[Report] Superbowl Of Hardcore 2023

Spaced (c) DarzecPhotographie

Habilement coincé entre les deux évènements hardcore majeurs en Europe (l’Outbreak Fest en Angleterre et le Ieper Fest en Belgique), le plus modeste Superbowl of Hardcore de Rennes est devenu le rendez-vous incontournable du genre en France. Avec, toujours, une affiche très relevée grâce au paquet de groupes qui tournent sur le vieux continent pendant cette période. Comme beaucoup d’autres, l’orga n’a pas été épargnée par les annulations de plus ou moins dernière minute (Zulu, End It…) mais pas de quoi gâcher la fête non plus puisque les remplaçants vont s’avérer largement au niveau.

Vendredi 30 juin :

Le vendredi, ce sont les locaux de Poisoned Gift qui ouvrent le bal sous le chapiteau installé devant la salle du Jardin Moderne. Le groupe aux deux chanteurs est tout sourire et si l’assistance reste encore clairsemée, leur hardcore énergique et très dynamique met l’ambiance. Une ambiance qui va retomber un peu avec les Allemands d’Additional Time et leur beatdown-core bien trop générique pour s’avérer d’un quelconque intérêt si on n’est pas un inconditionnel monomaniaque du sous-genre. Les choses sérieuses commencent réellement avec Mindwar, considéré comme LE groupe du renouveau hardcore belge. Ils sont très jeunes, remontés comme jamais et rien qu’à la dégaine infernale du chanteur (t-shirt bien rentré dans le survêtement et casquette enfoncé jusqu’aux yeux), on sent que ça ne va pas rigoler. Effectivement, pendant une demi-heure, c’est du Nike Air Max-core de haut vol avec, au programme, quasiment tout l’album Still At War récemment sorti chez Triple-B. Ce qui fait bien sûr la joie de tous les artistes martiaux du pit. Après leur set, c’en est même fini de la pelouse sous le chapiteau, le reste de la partie se jouera sur terre battue.

Petite accalmie niveau violent dancing quand Koyo et son emo-core melo/costaud investissent la scène. Même avec un guitariste en moins (il y en a trois normalement) les Américains se mettent tout de suite le public dans la poche avec leur tube “Moriches” et n’ont plus qu’à dérouler ensuite. Au milieu de toutes les variantes de beatdown/hardcore metal ultra vénère qui vont se succéder pendant deux jours, un peu de mélodie, c’est rafraichissant. Mélodie ne veut pas dire mièvrerie pour autant et ça bastonne même énormément pour du hardcore mélodique. Si la présence et la voix de Joey Chiaramonte portent le groupe, on finit surtout par scotcher la prestation du batteur Sal Argento dont le jeu se montre d’une finesse inversement proportionnelle à son physique imposant. Vivement septembre prochain qu’on puisse écouter leur premier véritable album, prévu chez Pure Noise Records.

End It ayant déclaré forfait au dernier moment, les organisateurs ont débauché les Canadiens de Prowl pour les remplacer au pied levé. Et bien leur en a pris, même si on avait trèèèèès envie de voir en live la nouvelle coqueluche de Baltimore. Contrairement au hardcore très personnel d’End It, les Québécois font dans le dogmatisme absolu avec du crossover pur et dur qu’on pourrait décrire comme un cocktail fait de deux doses de Power Trip pour une dose de Sepultura période Beneath the Remains (le t-shirt du chanteur annonce la couleur). Gros son, originalité discutable mais efficacité maximale. Et quand, après une demi-heure de chaos et de mosh-parts, le frontman annonce avec son accent formidable “qu’ils ont des chandails à vendre au merch”, impossible de ne pas valider ce set 100% calibré bagarre et bonne humeur.

Le constat est similaire pour les Anglais de Mourning. Sur album, on pensait beaucoup à la scène belge edge-metal. Sur scène, c’est clairement du Kickback remis au goût du jour. Ils disent d’ailleurs ouvertement que le hardcore hexagonal les a beaucoup influencés, ce qui se sent jusque dans les interventions, en français, du guitariste invectivant l’audience à coups de “bande de poutes !”. Oui, ils ont définitivement tout appris de Kickback et avec un public qui réagit aussi joyeusement que violemment, on passe très vite de l’hexagone à l’octogone. Mourning, c’est un sans-faute à l’exam de géométrie.

