[Report] Hellfest 2019 (dimanche)

HELLFEST : DIMANCHE

Par Emilie Denis, Elodie Denis, Olivier Drago, Romain Lefèvre, Stéphane Leguay et Bhaine Rivière
Photos : Ronan Thenadey

(Brutus)

Sous un soleil de plomb, on assiste au set de Brutus sur la Warzone. Si son dernier concert parisien au Point FMR n’avait pas convaincu tout le monde (le groupe lui-même n’en était pas très satisfait), faute à des problèmes de sonorisation, cette fois le trio belge séduit bien des novices et répond aux attentes des connaisseurs grâce à un son impeccable digne des morceaux riches tirés de ses deux excellents albums (Burst et Nest), toujours aussi difficilement descriptibles, à mi-chemin entre emo, hardcore et post-rock. Stéphanie Mannaerts frappe ses fûts et chante à gorge déployée, comme si sa vie en dépendait, notamment sur le mid-tempo et fabuleux « Sugar Dragon » durant lequel les tricotages post-rock succèdent à des passages a capella (« Sugar dragon / How I feel your flames / When you say my name / I’m lost »), concluant à merveille le concert tout en collant le frisson à un public venu nombreux, confirmant la hausse de popularité constante du trio. (Em.D)

Le hardcore metal est le grand absent de l’édition 2019 du Hellfest après une affiche 2018 démentiellement fournie en la matière. Il n’y a guère qu’Employed To Serve le dimanche pour représenter la nouvelle vague hardcore teinté neo-metal et beatdown incarnée depuis quelques années par Code Orange ou Knocked Loose ou plus récemment par Extortionnist ou Bloodline. Et sur la Warzone en début d’après-midi, les Anglais font le taf. Tous vêtus d’un coupe-vent noir orné du logo du groupe (alors qu’il fait au moins 35° au soleil), les cinq musiciens ont dû perdre trois litres d’eau pendant les quarante minutes de leur set. Riffs lourds et accordage bas, groove impeccable et hurlements bien véners de la front-woman Justine Jones, le public, abondant, a enfin droit à sa dose de mosh-parts du week-end et en profite à fond. On ne les attendait pas forcément à ce niveau mais force est de constater que les Jesus Piece et autres Harm’s Way ont peut-être trouvé leur équivalent de ce côté de l’Atlantique. (B.R.)

(On a trouvé le véritable patron des lieux)

Le dimanche, les trios semblent à l’honneur sur la Valley avec Acid King, les Young Gods ou encore Yob… Ces derniers, menés par le talentueux Mike Scheidt, emportent le public dans leur délire doom cosmique avec des titres comme « Breathing from the Shallows » ou « Adrift in the Ocean ». Leur arme fatale ? Des riffs qui serpentent et spiralent comme dans un nid de couleuvres, plongés jusqu’au cou dans un psychédélisme noir riche en delay et bercés par une section rythmique qui installe une transe orageuse, avec – entre les deux – un chant de sorcière pour créer du lien entre ciel et terre. On en ressort avec une ferme envie de revisiter tous leurs disques, sans oublier l’époque Middian… (El.D.)

Quelques minutes avant le début du set des Floridiens de Morning Again, ça sonne creux à la Warzone. On se souvient du bide intersidéral d’Integrity il y a deux ans, au même endroit, le même jour et sous le même cagnard, et on espère qu’un autre groupe hardcore metal culte ne va pas subir le même désintérêt d’un public désormais plus motivé à l’idée d’aller voir les Wampas (putain…) qu’une formation rare n’ayant pas joué en France depuis vingt ans. Heureusement, le devant de scène finit par progressivement se remplir et Morning Again va sortir le bleu de chauffe (ce n’est pas peu dire) pour convaincre tous les festivaliers présents, de plus en plus nombreux. Jouant tous ses titres majeurs (« Stones », « Martyr »… mais aussi un extrait de son récent EP) et se mettant tout le monde dans la poche avec une reprise de Sepultura (« Refuse/Resist ») avant que le chanteur Kevin Byers aille prendre un bain de foule sur « God Framed Me », Morning Again signe une excellente prestation. Sur Instagram, le groupe déclarera le soir-même que c’était le meilleur concert de son histoire. Pour nous (enfin, pour moi au moins), ce sera l’un des meilleurs du fest et vu la concurrence cette année, c’est déjà énorme. (B.R.)

