[Report] Hellfest 2023 (vendredi 16 juin)

(c) Ronan Thenadey

Vendredi 16 juin :

Concerts sans interruption de 11h à 16h30 pour ce second jour de festival. Et cette fière épopée commence donc dès potron-minet avec ce que la Bretagne a de meilleur à offrir (avec Fange, Hexecutor et les pâtisseries toutes plus beurrées et sarrazin-ées les unes que les autres) : Venefixion.  Si, de notre côté, on se remet encore d’une nuit un peu courte aux entournures, les Bretons, pour leur part, sont parfaitement réveillés, grimés, et motivés. Ils délivrent une performance solide en tous points, pas impressionnés une seule seconde par les dimensions de la scène et les quelques centaines de courageux, mi-chauds mi-hagards, venus les soutenir de bon matin. Le son est globalement très bon et le quintette fait évidemment la part belle aux morceaux tirés de son premier album (notamment « Of Wolves and Ghosts »), l’excellent A Sigh from Below, sorti en 2021, et qu’on ne peut que vous recommander. Nous sortons de cette première demi-heure de death metal gaillards et joviaux, et fonçons à la Valley. Celle-ci est d’ailleurs, désormais, située à l’exact opposé du site, plus ou moins en face de la Warzone. Et outre le fait qu’une tente nous semblait tout de même plus cohérente avec les styles musicaux opérant généralement sur la Valley, on ne peut s’empêcher de préciser que trône désormais, en lieu et place de ce lieu où nous avons tant de souvenirs exceptionnels, un ÉNORME (croyez-nous, le caps lock est de rigueur) temple entièrement dédié au merch’ officiel du festival. Comprenons-nous bien : ce choix de relocalisation de la Valley s’entend sur le plan de l’organisation des circulations sur site, et du besoin de proposer davantage d’espace sur cette scène alors que le festival nous semble, plus que jamais, blindé comme un œuf – surtout le samedi -, mais la nostalgie, sentiment puissant s’il en est, nous conduit à avoir du mal à approuver pleinement ce choix. S’agissant ensuite de l’atterrissage de cette espèce de temple gréco-romain démoniaque grand guignol à la place, il faut rappeler que le Hellfest n’est pas une œuvre de bienfaisance et qu’il lui est parfaitement loisible de générer un maximum de piastres avec son image durement forgée : qu’on le veuille ou non, la « marque Hellfest » est au centre de la stratégie du festival depuis de nombreuses années, et c’est un choix plus que payant sur le plan commercial. Seulement, on aurait vraiment apprécié que le merch’ « artistes » et l’Extrem Market profitent également de cette impressionnante upgrade. Or, si le merch’ artistes a enfin été désenclavé de la droite des Mainstages où il croupissait depuis des années, il demeure limité à une petite tente surchauffée à la limite du supportable, et bordélique à souhait. Quand on voit ce que des festivals beaucoup plus modestes (au hasard le Roadburn) arrivent à proposer en termes d’espaces merch’ artistes, on se dit que le Hellfest peut vraiment se permettre de mieux faire.

Mais passons donc, puisque nous arrivons à la néo-Valley pile à temps pour voir les Danois de LLNN commencer leur set. Il s’agit d’un groupe assez singulier, dont on pourrait grossièrement résumer la musique comme une sorte de post-metal mi-cinématographique mi-apocalyptique, lourdement influencé par Meshuggah au niveau des guitares, et nourri aux musiques électroniques / ambient, le synthétiseur étant essentiel dans les paysages sonores dévastés qu’il construit. Un groupe qui avait donc toute sa place à la Valley, et loin d’être une équipe de débutants, LLNN ayant déjà sorti quatre albums chez Pelagic Records. Particulièrement motivé et jouasse d’être là, le quatuor danois, pourtant amputé de son chanteur / guitariste Christian Bonnesen (NdR : on n’a pas trop cherché à savoir pourquoi, tant il est brillamment remplacé par Victor Kaas, intenable frontman d’Eyes, qu’on verra le lendemain, les deux groupes partageant d’ailleurs un membre en la personne de Rasmus Furbo), séduit sans trop de difficulté un public déjà nombreux, avec une setlist quasi intégralement dédiée au dernier né de leur discographie, Unmaker (« Imperial », « Desecrator » ou encore « Division »). Solide, et à revoir en salle (ça tombe bien, ils tournent en Europe cet automne). Il s’agit désormais de repartir à grandes enjambées à l’Altar, afin de ne pas louper Candy, puis de repartir à la Valley pour Helms Alee (le cardio est réel !), avant de s’en retourner sur nos pas, à l’Altar toujours, pour nous faire nostromiser par le groupe grindcore/mathcore qui représente le moins bien la pourtant légendaire neutralité suisse, Nostromo : leur prestation à Paris à Petit Bain nous avait régalés il y a quelques mois, mais force est de reconnaitre que leur puissance de feu homérique sied parfaitement bien aux grandes tentes en open air et aux horaires pas trop avancés, le public, présent en grand nombre, se montrant très motivé. On ne sera pas déçus, puisque le groupe, en forme olympique et doté d’un son impeccable, déclenche l’émeute en quelques mesures, et que le niveau d’énergie déployée pendant quarante minutes ne baissera quasiment jamais. Enchainant tube sur tube, Nostromo entraîne l’Altar dans une gigue éreintante mais libératrice, entre extraits d’Argue (notamment « Selfish Blues »), d’Ecce Lex (« Rude Awakening » bien sûr) et de Bucéphale, avec entre autres l’intouchable triumvirat « Ship of Fools », « IED » et surtout « In Praise of Betrayal ».

