[Report] Mystic Festival 2023

(c) Maciej-Taszek

Par Pierre-Antoine Riquart

Voir Danzig jouer son album Danzig à Danzig ! (NdR : nom allemand de la ville de Gdansk en Pologne). Tel était l’objectif que nous nous étions fixé quand le festival metal Mystic a annoncé la majeure partie de ses têtes d’affiche en janvier dernier. L’édition de 2022 nous avait déjà chatouillés sans pour autant nous motiver à parcourir les 1600 kilomètres qui nous séparent du site, mais celle de 2023, la 11e, nous a cette fois apporté la motivation nécessaire. 

Le Mystic Festival accueille près de 12 000 visiteurs par jour chaque année, certes bien loin des plus de 100 000 du Hellfest, mais il est évident que ce chiffre ne fera que grossir lors des prochaines éditions. En attendant, ce festival reste à taille humaine ; il est aisé de naviguer de scène en scène même lorsqu’il y a du monde aux heures de pointe, l’ambiance est détendue, des sièges confortables sont disposés à de nombreux endroits sur le site, même à l’intérieur des salles, le prix des différentes boissons s’avère plus que raisonnable et la nourriture relativement diversifiée.

Le festival se compose de 5 scènes (3 extérieures, 2 intérieures) sur lesquelles un total de plus de 90 groupes jouent. Des tables rondes, entrevues, séances de dédicaces et expositions se déroulent à de nombreux moments et endroits chaque année. Au-delà de tous ces points positifs, la petite touche supplémentaire que les autres festivals n’ont pas, c’est le lieu. En effet, toutes les scènes sont situées dans le paysage du chantier naval de Gdansk. L’ambiance industrielle sied parfaitement à la musique et apporte une ambiance toute particulière.

Ce festival aurait pu être le coup de cœur ultime si Scandinavian Airlines ne nous avait pas gâché la première journée. Retards à outrance sur les avions (évidemment, pas de vol direct), changement d’aéroport de transit à la dernière minute, changements de portes intempestifs au sein de l’aéroport de Copenhague, ce scénario catastrophe qui a failli nous gâcher l’aventure a eu raison de notre présence devant le concert des jeunes prodiges américains d’Undeath qui jouait à 17h00. Selon les différents retours glanés sur place, leur death metal puissant a fait l’unanimité. Quand on sait à quel point les groupes américains, de manière générale, ont tendance ces derniers temps à annuler leurs participations européennes, on ne peut que regretter ce loupé. La première journée, dite d’échauffement, s’est donc résumée aux concerts d’Aklhys et de Witchmaster, Godflesh ayant annulé leur participation au profit de Destroyer 666. Nous n’aurions de toute façon pas pu les voir puisque le concert de Destroyer 666 se déroulait deux heures avant notre arrivée. Le black metal des premiers, au sein d’une salle bondée dans laquelle la chaleur est imposante, déçoit quelque peu. Le son de batterie est un peu plastique et relativement en retrait, il n’y a pas d’enchaînements entre les morceaux ce qui est compliqué pour un groupe censé instaurer une ambiance de fin du monde, les temps morts pour remplacement de cordes ou accordages se multiplient nous faisant sortir quelque peu du concert. Fort heureusement, les morceaux sont interprétés à la perfection et le son s’améliore au fur et à mesure du concert. Quant à Witchmaster qui joue sur la modeste scène extérieure, c’est un franc succès nous permettant de constater que le groupe est vraiment la petite star locale et emporte l’adhésion du public. Son thrash death black metal réveille un public globalement calme.

La première journée officielle du festival est marquée par des manifestations aux abords du site par des extrémistes catholiques protestants principalement contre la venue du groupe phare local Behemoth. Rien de bien méchant, plutôt une occasion d’en rire grassement.

