[Report] Hellfest 2023 (dimanche 18 juin)

(c) Ronan Thenadey

Dimanche 18 juillet :

L’orage menaçant le Hellfest a tout de même laissé quelque répit à des performances matinales de haut vol avant de s’abattre avec brutalité. Sur la scène Valley, le croisement sinueux de black metal et de rock psychédélique des Belges de Wolvennest s’appréhende comme un présage funeste de la tourmente à venir, à l’image du mélancolique « Ritual Lovers » qui entortille l’auditeur autour du phrasé reptilien de la chanteuse Shazzula. Sur la Main Stage 2, le rock industriel teinté de dance livide des Australiens de Skynd et de leur chanteuse aux yeux de lézard distille ses morceaux aux humeurs grime/trap mouvantes sur fond d’histoire de serial killer (« Edmund Kemper », « Tyler Hadley »). Un set vaporeusement tripant en attendant le déluge à venir.

Pour de bonnes sensations dark, il ne faut pas manquer le live très coldwave du duo turc She Past Away, dont le croisement duveteux et percussif entre The Sisters Of Mercy et Lebanon Hannover se révèle fort appréciable. Forcément un peu décalé sur la Temple (comme le dira d’ailleurs avec un humour piquant le chanteur de Benediction, Dave Ingram), leur prestation dévoile néanmoins une vraie portée émotionnelle qui fait mouche auprès d’un public metalleux agréablement perméable à leurs effusions mélancolico-dark choisies.

En ce dimanche après-midi post-orageux, place à quelques vieilles gloires thrash et death metal sur la scène Altar. Si on ne peut pas dire que leur présence attire les foules, sans doute mieux occupées à sécher après les averses, puis à se presser pour assister à l’évènement Pantera, on peut convenir que l’expression « les absents ont toujours tort » prend ici tout son sens. Émotion certaine du côté du Holy Moses de la chanteuse Sabina Classen, puisqu’à quasiment soixante ans, la frontwoman la plus expérimentée du genre a décidé de se retirer à la fin de l’année, le jour même de son anniversaire, sur un dernier concert programmé fin décembre à Hambourg, et ce, en dépit de la très bonne tenue du dernier album du groupe, Invisible Queen. Pour le coup, pas d’invisibilité dans ce set très carré qui fait habilement le tour de la discographie tout aussi punchy du combo, et notamment des albums mythiques Finished with the Dogs et The New Machine of Liechtenstein. La voix de Sabina est rauque et virulente à souhait, et son headbanging forcené tout au long du show laisse penser qu’elle en a encore dans le moteur. Ses larmes non feintes en fin de concert émoustillent presque.

Émotion encore du côté des fantastiques Dark Angel, dont on ne dira jamais assez combien leur chef-d’œuvre Darkness Descends est une référence absolue du thrash metal, aux côtés du Reign in Blood de Slayer sorti la même année. Le décès ce printemps de l’un des principaux compositeurs du groupe, le guitariste Jim Durkin, n’a pourtant pas signé l’arrêt des hostilités d’une formation passée souvent près d’un état de mort clinique ces dernières années. L’art de franchir les épreuves dans l’adversité et la violence des riffs que le concert ultime donné par ces résistants de la cause transcendent au-delà de l’entendable. Bien sûr, la frappe ultra-puissante et technique du maître Gene Hoglan derrière les fûts y est pour beaucoup. Mais tous les musiciens (Eric Meyer et la nouvelle guitariste Laura Christine, le bassiste Mike Gonzales ou le chanteur Ron Rinehart) se mettent au diapason pour délivrer l’un des tout meilleurs gig du festival, en balançant comme des barils de napalm leurs classiques « Merciless Death », « Perish in Flames » ou « The Burning of Sodom » sur des rangs clairsemés mais motivés.

L’ambiance était paradoxalement plus souriante du côté des tout aussi brillants Benediction, principaux détenteurs de la flamme du death metal britannique canal historique depuis que Bolt Thrower a jeté l’éponge. Les guitaristes Peter Rew et Darren Brookes sourient à pleines dents face à un public avide d’entendre du bon death metal old school et les hymnes indélébiles que sont « Vision in the Shroud » ou « Unfound Mortality ». Revenu au bercail en 2019 (en lieu et place de Dave Hunt d’Anaal Nathraakh), le monstrueux Dave Ingram dévore l’assistance de sa voix grondante, mais sait aussi se délecter avec son humour so english des mosh-pit en action ou des croustillantes anecdotes qu’il délivre avec bonhommie entre les pistes (on sent que le monsieur est un habitué du speech tartiné, cf. ses podcasts sur Metal Breakfast Radio).