Place ensuite au set d’un des groupes les plus destructeurs et désespérants qu’il soit possible de voir lors de cette édition : Primitive Man. Soyons honnêtes : si le trio doom/sludge de Portland offre une performance aussi massive et dévastatrice qu’à son habitude, c’est aussi, pour le coup, le genre de groupe qui paye cash la relocalisation de la Valley, tant il se prête ultra mal à un concert en plein soleil, devant un public heureux et pompette : ainsi exposée au grand jour, leur pachydermique dépression ambulante faite musique perd un peu trop de son impact pour nous hypnotiser totalement, et l’organe vocal, pourtant toujours aussi décapant, du colosse Ethan Lee MacCarthy, ne suffit pas à nous secouer autant qu’à l’accoutumée. Bref, pas le meilleur concert qu’on ait vu du groupe, mais difficile de leur coller ça sur les épaules, ils sont juste victimes d’un combo horaire / météo / scène inadapté. On vous prie donc de nous croire sur parole quand on vous affirme que Primitive Man est un groupe à voir en petite salle, un soir de novembre ou de février, bien froid, humide et déprimant (miam !).

Full Of Hell (c) Ronan Thenadey

Pas le temps de niaiser, on s’en retourne ensuite dare-dare à l’Altar pour assister à l’un de nos highlights du jour voire du festival, un monument de violence étant sur le point de s’abattre sur cette tente qui en a pourtant déjà vu passer un sacré rayon. Mais Full Of Hell, c’est définitivement le niveau d’au-dessus en termes d’intensité et de folie destructrice. Pourtant Spencer Hazard (guitare, également membre des excellentes Eye Flys) est absent. On ne saura pas pourquoi, mais l’essentiel est que son remplaçant à la six-cordes, qu’on ne parvient pas à identifier, assurera fort bien le coup. Par contre, le reste du quatuor est bien présent, notamment un Dylan Walker furieusement intense : se livrant totalement à ses machines et à ses vocaux monstrueux de puissance et de variété, arpentant la scène tel un dément, il se montre, en outre, plus communicatif qu’à l’accoutumée entre les morceaux. Bref, il réalise, vocalement, techniquement et physiquement, une performance d’une rare maîtrise. Quel frontman olympique. Dans l’ensemble, Full Of Hell donne ici l’un des tout meilleurs concerts qu’on l’ait vu donner, avec un son excellent, ce qui est heureux vu l’intensité presque sans égale de leur amalgame grindcore / harsh noise / black / death metal, et une setlist principalement axée sur ses sorties plutôt récentes : Garden of Burning Apparitions (notamment le très noisecore « Reeking Tunnels »), Trumpeting Ectsasy (les terrifiants « Crawling Back to God » et « Gnawed Flesh ») et l’EP Amber Mote in the Black Vault, ce qui nous convient parfaitement tant on trouve que le groupe a progressé en termes de composition depuis le dernier cité, s’ouvrant à davantage d’influences, pour un résultat qui fait tout simplement d’eux l’un des meilleurs groupes de musiques extrêmes en activité.

