envie de voir jouer sur scène avec cet appétit et cette fougue, surtout quand on sent que le public y met ses dernières forces pour clôturer un week-end éprouvant et épuisant, mais ô combien jouissif et libérateur. (Bhaine)

On le dit depuis Sky Burial : Inter Arma est l’un des tout meilleurs groupes apparus au cours de la décennie 2010-2020, et c’est non négociable. Avec son style incomparable, parcourant toutes les musiques extrêmes ou presque, du prog le plus psychédélique au death metal le plus pachydermique (l’un des sons de guitare les plus écrasants de la scène à n’en pas douter) en passant par le sludge, le doom, le black et le post-metal, le quintette de Virginie est une pépite comme on en croise rarement. Et chaque concert nous le confirme, tant les garçons maîtrisent cet exercice. Ce concert au Hellfest en est encore une preuve éclatante, d’autant que le groupe nous fait l’agréable surprise de se radiner avec un thérémine dans ses valises, son apport renforçant de manière déterminante la dimension psychédélique et onirique de sa musique pourtant tout à fait extrême. Mais, las, après à peine une grosse demi-heure à se faire avoiner par Mike Paparo (quel chanteur), TJ Childers (quel batteur) et compagnie, à coups de « Citadel » et de « Archer in the Emptiness », ou à se faire envoûter par « The Long Road Home », on voit le groupe quitter la scène sous les vivats, alors qu’il lui restait bien 8-10 minutes de créneau. Dommage.

La nouvelle statue de Lemmy (ou « du cowboy » pour les touristes)

Pendant un (long) instant, on regrette presque d’avoir zappé Down (qu’on a déjà beaucoup vu, et on se rattrapera plus tard sur Arte) pour leur préférer Dying Fetus, les boss de fin du brutal death technique/hardcore metal game, puisque le légendaire trio de Baltimore, qui atteint ces jours-ci les trente ans de carrière, connait des galères techniques et débute donc son concert avec dix minutes de retard. Cependant, c’est peut-être un mal pour un bien puisque lorsque le groupe monte sur scène, c’est avec le sourire aux lèvres et avec une fière envie de casser l’Altar, mission qu’ils vont accomplir avec la maestria technique et la brutalité aveugle qui leur sont propres. Enchaînant sans aucune pitié les torpilles brutal death entrecoupées de leurs indétrônables mosh-parts, ce qui a pour effet immédiat de générer l’un des mosh-pits les plus violents de cette double édition, Dying Fetus rappelle à tout le monde pourquoi personne, dans le monde du death, n’ose véritablement s’aventurer à singer son style si particulier : techniquement, le groupe reste intouchable et son répertoire épuiserait le plus gainé des triathlètes tant il multiplie les appels à l’émeute dans le pit : l’Altar se retrouve donc « Subjected to a Beating » pendant près de cinquante minutes, à coups de « Grotesque Impalement », « Wrong One to Fuck With », « One Shot One Kill », et autres tubes à chanter en famille à Noël. Un concert aussi physique que libérateur.

Initialement programmés plus tôt dans l’après-midi, les Américains de Misery Index ont salement galéré à rejoindre l’Europe, entrainant un décalage de leur set à 20h30 à la Temple, scène bien moins cohérente avec leur style que l’Altar sur laquelle ils devaient initialement jouer. Ce double effet kiss-cool contraint, de plus, Misery Index à enchaîner immédiatement derrière le set de patrons que vient d’asséner Dying Fetus à l’Altar, épuisant tous les fans de death du coin. Le résultat s’avère navrant, du moins en début de concert : Misery Index commence devant une Temple aux trois-quarts vide, alors que le statut du groupe aurait pu lui assurer une audience plus importante. On sent également que les balances ont dû être expédiées, car le son reste assez approximatif. Mais l’essentiel est ailleurs : le groupe, visiblement très content d’avoir réussi à rejoindre Clisson, se répand en remerciements envers l’organisation et le public, et met donc du cœur à l’ouvrage. Son death grind véloce, frontal et engagé se montre taillé pour ce type d’évènement, et ne tarde pas à rameuter un peu de monde, d’autant que Misery Index déploie une setlist saignante : « New Salem », les supersoniques « The Eaters and the Eaten » et « Naysayer », « Ruling Class Cancelled », et évidemment « Traitors » en final. Au total, le groupe souffre des affres d’une reprogrammation de dernière minute, mais sauve clairement l’honneur avec un set hargneux et plein de cœur. (Romain Lefèvre) 

 On attendait énormément du set de Life Of Agony tant son précédent passage en 2018 reste gravé dans nos mémoires comme un temps fort du festival, toutes éditions confondues, et on choisit de les préférer à Down qui joue au même moment. Le guitariste et le bassiste commencent en mode tough-guys, de chaque côté de Veronica Bellino (batteuse remplaçante de l’ex-Type O Negative Sal Abruscato) en arpentant la scène sur les riffs de leur classique titre d’intro : « Plexiglass Gate », mais la testostérone baisse d’un cran lorsque Keith Caputo devenu Mina entre en scène. Gestuelle de rock star gracile et voix grave impeccable pour interpréter les classiques du groupe qu’elle adapte parfois un peu. En tout cas, sous la Valley survoltée le public invité à s’adonner au circle pit se fait copieusement terrasser à coup de « River Runs Red », « Method of Groove » et autres « Lost at 22 ».