En matière de claque vocale bien coffrée, rendez-vous est pris en fin de soirée avec les autres vétérans de Testament et leur maître de cérémonie Chuck Billy qui, pour le coup, font le plein dans une Altar enfin à la hauteur de sa réputation. De son côté, le groupe assure avec quelques brûlots comme « Rise Up », et ses trémolos de guitares si caractéristiques du tandem de guitaristes Alex Skolnick/Eric Peterson, ou le vociférant « Into the Pit », tiré de The New Order. « The New Order » et « The Preacher », du même album, ou encore « Practice What You Preach » du troisième LP sans titre emboitent le pas avec la force d’un thrash aguerri et sans concession. Mais le peu de place laissée aux tracks du premier album, l’excellentissime The Legacy, frustre un peu. Seul « Over the Wall » franchit le cut, là où on aurait aimé entendre « Raging Waters » ou l’inusable « Curse of the Legions of Death ». Bref, ne faisons pas la fine bouche, au moins eux n’ont pas trahi le son made in Bay Area pour une poignée (NdLR : une montagne plutôt…) de dollars, comme qui vous savez.

C’est avec des tenues de plus en plus chamarrées que les Melvins ont pris l’habitude de nous accueillir sur scène ces dernières années. Pour cette édition, on se demande même s’ils n’auraient pas décidé d’engager la costumière du Sun Ra Arkhestra pour habiller leur prestation live. C’est en effet revêtu de chatoyants costumes colorés from outer space que le trio magique constitué de King Buzzo, Dale Crover et du bassiste Steven Shane MacDonald débarque sur la scène Valley pour une performance qui va monter crescendo, un vrai live haut en couleur. Si au début le groupe semble s’amuser de ses propres exagérations psychédélico-stoner et de ses pastiches dignes du rock’n’roll circus de Kiss, en bons fans qu’ils sont – en particulier sur cette reprise toujours aussi improbablement menée du « I Want to Hold Your Hand » des Beatles – la montée finale s’apparente à un décollage de montagnes russes à la verticale avec notamment un « Revolve » et un « Honey Bucket » débridés. Magique.  (Laurent Catala)

C’est sous des trombes d’eau que l’on se rend en début de dimanche après-midi assister au show de The Menzingers sur la Main Stage 2. Et si on s’était désolé dans un premier temps de l’annulation de The Distillers, son remplacement par le groupe de Greg Barnett et Tom May nous consolait largement, The Menzingers s’étant fait rare en France depuis longtemps. Fatalement, très peu de monde les accueille au regard de la météo, mais la formation va faire tout son possible pour contenter les courageux postés devant la scène avec une setlist où les tubes sont légions. Le quatuor fait totalement l’impasse sur ses deux premiers albums, se concentrant sur les quatre autres que compte sa discographie et nous gratifie en sus d’un extrait de son prochain disque à venir. Avec ferveur et investissement, The Menzingers enchaîne les merveilles de punk rock mâtinées de pop et d’emo telles « I Don’t Want Be an Asshole Anymore » judicieusement positionnée en ouverture de set, « Tellin’ Lies », « After the Party », « America (You’re Freaking Me Out) » ou encore « Good Things » et « Burn After Writing ». Avec une telle performance, le groupe méritait mieux que ces conditions de jeu compliquées mais il n’en a cure, faisant preuve d’une vitalité et d’un bon esprit nécessaires afin de réchauffer une audience certes éparse mais célébrant dignement un set extrêmement satisfaisant.

Il est 16h et la pluie a enfin cessé de tomber quand on se rend à la Valley pour se délecter du stoner désertique et psychédélique des Suédois de Dozer. Fort d’un retour aux affaires très concluant avec un nouvel album excellent après dix années d’absence, le groupe est visiblement attendu par pas mal de connaisseurs et la fosse se voit très correctement remplie. Le quatuor assène un set incroyable d’intensité avec une montée en puissance constante, titre après titre. Dozer assure le show avec classe et même les petits soucis techniques (une corde cassée, un problème de cymbale) ne viendront pas perturber outre mesure une prestation de haut vol. Le groupe fait la part belle à son dernier album sans oublier d’interpréter ses classiques plus anciens. Le son est franchement énorme (avec une grosse caisse très mise en avant) et chaque morceau reçoit les ovations d’un public totalement conquis par la performance. Le set d’une durée de quarante-cinq minutes passe en un éclair se clôturant sur un « Mutation/Transformation » complètement fascinant. Un des meilleurs concerts sur la Valley de cette édition.

