[Report] Hellfest 2023 (jeudi 15 juin)

Code Orange (c) Ronan Thenadey

Après la double édition pharaonique de 2022 (362 groupes sur sept jours), le Hellfest revient à sa formule « simple », avec toutefois une quatrième journée en plus, un peu moins chargée, celle du jeudi. Encore une fois, le public a répondu présent puisque les billets se sont écoulés en quelques heures. Et une grande partie de ces festivaliers ne craint pas de faire la queue des heures durant devant les portes du « Sanctuary », temple tout dédié au merchandising Hellfest, l’une des nouveautés de cette édition 2023.  Mais parlons plutôt de ce qui a priori vous intéresse le plus, la musique…

Jeudi 15 juin :

C’est Code Orange qui lance les hostilités en Main Stage 2. Non seulement une partie du public est toujours bloquée aux portes du festival, mais en plus, il leur manque un guitariste. Un problème d’absentéisme qui sera assez récurrent durant tout le week-end. Que se passe-t-il ? Le rock’n’roll est-il devenu l’éducation nationale ? Ce qui n’empêche pas les anciens hardcoreux ayant viré un peu trop « neo metal/indus pour les nuls » de démarrer pied au plancher avec un de leurs deux derniers singles. Et il faut reconnaître que lorsqu’ils puisent dans leur ancien catalogue des morceaux qu’ils interprètent tout en arrogance poseuse, on a droit à du lourd. Dommage que la setlist soit très mal équilibrée avec beaucoup trop de titres plus calmes, gâchés qui plus est par quelques problèmes de son. Pas une catastrophe non plus (à part sur l’affreux « Out for Blood… »), mais qu’ils sont loin, aujourd’hui, les Code Orange Kids…  À noter que depuis que Jami Morgan a lâché la batterie pour devenir frontman, il est remplacé par Max Portnoy (Tallah), fils de Mike Portnoy de Dream Theater, derrière les fûts. Bordel, on est vieux.

Vainqueurs du tremplin organisé par le Hellfest, les Kamizol-K ont l’honneur de jouer devant un public bien garni à la Warzone et ne se laissent pas démonter. Entre metalcore passe-partout et hardcore rentre-dedans, on a du mal à bien les situer, mais le double chant féminin/masculin apporte beaucoup de tonus à des compos très… convenues. Le groupe se dépense beaucoup, il s’agit de toute évidence du plus gros concert qu’il a jamais donné et même si, scéniquement, ce n’est pas tout à fait au point (le trac ne doit pas aider), dans l’ensemble, la prestation reste très correcte. Et comme le public mosheur est ravi de retrouver son terrain de jeu préféré, tout le monde passe un bon moment.

C’est avec une déception certaine qu’on découvre la nouvelle Valley. L’espace n’est en effet pas si grand et son emplacement pas des plus heureux même s’il facilite les allers-venues avec la Warzone. Que voulez-vous, face au giga-temple de merchandising qui a pris sa place et va permettre de vendre en un week-end plus de 40 000 tee-shirts estampillés Hellfest (et tous les produits dérivés imaginables sur lesquels il est possible de coller le fameux H), le stoner, le sludge et le post-metal ne pouvaient pas lutter. Très vite, nos craintes sont confirmées puisqu’il semble évident que le chapiteau enfumé des années précédentes aurait formé un bien meilleur écrin pour le noise metal torturé de Today Is The Day. Dans ces conditions (il est 18h00, il fait jour, il fait beau), impossible d’entrer vraiment dans le show du trio mené par le psychopathe Steve Austin qui, de plus, n’a pas l’air très motivé. Alors, au bout de vingt minutes, démission du chroniqueur démotivé qui cède à la tentation d’aller voir Imperial Triumphant tricoter son black/death/jazz metal masqué à la Temple. Sauf que même problème qu’avec Today Is The Day : à cette heure-là, même si le niveau de technicité impressionne et que les musiciens galopent sur scène pour occuper l’espace, la musique d’Imperial Triumphant reste impénétrable et difficile à appréhender. Ce qui devrait tourner au trip métaphysique ne suscite donc qu’une vague et distante curiosité, sans que le groupe n’ait quoi que ce soit à se reprocher. Wrong place, wrong time.

