[Report] Motocultor, 17-20 août, Carhaix

On avait entendu autant de bien que de mal du festival Motocultor en Bretagne. En cause surtout, des problèmes d’organisation récurrents qui en ont fait renoncer plus d’un à s’y rendre. On a décidé d’aller vérifier sur place, alléchés par une affiche franchement énorme. Et s’il reste beaucoup de points à améliorer au niveau de l’orga (files d’attente interminables pour entrer sur le site ou aux toilettes, niveau de confort global très spartiate, personnel trop réduit, boissons et nourriture trop chères…), le site s’avère dans l’ensemble très agréable avec beaucoup d’espace. La réputation conviviale du fest n’est pas usurpée et le son sur les quatre scènes a été très bon dans la majorité des cas. Mais un festival, ce sont aussi et surtout ses festivaliers qui le font, et ceux du Motoc se montrent particulièrement déchaînés, ce qui a du bon (concerts survoltés) et du moins bon (taux d’alcool délirant et tous les excès qui vont avec…). Pour une première édition à Carhaix, sur le site des Vieilles Charrues, c’est néanmoins une réussite, d’autant plus que beaucoup des groupes présents (il s’agissait de la dernière étape de la tournée des festivals pour la majorité d’entre eux) ont livré des prestations de très grande qualité.

Par Bhaine (texte) et Ronan Thenadey (photos)

[On précise que, bénéficiant d’une accréditation presse, on n’est pas forcément logés à la même enseigne que la majorité des festivaliers concernant le confort et les files d’attente.]

Jeudi 17 août

Le temps d’arriver, de découvrir les lieux et de se mettre en place, on commence ces quatre jours de Motocultor par les hardcoreux parisiens de Worst Doubt. Et pour se mettre en jambe, on ne peut pas faire mieux. Malgré un changement de line-up, le groupe conjugue toujours aussi bien groove méchant et brutalité frontale (notamment sur la tuerie “Extinction”). On craignait que le son sur cette scène en extérieur, la plus petite des quatre, soit limite, mais il se révèle finalement plus que correct et le set très vénère du meilleur groupe de hardcore français actuel a retourné Carhaix d’entrée de jeu.

Ugly Kid Joe

Sous l’une des deux tentes, on vient voir Ugly Kid Joe sans trop savoir à quoi s’attendre. Les concerts des Américains sont à l’image de leur parcours : inégaux et imprévisibles. Potentiellement, ce groupe aurait pu être au choix Guns’n’Roses, Pearl Jam ou Green Day, voire les trois à la fois. Mais, n’ayant jamais renoncé à une attitude de gros branleurs trop doués pour leur propre bien, ils n’ont pas eu la carrière qui leur était promise après le tube “Everything about You”. Tube qui conclut aujourd’hui un set formidable. Que ce soit sur leurs morceaux plus heavy (“Devil’s Paradise”, “Bad Seed”) ou pendant leur célèbre reprise de “Cats in Cradle”, l’éternel slacker Whitfield Crane se balade, écœurant de facilité devant un public conquis. Les UKJ sont tellement bons qu’ils parviennent même à rendre mémorable une reprise du surcoté “Ace of Spades” de qui vous savez. Dans un bon jour, comme aujourd’hui, Ugly Kid Joe est un groupe de scène phénoménal.

Manuel Gagneux et son projet Zeal And Ardor se sont progressivement éloignés de la proposition de base « gospel + black metal » pour s’orienter vers un metal moderne assez personnel et… tant mieux ! Le groupe, aujourd’hui très rodé, offre un set essentiellement axé sur les deux derniers albums sans auccune baisse de régime. Sous un chapiteau acquis à leur cause dès les premières secondes, les Suisses n’ont qu’à dérouler entre la lourdeur de “Death to the Holy” et “I Caught You” et les réminiscences gospel d’un “Devil Is Fine” repris en chœur par tout le public. Sous les capuches noires, les musiciens ne jouent pas les méchants de pacotille ; le sourire affiché en permanence par Gagneux entre les morceaux est même au diapason de la sensibilité pop de la musique de Zeal And Ardor qui ne se prend jamais pour ce qu’elle n’est pas. Comme le set se termine avec un peu d’avance, on peut même assister au dernier titre des Australiens de Wolfmother, le trippant “Mind’s Eyes”, et si tout le concert était de ce niveau, on a manqué là un autre bon show. Mais il fallait bien faire un choix et vu le concert dantesque de Zeal And Ardor, aucun regret.