Dozer (c) Ronan Thenadey

Choix cornélien niveau running-order : qui aller voir entre Mutoid Man à la Valley et Grave Pleasures à la Temple qui jouent en même temps ? On finit par se décider pour le groupe death rock/post-punk finlandais que l’on avait déjà vu et grandement apprécié ici même (mais à la Valley) en 2018. La Temple n’est guère remplie pour accueillir le groupe. Tant pis, les absents ont toujours tort puisque Mat McNerney et ses quatre camarades de morgue vont nous proposer un set admirable et hypnotique cinquante minutes durant. Le groupe pioche dans ses trois albums, joue les hits du deuxième  (« Be My Hiroshima », « Joy Through Death », « Infatuation Overkill ») et fait danser la fosse. McNerney se montre tout à son aise dans sa fonction de frontman, arpentant la scène de long en large tout en offrant une prestation vocale habitée et intense. Le public ne s’y trompe pas et salue la performance emphatique et concluante du quintette. Sans savoir si la formation de Stephen Brodsky et Ben Koller aura ou non fait des merveilles de son côté, on ne regrette au final nullement notre choix tant Grave Pleasures a démontré une fois encore quel excellent groupe de scène il est.

Ultra client de l’humour potache, référencé et régressif du duo formé par Jack Black et son acolyte Kyle Gass, on se presse pour assister au concert de Tenacious D sur la Main Stage 1. S’il peut sembler incongru de voir les deux comiques sur la grande scène du Hellfest, le public s’est déplacé en masse pour les accueillir et n’est pas constitué que de curieux, en attestent les morceaux sarcastiques et satiriques repris en cœur par la foule. On est là entre l’opéra-rock azimuté et le stand-up décomplexé, ce qui fait l’effet d’une bouffée d’air frais après les tonnes de décibels de ces derniers jours. Mi-ringard mi-génial, le show ne se réduit pas exclusivement aux pitreries de Black et Gass et les compères sont accompagnés d’un véritable groupe bien en place pour interpréter leurs chansons drôlatiques. On compte aussi sur scène la présence d’un Satan gonflable, d’un technicien incapable de lancer ses effets pyrotechniques, d’un géant en armure métallique et bien sûr du saxaboom bien connu des fans du duo. Black et Gass en font des caisses pour notre plus grand plaisir et nous régale au son de « Kickapoo », « Rize of the Fenix », « The Metal », « Bellzeboss » et « Fuck Her Gently ». On savoure ce moment léger et décalé et l’heure qui leur est allouée passe à une vitesse folle. On sort du show qui nous a été offert les batteries rechargées, prêts à en découdre avec ce qui nous attend sur l’autre Main Stage…

… soit le fameux Pantera 2.0. Autant l’avouer, l’annonce de ce retour aux affaires a priori ponctuel pour une énorme tournée avait fait naître en nous un sentiment contrasté mêlant enthousiasme et méfiance. Présentée partout comme un événement célébrant la mémoire de Dimebag Darrell et de Vinnie Paul, cette série de concerts fleure malgré tout bon le hold-up même si l’hommage peut être tout à fait sincère par ailleurs. Sur scène, sur les écrans, sur la veste patchée de Zakk Wylde, sur le kit de batterie de Charlie Benante, tout est à l’effigie des deux frères disparus, comme pour appuyer un peu plus l’aspect hommage. Mais au-delà de tout ce décorum imposé, la prestation en elle-même se révèle étonnamment convaincante. La méfiance de départ laisse très rapidement place à l’enthousiasme tant la machine est impeccablement huilée. Ça joue serré et la setlist a été pensée pour que les fans se retrouvent sur un petit nuage, même si on regrette que l’album Cowboys from Hell n’ait pas droit à plus d’égards (seul le morceau-titre et « Domination » sont interprétés). The Great Southern Trendkill et Reinventing the Steel ont droit à un seul extrait chacun (« Suicide Note – Part II » et « Yesterday Don’t Mean Shit ») et tout le reste est tiré de Vulgar Display of Power et Far Beyond Driven avec une sélection de classiques que l’on prend un immense plaisir à entendre de nouveau en live : « A New Level », « 5 Minutes Alone », « This Love », « Strength Beyond Strength », « Fucking Hostile », « I’m Broken », « Mouth for War », « Becoming » et enfin « Walk ». Difficile de faire la fine bouche avec un tel enchaînement de titres, tous plus imparables les uns que les autres qui nous ramènent quelques décennies en arrière. Niveau interprétation, chacun montre une implication de tous les instants : Rex Brown nous assène ses lignes de basse avec véhémence, Zakk Wylde reproduit consciencieusement et avec application le style caractéristique de Dimebag Darrell et Charlie Benante démontre une fois de plus quel monstre de puissance et de précision il est. Quant à Anselmo, il fait très correctement le job en forçant parfois un peu, certes, mais sa performance tient vraiment bien la route – ce qui n’a pas toujours été le cas les dernières fois où nous l’avons vu se produire avec ses autres groupes. Sur le papier, le pari de jouer sur la vibe nostalgique était loin d’être gagné, mais Pantera s’en sort à l’arrivée avec plus que les honneurs, délivrant une prestation très convaincante bruyamment célébrée par une foule conquise.