Imperial Triumphant (c) Ronan Thenadey

Retour à la Warzone pour les punks à boîte à rythmes de Poésie Zéro et l’un des concerts les plus clivants du fest. Réputés pour leur franc-parler au millième degré, les keupons nantais se lâchent entre chaque morceau en tirant à boulets rouges sur la direction du Hellfest pour avoir programmé des groupes dont certains membres sont coupables de violences conjugales (étrangement, la question ne s’était jamais posée lors des deux venues précédentes de Mötley Crüe, par exemple, ce qui tend à prouver que les mentalités évoluent). Puis ils ne manquent pas de saluer Birds In Row, groupe ayant annulé sa venue à cause de l’absence de clarification des organisateurs, et traitent les festivaliers de « merdes » pour avoir « payé plus de trois cents euros leurs places« . Etc., etc. Ce qui n’est pas sans créer un certain malaise (et c’était voulu) au sein d’un public partagé entre hilarité et agacement. Beaucoup se demandent pourquoi, dans ce cas-là, ce groupe n’a pas renoncé à participer au Hellfest (hypothèse : parce que c’est marrant, en fait). Si leur musique reste du punk simpliste aux paroles ordurières, le chanteur François-Xavier déploie plus d’énergie que tous les grabataires qui vont défiler sur les Main Stages pendant le week-end. D’ailleurs, en passant devant Hollywood Vampires pile au moment où Johnny Depp massacre “Heroes” de David Bowie avec ses amis fossiles lookés comme des diseuses de bonne aventure de seconde zone, on se dit que Poésie Zéro n’a pas totalement tort et que le Hellfest ne perdrait pas grand-chose en se privant de ces groupes aux noms ronflants mais dont les prestations surfent sur le grand tsunami de la gênance. Et on ne parlera même pas de Tim « stéroïdes » Lambesis d’As I Day Lying dont, heureusement, la tentative d’homicide sur sa femme a été encore plus ratée que les albums de son groupe.

(c) Ronan Thenadey

Celeste devait ouvrir le bal sur la Valley, mais suite à l’annulation de Birds In Row pour les raisons évoquées plus haut, les Lyonnais ont été décalés en début de soirée. Sans projection mais avec un light show de plus en plus impressionnant au fil des minutes, Celeste démarre, comme toujours, timidement. Mais dès le deuxième titre, une fois les petites lampes rouges vissées sur leurs crânes, c’est la guerre, le feu et le chaos. Le son est tellement fort et distordu qu’on a beaucoup de mal à distinguer les morceaux (qui, déjà, se ressemblent souvent beaucoup…), ce qui ne nous empêche pas d’être balayés par leur raz-de-marée post-metal/blackened hardcore dévastateur. Avalanche de double pédale, basse uppercut, hurlement torturé… un pur carnage ! Le soleil se couche lentement et on s’enfonce encore plus inexorablement dans la fureur jusqu’au final « Ces belles de rêve aux verres embués » où on ne voit plus que des flashs rouge sang percer les ténèbres. Sérieusement, jamais nous n’avions vu un concert de Celeste aussi intense (c’était pourtant loin d’être le premier). Et une fois la nuit tombée, elle a finalement pas mal de gueule cette nouvelle Valley…

Après l’énorme tarte Celeste, les Belges d’Amenra se doivent d’être à la hauteur. Toujours habité, Colin H. se révèle être un très bon chanteur sur toutes ses parties claires en plus du hurleur inimitable bien connu. Mais le bassiste Tim De Gieter, à l’allure de serial killer et encore plus possédé que son chanteur, lui vole souvent la vedette avec ses chœurs surpuissants. Tous les passages chantés en flamand se montrent formidables d’étrangeté, surtout que le son s’avère d’une clarté étonnante. Quand le groupe déroule son post-metal char d’assaut dans un jeu de lumière clair-obscur, il en devient totalement hypnotique. L’expérience serait absolument parfaite si… on n’entendait pas la gentille Ehpad Kiss “jouer” ses vieilles rengaines sur la Main Stage lors des moments d’accalmie ! Quand ce ne sont pas des festivaliers bien entamés et se croyant manifestement aux Vieilles Charrues qui viennent casser l’ambiance… Heureusement, il faudrait plus qu’une poignée de pénibles et un quatuor de vieux croutons en tournée d’adieu pour venir gâcher le superbe “Diaken” qui conclut magistralement le récital d’Amenra. (Bhaine)

Si le Dark Funeral originel n’est plus porté désormais que par le seul Lord Ahriman aux guitares, la formation culte suédoise continue de dispenser son black metal nordique old school avec la justesse de ton qui s’impose. Les classiques « Unchain My Soul », « My Funeral », ou les petits nouveaux « Nosferatu » et « When I’m Gone », tirés du plus récent We Are the Apocalypse, abondent dans le même sens d’une dévotion satanique et décibélique sans faille. Le chant d’Heljarmadr se montre particulièrement à la hauteur sur les morceaux tirés de son registre personnel (« Nail Them to the Cross », « Where Shadows Forever Reign »). Tout juste pourra-t-on reprocher au groupe un certain minimalisme dans le jeu de scène. À l’inverse, les Polonais de Behemoth ont bien compris que les clés d’un succès populaire, y compris dans les musiques extrêmes, passent par une dimension visuelle accrue, dépassant les simples jets de flamme. Même si ces effets pyrotechniques occupent largement une Temple littéralement prise d’assaut par le public, la dimension visuelle est durant le show particulièrement bien servie par des jeux de lumière grandiloquents, des espaces passerelles où Orion et Nergal peuvent grimper pour surplomber le public, sans oublier bien sûr le design des pieds de micro et autres fétiches de ce dernier, particulièrement obnubilé par la caméra filmant sur le côté de la scène – sympa, il pense aux troupeaux de moutons spectateurs paissant à l’extérieur. On aurait en effet pu réunir les deux espaces attenants, Temple et Altar, pour accueillir ce beau monde tant il est nombreux et on peut d’ailleurs se demander pourquoi Behemoth, qui clôture en headliner un festival comme le Brutal Assault, n’est pas décemment à l’affiche d’une des Main Stages au Hellfest. Dès « Ora Pro Nobis Lucifer » ou son successeur « Blow Your Trumpets Gabriel », le trio démontre en tout cas le caractère aiguisé et spectaculaire de son savoir-faire taillé pour fasciner les foules. Les envolées grégoriennes du dantesque « Ov Fire and the Void » soulignent avec un certain apparat combien Behemoth est en passe d’atteindre en France, comme ailleurs, le statut de groupe-phare du genre metal au sens large.