On n’avait plus vu Årabrot depuis sa tournée avec le trio MoE en 2014, alors assurée en configuration duo modulable en quintette (puisqu’ils faisaient appel à leurs compatriotes en cours de set)… Désormais, on a affaire à un quartette bien rôdé avec un très bon binôme basse/batterie, mais aussi une musicienne (Karin Park, compagne du leader Kjetil Nernes) qui gère un clavier et assure des chœurs du plus bel effet, puis surtout un Kjetil Nernes habité au centre, toujours vêtu de sa tenue de paysan puritain d’un autre temps (à la American Gothic de Grant Wood). Musicalement, leur répertoire entre les Melvins, les Swans/Michael Gira et Wovenhand fait partie de ces savoureux moments de décalage avec le reste de la prog metal (comme d’autres années, on avait pu avoir King Dude, Chelsea Wolfe, Wovenhand…) qui comptent énormément au Hellfest. Moments forts : le génial «Tall Man » et « Sinnerman », leur reprise de Nina Simone. Malheureusement, très peu de monde là encore devant la scène, car outre le caractère décalé de la musique du groupe, le concert n’a été annoncé que quelques jours auparavant suite à l’annulation de celui d’Emma Ruth Rundle. (El.D.)

On est bien contents de revoir Acid King dans des conditions normales, car notre dernier concert du groupe, au Desertfest 2018 à Anvers, s’était soldé par un échec cuisant : le trio avait connu d’incessants et handicapants problèmes techniques tout au long de son set, finalement écourté, et, rapidement lassé par les coupures et intervalles interminables, on avait jeté l’éponge à mi-concert. Frustrant, car Acid King est une superbe et authentique usine à fuzz dirigée depuis plus de vingt ans par Lori, la « tata routière » de tous les amateurs de stoner/doom. Sauf qu’au lieu de manier le volant d’un gros camion, elle tient une guitare exclusivement dédiée aux gros riffs. Aussi, malgré la chaleur harassante de ce dimanche et la fatigue accumulée, on se faufile dans une Valley blindée et on se trouve un petit coin pour écouter la messe. On ne regrette pas ce choix, car le concert du jour est infiniment meilleur que celui d’octobre dernier. Aucun souci technique à déplorer, des riffs qui s’enchainent telles les nouilles sur un collier en période de fête des mères, un son franchement excellent, et quelques tubes de Busse Woods de derrière les fagots (soyons honnêtes, les autres albums d’Acid King ne sont pas aussi bons). Car, oui, le peuple stoner/doom de la Valley veut son « Electric Machine », son « Drive Fast Take Chances », son « Silent Circle », etc. Et il les obtient, le groupe ayant parfaitement conscience que ses derniers albums intéressent moins les foules (il continue d’ailleurs de tourner régulièrement alors qu’il n’a rien sorti depuis le relativement anecdotique Middle of Nowhere, Center of Everywhere en 2015). Bref, Acid King fait le job avec bonne humeur et application, et c’est ma foi tout ce qu’on lui demande. (R.L.) 

(Stone Temple Pilots)

Peu de monde devant la scène – par rapport à la plupart des groupes se produisant sur les Mainstages – lorsque retentit l’intro du concert de Stone Temple Pilots. Le quatuor n’a jamais été aussi populaire ici qu’aux États-Unis, et c’est son premier concert français avec Jeff Gutt au chant, remplaçant de Scott Weilland et Chester Bennington, tous deux décédés – Gutt doit maudire l’expression « jamais deux sans trois ». Alors qu’on n’aurait pas misé un centime sur ce chanteur issu d’un groupe neo-metal de ixième zone (Dry Cell) et candidat de l’émission X-Factor, Gutt a su convaincre sur l’album sans titre sorti l’an dernier, et c’est aussi ce qu’il parvient à faire en cette fin d’après-midi au Hellfest. On peut trouver dérangeant qu’il singe tant Scott Weilland, vocalement comme gestuellement, mais malgré cette mise en retrait de sa propre personnalité, le charisme du bonhomme reste bien réel et son envie de convaincre le public fait plaisir à voir et à entendre, notamment sur « Roll Me Under » – seul titre du nouvel album joué, et seul à ne pas être extrait de Core ou Purple – où il descend de scène pour aller au contact des premiers rangs. Son interprétation sans faille et passionnée de « Vasoline », « Wicked Garden », « Big Empty », « Big Bang Baby » ou « Sex Type Thing » remporte totalement notre adhésion, d’autant que les frères DeLeo, Dan à la guitare (bien décrépi par l’âge) et Robert à la basse (à qui vieillir réussit au contraire bien : bonne idée la barbe !) et le batteur Eric Kretz assurent évidemment comme des chefs. (O.D.)