À peine le temps de se remettre de la rude claque subie qu’on se dirige à nouveau, les oreilles tintinnabulantes, vers la Valley, pour planter le clou final dans le cercueil de notre premier marathon du week-end. Et qui de mieux dans le rôle du fossoyeur que l’hydre doom muette ultime, Saint-Riffin en personne, Bongripper. Franchement, ce groupe mérite tellement plus de crédit, mais il est sans doute desservi par l’absence de chant (fait rare dans la scène doom / sludge), par ses choix artistiques tranchés (d’énormes pièces de quinze à trente minutes, totalement instrumentales), et peut-être aussi par une promotion et une distribution assez mauvaises, notamment sur support physique. Mais quelle puissance de feu, quel sens de la composition ! Et même si on regrettera, cet après-midi, l’absence d’extrait du monumental Miserable, on est en revanche plus que jouasse d’entendre le bien nommé « Slow », issu de leur dernier long-format en date, Terminal. D’autant que le son est exceptionnel, d’une lourdeur et d’une pureté royales. Seulement, avec un créneau de trois-quarts d’heure, on doit se contenter de deux morceaux, et on a à peine le temps de s’échauffer la nuque que la messe est déjà dite. On en ressort tout de même repus de doom et hébétés de riffs, comme il se doit. Et curieusement, les concernant, le passage Valley -> Néo Valley ne nous a pas semblé trop douloureux, c’est dire s’ils sont bons.

Bongripper (c) Ronan Thenadey

Après une pause salutaire, nous voici de retour à la Valley pour voir un autre régulier des open air européens estivaux : les inénarrables vétérans de la scène stoner/doom de Weedeater. On les trouve presque étonnamment en forme, et sommes soulagés de constater que Dixie Collins est toujours debout malgré tout le bourbon qu’il s’envoie dans le foie depuis des décennies – il en sifflera d’ailleurs encore une bonne demi-bouteille en trois quarts d’heure. Une mini-déception tout de même : on avait complètement oublié que T-Boogie Owens, ancien batteur du groupe, et qui était franchement un show à lui tout seul, avait quitté l’aventure il y a déjà six ans, remplacé par le nettement plus sobre Ramzi Ateyeh (Sourvein, Buzzov-en). Fini donc les jongleries avec les baguettes et les coups de pompes sur la charley. Par contre, on a toujours le droit aux mimiques impayables et aux doigts d’honneur de Dixie, à la tranquillité débonnaire de Dave Sheperd, et surtout, aux bons vieux tubes stoner / doom des familles de Caroline du Nord, « God Luck and Good Speed », « Jason… The Dragon », « Weed Monkey » et autres « Hammerhandle » en tête. Bref, égal à lui-même, Weedeater reste une valeur sûre, un trio efficace et drôle en concert, et on ne peut que constater que pour un groupe qui n’a grosso modo rien branlé depuis 2015, leur cote d’amour auprès des doomsters en manque de gros riffs enfumés demeure parfaitement intacte. On ne serait pas contre un nouvel album ceci dit.

On rejoint ensuite la Temple pour la première fois du festival, pile à l’heure pour le set des Norvégiens de 1349. La Temple est bien garnie, Satan rôde probablement dans les coins sombres, déguisé en nonne, et Frost (Satyricon, entre autres) et Archaon entrent alors en scène torches en main, et crachent un bon coup de feu pour lancer les hostilités – ce qui, l’un dans l’autre, est plutôt mieux que de se faire jeter des seaux de sang de porc à la face, à la Watain. Le reste du groupe leur emboîte le pas, avant d’entamer ce qui sera globalement une heure de pure violence, tempérée par quelques morceaux plus calmes, aux atmosphères moins frontalement belliqueuses. On vous le dit comme on le pense : une heure de black metal en concert, ça peut vite sembler très long, sauf lorsque des groupes exceptionnels type Mayhem, Marduk, Der Weg Einer Freiheit et quelques autres, sont à la manœuvre. Fort heureusement, ça ne sera pas trop le cas ici : d’une part parce que le son est plutôt bon, ce qui est toujours une gageure avec ce genre, et d’autre part, parce que 1349 peut compter sur un Ravn plutôt charismatique pour tenir la Temple en éveil, les blast beats se chargeant du reste. La setlist est principalement axée sur le dernier album des natifs d’Oslo, The Infernal Pathway, loin d’être notre préféré, mais, loué soit le cornu, Massive Cauldron of Chaos et Hellfire sont également fort bien représentés, ce qui est déjà plus à notre goût (« Cauldron », « Slaves », le tube « I Am Abomination » ou encore « Sculptor of Flesh »). Bref, l’heure se passe plutôt agréablement, et on en ressort satisfaits, voire repus de violence.

