[La Caverne de Maître Zoltar] Cryo Chamber/Cryo Crypt (label dark ambient/dungeon synth)

C’est sûrement la « faute » à ce concert au Glaz’Art à Paris réunissant Raison d’Être, Desderiis Margenis et Brighter Death Now, soit trois des plus respectés groupes de death industrial et dark ambient de feu Cold Meat Industry, mythique label suédois de la fin des 90s et du début des 2000s Ou alors juste parce que j’avais juste envie d’empoigner mon dé, une fiche de personnage vierge et de me refaire l’un de ces Livres Dont Vous Êtes Le Héros entassés dans ma cave. Mais voilà, j’avoue une fascination particulière pour cette micro-scène dungeon synth. Une musique fauchée par définition, avec comme point de départ le premier album de Mortiis (alors tout juste débarqué d’Emperor) armé seulement d’un synthétiseur primitif, d’un faux-nez, d’un casque en plastique, d’une cotte de mailles et de beaucoup, mais alors beaucoup d’imagination. Une musique très lo-fi qui, depuis l‘avènement de plateformes comme Bandcamp, s’est beaucoup développée à coup de sorties digitales ou cassettes en édition ultra-limitées, à l’imagerie semblant souvent sortir d’un roman de JRR Tolkien ou d’un manuel de jeux de rôles des 80s.

La dark ambient et le dungeon synth sont intimement liés, le second étant souvent pratiqué par des artistes venus du premier. Mais l’une des rares structures à mélanger les deux est le label Cryo Chamber. Monté en 2011 par un Suédois âgé aujourd’hui de 47 ans du nom Simon Heath, connu avant tout pour son travail en tant que musicien avec Atrium Carceri, son catalogue recense plus d’une centaine de sorties d’artistes du monde entier dont il se charge (en général) aussi bien du mastering que du visuel. Récemment, Heath a aussi lancé un sous-label du nom de Cryo Crypt entièrement dédié au dungeon synth. Le genre de contrée électronique et atmosphérique peu abordée dans les pages de new Noise mais idéale pour les ambiances humides et moite propres à la caverne, non ?

Avec Atrium Carceri, tu étais signé sur Cold Meat Industry. As-tu justement décidé de créer Cryo Chamber après que son patron, Roger Karmanik de Brighter Death Now, ait décidé d’en fermer les portes ?
Simon Heath : En fait, j’ai lancé l’idée juste avant. J’en avais juste ras le bol de ne pas être payé. Même avec beaucoup de sorties à mon actif, je n’ai jamais vu un centime. Alors, je me suis dit, « montons un label qui donne la priorité aux artistes, comme une bande de copains qui créent des trucs sympas, ensemble ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nombre de mes sorties sont en fait des collaborations…

Dès le début, l’idée était de spécialiser dans la dark ambient ?
J’ai toujours été attiré par cette musique, par ce genre d’ambiance cinématographique sombre, profonde, maussade. Et fédérer des gens du monde entier autour d’un même concept nous a permis de créer une équipe soudée, où chacun est toujours prêt à donner un coup de main sur les projets des autres ou en s’en inspirant. Cela a d’ailleurs donné ce que l’on pourrait appeler le « son » Cryo Chamber.

Tu es également en charge de la majorité des visuels des disques que tu sors. Est-il important pour toi de conserver une identité visuelle commune, propre au label ?
Oui, Cryo Chamber est une entité très conceptuelle à tous les niveaux, il est donc important de conserver une certaine cohérence, de créer un « monde » si tu préfères, dans lequel auditeurs et auditrices peuvent s’immerger.

Pour ceux qui vont découvrir ce label avec cet article et qui n’y connaissent rien en dark ambient : par où conseillerais-tu de commencer ?
Hum, tout dépend d’où tu viens et de ce que tu cherches… Si tu cherches le côté minimaliste et très atmosphérique de l’ambient pure, je te conseillerai Mount Shrine. Si tu es plutôt branché par quelque chose de plus indus, alors essaye Atrium Carceri. Enfin, si les ambiances occultes et lovecraftiennes sont ton truc, alors écoute l’une des huit collaborations inspirées par cet auteur que j’ai sorti jusqu’à maintenant. Il s’agit de doubles voire des triples albums, constitué à chaque fois d’un seul long morceau par disque, mais qui est en fait le fruit du travail de plein d’artistes du label. Chacun est dédié à une créature précise du culte de Cthulhu.