Coroner

On reste en Suisse avec Coroner. Adorés des connaisseurs et spécialistes du thrash technique (ou techno-thrash comme on disait alors), ils resteront à jamais des glorieux perdants qui, s’ils avaient été floridiens ou avaient misé sur un gimmick quelconque, jouiraient d’une aura bien plus importante aujourd’hui. Sur la petite scène du Motocultor et avec des instruments d’emprunt (les leurs étant restés bloqués quelque part dans un aéroport…), le trio de Zurich déroule son thrash progressif et alambiqué avec la tranquillité et la maîtrise qu’on lui connaît.  Au programme trois titres de Grin et Mental Vortex et un de Punishment for Decadence et R.I.P., mais aucun extrait de l’album à venir… Les fans se régalent, les autres s’ennuient fatalement un peu, mais tout le monde applaudit ces vétérans qui jouent toujours avec la même virtuosité.

Existe-t-il meilleure bête de festival que Hatebreed ? Probablement pas. Le groupe de Jamey Jasta trimballe partout depuis bientôt trente ans son hardcore metal savamment dosé entre NYHC basique, thrash metal sans fioritures et quelques pointes de death et de sludge avec un seul objectif : la bagarre totale et absolue dans le pit. À l’exception d’un titre très moyen de leur dernier album, c’est la fête aux classiques avec l’intégralité des passages obligés ayant déjà retourné toutes les scènes de la planète, du fédérateur et bas du front “Destroy Everything” au définitif “Proven” (avec l’un des meilleurs breakdowns de l’histoire du hardcore) en passant par le très thrash “As Diehard as They Come” et le martial “In Ashes They Shall Reap”. On se perd dans les différents anniversaires d’albums évoqués par un Jasta hirsute sans que ça ne change quoi ce soit à la setlist de base. “This is Now”, “Perseverance”, “Looking Down the Barrel of Today”… on connaît la chanson et pendant une heure dix, c’est séance de sport pour tout le monde avec discours de motivation à l’américaine du coach à casquette. On n’en sort pas plus intelligents mais, trente ans après sa formation, Hatebreed reste l’une des meilleures machines à transpiration du monde.

Vendredi 18 août :

Dans la grande famille du metal, il n’existe pas plus fédérateur que le crossover thrash, et avec Crisix, représentant espagnol du genre, c’est toujours l’assurance de passer un bon moment, peu importe le lieu ou l’horaire. D’accord, ce n’est pas Power Trip, ni même Municipal Waste, mais leur set fun, speed est parfaitement indiqué pour entamer l’après-midi gonflé à bloc.

Arkan’n Asrafokor

Si les organisateurs du Motocultor ont joué la carte de la sécurité en ce qui concerne les têtes d’affiche, ils ont aussi eu la bonne idée d’aller chercher des groupes venus d’horizons un peu plus exotiques (Japon, Mongolie, Tunisie, Laval…). Au rayon découvertes, on a notamment droit aux Togolais d’Arkan’n Asrafokor et à leur metal hybride, entre musique traditionnelle guerrière et nü-metal moderne. Visuellement, les peintures de guerre ont plus de gueule que les habituels tatouages et leur son, sorte de version Afrique de l’Ouest de Soulfly, a le mérite de l’originalité. Au sein de compositions aux structures inhabituelles, les instruments traditionnels comme le brekete se mêlent aux grosses guitares et l’alternance entre chants tribaux et growls plus metal maintient un niveau constant d’agressivité sans lasser. Est-ce le meilleur concert du fest auquel on a assisté jusqu’ici ? Non. Le plus original et rafraîchissant ? Oui, sans hésitation.