Tant et si bien que l’on s’offre une bonne grosse pause bien méritée et salutaire, car il reste encore deux morceaux de choix à s’envoyer en ce vendredi soir. Le premier, pour changer à l’Altar, où l’on a plaisir à retrouver, deux heures plus tard que prévu du fait de l’annulation de Suffocation, les darons suédois de Bloodbath. Pour celles et ceux qui auraient dormi pendant les trente dernières années, rappelons à toutes fins utiles que Bloodbath est un peu le side project OSDM de tout ce que la Suède – mais pas que, le groupe étant mené depuis bientôt dix ans par Nick Holmes de Paradise Lost – compte ou a compté de musiciens metal un peu référencés. Mikael Akerfeldt, Dan Swano, Peter Tagtgren, Martin Axenrot, Jonas Renkse, et bien d’autres, y ont tenu, ou y tiennent encore, un micro ou un instrument généralement utilisé pour faire du barouf. Le groupe continue d’ailleurs à sortir des albums régulièrement, et même si l’on doit bien admettre qu’on ne les écoute que d’une oreille distraite et qu’on les trouve souvent assez random, notamment les deux derniers, on est toujours contents de savoir que quoi qu’il arrive, Bloodbath jouera « Eaten », plus quelques autres tubes swedeath de ses deux premiers albums, et qu’on sera bien contents avec ça. Et c’est, ma foi, exactement ce qui se passe, à ceci près qu’on trouve le son infiniment meilleur que lors de leur précédente prestation au Hellfest, ce qui est toujours bon à prendre. Mais clairement, le groupe sait pourquoi les gens viennent le voir, et fait la part belle à Resurrection Through Carnage et Nightmares Made Flesh, délivrant donc, en totale détente et avec toute la bonhommie qui sied à leur niveau d’expérience, une solide performance, dont on ne verra cependant pas la fin, car c’est l’Heure.

L’Heure de s’en retourner une nouvelle fois à la Valley, pour y assister à rien de moins qu’un de nos concerts les plus attendus, tous Hellfest confondus. Sauf erreur de notre part, Botch n’a tourné qu’une seule fois en France avant son split (NdLR : non, deux fois) , et c’était en 1999 (même Zoltar, Bhaine et Drago étaient jeunes alors, c’est dire si on parle là d’un Age quasi mythologique). Près de vingt-quatre ans d’absence donc, le groupe ayant splitté en 2002, non sans avoir préalablement offert au petit monde du mathcore/hardcore chaotique, encore jeune à l’époque (lui aussi), trois de ses plus grands disques : American Nervoso, We Are the Romans et l’EP An Anthology of Dead Ends (plus la compilation de ses deux premiers EP, Unifying Themes Redux). Ce n’est donc rien de moins qu’un incroyable événement qui se tient ce soir à la Valley, et accessoirement, d’ailleurs Dave Verellen (chant) le dira lui-même pendant le set, le plus gros concert de l’histoire de Botch, eux qui étaient habituellement cantonnés aux clubs et autres petites salles de par la nature même de leur musique, accidentée et plutôt difficile d’accès. Alors, bien sûr, on pouvait craindre que, saisis par l’ampleur de l’événement, l’émotion, ou tout simplement l’implacable poigne du temps passé loin de leur art, tout ou partie des membres de Botch ne soit pas à la hauteur. On le leur aurait aisément pardonné. Seulement, avant ce passage éclair en Europe (trois dates seulement, avant quelques autres au Japon, puis chez eux, à l’automne prochain), les Américains ont donné plusieurs concerts aux États-Unis et ont surtout dû répéter comme des sagouins car, en toute objectivité, ils se sont montrés parfaitement à la hauteur de l’événement, et bien plus encore. Dotés d’un son absolument parfait et d’une justesse technique intouchable, les quatre membres de Botch ont terrassé le Hellfest, et on ne peut qu’applaudir et remercier messieurs Tim Lattona, batteur / claviériste en lévitation pendant le concert, Dave Knudson, en maîtrise totale à la guitare, l’inévitable Brian Cook (Russian Circles, Sumac, These Arms Are Snakes), hyper à l’aise à la basse évidemment, mais aussi aux backing vocaux (voire seul au chant sur le magnifique « Afghamistam », aka « la chiale »), et un Dave Verellen certes un peu débonnaire car bedonnant et moustachu, mais parfaitement en voix et hyper à l’aise dans sa communication avec le public. Bien entendu, la setlist est parfaite, n’oubliant aucun des plus grands morceaux du groupe : Anthology est joué en entier (« Framce » bordel !) à l’exception de « Micaragua », et presque tous les bangers issus de AmericanNervoso et de We Are the Romans sont de la partie : de « To Our Friends in the Great White North » à « Mondrian Is a Liar » et « Transitions from Persona to Object », en passant par « Thank God for the Worker Bees », « Saint Matthew Returns to the Womb » ou encore « C. Thomas Howell as the « Soul Man » », tous ces morceaux d’histoire du mathcore sont exécutés à la perfection par les quatre darons, absolument ravis d’être ici – et assez royalement payés pour l’être à ce qu’on a compris, ce qui nous laisse à penser qu’on n’est pas forcément près de les revoir de sitôt, le groupe risquant désormais de demander un bon gros chèque à chaque concert. N’oublions pas non plus de citer le bon petit tube « One Twenty Two », single sorti courant 2022 à l’appui de la réédition de We Are the Romans, et qui nous laisse le fol espoir que Botch se remette à écrire. Certes, ils ont clairement dit l’an dernier que ce ne serait pas le cas, mais ils avaient aussi dit qu’ils demeureraient inactifs : résultat, un an plus tard, ils ont donné un bon petit paquet de concerts et vont continuer à l’automne. Personne, et sans doute pas le groupe lui-même d’ailleurs, ne sait où tout cela pourrait nous mener, mais toujours est-il qu’on ne peut que s’estimer chanceux et privilégiés d’avoir assisté à un pareil concert. Sans doute l’une des meilleures performances qu’il nous ait été donné de voir, tous Hellfest confondus (et à titre personnel, on s’en est quand même mangés quinze), et une manière absolument parfaite de clore ce vendredi de très belle facture. (Romain Lefèvre)