La récompense de la meilleure prestation de la journée est décernée haut la main à Bloodbath qui délivre sur la Shrine Stage un concert en tout point parfait. Premier constat, ce n’est malheureusement pas Jonas Renkse, chanteur de Katatonia, qui occupe le poste de bassiste sans que l’on apprenne pourquoi. Les autres musiciens du groupe, Anders Nyström de Katatonia et Nick Holmes de Paradise Lost en tête, en imposent aussi bien au niveau charisme que technique musicale, respectivement à la guitare et au chant. Si Nick Holmes ironise un tantinet en ouvrant ce concert par « Nous sommes Bloodbath de Suède », c’est bien « So You Die«  qui met tout le monde d’accord à en juger par les cris de la foule et les pogos qui se forment en un clin d’œil. La setlist, sous forme de best of, parcourt toute la discographie du groupe et c’est « Outnumbering the Dead » tiré de leur deuxième album qui emporte l’adhésion totale du public. Du même album, « Cancer of the Soul«  ainsi que le final avec « Eaten«  sont sublimés par un son aux petits oignons (il semblerait qu’au fond de la salle ce ne fut pas aussi impérial) et des lights relativement sublimes.

Ghost (c) Justyna Kaminska

Au rayon des excellentes prestations de la journée, on note en premier lieu celle des vétérans du thrash Testament sur la mainstage. Le groupe, composé bien évidemment de Chuck Billy au chant, du génial Steve DiGiorgio à la basse et de l’excellent guitariste Alex Skolnick, également guitariste de Megadeth, est accompagné d’un nouveau batteur, Chris Dovas, Dave Lombardo ne trouvant le temps depuis quelques mois de se consacrer à Testament. « Rise Up » ouvre le bal et on constate instantanément que le son de la scène principale est excellent et le groupe en pleine forme. À notre grande surprise, et c’est un plaisir car il s’agit de notre album préféré du groupe, « D.N.R » issu de The Gathering de 1999 emporte un franc succès auprès des fans qui le célèbrent à tue-tête. Le groupe clôt son excellent show sur leur hit « Into the Pit«  en laissant un public ravi et rassasié. En second lieu, il est indispensable de dire quelques mots sur le concert de Ghost. Si nous n’ignorions pas le succès commercial du groupe, nous ne savions pas à quel point leurs prestations sont accompagnées en permanence de cris suraigus de fans en délire. On se croirait à une prestation des Beatles à la grande époque. La scène, totalement aménagée par des escaliers, des vitraux comme si nous étions dans une église, est sublime, le son d’une pureté incomparable, l’interaction entre les musiciens, totalement scénographiée, est impeccable et les différentes tenues de Tobias Forge parfaitement travaillées. Bien évidemment nous sommes devant une prestation qui manque de spontanéité, mais ce serait mentir de dire que le plaisir d’y assister n’est pas présent. « Rats », « Spillways », « Hunter’s Moon », « Watcher in the Sky« , les meilleurs titres du groupe y passent à l’exception bien sûr de ceux du premier album Opus Eponymous, seule déception de la soirée. Le groupe français Fange, qui joue pourtant tard, délivre également un excellent concert rempli de haine et de véhémence qui ravit les noctambules présents. Les excellents nouveaux morceaux de Privation comme À la racine ou Sang-Vinaigre passent parfaitement le cap du live et creusent même un léger écart avec leurs prédécesseurs. Fange est décidément l’un des fleurons de la scène amplifiée hexagonale. Pour terminer sur les meilleures prestations du jour, LLNN sur la Sabbath Stage, a proposé à nouveau, puisque c’est la troisième fois que nous avons la chance de croiser la route du groupe, un set excellent composé majoritairement des morceaux de Unmaker. « Imperial », qui ouvre cet album, demeure toujours aussi lourd sur scène et ne laisse personne indifférent.

Côté déception, White Hills a réalisé sur la petite Desert Stage une prestation assez insipide qui nous a fait tourner les talons après trois morceaux. Nous sommes malheureusement passés à côté des concerts de Helms Alee, Spiritbox et Moonspell pour des raisons logistiques ou de superpositions de créneaux.