Pantera (c) Ronan Thenadey

Le Hellfest touche à sa fin et on hésite entre rester côté Main Stage après le show de Pantera pour enchaîner sur celui de Slipknot ou, plus risqué, partir pour la Warzone donner sa chance à The Ghost Inside. On se décide pour aller voir ces derniers et ce n’est pas la meilleure idée que nous ayons eue aujourd’hui. Une fois de plus on tente de se frotter à un groupe metalcore, et non, décidément, ça ne passe pas. Voilà un genre auquel on n’a jamais accroché et ce n’est pas ce soir que The Ghost Inside nous fera changer d’avis. Pourtant, reconnaissons avec un tant soit peu d’objectivité que le groupe assure vraiment sur scène, jusqu’à exprimer sa joie d’être là ce soir dans un speech donné par le chanteur Jonathan Vigil qui revient sur leur terrible accident de la route de 2015 dans lequel le batteur Andrew Tkaczyk a perdu une jambe. Si la Warzone est loin d’être remplie, le public constitué de nombreux fans du groupe se montre ultra-participatif, donnant de la voix et partant dans des pogos effrénés. On est bien contents pour tout le monde, mais on reste extérieur à cette liesse, observant de loin. Tout est impeccablement rodé et la bonne humeur ambiante nous fait tout de même rester quasiment tout le set. Si le capital sympathie du groupe est indéniable, notre opinion sur sa musique reste la même au sortir de ce show : rien à faire, pas notre truc. On quitte le festival alors que le feu d’artifice de clôture débute en se disant que même si cette année l’affiche nous avait paru un peu plus faible que lors de précédentes éditions, on y aura vu tout de même d’excellents concerts, notamment avec un samedi dingo à faire des allers-retours entre la Warzone et la Valley. On est déjà impatients de voir ce qui nous sera proposé pour l’an prochain. (Bertrand Pinsac)

Jusqu’ici tout s’est parfaitement déroulé. Le site est toujours aussi confortable, le public trop nombreux mais très cool et la météo ensoleillée. Ça ne pouvait pas durer et en ce dimanche, il faut s’armer de tout son courage et de ses dernières forces pour braver le déluge qui s’abat sur Clisson et avoir la chance de voir les rares END. Mais ça en vaut la peine puisqu’on a affaire ici à la dream team du hardcore metal moderne. À leur tête, nul autre que le producteur de Knocked Loose et Bodycount (entre beaucoup d’autres), Will Putney, accompagné du chanteur de Reign Supreme à la basse, du guitariste de Shai Hulud et du chanteur de Counterparts (le batteur est un remplaçant puisque Billy Rymer, ex-The Dillinger Escape Plan, était occupé quelques minutes plus tôt avec Ho99o9). Et malgré la pluie, gros gros concert, surtout quand End tape dans les titres de son premier EP. On en profite pour constater que les hardcoreux ont définitivement déserté le festival, puisque lorsque Brendan Murphy demande d’ouvrir le pit pour que les spécialistes ès danse-castagne y aillent de leurs moulinets et de leurs spinkicks lors du breakdown final, les Hellfesteux se préparent à un… wall of death qui n’arrivera jamais. Epic fail mais epic set.

Hatebreed sont des bêtes de festival et depuis le temps, Jamey Jasta sait parfaitement jouer avec un public metal/casual (en salle, c’est toujours plus brutal). La setlist est parfaite et empile les classiques, dont un extrait de leur premier EP et pas mal de titres de l’album The Rise of Brutality qui fête ses vingt ans (déjà, bordel…). La fosse est aussi énorme que sauvage, beaucoup de gens connaissent les paroles et s’époumonent, et même si le groupe s’appuie un peu trop sur des backing tracks (sur les chœurs, c’est flagrant), le job est fait et bien fait. Hatebreed, en festival, c’est de toute façon toujours la fête.