Terror

Si quelqu’un a déjà vu Terror foirer un concert, qu’il nous fasse signe. La discographie des Californiens a beau être inégale, sur scène Scott Vogel et ses potes restent intouchables. Du haut de ses trente ans d’expérience, l’ancien chanteur de Despair et Slugfest sait parfaitement s’y prendre pour motiver un public qui transforme aussi sec le chapiteau en zone de guerre. Entamant leur set pied au plancher avec le récent “Pain into Power”, c’est l’autoroute du slam dancing jusqu’à l’hymne “Keepers of the Faith”. Gardiens de la foi, gardiens du temple, Terror, qui a vu défiler dans ces rangs au fil des ans un grand nombre d’acteurs importants de la scène US (membres de Nails, Hatebreed, Xibalba…), est l’un de ces groupes qui donnent envie de se mettre au hardcore et se plonger dans cette contre-culture. Bilan sans appel : en live, Terror demeure aussi formidable qu’increvable.

Carcass

Dans un autre genre pas moins avare question violence, le constat s’avère similaire pour Carcass, a priori incapable de livrer un mauvais concert. Jeff Walker commence à bien faire son âge, contrairement au dandy babos Bill Steer, hors du temps et de l’espace, mais le chanteur/bassiste ne s’économise pas pour autant. C’est surtout le batteur Daniel Wilding qui impressionne par sa puissance et sa vélocité tout au long de ce greatest hits des rois la référence médicale craspec sur fond de grinding death/death mélodique tranchant comme un scalpel. À l’instar de leur compatriotes de Napalm Death, on ne se lassera probablement jamais de voir Carcass en live.

Deicide

On reste dans le death metal avec Deicide. À la base, Napalm Death devait jouer à ce moment-là et sur cette scène, mais un problème logistique du côté de la bande à Barney a obligés les deux groupes à échanger leurs créneaux (mais qui a eu l’idée de vouloir faire jouer des Anglais à l’heure du thé, aussi ?!). Et beaucoup de gens n’étaient visiblement pas au courant… Le set des Floridiens est lui consacré à l’intégralité de Legion, leur deuxième album, suivie d’une poignée de classiques. Pour les fans de Deicide et de death old school, il s’agit là d’un évènement. Pour les autres, juste un concert de death metal pénible, le groupe n’étant pas aidé par un son brouillon et le manque d’entrain manifeste de Benton. En revanche, au championnat du show le plus bourrin, Deicide est clairement favori pour le titre.

HEALTH

Quand on a le choix entre aller voir les parrains du grind death Napalm Death et le noise rock indus mutant de Health, on opte obligatoirement pour la clique de Shane Embury. Sauf que pour rejoindre la scène qui accueille les Anglais, il faut passer devant le chapiteau où jouent les Californiens et les bonnes résolutions de trve metalhead volent aussi sec en éclat. La voix fragile de Jake Duzsik et les rythmiques hypnotiques de Health aspirent littéralement votre cerveau (le grandiose “Stonefist”) et on renonce sans s’en rendre compte à aller écouter une énième fois “Suffer the Children” et “Scum”. Avec ses compos navigant entre dream pop metal perchée et indus/electro nerveux, Health a évidemment un peu de mal à faire le plein niveau public, mais tous ceux qui sont présents ont le privilège de vivre des instants de grâce suspendue. Comme en plus ce bon vieux Shane Embury ne tourne pas avec avec Napalm Death en ce moment (« mais y a-t-il des membres de Napalm Death dans votre Napalm Death ? »), zéro regret. Les Anglais débordant un peu, on a quand même le temps de les voir jouer “Nazi Punks Off”, ce qui ne fait jamais de mal puisqu’il s’agit là d’un des rares exemples de reprises mille fois supérieures à la version originale.