Candy (c) Ronan Thenadey

Petite surprise en voyant débarquer Candy sur l’Altar à l’heure du déjeuner : un seul guitariste sur scène et pas deux. En plus, c’est Michael Quick qui manque à l’appel, lui qui est également en charge des machines et de tout l’aspect indus/noise qui fait l’identité du groupe. C’est donc en version quartet à l’économie que les Américains livrent une trentaine de minutes de hardcore holy terror teinté de power violence et de death metal. Forcément, vu la configuration, le premier album est mis à l’honneur et Zak Quiram au micro met toute son énergie pour occuper l’espace pendant que ses trois comparses restent hyper concentrés pour ne pas se planter. C’est solide mais on a la certitude de ne pas avoir vu Candy à son plein potentiel. Décidément, ce groupe est né sous le signe de la poisse et quelque chose les empêchera toujours de percer…

Si les groupes torturés passent mal sur la Valley en plein après-midi, ce n’est pas le cas du trio de Seattle Helms Alee et son sludge/post-rock/grunge tranquille. Durant l’intégralité de leur concert tout en bonhommie, on se laisse porter par la massivité peinarde des riffs de Ben Verellen et Dana James. Ils ont l’air même très contents d’être là (la batteuse Hozoji Matheson a du mal à s’empêcher d’afficher un immense sourire lorsqu’elle regarde le public déjà très nombreux) et les trois voix amènent assez de variété et de variations pour qu’on résiste à l’appel de la sieste digestive. Et puis, dans un coin de la tête, on n’oublie pas que ce soir, c’est un autre Verellen (son frère) qu’on espère voir mettre le feu à cette même scène avec Botch.

R.A.S. pour Nostromo sur l’Altar avec un concert forcément moins intense et émouvant que lors de leur retour surprise il y a quelques années. Mais entendre « Epitomize » ou « Sunset Motel » exécutés avec une précision d’orfèvre ainsi qu’une palanquée de nouveaux morceaux, ça laisse sans surprise une bonne grosse marque de baffe sur le coin de la joue. Et comme le metal extrême se fait très rare cette année au Hellfest, quand on vous offre du chocolat suisse de grande qualité, vous prenez et vous dites merci.

Nostromo (c) Ronan Thenadey

N’ayant pas été convaincu par les disques de Greg Puciato, c’est surtout le souvenir de la prestation de l’ex-chanteur de The Dillinger Escape Plan avec Jerry Cantrell l’année dernière qui pousse à aller faire un tour du côté de la Valley pour voir de quoi il retourne. En espérant qu’il jouera autre chose que des extraits de sa discographie solo. Alors, oui, il joue effectivement deux reprises, une de TDEP (« One of Us Is a Killer ») et une d’Alice in Chains (“Them Bones”), mais tout le reste est bel et bien tiré des très moyens Child Soldier et Mirrorcell. Pire, le groupe qui l’accompagne (dont Nicholas Sadler de Daughters à la guitare) n’est ni concerné, ni très au point et le fabuleux frontman qu’est Puciato a l’air complètement à côté de la plaque. Forcé d’annuler quelques semaines auparavant plusieurs dates européennes pour cause d’urgences personnelles, il n’était visiblement pas au meilleur de sa forme et ça s’est vu. Dommage.