Mais ce sera toujours moins festif que le monstre mutant metalcore eurodance qu’est Electric Callboy. Soit ça vous fait sourire et vous vous laissez embarquer par leur humour et leurs riffs lourdauds entrecoupés de plans eurodance débilos, soit vous partez en courant en disant à qui veut l’entendre qu’il faudrait que l’humour germanique soit interdit par la Convention de Genève. Le public du Hellfest, lui, a choisi son camp et comme les Allemands ne jouent que leurs tubes (« Pump it », « We Got the Moves »…), tous ceux qui sont amassés devant les Main Stages s’éclatent façon méga-teuf régressive. Quoi qu’on en pense, c’est rodé, généreux et bien foutu. Et au moins, contrairement à Amon Amarth, ils font exprès de vouloir être rigolos.

À la limite de l’épuisement, il devient difficile de s’enthousiasmer pour quoi que ce soit. Encore plus pour un trio forcément statique comme Mutoid Man. Mais quand Ben Koller de Converge et Steven Brodsky de Cave In forment un groupe (avec le bassiste de High On Fire comme troisième larron), on est obligé d’aller voir ce que donne sur scène leur stoner/hardcore mélodique, technique et très cool alors que le cœur n’y est plus. Un bon moment, sans plus, même si leur reprise de « Don’t Let Me Be Misunderstood » redonne ce qu’il faut de patate pour la dernière droite du festival.

Mutoid Man (c) DR

On en arrive à l’instant compliqué du festival avec Pantera. Non, le problème n’est pas qu’un Phil Anselmo bourré a levé le bras à la fin d’un concert trop arrosé il y a quelques années. Il s’en est excusé un million de fois et avec sa discographie légendaire, on veut bien lui laisser le bénéfice du doute. C’est un peu le tonton alcoolique mais sympa qui vous oblige à planquer le digestif à une réunion de famille avant qu’il se lance dans ses « meilleures blagues ». Le vrai souci, c’est de reformer Pantera en débauchant Zakk Wylde et Charlie Benante pour rendre hommage aux regrettés frères Abbott (leurs silhouettes sont partout, même sur les tee-shirts de leur merch’ et des images d’archive de leurs facéties sont projetées sur les écrans géants) – alors que Vinnie Paul ne voulait plus du tout entendre parler d’Anselmo. Et puis, ce qui manque aussi à cette resucée des inventeurs du groove metal, c’est justement la voix du chanteur de Down, flinguée depuis un moment. Mais après deux premiers titres assez poussifs, on se laisse prendre au jeu et le tout commence à vraiment ressembler à du Pantera. À du bon Pantera, même. Comme Anselmo ne peut plus monter dans les aigus, le set évite intelligemment presque tout Cowboys from Hell (Far Beyond Driven et Vulgar Display of Power sont à l’honneur) et si l’interprétation est forcément moins groovy, elle n’en est que plus brutale ! Les deux remplaçants de luxe font le taf consciencieusement, Anselmo passe tout en force et le son de basse de Rex Brown est incroyable. On partait très sceptiques, on finit plus que convaincus. Comme il y a quelques années après un set énorme et très alcoolisé de Down, Anselmo a du mal à quitter la scène du Hellfest et, vu son attachement au festival (il y a joué avec tous ses groupes, comme il le rappelle), on imagine que c’est un aussi grand moment pour lui que pour tous ceux qui ont passé les années 90 à écouter « Fucking Hostile » et « I’m Broken » jusqu’à s’en péter les tympans.

Il faut bien conclure ce Hellfest avec un groupe amputé d’un membre (enfin, pas comme Def Leppard, hein !), puisque l’absentéisme est l’un des fils rouges du WE. Le phénomène concerne donc aussi Slipknot, l’une des plus grosses têtes d’affiche cette année. Mais ils devraient s’en sortir car l’absent en question n’est que le gros clown qui tape sur des bidons de temps en temps en ayant l’air vaguement menaçant. Son absence ne change donc rien au son du groupe qui n’a pas pris la peine de le remplacer, contrairement au préposé aux samples, ce qui ne s’entend évidemment pas non plus. Le cirque de Des Moines se montre toujours très pro avec un Corey Taylor impressionnant qui tient le groupe à lui tout seul. La setlist s’appuie très peu sur le dernier album puisque la part belle est faite aux habituels « Eyeless », « Surfacing » et autres « Wait & Bleed » : une aubaine pour ceux qui les voient pour la première fois. Et, manifestement, pour les autres aussi, vu le nombre de personnes amassées jusqu’à l’autre bout du site pour tenter de profiter du spectacle. Slipknot demeure la grosse machine qui tournera rond quoi qu’il arrive et même si, ce soir, il ne reste que trois musiciens sur les neuf ayant enregistré le premier album, ça ne semble pas prêt de s’arrêter. (Bhaine)