(c) Maciej-Taszek

La deuxième journée est bien évidemment estampillée Danzig, le concert que la majeure partie des festivaliers attend si l’on en juge par le nombre de fans arborant un tee-shirt du « Evil Elvis ». Tête d’affiche de la soirée, la troupe monte sur scène composée de Tommy Victor à la guitare (Prong), Steve Zing à la basse et non pas Johnny Kelly (ex-Type O Negative) à la batterie mais d’un jeune batteur inconnu qui fait ses débuts avec le groupe. Ce changement est une réelle aubaine tant le quatuor y gagne en intensité et en puissance. Sa prestation décuple l’énergie des autres musiciens, Glenn Danzig lui-même le félicitant pendant le concert de les pousser à donner plus. Tommy Victor de son côté est impérial, d’une précision et d’un tranchant métronomique. Que dire dorénavant de la prestation du frontman ? Elle est avant tout honnête, méritoire et très énergique. Glenn Danzig sait qu’il ne peut plus atteindre certaines notes, il s’adapte et délivre une prestation qui honore sa musique et ravit au-delà des attentes. La setlist est bien sûr composée du premier album dans son intégralité, mais joué dans le désordre, et de titres des trois albums suivants avec 3 morceaux de « How the Gods Kill » (le morceau titre, « Dirty Black Summer » et « Do You Were The Mark », 4 de Lucifuge (« Her Black Wings », « Long Way Back from Hell », « Snakes of Christ » et « Tired of Being Alive ») ainsi qu’un du quatrième album (« Bringer of Death »). De nombreuses rumeurs circulent, parmi les personnes qui accompagnent le groupe et que nous avons pu rencontrer, selon lesquelles il s’agirait du le dernier concert européen de Danzig, dommage si cela se confirmait tant la prestation de ce soir était pleine de classe. L’autre concert marquant de la journée, et également très attendu, est celui des death metalleux suédois de Dismember. Depuis leur énième reformation en 2008, le groupe donne sporadiquement des concerts à droite à gauche mais ravit toujours autant ses fans, venus en masse ici devant la deuxième scène en plein air du Mystic Festival. Nous avons d’ailleurs cru que cette scène ne serait jamais prête, car une grève semble avoir entaché son montage 24 heures avant le début des concerts. Une simple nuit a suffi au festival pour se réorganiser. Dismember entame donc son set  avec le premier morceau d’Override of the Overture. Le son est absolument parfait, le groupe précis, les circle pits se forment à chaque morceau et les sourires sont présents sur tous les visages. Le groupe joue 13 morceaux sans réelle pause et épate par son efficacité. « In Death’s Sleep » clôt les débats avec une montée en puissance aussi forte que sur album. Perfection !

(c) DR

Cette deuxième journée nous a également permis de découvrir sur scène les Danois de Eyes, dont deux membres jouent également dans LLNN, et leur hardcore lourd et abrasif. On ne s’attendait pas à autant d’énergie et de folie sur la Sabbath Stage. Eyes enchaîne les morceaux à une vitesse ahurissante, étonne et enthousiasme le public venu en masse les voir. Pas moins de quatre titres du nouvel album Congratulations, tout juste sorti, sont interprétés et font sensation. Une excellente surprise pour un groupe qu’il nous tarde déjà de revoir. Une autre prestation à ne pas rater était celle des Allemands de Kanonenfieber qui délivrent un metal épique sur fond historique lié à la Première Guerre mondiale. Excellente scénographie, excellente prestation ! Pour parler des prestations mi-figue, mi-raisin du jour, on peut citer celle des Suédois de Hellacopters qui, si elle brillait par l’énergie de ses musiciens sur scène, était totalement desservie par un son plus que faiblard et par un public vraiment clairsemé. La mainstage est vraiment trop grande pour ce groupe, tout du moins pour son public polonais. On citera également celle des célèbres doomeux d’Electric Wizard qui, en raison d’une setlist constituée de morceaux trop homogènes, ont brillé par leur apathie. Même le fabuleux titre « Funeralopis » paraissait ennuyeux et dénué de tout danger. La plus grosse déception du jour est attribuée à Mord A’ Stigmata dont les performances vocales en voix claire du chanteur se sont révélées catastrophiques. Quel dommage pour un groupe qui jouait à domicile.