Par curiosité et parce qu’encore une fois, c’est vraiment une bonne chose que le Motoc’ aille chercher des groupes assez inattendus, on donne leur chance aux Japonaises de Hanabie. Elles semblent ravies d’être là et le public le leur rend bien. Mais leur musique, mixture balisée de J-Pop et de metalcore, sorte de version wish de Baby Metal sans les riffs bien foutus des stars du kawaï-metal, nous devient vite insupportable… Un avis visiblement pas partagé par la foule en délire qui s’est amassée sous le chapiteau. Probablement  sommes-nous « trop vieux pour ces conneries », comme disait l’autre. On leur accordera qu’elles jouent vraiment et sentent moins le produit d’usine que Baby Metal.

Samedi 19 août :

Venus des lointaines contrées enneigées de Chartres dans le Val de Loire, les black metalleux de Pénitence Onirique aux costumes réussis mais un peu trop proches de ceux d’Imperial Triumphant n’ont pas la partie facile. Le black metal mélodique n’est pas un genre très indiqué pour un récital estival programmé à 14h00. Heureusement, le concert a lieu sous l’une des tentes, ce qui préserve suffisamment de mystique et le set se révèle une très bonne surprise, car bien moins alambiqué que ne l’aurait laissé penser la présence de trois guitaristes (qu’on a du mal à distinguer dans la masse sonore) et plutôt accrocheur.

Oi Boys

Hexagone encore avec Oi Boys, duo en studio devenu quatuor sur scène. Comme son nom ne l’indique pas, les Messins joue du synth-punk à relents cold wave avec textes en français désabusés et un sens du spleen insolent, grande spécialité de la scène alternative du Grand-Est. Entre deux vannes sur la Bretagne, Oi Boys enchaîne les chansons d’amour foireux aux forts relents de bière éventée et d’ennui enfumé. Rien de très metal, certes, mais les morceaux donnent envie de danser et Oi Boys restera le groupe le plus raccord avec le sponsor principal du Motoc : la sacro-sainte 8°6 des traîne-savates.

Birds In Row

La journée du samedi a décidément des allures de tour de France puisque c’est ensuite Birds In Row, maillot jaune du hardcore punk européen, qui balance sous l’un des chapiteaux trois quarts d’heure de post-screamo/hardcore inclassable et super intense. Le trio avait fait beaucoup parler de lui en annulant sa venue au Hellfest pour raisons morales et politiques et leur concert du jour confirme la réelle perte pour le festival clissonnais. Chargée en émotions, débordante d’énergie et pas avare en mélodie, la setlist parfaitement équilibrée entre passages emo (“15-38”) et bourrasques hardcore (“Noah”) avant de s’achever sur un “I Don’t Dance” éclatant a étalé toute la classe de Birds In Row.

Gatecreeper

Au sein de la grande tribu chevelue du death metal, on trouve plusieurs écoles. Et en festival, c’est de très loin le canal « simple et catchy » à la Bolt Thrower et Obituary qui fonctionne le mieux. Les Arizoniens de Gatecreeper font justement partie des meilleurs représentants de la nouvelle scène death US, majoritairement issue du hardcore, s’inspirant de ce courant (Frozen Soul, 200 Stab Wounds, Undeath…). Bref, Gatecreeper fait autant mosher les coreux que pogoter les metalheads et tout le monde est content. Riffs d’hommes des cavernes aux tonalités HM2, growl et moustache impeccables de Chase Mason, groove maxi brutal : avec Gatecreeper, on en a toujours pour son argent. L’un de leurs titres phares s’appelle “Barbaric Pleasures” et ce n’est pas de la publicité mensongère mais une pure note d’intention.