(Phil Anselmo & The Illegals)

S’il n’avait pas été officiellement annoncé de cette façon, on savait que le set de Phil Anselmo & The Illegals serait constitué de reprises de Pantera. Mais c’est avec  trois morceaux de son propre répertoire, « The Better », « Little Fucking Heroes » et « Choosing Mental Illness », que le groupe entame les fucking hostilités. Trois titres face auxquels le public ne réagit que mollement malgré leur ultra-brutalité. Anselmo explique qu’il a bien conscience que la plupart des gens présents ne connaissent pas ces morceaux, mais qu’un groupe sur scène se nourrit de l’énergie que lui renvoie le public, et qu’il serait bien de faire un petit effort. Par contre, dès que retentit le riff de « Mouth for a War », plus besoin de ce genre de discours : la Valley explose. Anselmo se réjouit alors de l’accueil qui lui est réservé, cabotine sur un ton redneck face à un public survolté qui reprend « I’m Broken », « Walk » et « Fucking Hostile » en chœur, même si ceux-ci sont joués à la sauce « Illegals », sèchement et violemment, sans le groove et le feeling des frères Abbott et Rex Brown, ni même l’agilité vocale dont faisait preuve l’ami Phil à l’époque. On passe néanmoins un très bon moment, à s’amuser d’un frontman qui exhorte son public de la façon la plus poussive qui soit, tout en s’émouvant tout de même d’entendre live des titres qui ont bercé nos jeunes années metal. D’autant plus qu’Anselmo & co ne se contentent pas des classiques en jouant également les fabuleux « Yesterday Don’t Mean Shit » et « Hellbounds » extraits de l’injustement mal aimé Reinventing the Steel. (El.D.)

Anthrax introduit son concert en jouant l’intro de « Cowboys from Hell » de Pantera, enchainée avec « Caught in a Mosh », titre parfait pour se mettre le public dans la poche. Rien à redire sur la performance des musiciens, mais on se demande pourquoi le groupe s’obstine à jouer autant de reprises lors de ses prestations, plutôt courtes, en festival. Passe encore concernant « Got the Time » de Joe Jackson, devenu un de leurs classiques et qu’on prend toujours plaisir à écouter, mais qui a encore envie de les entendre jouer « Antisocial » de Trust (le morceau que le groupe a le plus interprété live derrière « Caught in a Mosh » !) ? Apparemment, et malheureusement, beaucoup de monde, à en croire la réaction du public… Tristesse. Aucun morceau de l’excellent For All Kings, leur dernier album, n’est interprété, et voilà donc un set essentiellement 80s si on excepte « In the End », tiré de l’avant dernier album  Worship Music et malheureusement massacré par Belladonna. Sans surprise,  « Efilnikufesin (NFL) », « I’m the Law » et « Indians » (en clôture de set, avec pour outro… « Cowboys from Hell ») sont donc joués et le seul titre un peu inattendu, « Now It’s Dark, extrait de State of Euphoria, nous fait juste un peu plus regretter l’absence de « Keep it in the Family », « Belly of the Beast », « A Skeleton in the Closet » ou « Only » (seul morceau de la période John Bush parfois joué depuis le retour de Belladonna). Concert néanmoins convaincant malgré tous nos reproches. (O.D.)

(The Young Gods)

On a beau avoir adoré Data Mirage Tangram, on s’interrogeait sur son rendu live du fait de son orientation très down-tempo. C’était oublier que sa genèse avait eu lieu sur scène et qu’un concert de The Young Gods n’est jamais décevant. Et effectivement, un nouvelle fois, le groupe touche au sublime, comme au même endroit en 2011, avec ce concert basé à 50 % sur le dernier album (« Figure Sans Nom », « Tear Up the Red Sky », « All My Skin Standing », « You Gave Me a Name »). Technoide, tribal, trippant, hypnotique, amazonien, orageux et totalement immersif, le set se montre plus trippant que ceux de bien des groupes jouant sous la Valley et se réclamant du rock psychédélique. Franz Treichler lâche sa guitare pour mieux manier son célèbre pied de micro lumineux et renouer avec sa gestuelle de ballerine désarticulée. Ceci le temps de deux classiques,  « Kissing the Sun »  et « Envoyé », lui  interprété dans la version remaniée et allongée que le groupe joue sur scène depuis bien dix ans, et de deux morceaux assez inattendus, « About Time » (de Super Ready/Fragmenté) et « The Night Dance » (de TV Sky). Bref, un des meilleurs concerts de cette édition 2019, dommage que là encore (Årabrot, Daughters, Cult Leader, STP, Hellhammer…), le public ne soit pas vraiment au rendez-vous, la Valley demeurant à moitié vide. (O.D.)