Life Of Agony

Choix cornélien que cette collision de sets Gojira-Killing Joke-Coroner tant on perçoit le lien tendu entre la Mainstage (Gojira) et la Valley (Killing Joke) dont Coroner (programmé à l’Altar, à mi-chemin des deux justement) constitue le chaînon manquant (surtout avec leur dernier album de 1993 Grin). Ce sera un choix coronarien pour nous. Les riffs chirurgicaux et les « She should have known » du « Golden Cashmere Sleeper, Part 1 » sont autant de remontrances à notre hésitation qui s’efface immédiatement lorsque débute un set impeccable d’une intensité et froideur sans répit. Si ce n’est entre les morceaux, où les Suisses, dont c’est le troisième passage au Hellfest, remercient chaleureusement le public et plaisantent qu’ils ne pensaient pas la concurrence de Gojira capable de leur concéder autant de spectateurs. Tous les albums sont représentés (y compris le premier avec le plus classiquement thrash « Reborn Through Hate ») et ce choix montre l’évolution vers une musique riche aux structures rythmiques complexes ponctuées de passages mid-tempos (« Semtex Revolution » sur Mental Vortex, 1991). On a plus que jamais hâte d’entendre leurs nouvelles compositions puisqu’un nouvel album a été annoncé.

(c) Coroner

Grosse déception pour Car Bomb qu’on attendait avec impatience de découvrir live. Déjà on appréhendait un peu le rendu de ce math metal ponctué de sonorités robotiques (à défaut d’une meilleure description) sur une Mainstage chauffée à blanc par le soleil de 14h mais on trépignait, tant on a apprécié Mordial. Cependant l’absence de chanteur, qui a raté son avion douche nos hardeurs. Malgré l’enthousiasme d’un guitariste sympathique qui a le bon goût d’arborer un t-shirt Portishead, on peine à distinguer les morceaux en versions instrumentales. Et même si le groupe fait ce qu’il peut pour sauver les meubles et s’en sort honorablement, on préfère abandonner la Main assez vite pour filer voir un frontman, un vrai, en l’occurrence celui de Jesus Piece. (Émilie Denis)

Car Bomb

 

Ne goûtant que très peu le heavy allemand old school, nous n’avions évidemment pas, loin s’en faut, coché le set de Doro sur notre Hell-agenda déjà bien chargé. Mais quitte à attendre Jinjer devant la Mainstage 1, autant se cultiver un peu sur la n°2 et apprécier l’enthousiasme non feint de Doro Pesch et de son très international backing band (USA, Italie, Pays-Bas). La Metal Queen porte d’ailleurs particulièrement bien son nom, arpentant la scène dans tous les sens, les mains et le visage sans cesse tournés vers le public, la voix toujours aussi puissante malgré ses 58 ans. Comme souvent, la majeure partie du concert est constituée de reprises de son précédent groupe, Warlock (« Burning the Witches, « Hellbound ») ; un horizon de tubes donc pour le fan de mélodies au bazooka et de sing-along grassouillets. Ce qui n’est clairement pas notre came et pourtant, l’énergie, la bonne humeur et la complicité artiste/public s’avère assez communicative et l’on se surprend à continuer de chantonner « …all we are, we are all, all we neeeed » au moment où Jinjer investit la scène devant une foule très dense, parsemée de drapeaux jaune et bleu. À l’enthousiasme des (déjà) nombreux fans venus apprécier ce qui sera sans doute l’un des futurs headliners du festival, s’ajoute la curiosité, plus ou moins légitime de voir comment le quatuor ukrainien allait inévitablement communiquer sur le conflit qui ravage son pays. Loin de mettre de l’huile sur le feu ou de la jouer misérabiliste, la chanteuse Tatiana Shmayluk apportera la réponse la plus intelligente et digne qui soit en remerciant « le monde civilisé » pour ses multiples soutiens à l’Ukraine, sans jamais faire mention de l’agresseur. Un bon point pour le groupe donc. Pour le reste, pas grand-chose à retenir de cette mixture djent/metalcore/prog entrecoupée d’insupportables refrains en chant clair dont même Lacuna Coil ne voudrait pas. Pour autant, la prestation est hyper-carrée, le son plus que correct, les hurlements de Tatiana parfaitement maîtrisés et l’attitude générale plutôt convaincante. Mais pour quiconque né avant 1995, la coquille reste désespérément vide.

Jinjer

Massive, dansante, inquiétante, la musique de Perturbator, ses synthés modulaires et son backdrop de néons investissent la Valley pour cette dernière nuit de festival. Jouant sur la puissance de ses basses, la rondeur et l’acidité de ses lignes de claviers en même temps que sur la nostalgie des quadras-quinquas (qu’ils soient gavés de Carpenter, Atari, Human League ou de walkman Sony TPS-L2) ou des fantasmes 80s sublimés par le filtre Stranger Things pour les plus jeunes, Perturbator est pleinement à sa place dans ce Hellfest 2022. Pas besoin de guitare (même si James en joue désormais un peu sur scène) pour recréer le chaos du Tech Noir de Terminator : l’apport d’une batteur (Dylan du groupe hardcore metal Worst Doubt) ajoute ce qu’il faut d’humanité sur scène, l’impressionnant light-show et la qualité du son font le reste. Puisant principalement dans ses deux derniers disques, The Uncanny Valley (« Neo Tokyo », « Diabolus Ex Machina »…) et Lustful Sacraments (« Messalina, Messalina », « Excess »…), James Kenturbator a l’intelligence, entre deux séquences dancefloor, d’aiguiller son set vers d’imposants ralentissements qui renvoient parfois aux lourdeurs putrides du sludge ou du beatdown (« She Moves Like a Knife », « Death of the Soul »). Quand ce ne sont pas de vicieuses accélérations (« Humans Are Such Easy Prey ») pour hystériser une foule assez facilement conquise. (Stéphane Leguay)

Seconde partie ICI.