Dog Eat Dog

On prend toujours un grand plaisir à retrouver Dog Eat Dog, le plus purement 90s des groupes new-yorkais. Enfin, normalement… Les quinquas sont toujours en forme, là n’est pas le problème. Disons qu’ils ont tellement confiance en eux qu’ils consacrent la moitié de leur set à de nouveaux morceaux… sur lesquels le public ne réagit pas du tout. Et comme John Connor (c’est bien son vrai nom) parle toujours autant entre les morceaux (alors qu’il précise bien qu’ils ont peu de temps), il ne reste que les incontournables “Who’s the King”, “All Fronts” et “Rocky” pour s’éclater franchement. Leur concert au Hellfest l’année dernière avait été incroyable, mais aujourd’hui grosse déception. Quand un groupe base tout sur l’implication du public et les sing alongs, jouer en festival des titres fraîchement sortis, voire même pas sortis du tout, se pose là comme idée de merde. Franchement, un concert de Dog Eat Dog sans “Pull my Finger” !? On est à deux doigts de demander le remboursement de nos invitations.

Lors d’un grand rassemblement hard rock estival, aller se cogner presque une heure de post-metal instrumental sous un chapiteau fait autant envie que se coincer les doigts dans une porte qui claque. Mais là, on laisse l’expérience parler parce qu’on sait que peu importe notre motivation de base en tant qu’auditeur, Russian Circles va nous retourner. “Station”, “Conduit”, “Mladek”… en live, le trio écrase tout avec un son gigantesque, la basse vrombissante de Brian Cook (Botch) donnant encore plus d’impact aux riffs maousses de Mike Sullivan. La communication avec le public en revanche, c’est le néant absolu, ce qui ne fait qu’accroître la dimension planante et écrasante de leurs compos. Donc, comme à chaque fois, peu motivés au départ, on n’a qu’une hâte à la fin : les revoir en live pour se faire à nouveau marcher dessus.

Scarlxrd

Le rappeur Scarlxrd (prononcez Scarlord) est sûrement l’artiste le plus inattendu à l’affiche du Motocultor. Mais sa trap virant metal est tellement violente que l’Anglais ferait passer Ghostmane pour Eminem et H09909 pour les Fugees. Cependant, les quelques vidéos live captées à l’arrache de l’auteur du gros hit “Heart Attack” laissaient perplexe : aucun musicien live, juste une playlist de ses morceaux qui passe en fond et sur laquelle il rappe et hurle vaguement en haranguant la foule. Poussé par la curiosité, on va quand même voir le début pour juger sur pièces. Et, &@*#$%!, quelle claque ! Alors que les basses d’intro se mettent à résonner, Scarlxrd commence son show par un backflip histoire de montrer qu’il est en jambes avant de se lancer dans cinquante minutes de folie pure. Marius Listhrop (son vrai nom) saute, court, hurle et balance son flow supersonique sans jamais s’essouffler. Sa musique, même si sombre et lugubre vous secoue brutalement en permanence. On croit qu’il va finir par baisser de rythme, seulement la performance athlétique du MC-pile électrique ne baisse jamais d’intensité. Scarlxrd continue de hurler tellement fort qu’il pourrait mettre à l’amende le plus remonté des chanteurs de hardcore. Si le chapiteau n’est pas plein, ceux qui sont présents se font littéralement embarquer, l’Anglais suintant de rage par tous les pores. Le set donne l’impression de durer dix minutes, aucun temps mort, et on finit soufflés et bouche bée devant cette démonstration d’agressivité sonore et physique. La nouvelle musique du diable, c’est ça. Une vraie torgnole. Pardon, une vraie txrgnxle.