Ce dernier jour commence par un déluge, qui s’abat sur la région nantaise depuis le petit matin et ne prendra fin qu’aux alentours de 15h30 : tellement cuits et recuits de soleil et de canicule les années précédentes, on en avait presque oublié qu’un tel temps de merde pouvait encore survenir au Hellfest. Ceci dit, force est de constater que tout cela ne perturbe guère le déroulement de ce dernier jour, le Hellfest étant désormais plus qu’armé en termes d’infrastructures (et ce malgré la disparition d’une tente au profit d’une nouvelle scène open air – la Valley). Le bulletin météo étant effectué, on peut commencer à parler musique, et à dire tous nos regrets d’avoir loupé Strigoi, le si bon groupe, un peu inclassable (vaguement doom, un poil crust, et surtout très blackened death), de Greg Macintosh (Paradise Lost), qui ressemble à la suite logique, mais moins doom/death, de Vallenfyre. Bref, 11h40 le dernier jour, c’était un peu ambitieux, surtout avec un temps aussi dégueulasse et en étant rentrés à 3h45 la veille : on n’a plus qu’à espérer que l’occasion de les voir se représente rapidement. C’est donc, une fois n’est pas coutume, aux Main Stages que commencent nos pérégrinations du jour, avec les Américains de Ho99o9. Un duo qu’on apprécie sur disque (pas sur tous ceci dit), mais qui nous avait laissé une impression mitigée lors de son premier passage au Hellfest, à la Valley en 2018 : un set trop axé sur leurs morceaux punk/hardcore à notre goût, reléguant au troisième plan toute la dimension trap/rap voire noise/electro de leur musique. Fort heureusement, il semble que le groupe ait muri depuis, assume mieux la diversité de ses influences, et ose les envoyer pleinement à la face de publics ouvertement metal. On ne peut que s’en réjouir, et de ce fait, ce set à la MS01 n’a rien à voir avec celui de 2018. Richement garni de morceaux tra /hip-hop, notamment les bombes « PROTECT MY BITCH PT. 2 », « Mega City Nine », ou le tube « Knuckle Up » lourdement infusé au jus de Prodigy, il s’avère bien plus équilibré, et le groupe met un beau bordel dans la fosse. Un seul petit regret : l’absence de « …SPEAK OF THE DEVIL », de très loin leur morceau le plus mélodique et catchy (si vous ne l’avez jamais entendu, courez-y : c’est ce qu’on appelle un authentique tube). En tout cas, nous voilà lancés comme des balles pour ce dernier jour : un excellent concert de messieurs OGM et Eaddy, fort bien assistés, il faut le dire, par rien de moins que Billy Rymer derrière les fûts (END, ex-Dillinger Escape Plan, Thoughtcrime, NK, etc.).

On fonce ensuite se faire proprement tabasser sous le déluge par les Américains d’END, avant d’aller déjeuner, toujours sous la flotte, mais en essayant cette fois-ci de survivre au cauchemar musical qu’est Hollywood Undead, leur tintamarre digne d’une fête à la saucisse rap metal complètement ringarde et putassière nous empoisonnant les oreilles depuis la MS02. Direction la Valley pour le concert de Mutoid Man, groupe aux allures de véritable all-star band depuis que Jeff Matz (High On Fire, Zeke) y a été intronisé bassiste en 2021 en lieu et place de Nick Cageao (ingé-son du légendaire bar metal Saint-Vitus à NYC). Formé en 2012 par deux compères au pedigree pour le moins chargé, Stephen Brodsky (Cave In, Old Man Gloom) et Ben Koller (Converge, All Pigs Must Die, Killer Be Killed), Mutoid Man nous a toujours fait l’impression d’être le side project un peu fun et rock’n’roll des deux musiciens, habitués à des choses un peu plus alambiquées et sérieuses par ailleurs. Et mine de rien, le groupe est une affaire qui roule depuis plus de dix ans, avec deux albums (et bientôt un troisième, Mutants sortant fin juillet 2023) et autant d’EP sous la ceinture : largement de quoi remplir une fin d’après-midi à la Valley. Le trio est de toute évidence ravi de se trouver là, de l’accueil qui lui est réservé, et déroule en toute décontraction une setlist largement axée sur War Moans (le tube « Melt Your Mind », la douce « Bandages », « Kiss of Death », « Date with the Devil », « Micro Agression ») et Bleeder (« 1000 Miles Stare », « Reptilian Soul », « Bridge Burner », « Beast »), sans oublier l’EP Helium Head (« Gnarcissist », « Scavengers »), ni omettre les deux premiers singles de Mutants, dont le mégatube en puissance « Call of the Void », et le plus heavy/trad « Siren Song ». Koller est, comme à son habitude, en lévitation derrière son kit, et Stephen Brodsky, qu’on commence à avoir vu un paquet de fois, est décidément un sacré frontman : charismatique, techniquement irréprochable au chant comme à la guitare, il nous régale une fois de plus. Bref, on passe un fort bon moment en compagnie de Mutoid Man, qui nous livre, en totale détente, une des meilleures performances du week-end.