C’est une curiosité presque morbide qui motive à aller voir au moins une partie du concert de Machine Gun Kelly, rappeur converti punk-pop-rockeur à qui il est promis une réception haineuse sur la Main Stage 1. Sans être trop hostile, l’accueil est effectivement assez glacial, ce qui est plutôt rare au Hellfest. C’est en partie injuste parce que son show reste très pro et sa prestation sans tache, même s’il pourrait se passer de ses ballades emo-rap lorsqu’il est booké sur un festival à dominante metal. Pour la partie plus rock, rien que du très générique, sa tenue punk a tout du déguisement propret fait sur mesure et tout cela reste d’un intérêt assez discutable. Mais c’est finalement moins gênant et plus vivant que ce que proposent certaines vieilles gloires obligées de rester scotchées devant leur prompteur (Billy Idol, oui c’est toi qui es visé…).

Botch (c) Ronan Thenadey

Un groupe qui se reforme après de longues années d’absence suscite toujours son lot d’appréhensions. Surtout lorsqu’il s’agit d’un de vos préférés, que vous vous en voulez encore de ne pas l’avoir vu en concert à l’époque alors qu’il figure dans votre top 3 de tous les temps depuis son EP John Birch Conspiracy Theory, et qu’il a disparu pendant plus de vingt ans. En plus, le mathcore  imprévisible de Botch s’appuie beaucoup sur une forme de fureur juvénile qui appartient forcément au passé… Allez, c’est plié, ce sera nul, ce sera triste, ça va être décevant au possible, ils n’auraient jamais dû remettre le couvert, je veux rentrer chez moi… et… il faut trois secondes et les premières notes de « To Our Friends in the Great White North » pour que les quatre de Seattle déjouent les pronostics les plus pessimistes. En même temps, ils n’ont jamais perdu la main puisqu’en dehors de l’extraordinaire batteur Tim Lakota (mais tu étais où, toi ?), aucun d’eux n’a vraiment arrêté (que ce soit avec Minus The Bear, Narrows, Russian Circles…). Et ce qu’ils ont perdu en agilité physique, ils l’ont gagné en précision technique et en professionnalisme. Jouant les deux tiers du monument We Are the Romans (dont le récent inédit « One Twenty Two », composition destinée à un album solo du guitariste Dave Knudson mais finalement botchisée), la quasi-intégralité de l’EP posthume Anthology of Dead Ends et les meilleurs titres d’American Nervoso (« John Woo », « Oma »…), c’est mieux que parfait, c’est grandiose et tous les quatre sont extraordinaires. Le moustachu Verellen domine son sujet, aussi bien vocalement que scéniquement. Lakota est impeccable et surprend même en jouant la partie de piano du mélancolique « Afghamistam ». De leur côté, le bassiste Brian Cook  semble jouer avec une facilité déconcertante et Dave Knudson à la guitare, n’est que classe et talent incarnés. Impossible de mettre en exergue un passage en particulier ou un moment plus fort qu’un autre même si « Transitions from Persona to Objects » est particulièrement marquant avec un Knudson qui finit par lâcher son instrument pour triturer tous les potards de ses pédales d’effet. Sans oublier le combo final des deux tubes « C. Thomas Howel » et « Saint Matthew Returns… ».  Et l’explosion dingue quand démarre « Thanks God for the Worker Bees » et puis… et puis… tout. Tout était perfection. Tout était démonstration. Tout était émotion. Mon point de vue est évidemment 100 % subjectif et personnel, mais il s’agit là du meilleur concert vu au Hellfest depuis celui de Refused en 2012. Rien que ça. (Bhaine)

Huit ans après la parution d’Instinctus Bestialis, leur dernier album studio en date, Gorgoroth, peut-être le plus tumultueux des groupes black metal norvégiens majeurs encore en activité – outre les multiples condamnations de certains de ses membres et ex-membres, on se rappelle encore du procès ayant opposé l’ancien chanteur Gaahl et l’ancien bassiste King Ov Hell au guitariste fondateur Infernus il y a quelques années dans le but d’exclure ce dernier de son propre groupe ! – se présente sur la scène du Hellfest avec sa désormais bien rodée formation live emmenée par le chanteur Hoest de Taake. Pas de quartier, le set déménage à plein régime autour des classiques « Katharinas Bortgang » « Ødeleggelse og undergang » ou « Blood Stains the Circle ». Pas de chichis non plus chez Gorgoroth, avec un Infernus toujours aussi peu loquace. Les parties plus mid-tempo et déliées de « Forces of Satan Storm » permettent néanmoins d’entretenir la dimension épique d’une formation culte qui ne fait aucune concession à la trve attitude que tous les fans présents sont bien entendu venus apprécier en priorité.