Amenra

Le problème récurrent avec Amenra en festival ? Ils jouent toujours très tard. Et durant les moments de calme et d’introspection dont sont coutumiers les post-metaleux belges (notamment pendant “Plus près de toi » et “Solitary Reign”), on entend toujours des gens bourrés jacter très fort. Imaginez : petit motif de guitare minimaliste, projection cafardeuse sur l’écran et Colin H. van Eeckout, yeux fermés, qui murmure dans son micro… puis vous entendez en parallèle une meuf random expliquer que « c’est pas son truc » et qu’elle, « elle écoute RTL2 », ou un Breton faisant un peu trop honneur à la réputation éthylique locale disserter très bruyamment sur l’importance du respect après une histoire aussi interminable qu’incompréhensible à propos d’une cigarette… Si bien qu’à chaque fois qu’Amenra assène de nouveau ses gros riffs lourds et se remet à hurler, on ressent comme une délivrance. Rien à redire sur la prestation des Belges, comme toujours, sans faille et aussi sobrement que joliment mise en scène. Mais en festival, il est encore plus difficile de s’y immerger que de supporter les phacochères mangeurs de popcorn au cinéma.

Dimanche 20 août :

Lorsque Nostromo s’est reformé après dix ans d’absence, ça a été un évènement. Et les premiers concerts alors donnés se sont montrés aussi dantesques que chargés en émotion. Depuis, les Suisses ont beaucoup tourné, on les a vus un nombre incalculable de fois et on ne retrouvera jamais les mêmes sensations que lors de ce retour surprise. Ça qui ne les a pas empêchés de sortir un nouvel album franchement bon l’année dernière dont ils jouent justement quelques-uns des meilleurs titres en ce début d’après-midi. Leur grindcore metal reste unique et, c’est de toute façon toujours une joie de se faire concasser les tympans par “Sunset Motel” ou “Epitomize”. Chez Nostromo, l’excellence est la règle et aujourd’hui ne fait pas exception. Mais peut-être nous y sommes-nous trop habitués.

Les Français de Landmvrks, de plus en plus populaires, rameutent un paquet de monde sous l’une des deux tentes. Entre nü-metal, hardcore/metalcore et hip-hop, ils semblent avoir trouvé la bonne formule et le public est au taquet (en même temps, au Motoc, le public est quasiment TOUJOURS au taquet). On va être francs, on vient voir par curiosité à force d’en entendre parler et manifestement, on n’est pas la cible. C’est à la fois très cool et très étrange de voir tout ce monde-là s’éclater de façon aussi communicative, aussi bien sur scène que devant, tout en y restant totalement insensible. On est décidément « trop vieux pour ces conneries ».

Stick To Your Guns

Stick To Your Guns fait partie de ces groupes au succès certain mais difficiles à caser. Leur musique moshe comme du Hatebreed mais vire également souvent metalcore 90s quand ce n’est pas hardcore mélodique à la Ignite. On passe d’un breakdown hyper vénère à un passage en chant clair qui évoque les pires heures du myspace-core sans avoir le temps de se mouiller la nuque. Voilà le genre de formation qui fait toujours un carton en festival et va immanquablement déclencher son lot de sarabandes violentes sans qu’on ne retienne quoi que ce soit. Résultat des courses au moment de rédiger ce report : on se rappelle juste que le chanteur Jesse Garrett portait une casquette. Jaune. Ou rouge. Ou… Non, en fait, aucun souvenir.

Cave In

Vous le savez déjà et vous le pensez déjà si vous êtes fidèles lecteurs de new Noise (vous l’êtes, hein, déconnez pas !) : Cave In, c’est génial, ça l’a toujours été et ça le sera sûrement toujours. Point. Et la perspective d’enchaîner Cave In et Converge dans la même journée avec le bassiste Nate Newton en trait d’union des deux formations de Boston justifiait à elle seule le ticket d’entrée au Motoc. Si le concert commence très bien avec un son pachydermique et des riffs qui le sont tout autant, on déchante, c’est le cas de le dire, dès que Brodsky s’approche du micro. En fait, on n’entend clairement sa voix uniquement quand le batteur JR Conners et ses copains ne sont pas en train de tout fracasser. Et ce n’est pas le pire. D’accord, Heavy Pendulum, est très bon, mais aujourd’hui, ils ont décidé de ne jouer quasiment que des extraits de cet album, leur dernier en date. Ah si, on a droit à “Jupiter” quand même, ouf. Mais pas de “Trepanning”, de “Moral Eclipse” ou de “Big Riff”. Et un set de Cave In, aussi intense soit-il, sans aucune de ces chansons laisse forcément un goût d’inachevé. En même temps, étant donné qu’on n’entendait pas le chant…