Niveau violence, c’est forcément le pur beatdown qui gagne la palme avec ses gros riffs lents propices aux spin kicks hasardeux et au crowd killing à l’emporte-pièce. Et le beatdown, c’est le groupe culte new-yorkais Bulldoze qui l’a « inventé » par la grâce d’un unique EP sorti en 1994 (à l’origine sur Hardway Records, le label du chanteur de Kickback, on y revient !). Malgré l’impitoyable temps qui passe et même avec un remplaçant au chant (l’emblématique Kevone étant décédé l’année dernière, c’est leur ancien bassiste, également chanteur d’Agents Of Man, qui s’y colle), ça en impose toujours. La discographie du groupe est aussi maigre qu’ultralourde et le set doit même puiser dans le répertoire de Train of Thought pour arriver à une dizaine de titres mais ça fonctionne étonnamment bien, notamment sur l’emblématique et fondateur “Nothing But a Beatdown”. Rien que pour voir leur guitariste et son look intemporel de prof de techno blasé de collège en ZEP envoyer riff punitif après riff punitif, ça vaut le coup d’être là. Les groupes lourds et lents vieillissent de toute façon toujours mieux que les vifs et nerveux.

La soirée se termine avec les Belges de Nasty et comme on a déjà eu notre dose question beatdown pas fin pour la soirée, ça passe, mais sans plus. C’est très pro, ils assurent le show comme ils savent très bien le faire, mais ça reste vraiment trop bas du front pour inspirer autre chose qu’un bâillement poli. En même temps, c’est le huitième groupe en moins de cinq heures, la lassitude finit fatalement par s’installer…

Samedi 1er juillet :

La deuxième journée commence plus tôt que la première et ce sont pas moins de dix groupes qui vont se succéder sur la scène unique plantée devant le Jardin Moderne. D’ailleurs, les changements de plateau Se font très rapidement et tout va tellement vite que pour ceux qui veulent du merch, il ne faut pas traîner car certains groupe remballent et filent dare-dare vers la prochaine étape de leurs tournées estivales dès qu’ils ont fini de jouer.

Shooting Daggers (c) Darzec Photographie

Pour entamer les hostilités, le trio 100% féminin Shooting Daggers envoie 25 bonnes minutes de punk hardcore très primal, militant et hargneux (avec une légère touche metal qui ne gâche rien). Leur discours féministe et pro-queer pourrait jurer dans ce festival particulièrement chargé en testostérone mais dans les faits, il n’en est rien. Au contraire, il colle très bien à l’ambiance « diversité, unité, mais dans le pit, c’est sans pitié » du festival et de la scène hardcore actuelle en général. Basé à Londres, c’est en plus une date particulière pour Shooting Daggers puisque c’est la première fois que sa chanteuse guitariste, française, joue dans son pays natal. Elles n’en sont qu’à leurs débuts mais on entendra sûrement parler d’elles à l’avenir.

On revient à du plus purement local avec Hard Mind. Animés par l’envie de faire revivre les grandes heures du hardcore rennais (la grande époque KDS/Overcome des 90s), les Bretons se posent en Stormcore/Underground Society des années 2020. Hardcore metal juste ce qu’il faut, Hard Mind est une énorme machine à breaks et à mosh-parts. Derrière le côté très bourrin, ça joue excellement bien. Et ils n’ont clairement rien à envier à leurs collègues belges et ricains qui partagent le même amour du riff motivant pour amateur de moulinets sauvages.

Plus de groove avec Buggin dont on avait hâte de voir confirmées sur scène les promesses affichées sur l’album sorti il y a peu chez Flatspot Records. Et c’est effectivement tout bon, malgré un set très court. Le swag de Bryanna Bennett contraste avec sa touchante timidité lorsqu’elle s’adresse au public entre chaque titre et en live, “Brainfreeze”, “Buggin Out”, “Poser Bulldozer” ou “Concrete Cowboys” donnent vraiment envie de faire du two-step et de se défouler comme jamais. Peut-être le groupe le plus purement dansant du festival.

Constat très similaire pour Spaced avec sa chanteuse Lexi Reyngoudt, au taquet. On pourra reprocher à leurs compos d’être vraiment trop proches de Turnstile dans la catégorie hardcore sympa qui bouge méchamment. Mais comme les vedettes de Baltimore ont l’air d’être déjà très loin du hardcore (adieu les festivals dédiés, bonjour Rock en Seine…), Spaced pourrait très bien combler le vide. En tout cas, ils ont l’air prêts à tout donner pour ça et les meilleurs titres de leur compilation d’EP Spaced Jams prennent sur scène une dimension aussi festive que sportive. Le show est intense et Reyngoudt, à fond, se dépense énormément. Ce qui ne l’empêchera pas de revenir régulièrement dans le pit tout au long de la soirée !