Tenacious D (c) DR

On est ensuite censés enchaîner avec Incubus, mais les Américains annulent leur venue au Hellfest quelques heures plus tôt (comme quelques autres dates de leur tournée européenne d’ailleurs), du fait de problèmes de voix côté Brandon Boyd. Qu’à cela ne tienne, tout cela va nous permettre de plutôt bien nous placer pour assister au show le plus con et régressif de toute cette édition, voire de l’histoire du Hellfest : celui de Tenacious D. On ne s’en cache pas, on éprouve beaucoup de sympathie pour l’improbable duo formé par Jack Black et son acolyte Kyle Gass, associés de longue date – ils jouaient dans la troupe de théâtre de Tim Robbins à la fin des années 80 -, et pour leur mock rock aussi bon enfant qu’outrancier, qui ressemble surtout à une longue déclaration d’amour au rock, au hard rock et au heavy metal chers à leurs cœurs rondouillards. On omet d’ailleurs souvent que, derrière les pitreries un tantinet immatures de ces deux éternels ados, et l’énorme popularité de Jack Black, se cache en réalité une proposition musicale fort bien rodée, sorte de folk / opéra rock / heavy metal, majoritairement acoustique, et bien souvent hilarante. Leur cote d’amour est énorme depuis un bon nombre d’années, et bien que leurs derniers travaux (l’album et la mini-série animée Post-Apocalypto, sortis en 2018) soient anecdotiques, il n’en va pas de même de leurs précédents : l’album Tenacious D (2001), et son giga tube « Tribute » avec Dave Grohl dans un improbable rôle de diable, le chouette Rize of the Phoenix (2012), et surtout, la comédie musicale Tenacious D and the Pick of Destiny et sa B.O. (2006), avec à nouveau le bon Dave dans le rôle du cornu, sont de cultes objets de pop-culture pour un paquet de trentenaires/quadras, et on se met joyeusement dans le lot tant on connait ces trois albums par cœur. C’est d’ailleurs le cas de la grande majorité du public présent ce soir, tous les tubes du groupe étant repris en chœur, voire chantés à la place de Jack Black. On les avait vus en format duo acoustique à Paris il y a quelques années, mais il faut bien reconnaitre qu’ils sont encore plus amusants en format « groupe », accompagnés de leurs trois musiciens live (évidemment tous d’un niveau technique abrutissant). Leurs conneries scénographiques prennent alors une autre dimension, du diable gonflable géant au saxaboom en passant par le technicien maladroit qui n’arrive pas à déclencher les effets pyrotechniques au bon moment, et autres saynètes souvent désopilantes survenant entre les morceaux ou pendant ceux-ci. Tout ce décorum décalé, et certes un peu lourdaud et ringardos, mais si fun et assumé (rien que la tenue de scène de Jack Black dit tout du niveau de sérieux de l’exercice), entraîne le public dans un genre de mélange entre stand up et opéra rock satirique, et l’heure passe en un clin d’œil, au son de « Tribute », « The Metal », « Kickapoo », « Dude (I Totally Miss You) », « Wonderboy », « Roadie », « The Ballad of Hollywood Jack and the Rage Kage », « Fuck Her Gently », le génial « Beelzeboss », et quelques autres. Un seul regret : le volume sonore aurait clairement mérité quelques décibels supplémentaires, mais c’est là une bien maigre critique pour ce qui est par ailleurs un concert bien en chair et riche en gentilles bêtises. On retournera volontiers les voir si l’occasion se présente à nouveau, d’autant qu’ils ne rajeunissent pas.