Electric Wizard (c) Mariusz-Kobaru-Kowal

La dernière journée du festival est marquée par le show phénoménal des Suédois de Meshuggah. Précis, massif, groovy, les adjectifs et superlatifs manquent pour qualifier ce concert du quintette. Le groupe débute part le lent et lourd « Broken Co »g tiré de leur dernier album en date Immutable avant de laisser la folie s’échapper sur « Rational Gaze ». On ne pouvait rêver meilleure mise en situation. Le public commence alors un pogo interminable jusqu’à la dernière minute du concert, remuant la poussière et la terre pour ne laisser qu’un terrain désolé derrière lui. Au milieu du concert, le groupe octroie une pause à ses fans en balançant « Mind’s Mirrors » tiré de Cath 33 dans les enceintes. Bien évidemment le public en profite pour préparer un wall of death, une place énorme se dégage au milieu de la fosse avant que chacun et chacune ne se jette les uns sur les autres au son de « In Death – Is Life » et « In Death – Is Death ». Le groupe achève tout le monde, comme à son habitude, avec « Future Breed Machine », permettant à l’intégralité des personnes présentes de conclure que nous venons de voir l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur concert du festival. L’autre excellent concert de la journée est celui des vétérans québécois de Voivod. Le groupe interprète la compilation Morgöth Tales, soit des réenregistrements de neuf chansons provenant de l’entièreté du catalogue du groupe ainsi qu’un titre inédit qui porte le même nom que l’album. 40 années de musique allant du thrash au punk en passant par le metal progressif. Le concert débute donc par « Killing Technology » et le public polonais surprend par sa connaissance quasi biblique de la musique et des paroles du groupe. Tout est chanté à tue-tête, le groupe accomplit sa mission le sourire aux lèvres, signe d’un concert absolument parfait. Malheureusement, la prestation de Voivod chevauche celle de Dark Angel qui joue sur la main stage. On se dit qu’on ne rate pas grand-chose puisque Voivod est en tournée dans toute la France et qu’on rattrapera la fin du concert dans une ville de l’Hexagone. Ça, c’était sans savoir que Dark Angel allait délivrer une prestation proche du risible en raison de son chanteur catastrophique. Ron Rinehart, pourtant membre de la formation depuis 1987, connaît les morceaux par cœur, ce qui ne l’empêche pas de perdre sa voix au bout de deux chansons, de tenter d’atteindre des aigus de manière pitoyable, gâchant littéralement la prestation d’un groupe extrêmement carré, Gene Hoglan à la batterie oblige. Trois autres concerts sont à noter, celui impeccable de nos Frenchies de Gojira qui impressionne par leur scène gigantesque à plusieurs étages rappelant celles des meilleures heures de Metallica, celui des Suédois d’Unleashed dont quelques soucis techniques ont empêché le concert de finir dans le top 5 des meilleures prestations du week-end, « Lead Us Into War » nous avait pourtant fait bouger rudement le popotin, et enfin le concert de clôture impeccable par Perturbator qui a fait danser tout le public présent devant la deuxième scène extérieure.

Gojira (c) Janek-Fronczak

En conclusion : un lieu atypique, une ambiance décontractée au possible, des consommations très abordables, de la nourriture variée, une circulation globalement aisée, tous les éléments, hormis un merchandising annexe au festival un peu léger, sont réunis pour que nous revenions très souvent à Gdansk afin de profiter de l’un des meilleurs festivals metal à taille humaine du circuit.

(c) DR