Après avoir été transporté par les Young Gods on rejoint la Warzone pour constater avec plaisir que du monde a répondu présent au concert de Refused a qui revient la lourde tâche de jouer en même temps que Slayer (dont c’est la dernière venue en France annoncée). Le choix s’avérait difficile, mais le concert d’anthologie des Suédois au même endroit en clôture du Hellfest il y a deux ans nous a convaincus de réitérer l’expérience. On s’approche de la scène au son du classique « Rather Be Dead » et on assiste à un set similaire quoique plus sage qu’il y a deux ans, durant lequel deux nouveaux morceaux sont joués (« Blood Red Until I’m Dead » et « Economy of Death »). Dennis Lyxzén fait toujours de la GRS avec son micro et nous gratifie d’un discours anticapitaliste et antipatriarcal qui se conclut par un appel à l’orga du festival d’impliquer plus de femmes (quand même représentées cette journée-là par Nova Twins, Gold, Brutus, Messa, Employed To Serve et Acid King). Comme à leur habitude, les Suédois jouent le riff de « Reign In Blood » de Slayer (ironique vu les circonstances) et terminent leur set sur un magistral « New Noise » introduit par un ironique « maintenant on va vous jouer un titre qu’on a volé à Shaka Ponk » (le groupe français l’avait en partie repris aux Victoires de la musique), nous laissant juste le temps de voir la dernière demi-heure de Slayer et de nous prendre une seconde ration de « Raining Blood ». (Em.D.)

(Slayer)

C’était annoncé depuis longtemps, la cinquième participation de Slayer au festival sera la dernière du groupe sur le sol français. La Mainstage 2 fait donc le plein de fans, nostalgiques ou curieux pour voir les Californiens assener une dernière fois leurs classiques « Raining Blood », « War Ensemble », « South of Heaven », « Chemical Warfare » ou « Hell Awaits ». Le son est suffisamment clair et percutant pour restituer au mieux toute la sauvagerie d’une œuvre revisitée de ses débuts (le plutôt rare « Evil Has No Boundaries ») jusqu’à son dernier manifeste (« Repentless »). Le groupe, qui a pris le soin de s’arrêter sur presque chacun de ses albums (« Disciple », « World Painted Blood ») est en grande forme et semble vouloir suspendre le temps dans le chaos hystérique et malfaisant d’une setlist principalement axée sur les riffs et les cadences les plus suffocantes (« Born of Fire », « Postmortem »). Visuellement, le rouge est de sortie : backdrops infernaux, lights sanguinolents et mur de feu, cette dernière de Slayer ressemble plus que jamais à un « see you in hell » de circonstance. Des adieux qui touchent visiblement un Tom Araya, très ému au moment de quitter la scène du crime, les dernières décharges d’« Angel Of Death » évanouies dans le feu d’artifice qui embrase le ciel vendéen. C’était bien. Vraiment très bien. Merci pour Tout. (S.L.)

(Tool)

Mais l’émotion de la journée – la vraie, l’exaltation sans scrupules rieurs -, ce sont les Américains de Tool qui nous la procurent sur la Mainstage, entre minuit et demi et deux heures du matin. Bonheur que de retrouver Maynard James Keenan et sa bande après douze ans d’absence, surtout qu’ils nous offrent deux nouveaux morceaux plutôt prenants live. Le frontman vêtu comme un punk clownesque (crête, maquillage et pantalon en tartan rouge outranciers) occupe une place en retrait (fond de scène) qu’il affectionne depuis de nombreuses années dans la plupart de ses projets (A Perfect Circle, Puscifer…) : entre un Justin Chancellor (basse) et Adam Jones (guitare) au premier plan, et un Danny Carey qui martyrise toujours les fûts avec la même précision. Tout autour d’eux, des écrans projettent des animations psychédéliques et clips bien connus (celui de « Stinkfist » notamment, réalisé par Adam Jones en stop-motion, avec ses créatures sablonneuses). Hormis une petite saillie ironique de Maynard en début de set, la communication s’en tiendra à la musique… mais quelle musique ! En phase avec des notes, des images, et des lumières aquatiques et irisées, les lignes de chant de Keenan feront voyager un parterre conquis à travers un répertoire complètement à part dans le metal et la musique alternative des années 90 et 2000. Le groupe pioche en effet dans tous ses albums et EP (« The Pot », « Jambi » ou « Vicarious » pour le dernier album, « Ænema », « Forty Six and Two » pour Ænima, « Intolerance » pour Undertow, le rare « Part of Me » pour Opiate, « Schism » pour Lateralus, etc. etc). Au final, lorsque les dernières notes de « Stinkfist » retentiront dans la nuit clissonnaise (peu après le fameux pont « To breathe, to feel, to know I’m alive… »), on restera comme sonnés. (El.D.)

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