Ironed Out est le premier représentant de la triplette anglaise de la journée avec justement, dans son line-up, des membres de Desolated et Knuckledust qui joueront un peu plus tard. Et ce sera malheureusement l’un des sets les moins convaincants de ce fest. Trop basique, trop plat. Un groupe de hardcore est censé être meilleur sur scène qu’en studio. Là, ce n’est pas le cas (déjà que sur disque…).

Le précepte “meilleur sur scène que sur disque” s’applique en revanche totalement à Combust. S’inspirant du New York Hardcore pré-Madball d’Outburst, Killing Time ou des débuts de Sick Of It All, leur album sorti en 2022 avait convaincu, sans non plus se montrer renversant. En concert, c’est d’un autre niveau. Il n’y a rien de mieux que des jeunes qui jouent de la musique de vieux comme si elle avait été inventée hier et Combust livre une des prestations les plus brutales et enthousiasmantes du festival. Méchant sans être lourd, haineux sans être débile. Tout simplement une énorme claque.

Spy est l’une des formations les plus souvent citées ces deux dernières années dans les listes “meilleurs nouveaux groupes hardcore” grâce à son interprétation à peine modernisée du hardcore primitif très agressif de Negative Approach qui flirte avec le powerviolence. L’inconnue, c’est la durée de leur set. Vont-ils dépasser les douze minutes, montre en main ? Eh bien oui et c’est limite trop. En un gros quart d’heure, ils ont le temps de jouer, entre autres, une bonne partie de leur dernier LP en date et si on a toujours du mal à comprendre pourquoi ils bénéficient d’un aussi gros buzz, il faut admettre que c’est radical et puissant et que Peter Pawlak, ancien frontman de Rings Of Saturn (!), impressionne de sauvagerie. La proposition de Spy est finalement plus subversive et exaltante que la plupart des pures machines à mosh qui se sont succédées depuis hier. Alors, buzz justifié ? Oui, absolument.

Dur, donc, de passer derrière pour Desolated. Après, c’est une question de goût personnel et le public a l’air, dans l’ensemble, d’adhérer au hardcore beatdown des Anglais. Pas un mince exploit vu qu’ils répètent des plans qu’on a déjà entendus cent fois ces dernières vingt-quatre heures sans y ajouter une quelconque plus-value. Ce sera quand même le concert le plus joyeusement bordélique du week-end puisqu’interrompu pendant quelques minutes par l’ensemble du public entonnant le célèbre “Tout le monde déteste la police !”, particulièrement en vogue en cette semaine d’émeutes post-bavure et encouragé par un groupe qui ne devait pas se douter que le public réagirait autant. Dans la mêlée, un gamin de dix ans s’empare du micro pour hurler un “Nique la police !” d’une voix si fluette que tout le monde éclate de rire. Bref, un concert pas dingue, loin s’en faut, mais on aura bien rigolé.

Knuckledust est l’avant-dernier groupe à se présenter et même constat pour les vétérans anglais que pour leurs potes de Desolated. Super ambiance, bon esprit et public à fond mais niveau musique, encore faut-il aimer le hardcore though guy super basique et sans grande originalité. Pour ceux qui veulent seulement de quoi se motiver à tenter des coups de pied retournés, ça a l’air de bien le faire.

L’honneur de conclure les festivités revient aux Canadiens de Comeback Kid, visiblement très attendus. Pour être honnête, on est passé à côté du groupe depuis leur formation, ayant toujours eu du mal à le situer entre hardcore mélodique trop propre et metalcore 2000s pénible. Au point de ne pas comprendre l’engouement qu’il suscite (les nombreux changements de line-up n’ont pas aidé, tout comme le fait d’avoir débuté sur le label chrétien Facedown…). Peut-être parce qu’il s’agit du dernier concert de leur tournée ou simplement parce qu’ils sont portés par un public entièrement dévoué à leur cause, les Comeback Kid livrent un set génial du début à la fin. Comme le déclare le chanteur Andrew Neufeld, ils ont beau avoir plus de quarante piges, ils ne se lasseront jamais de cette merde et ça se voit. Énergie incroyable, maîtrise impeccable à tous les niveaux et une diversité dans les compos qui fait passer leur set à toute vitesse, c’est très fort. Mention spéciale à l’hymne “Wake the Dead” joué au cordeau par un groupe jetant ses dernières forces dans la bataille et repris en cœur par un public en feu (qui chante juste en plus !). Un final parfait pour refermer ce Superbowl qui parvient à concentrer sur deux jours tout ce qu’il y a de plus cool dans le hardcore (plus ou moins) moderne.

Comeback Kid (c) Darzec Photographie

Plus de photos ICI.

Bhaine