Quand on parle de groupe phare, impossible de ne pas citer Kiss qui donnait un peu avant ce qui sera sans doute l’un des derniers grands cirques rock’n’roll de son histoire sur le territoire français. Alors oui, on peut reprocher plein de choses  à Kiss. Sa logique marketing ayant soumis à ses caprices des générations de consommateurs de metal et des goodies allant avec, son peu d’appétence « récente » pour écrire de bons morceaux (depuis presque quarante ans tout de même, bon, à peine dix ans de moins que Metallica), la démesure énergivore et machiste de ses performances à faire blêmir Sandrine Rousseau, ou que sais-je encore. Mais Kiss reste et restera unique et irremplaçable. Immense respect donc pour ces superstars déguisées et fardées qui, à plus de 70 ans pour les deux mentors Paul Stanley et Gene Simmons, continuent de faire le show comme si on était encore au Madison Square Garden en 1977. Alors certes, la voix de Paul Stanley se fait un peu fluette dans les aigus par instants, donnant des allures adolescentes attardées à ses traditionnels déhanchés de midinette. Son appel candide à faire chanter La Marseillaise peut aussi surprendre ceux qui oublient que ce type d’appel du pied typiquement US n’est pas si rare dans tous les autres pays du monde que fréquente Kiss (d’ailleurs le public y est majoritairement allé de bon cœur et franchement, ce n’est pas pire que de se farcir une reprise véreuse de Johnny Hallyday par qui-vous-savez). Alors, Starchild (le personnage de Paul Stanley) ne vole plus au-dessus du public et le démon Gene Simmons lui-même ne s’élève plus dans les airs le long d’un câble sur le monstrueux « God of Thunder » mais à l’aide d’une passerelle élévatrice. Ce qui n’empêche pas Kiss de donner là une leçon de professionnalisme et de rock’n’roll attitude durant les plus d’1h30 de ce concert qui passe bien entendu en revue quelques-uns des morceaux incontournables du quatuor (n’oublions pas en effet, le batteur Eric Singer et le guitariste Tommy Thayer, tellement bien dans leurs personnages qu’ils font oublier Pete Criss sur le doucereux « Beth » au piano pour le premier, et les solos courts et caractéristiques d’Ace Frehley pour le second). « Detroit Rock City », « Shout It Out Loud », « Cold Gin », « I Love It Loud », « Lick It Up », « Love Gun »… c’est déjà fini qu’on voudrait que ça recommence. Et le personnage de Gene Simmons, tant imité par des légions de musiciens black metal dans ses mimiques, ses régurgitations de sang, ses crachements de feu, et dont la face se démultiplie à l’écran dans ses éternels rictus, demeure l’une des plus grandes légendes vivantes du genre. Comme souvent, on se souviendra de tout ça quand le groupe aura définitivement raccroché à cause de son âge avancé. À moins que le transhumanisme ou quelque exosquelette ne vienne à la rescousse.

Fishbone (c) Ronan Thenadey

Pour plus de légèreté, direction la Warzone et le concert de Fishbone, dont le démarrage se voit retardé par quelques problèmes techniques durant lesquels le rutilant Angelo Moore égrène toutes les dates françaises de la tournée (Perpignan, bordel !). Coup de bol, sa troupe démarre sur les chapeaux de roue en faisant la part belle aux titres de l’incontournable Truth and Soul, et à sa déjantée fusion de ska, de funk, de punk et de metal (« Ma and Pa », « Subliminal Fascism », « Bonin in the Boneyard »). Le reggae choral d’« All We Have Is Now » et le jazz lounge de « Sunless Saturday » radoucissent l’atmosphère tandis que les autres chanteurs/instrumentistes (notamment Walter Kibby et Jay Armant) relaient le monsieur loyal avec la même verve endiablée. En conclusion, place à la lourdeur plus syncopée de l’impeccable et groovy « Servitude », tiré de Give a Money a Brain and He’ll Swear He’s the Center of the Universe, histoire de rappeler les inclinations politiques et sociales qui ont servi de rampe de lancement au groupe. (Laurent Catala)

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