En matière de black metal, rien pourtant ne peut prétendre être plus vrai, sur un plan historique, que les vétérans de Venom Inc. La version du groupe drivée par le guitariste Mantas et le bassiste/chanteur Tony « Demolition Man » Dolan – puisque le Venom officiel et son nom restent l’apanage du bassiste/chanteur Cronos – le démontre sans coup férir avec le heavy metal ultra boosté et bien old school d’une setlist aux allures de best of. De « Countess Bathory » à « Buried Alive », de « Welcome To Hell » à « Sons of Satan », la formation de Newcastle laisse pour le coup très peu de place aux morceaux tirés de ses deux albums propres, à la différence de ses concerts habituels. Seul le pourtant efficace « There’s Only Black » perce en effet l’opercule. Une manière de marquer des points sans doute dans le duel à distance permanent avec le frère ennemi.

La Warzone, c’est aussi l’occasion de se frotter au charivari musicalement bigarré qui trouve grâce en ces lieux. L’idéal donc pour profiter du set aux humeurs tziganes hardcore enlevées des New-Yorkais de Gogol Bordello. Le gypsy punk du charismatique Eugene Hütz ne s’économise en tout cas pas une seconde durant un set endiablé, marqué par les arabesques dansantes du violoniste Sergej Rjabcev et de la jeune accordéoniste remplaçant l’habituel Pasha Newmer. Avec plus de la moitié de ses membres originaires d’Europe de l’Est, le soutien affiché à l’Ukraine, immense drapeau à l’appui, ne souffre lui non plus d’aucune ambiguïté, tout comme la générosité communicative de leur musique, mêlant musique klezmer, punk clashien et rock psychédélique. On se serait juste passé des quelques mesures musicales en référence à Manu Chao, mais on se dit que vu de l’étranger, on doit effectivement se souvenir avec plus d’indulgence des bonnes pages de l’ancien Mano Negra.  (Laurent Catala)

En ce début d’après-midi, on quitte la Valley et l’excellent set de Helms Alee pour se rendre à la Warzone assister à la performance de Komintern Sect. Le groupe culte orléanais monte sur scène face à une audience composée en grande partie de fans investis n’hésitant pas à reprendre à pleins poumons ses hymnes oï à l’indéniable efficacité. Piochant dans tous ses albums et EP, les classiques des années 80 mais aussi les plus récents sortis depuis sa reformation de 2014, Komintern Sect délivre un show énergique et sans temps mort. Fédératrice en diable, la oï du groupe gagne en ampleur et en intensité en live, emportant l’adhésion du plus grand nombre au son de « Tous ensemble », « Comme un chien », « Que restera-t-il de toi ? », « Dans les tribunes » ou encore « Unis par le vin ». Le set se clôt sur une reprise de Camera Silens, « Pour la gloire », et on ressort convaincus par cette prestation solide saluée par un public conquis.

Nouvelle sensation australienne qui commence à sérieusement faire parler d’elle depuis quelques années, The Chats investit en milieu d’après-midi une Warzone qui l’attend visiblement de pied ferme. Power trio adoubé par Josh Homme et Iggy Pop (le groupe a ouvert pour l’iguane et Queens Of The Stone Age lors de leur dernière tournée respective), la formation des antipodes envoie un punk rock fleurant bon les 80s, exécuté pied au plancher et avec un bon gros côté garage/lo-fi assez savoureux. Pas de temps à perdre : The Chats enchaîne avec précision et bonne humeur ses titres courts et percutants à une vitesse grand V, tant et si bien que la setlist approche la vingtaine de morceaux pour un show de quarante minutes. Le public, enthousiaste, ne cache pas son plaisir et réserve un accueil chaleureux à chaque titre avec pour résultat un joyeux foutoir au sein d’un pit où beaucoup se dodelinent avec bonheur. Interprétés avec une énergie juvénile communicative par une formation soudée et jouant serré, les morceaux filent tout droit à l’essentiel faisant du set un modèle d’efficacité et de concision.

Skid Row (c) Ronan Thenadey

Revenu au top de sa forme avec l’arrivée l’an dernier du nouveau chanteur Erik Grönwall et la sortie de son meilleur album depuis le trop mésestimé Subhuman Race (1995), Skid Row confirme sur la Main Stage 1 son excellente santé en nous servant son sleaze rock irrésistible avec une envie d’en découdre qui fait plaisir à voir. Set de festival oblige, le quintette nous offre un show exclusivement constitué de morceaux extraits de ses deux premiers albums (à l’exception toutefois de la chanson-titre de son dernier LP en date, The Gang’s All Here). Le groupe ouvre les hostilités par un « Slave To the Grind » envoyé avec une énergie ébouriffante, prouvant que Grönwall est un frontman de premier ordre et que Skid Row a enfin trouvé un digne successeur à Sebastian Bach. L’usine à tubes tourne à plein régime avec les classiques « 18 and Life », « Big Guns », « Monkey Business », « I Remember You » et bien sûr « Youth Gone Wild », tous interprétés avec conviction et implication. Face à un tel enchaînement de morceaux imparables, le public répond comme un seul homme, donnant de la voix sur chaque refrain, célébrant un groupe revenu de loin et qui ici mérite pleinement l’accueil qui lui est réservé. On quitte Skid Row comblé par une des meilleures prestations vues ce vendredi.