Cette série, dont le dernier album en date est consacré à la divinité Rhan-Tegoth est sorti l’année dernière, compte désormais dix volumes. Ce sont tes sorties les plus populaires ?
Oui, c’est la plus importante et la plus suivie de nos collaborations. Et j’espère continuer au même rythme, c’est-à-dire un par an, quitte à ensuite nous ouvrir à d’autres thématiques tout en gardant la même idée.

Comment expliques-tu la porosité, surtout dans les 90s, entre la scène metal extrême et la scène dark ambient ?
Je ne peux parler qu’en mon nom. J’ai toujours été accro aux albums conceptuels, plus qu’aux albums autobiographiques. Tout disque bâtît autour de thèmes solides m’a toujours attiré. Qu’il s’agisse de contes black metal, de l’électro esquissant des voyages qui ont mal tourné, ou même des bandes sonores de films ou de jeux vidéo, du moment que ça m’emmène dans un espace physique et mental différent où je peux errer à ma guise.

Tu sors des disques sous ton alias Atrium Carceri depuis 2003. Dirais-tu que les avancées technologiques t’ont permis de de mieux en mieux t’exprimer au fil des années ?
Au début, j’étais effectivement un peu obsédé par tout ce qui était hardware, mais j’avoue que ces jours-ci, j’ai adopté une configuration plus minimaliste. C’est vrai que les logiciels ont parcouru un sacré chemin ! J’utilise divers microphones pour capter des vibrations acoustiques qu’ensuite je modifie et tords à ma guise. Il est effectivement facile de tomber dans le piège de la surenchère, mais j’ai appris à résister et à me concentrer sur la maîtrise de chaque pièce d’équipement. Pour mes aventures dungeon synth sous le nom de Mountain Realm, j’ai dépoussiéré mon fidèle disque dur de la bibliothèque Soundfont, vieille de vingt ans, pour récupérer des sons à l’ancienne, mélangés à quelques astuces de production volontairement old school, elles aussi. C’est un peu un voyage musical dans le temps !

Pourquoi avoir lancé en 2023 un sous-label dédié exclusivement au dungeon synth ? Et pourquoi, contrairement à Cryo Chamber qui sort des CD, privilégier les K7 avec Cryo Crypt ?
Ce n’est pas tout à fait la première fois que j’approche ce style. J’ai pendant longtemps fait partie d’un groupe de dark fantasy/neo folk appelé Zaza Frûmi avec lequel j’ai sorti huit albums. Donc même si mes deux projets actuels, Atrium Carceri et Sabled Sun, se situent plus dans une veine indus/dark ambient, je n’ai jamais cessé de collecter dans mon coin des idées dans un style dungeon synth. Sauf que ce n’est pas un genre qui colle avec le concept de Cryo Chamber. Un jour, j’ai en discuté avec mes copains Pär de Kammarheit et Gdanian de Dganian (NdR : deux artistes signés sur Cryo Chamber), deux poids lourds de cette scène, et ils m’ont poussé à me lancer. Il est encore un peu tôt pour savoir où ça nous mènera, vu qu’à l’heure actuelle (NdR : début mars 2024) nous n’avons que trois sorties, mais on verra. Quant au choix du format cassette, c’est un élément important de la culture dungeon synth et un type de production à laquelle je ne m’étais pas encore attaqué, donc pourquoi pas ?

Tu sais que tu marches sur des œufs là non ? Le concept dungeon synth est très strict et il est facile de tomber dans le pastiche involontaire…
Je vois ce que tu veux dire, mais je pense qu’il existe une marge de manœuvre. Et j’entendais la même chose lorsque j’ai commencé à faire de la dark ambient : certaines personnes pensaient que cette musique ne pouvait être faite que d’une seule et unique façon. Et pourtant, plus de vingt ans plus tard, tout le monde peut voir que ce genre a beaucoup évolué… Je veux faire la même chose avec Cryo Crypt. Maintenant, que les gens y apposent ou non le label dungeon synth n’est pas de mon ressort.

Quelle est ton actualité personnelle ?
Je vais bientôt sortir le prochain, et normalement dernier, album de Sabled Sun, intitulé 2150, qui conclura le cycle entamé en 2015 avec 2145. Bon, j’ai dit la même chose lorsque j’ai sorti le disque précédent, 2149, donc rien n’est moins sûr… Entretemps devrait sortir le deuxième album de Mountain Realm, terminé depuis cet hiver.

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