Et en parlant de vieilleries et de nostalgie, quoi de plus légitime que de finir notre Hellfest 2023 avec rien de moins que le cadavre de Pantera (Mainstage 02 – 21h). Comme beaucoup de gens n’ayant pas eu la chance de les voir dans leur prime, on est passés par plusieurs états à l’annonce de cette pseudo-reformation (aucun nouveau disque n’est prévu, seulement une giga tournée) : une certaine excitation, mais une forme de mépris goguenard aussi, devant le relatif cynisme, assumé ou non, de l’entreprise : certes, Anselmo a vendu tout cela comme une tournée « Legacy », pour les fans, en hommage à Dimebag et Vinnie, et cætera, et il n’est ni la première, ni la dernière vieille gloire du metal à en passer par là. Mais tout cela sent tout de même fort le cash grab monumental, jouant sur la corde sensible de la nostalgie, sentiment particulièrement puissant avec Pantera tant il a constitué, dans les années 90 (hein, quoi, Pantera a enregistré des disques avant Cowboys from Hell ? Mais non voyons…), et jusqu’au début des années 2000, un groupe gateway essentiel pour un très grand nombre de fans de musiques extrêmes. Scepticisme donc, mais excitation, tout de même, car il faut rendre à César ce qui doit l’être : à ses grandes heures, Pantera était tout simplement l’un des plus importants groupes de metal au monde, une implacable usine à tubes au charisme réel, et une sacrée bête de scène. Tout ceci étant posé, et étant bien conscient de ce à quoi on allait assister, restait la curiosité sincère de voir si, a minima, ce demi-Pantera (Rex Brown et Phil Anselmo), complété des deux remplaçants de luxe que sont Zakk Wylde (Black Label Society, Ozzy Osbourne) et Charlie Benante (Anthrax), allait offrir une prestation digne de son héritage : une heure trente plus tard, force est de constater que la réponse est oui. Un oui modeste, celui du consensus mais pas du plébiscite, mais un oui tout de même. En toute franchise, Pantera offre une prestation plus qu’honnête, et à tout le moins, ne faisant pas offense à sa stature passée. On n’avait de toute façon aucun doute sur le fait que Benante et Wylde tiendraient l’affaire debout avec aisance, et c’est ce qu’ils font, sourire aux lèvres et avec un professionnalisme impeccable. Rex Brown, pour sa part, assure la basse et les backing vocaux très décemment, sans artifices et sans erreurs : il est à la hauteur de la tâche. Restait la grande inconnue du soir, à savoir les capacités vocales de Phil Anselmo, question inévitable tant ses performances ont été aléatoires ces dernières années, et Dio sait qu’on l’a vu une tonne de fois, que ce soit avec Down, Scour, Superjoint Ritual ou encore The Illegals. À ce sujet, aucun miracle ne se produit ce soir : dès que les lignes de chant mélodiques ou un peu trop hautes de « This Love » ou encore « Cowboys from Hell » se profilent, Philou est en difficulté. Mais en difficulté seulement : pas en PLS. En réalité, on le trouve plutôt en voix, on sent qu’il a beaucoup bossé et qu’il prend tout cela avec le plus grand sérieux, et sans autre artifice que celui de l’aide du public, exercice que le débonnaire et patibulaire vétéran maîtrise à la perfection, il s’en sort globalement avec les honneurs, bien porté par son groupe, par un son monstrueux, et par une setlist délivrant évidemment tube sur tube. Qui ne connait pas « Walk », « Five Minutes Alone », « Fucking Hostile » ou « I’m Broken » ? Qui ne s’est jamais époumoné sur « Becoming » ou « A New Level » ? Dans l’ensemble, tous les morceaux qu’on espérait entendre sont là, dignement exécutés, et c’est finalement tout ce qu’on demandait. On a même le droit à « Suicide Note Part 2 », à un bout de « Cemetery Gates », et à un petit medley « Domination / Hollow » de bon aloi. Bref, s’il n’est pas certain que ce concert nous reste à jamais en mémoire (d’autant qu’en toute honnêteté, on est rôtis, comme à chaque fin de Hellfest), on est contents d’avoir pu y assister, et d’avoir pu entendre des morceaux qui ont tellement compté pour nous fut un temps, joués par une partie de leurs géniteurs authentiques.

Pantera (c) Ronan Thenadey

On en termine ainsi avec cette édition 2023 du Hellfest, le quinzième pour nous, un millésime qu’on jugera à nouveau assez intouchable sur le strict plan technique et musical (modulo des galères liées à une ouverture trop tardive le jeudi, mais on n’y était pas), et ce, alors même que le line-up nous semblait plus faible que les années précédentes. On râle sur le déplacement de la Valley, mais c’est in fine un mouvement cohérent. On reste par contre circonspects sur l’espèce de Nike Store Hellfest installé à la place de l’ancienne Valley, qui répondait néanmoins sans doute à une demande réelle, puisqu’il a fait le plein tout le week-end. (Romain Lefèvre)

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