Place à Rise Of The Northstar, soit la jonction parfaite entre Limp Bizkit, le hardcore bien lourdaud et la programmation japanime du Club Dorothée de notre enfance. Et, étrangement vu le concept, le groupe se prend très au sérieux. À moins que ça se joue à un niveau qui nous échappe, il n’y a pas plus de second degré chez Rise Of The Northstar que de subtilité dans leurs paroles en français. Le public du Motoc lui, il a compris le délire. Et ce qu’il reprend en chœur sans demander son reste, ce sont les onomatopées qui rythment les compos des Parisiens : “Boum !”, “Sa sa sa !”, “Wow wow !”… Comme dans tout bon shonen, l’essentiel réside dans les scènes d’action sans vrais dialogues. On pourra dire ce qu’on veut sur ROTN et même si le son laisse à désirer, l’énergie fuse, l’aspect visuel est soigné et les gens s’amusent comme des gamins. Beaucoup plus que les musiciens en fait qui, eux, n’ont pas l’air de rigoler du tout. Un concert de ROTN, c’est comme une fête un peu gênante où les organisateurs préfèrent rester en cuisine. Tant pis pour eux.

Converge

Voilà un moment qu’on n’avait pas vu Converge – non, leur formation Blood Moon en mode big band gothico/emo avec Chelsea Wolfe et Steven Brodsky ne compte pas. Et comment mieux lancer les hostilités qu’avec l’expéditif et culte “Concubine” ? Le son s’avère ultra-massif, Nate Newton pète toujours autant la forme et la voix de Bannon, une fois n’est pas coutume, répond présente. En moins d’une minute, on sait qu’on aura droit à un concert énorme. Le violent “Eagles Become Vultures” succède à l’épique “Dark Horse” avant que les quatre Bostoniens ralentissent le tempo et assomment tout le monde façon « Jesus Lizard et Neurosis sont dans un bateau, tout le monde tombe à l’eau », avec le grand “You Fail Me”. Étonnamment, en dehors de “Concubine”, Converge ne pioche pas du tout dans la pierre angulaire Jane Doe préférant, comme leurs potes de Cave In avant eux, jouer une carte super heavy rehaussée de quelques coups de butoir plus hardcore (“Axe to Fall”, “Eye of the Quarrel”). Bannon reste possédé tout le long du show, Ben Koller tape très fort et Kurt Ballou s’impose une nouvelle fois comme le guitar-hero ultime du hardcore chaotique. À l’image de l’imposant et puissant “Worms Will Feed” qui ferme la marche, Converge a tout cassé.

Biohazard

Bizarrement programmé sous l’une des tentes (mais tant mieux), Biohazard dans sa formation d’origine est l’un des événements de cette édition 2023 du Motocultor. Le groupe de Brooklyn qui a inventé son propre sous-genre, entre hardcore et groove metal (avec une pointe de hip-hop) et connu son heure de gloire dans les années 90 a fini par se reformer avec son bassiste chanteur Evan Seinfeld. Ce dernier avait en effet quitté le groupe en 2011 pour faire un détour dans le porno et le rap – le pire de ces deux choix de carrière n’étant malheureusement pas celui que vous croyez… Comme leur réputation s’est bâtie sur l’énergie qu’ils déployaient sur scène, on a initialement quelques doutes sur la capacité de ces though guys plus tout jeunes à enflammer le public comme autrefois. Des doutes balayés dès “Urban Discipline” qui garantit d’entrée que ça va méchamment chahuter. Les quatre New-yorkais sont en forme et si Billy Graziadei saute aujourd’hui moins haut et que Bobby Hambel tournoie moins vite, ils enterrent toujours la majorité des groupes ayant l’âge d’être leurs gosses. N’ayant que cinquante minutes devant eux, ils concentrent la setlist sur l’essentiel et le chapiteau s’enflamme un peu plus à chaque nouvel extrait de State of the World Address et Urban Discipline. “Shades of Grey”, “Punishment”, “Tales of the Hardside”, “Hold my Own” (« Move it ! ») : Biohazard nous sort son best of, Graziadei enjambe les barricades et Seinfeld est involontairement plus drôle lorsqu’il s’adresse au public que son homonyme de la sitcom du même nom (son cousin éloigné, d’ailleurs). Rien à dire, on n’aurait pas pu espérer mieux.