Retour à la Warzone pleine comme un oeuf où Less Than Jake monte sur scène au son de la Marche impériale de Star Wars pour un show bondissant. Leur punk cuivré reste toujours aussi survitaminé et les Floridiens ont le bon sens d’aller piocher majoritairement des titres au sein des albums les plus réputés de leur discographie, Hello Rockview, Borders and Boundaries et Anthem. Très énergique et communicatif avec le public, le groupe offre un spectacle enthousiasmant et rafraîchissant, arpentant la scène de long en large au son de « Gainesville Rock City », « Johnny Quest Thinks We’re Sellouts », « All My Best Friends Are Metalheads » et « Look What Happened ». L’alternance du chant entre le guitariste Chris Demakes et le bassiste Roger Lima fonctionne à merveille, l’ambiance est festive et seul le reggae-rock « The Science of Selling Yourself Short » permet de faire baisser la pression aux deux-tiers du set. On est tellement emballés par la prestation que cette dernière nous semble passer à toute allure…

Changement de scène et de genre puisqu’on quitte la Warzone et Less Than Jake pour aussitôt enchaîner sans transition avec le show de Greg Puciato à la Valley. Exit le ska punk et place désormais au style beaucoup plus iconoclaste de l’ex-frontman de Dillinger Escape Plan où se mêlent et se téléscopent alt-rock, indus, electro rock, noise metal et grunge pour un rendu final déjà très réussi sur disque et qui passe facilement l’épreuve du live. Les nombreuses qualités vocales du chanteur ne sont plus à démontrer depuis bien longtemps, mais c’est véritablement sur scène que ses performances impressionnent le plus, Puciato faisant preuve d’une versatilité qui fascine, s’adaptant au registre de chaque titre, passant de la douceur à la véhémence avec une aisance peu commune. Il n’y a cependant pas foule pour venir juger sur pièce de sa prestation, mais le public ayant répondu présent accueille avec bienveillance une setlist éclectique, bien exécutée et bien équilibrée. En plus de morceaux issus de ses deux albums solo, Puciato nous gratifie d’une excellente reprise du « Them Bones » d’Alice In Chains et d’une autre du « One of Us Is the Killer » de TDEP. Intense et chargée en émotion, la performance de Puciato se révèle au final très convaincante et reste l’une de celles que l’on retiendra de cette journée.

Anticipant une affluence conséquente, on arrive en avance à la Warzone afin de se positionner au mieux pour le show de Rancid. Et effectivement, quand le groupe investit les lieux c’est face à un public venu en nombre se délecter du punk rock à haute teneur tubesque des gloires californiennes. Peu expansif et plutôt avare en échange avec le public présent, le groupe va jouer la carte de l’efficacité maximale avec un set majoritairement axé sur des titres de Let’s Go et And Out Come the Wolves. C’est à un véritable best of auquel nous avons droit avec les irrésistibles « Roots Radicals », « Maxwell Murder », « The 11th Hour », « Radio », « Ruby Soho », « Tenderloin », « Timebomb », « Old Friend », « Olympia WA »… On pourra citer ici quasiment toute la setlist tant Rancid enchaîne hit sur hit. Le groupe fait ce soir l’impasse sur certains de ses albums (on regrette toujours que ne soient pas visités Life Won’t Wait et le sans-titre de 2000) et propose un seul extrait de son premier LP (« Rejected »), d’Indestructible (« Fall Back Down »), de Let the Dominoes Fall (« East Bay Night ») et de Trouble Maker (« Ghost of a Chance »). On l’avait constaté à la découverte du dernier album en date, Tim Armstrong a retrouvé une certaine forme vocale et se fait plus intelligible, chantant de nouveau plus qu’il ne marmonne. De son côté, Lars Frederiksen continue d’assurer et maîtrise son affaire, aussi bien à la guitare que derrière le micro. Enfin on salue une fois encore la formidable performance de Matt Freeman, bassiste impeccable dont le jeu galopant booste chaque titre. Au final un show calibré et sans réelle surprise, mais totalement enthousiasmant, prouvant une fois de plus que dans sa catégorie, Rancid fait partie des ténors. (Bertrand Pinsac)

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