[Report] Sonic Protest 2021

Sonic Protest 2021 

Jean-Louis Costes (c) Lucie Mokréa

Retour en quelques lignes sur l’édition 2021 du festival Sonic Protest, ou comment boucler la boucle des confinements – du moins espérons-le – de la plus sonique des façons. 

On avait laissé l’édition 2020 de Sonic Protest en plan avec le premier confinement. Quoi de plus normal (et réjouissant) donc que de retrouver sa formule 2021 immédiatement au sortir du long tunnel des couvre-feux et autres entorses forcées à la convivialité musicale live.
Forcément, ce cru de l’année n’a pas été facile à fignoler. Sa programmation a dû se résoudre à un choix d’artistes hexagonaux – ou basés dans l’hexagone et à proximité – mais n’était-ce pas là aussi la meilleure façon de rendre hommage aux activistes du quotidien des musiques de traverse, incongrues, bruitistes, expérimentales ou brutes (comme chaque année, le festival consacrait tout un week-end à la dimension musiques libres & handicap) qui font le sel de la manifestation depuis plus de 17 ans et qui ont dû aussi, si ce n’est plus que les autres, subir les avanies de la situation sanitaire pour continuer à défier les lois des genres sonores ?

Ikeda (c) Vincent Ducard

Certains noms à la réputation déjà bien faite se retrouvaient tout de même en figure de proue de l’embarcation : Richard Pinhas, pour une jam session avec son fils Duncan ; Stephen O’Malley, pour une exploration (malheureusement écourtée dans le temps) des micro-intervalles tonales du râga indien ; ou encore le rare et précieux Ryoji Ikeda, qui avait troqué pour le coup ses algorithmes glitch-techno et la magie de ses installations numériques hautement technologiques pour la retenue scénique des miniatures performatives et acoustiques de ses Music For Percussions.
Dans cet étalage de références, sans doute est-ce le plus notoirement réputé d’entre eux qui a su nous appâter le plus. Moins gouailleur et provoquant qu’on l’a connu jadis, Jean-Louis Costes et sa symphonie pour un homme-seul laissait ainsi transparaître dans son combat instrumental avec son synthétiseur à La Parole Errante de Montreuil quelque chose de touchant, de fragile peut-être. Une relecture technoïde hantée de samples putassiers et de démesure orchestrale qui n’a jamais paru aussi dantesque que lorsque la machine s’est emballée, contraignant l’artiste à clôturer son set plus tôt qu’il ne l’avait envisagé.

Stephen O’Malley (c) Lucié Mokréa

Berrocal, Fenech & Epplay : le trio magique

La vaste scène des bricoleurs free-noise et autres expérimentateurs pur jus avait droit elle aussi aux honneurs du menu. On a pu notamment y découvrir le sens très acéré de la déflagration de Leandro Barzabal dont le mur d’amplis cimenté et surmonté d’une guitare électrique narquoise a fini par céder sous les coups de boutoirs de micros du performeur argentin. Un dernier tango sonique à Paris que rejoignait avec flegme et bonhommie Michel Henritzi pour une session guitare solo au parc de la Villette particulièrement crue et ébouriffante. Marc Baron mettait lui encore plus de cassures et de stridences dans ses manipulations de bandes aux Instants Chavirés. Décapant pour les oreilles, Zbigniew Karkowski aurait aimé !

Leandro Barzabal (c) Lucie Mokréa

Dans ce créneau exploratoire, la palme revient sans doute à l’indéfectible trio Jac Berrocal, David Fenech & Vincent Epplay. Rivé à sa trompette ou à son pied de micro, Jac Berrocal joue à fond la carte de sa truculence naturelle sur la mini-scène de la Parole Errante. Mais son bagout fonctionne en grande partie grâce aux enluminures brutes ou plus fines que son duo d’acolytes lui fournit. Nourries d’effets et de petits dispositifs ingénieux – comme ce long ressort greffé aux cordes de sa guitare – les interventions de David Fenech se contorsionnent autour du jeu et des poses toujours très dynamiques de Berrocal. Préposé aux trames électroniques en fonds de décor – et en fonds d’écran puisqu’il réalise aussi les vidéos d’archives, particulièrement réussie et fantomatique à cette occasion – Vincent Epplay apporte lui au contraire une composante plus massive et texturée. Un très beau jeu d’équilibre, de nuances et de verve espiègle pour ce ménage à trois qu’on imagine convoler encore longtemps.

Errance poétique sous hypnose avec Marion Cousin & Kaumwald 

Sonic protest n’est évidemment pas un festival axé par nature sur la mélodie et la candeur expressive associée. Quelques concerts ont réservé cependant quelques beaux moments d’extrapolation harmonique. Armée de sa cornemuse bourbonnaise, amplifiée pour l’occasion, Lise Barkas invitait le public à caler sa respiration sur son propre souffle, ténu ou plus flottant, qui venait guider les fibrillations auditives noueuses de ce bien étrange et envoûtant instrument. Tout aussi décalée et voyageuse, mais là à travers un folklore soudain plus imagé et imaginaire, l’association scénique de Marion Cousin et du duo Kaumwald au CENT-QUATRE a paradoxalement peut-être été le meilleur moment du festival. L’arrivé de la vocaliste de June et Jim et Borja Flames au cœur des paysages électroniques hypnotiques et accidentés de Kaumwald avait ainsi quelque chose de transcendant, une sorte de mise en abymes aux accents poétiques de l’Estrémadure – dans le sillage de leur disque Tu Rabo Par’abanico / Romances de Extremadura –  qui invitait à l’errance hypnotique et rappelait à sa façon, plus orientée collages/électroacoustique, les incarnations tant méditatives que fantasques que l’on peut déceler chez La Tène ou dans le trio Puech / Gourdon / Brémaud.

Noir Boy George (c) Lucie Mokréa

Pour les amateurs de décalage électronique, la dernière journée à la Station de l’équipe du garage MU était sans doute la plus appropriée – et ce même si le duo OD Bongo avait donné une bonne démonstration de break music revigorante la veille dans la cour du Théâtre Berthelot. Avec son côté Scorpion Violente en mode dark/pop, Noir Boy Georges a bien sûr fédéré l’audience. Mais on retiendra surtout les accointances noise-rock certaines – et très new Noise compatibles – de Fleuves Noirs et de leur chanteur préposé aux manipulations synthétiques vocalisées, ou encore des hurluberlus masqués de Why The Eye? dont les contorsions polyrythmiques en mode circuit bending / DIY à partir d’instruments fabriqués avaient quelque chose de fortement chamanisé. Vivement la prochaine dose de rappel !

Laurent Catala