Après son show dantesque au Hellfest, difficile de voir Carpenter Brut sans écran géant aux images phantasmagoriques, défilé de guests et set de plus d’une heure. Mais c’était sans compter sur le public du Motocultor, toujours lui, qui, sous le chapiteau à cette heure tardive, est dans son immense majorité totalement déchiré et toujours aussi enthousiaste. Rien d’étonnant donc à ce que la synthwave musclée du Poitevin Frank Hueso rencontre ce soir un énorme succès. La partie est d’autant plus jouée d’avance qu’il privilégie logiquement les titres les plus rentre-dedans de son répertoire (“Straight Outta Hell”, “Leather Terror”…). Alors ça bouge, ça danse n’importe comment et ça braille comme jamais pour finir de célébrer ces quatre jours de bruit et de fureur. Évidemment, quand arrive l’inévitable reprise de “Maniac”, la tente explose dans un grand n’importe quoi régressif. À côté de nous, une jeune metalleuse exécute même avec frénésie et un talent certain la chorégraphie de Jennifer Beals dans le film Flashdance qui a rendu la chanson célèbre. S’il y a instant plus 100 % Motocultor que ça, on ne voit pas.

Pour rester sur cette bonne note, on préfère battre tout de suite en retraite et faire l’impasse sur les pirates rigolos d’Alestorm qui clôturent le fest avec leurs canards en plastique géants et leur power metal de marins d’eau douce…

Le bilan du festival s’avère donc dans l’ensemble très positif grâce à la proportion assez énorme d’excellents shows. Et on ne va pas se mentir, le côté bordel général sur-alcoolisé et les problèmes d’organisation contribuent à instaurer une ambiance survoltée qui rend le public et les concerts particulièrement intenses. Évidemment, ceux qui ont dû endurer le camping du fest et les files d’attente interminables ont peut-être un avis plus nuancé sur la question…

EDIT : Ce n’est qu’après la rédaction de ce report que sont ressortis tous les témoignages d’agressions sexuelles et de comportements intolérables de festivaliers au Motocultor. Il faut évidemment que les festivals en fassent bien plus et fassent bien mieux pour assurer la sécurité de toutes et tous (à noter tout de même la présence d’un stand de prévention bien en évidence et la mise en place de maraudes, ce qui n’a malheureusement pas suffi). Et même si nous n’avons été témoins d’aucune agression, ni même de comportement réellement problématique en dehors des habituels individus à la limite du coma éthylique, on ne minimise d’aucune façon  la gravité de ces faits insupportables qui sont le cancer de trop de festivals (certains ont croisé des énergumènes avec des patchs KPN ou des t-shirts Zemmour, on ne les a pas vus non plus).

Pour finir, en vrac :

-On a vu ou entendu (un peu) mais pas assez pour en parler : Eyehategod, Wardruna, Marduk

-On a vu ou entendu (trop) mais on ne veut pas en parler : Avatar, Epica, Bullet For My Valentine

-Top 3 des groupes qui avaient le son le plus énorme de tout le fest parce que la vie est injuste : Avatar, Epica, Bullet For My Valentine

-On n’a pas vu, il paraît que c’était bien, mais c’est la vie : Watain, Dying Fetus, Elder, The Exploited

-Et enfin, top 3 perso du fest : Scarlxrd, Biohazard, Converge