
(c) Elie Bianco
New Noise présente “Chacun Mes Goûts”, une série de discussions où groupes et artistes mis en avant dans nos colonnes nous parlent de leurs disques de chevet. Aujourd’hui, c’est Louis Lambert, multi-instrumentiste et compositeur de DDENT, NNRA, et membre de Krv, qui se prête au jeu…
Ton premier disque acheté ou acquis ?
Louis Lambert : Mon premier CD acheté, c’était le live de NTM au Zenith. J’avais 9-10 ans. Mais le premier que j’ai vraiment saigné, c’était une cassette de Les Princes de la Ville de 113. Les instrus de DJ Mehdi sont hallucinantes. J’avais sérieusement bloqué sur un sample d’1 minutes 30 de « Ouais gros », je me foutais dans un coin dans la cour du collège et je l’écoutais en boucle.
Un disque que tu écoutais avec tes parents ?
Pas facile, il y en a beaucoup. J’ai fait mes premières découvertes en écoutant des vinyles avec mon père : Dark Side Of The Moon de Pink Floyd tournait souvent. Jacques Brel aussi, presque tous ses albums. Comme tout le monde j’ai eu beaucoup de périodes. J’ai commencé avec le rap, puis le blues avant d’en arriver au metal. Ce qui est sûr, c’est qu’écouter certains vinyles de Pink Floyd a été le fil rouge, je n’ai jamais arrêté. Et puis Klaus Nomi, les Animals, Barbara, Leo Ferré…
Un disque qui t’a ouvert aux musiques saturées ?
Au-delà du blues, je suis tombé sur Black Sabbath vers mes 15 ans, après Led Zeppelin et Aerosmith. Ça a été la transition vers des musiques plus lourdes. Impossible de choisir entre les 5 premiers, mais c’est le sans-titre que j’ai le plus écouté.
Un disque qui t’a donné envie de faire de la musique ?
J’ai commencé la musique très jeune, vers mes 5 ans, combo guitare et solfège. J’ai arrêté vers mes 8-9 ans car je n’y voyais pas d’intérêt. Je m’y suis remis avec l’arrivée d’Internet dans les foyers, un pote m’a fait découvrir les tablatures, qui permettaient d’apprendre sans ce côté scolaire, et chez soi. Clairement, je m’en souviens très bien : arrivée à Paris à 13 ans, je me remets sur ma guitare, et ça s’est fait sur …And Justice For All de Metallica. J’ai appris « One »… Puis les riffs neo metal en boucle, genre « Sweet Dreams » de Marilyn Manson, les morceaux de System Of A Down… On déchiffrait tout.
La question impossible : le(s) meilleur(s) album(s) de tous les temps ?
Si j’en choisis plusieurs, il y en aura trop. Celui qui m’a le plus retourné quand il est sorti, et bien qu’aujourd’hui on en voit les limites et les défauts, c’est The Fragile de Nine Inch Nails. J’ai découvert via Marilyn Manson. Ayant par la suite découvert l’indus et compris d’où venait Trent Reznor, je suis parfaitement conscient que cet album n’est pas tant une révolution que ça dans l’histoire de la musique. Mais si je dois choisir un album qui rassemble tout ce que j’aime, c’est celui-là. C’est un mètre-étalon dans le genre. Que ce soit la production, la composition, l’émotion…
Ton disque « post-whatever » préféré ?
C’est une question qui revient souvent, je n’y connais rien en post-metal, ce n’est pas mon truc, je trouve ça chiant. Le post-rock, j’en écoute très peu, mais je choisis Dirty Three, Ocean Songs. Ça doit à peine entrer dans la catégorie, mais ce disque m’a fait découvrir la musique instrumentale.
Ton disque black metal préféré ?
Je vais choisir un tradi et un autre plus contemporain. Un vieux groupe français : Mütilation, un de leurs deux premiers disques, Vampires Of Black Imperial Blood… C’est sale, les sonorités sont folles. C’est Nico (NdR: Zivcovich, bassiste de DDENT, Les Tigres Du Futur et Fiend, chanteur/guitariste de Krv…) qui m’a fait découvrir. C’est parfois hyper classique et mélodique. Et puis, n’en déplaise aux puristes : The Ark Work de Liturgy. Pour moi c’est le pas en avant, vers quelque chose de novateur. On trouve même un morceau hip-hop dessus.
Ton disque hip-hop préféré ?
Enter The Wu-Tang (36 Chambers), parce que le rap US c’est important ! C’est si différent, j’aime le côté « gangster » qu’on ne trouve dans le rap français, qui a été mon premier coup de cœur. C’est plus violent. Je connaissais déjà Eminem, qui était plus commercial, avant de découvrir le Wu Tang. Les beats sont dingues, et le flow est imbattable. Quand j’ai découvert ça, ça m’a choqué. Je trouvais par exemple 113 plus mélodique.
Ton disque indus préféré ?
Je vais en choisir plusieurs. I de Die Krupps, l’album qui a été le plus pompé par Rammstein. Tu peux être sûr qu’on y retrouve tous les riffs de Sehnsucht. La prod est dingue, quand tu l’écoute au casque, tu entends tout un tas de détails rythmiques. C’est de l’indus bien comme j’aime, à l’allemande. Et Ministry, The Mind Is A Terrible Thing To Taste… Pour le côté plus metal et violent, ultra sale. Ça a été un choc, c’est presque du hardcore pour moi.
Ton œuvre de musique classique préféré ?
Les 4ème, 5ème et 6ème de Beethoven. J’écoutais plutôt ça en famille, et ça reste parmi mes préférés. En contemporain, j’hésite un peu mais je pense que je choisirais Philip Glass. Peut-être Glassworks qui résume assez bien la mouvance. C’est une belle réinterprétation du classique, avec des rythmiques contemporaines et lancinantes. Sa façon presque « indus » d’utiliser les instruments m’a beaucoup influencé.
Un disque avec ton/ta multi-instrumentiste préféré·e ?
Tu me poses une colle… Kid A de Radiohead figure dans mon top 5, mais c’est un travail de groupe… Je bloque un peu, je dois réfléchir… Je pense à Bowie, qui jouait de tous les instruments. Et pour lui je choisis Aladdin Sane, sans hésiter.
Un disque que tu aurais aimé produire ?
Il y en a tellement… La question des genres se pose. C’est le moment de citer Kid A. Je suis toujours sidéré par le fait qu’il date de 2000. Quand je l’écoute, surtout le premier morceau, je le trouve encore futuriste aujourd’hui. C’est flagrant quand tu l’écoutes au casque et que tu entends tous les détails : les effets reverse, les bruits de glace… Tellement de trucs que je ne comprends pas. Quand tu en arrives à ce niveau…
Un disque d’un groupe ou artiste avec qui tu es amis ?
J’adore Coffin Cutters de Barque. On commence à bien se connaître, on est chez Dead Pig. J’échange beaucoup avec Antoine, le chanteur du groupe. J’ai halluciné, je ne suis pas très branché punk, hardcore et compagnie, mais je vais beaucoup en concerts, et en les découvrant sur scène, j’ai pris ma branlée. On s’est rencontrés quand NNRA a joué au Rock In Bourlon. Et leur deuxième album est excellent.
Un disque sorti sur ton label préféré ?
Je n’ai jamais trop acheté en fonction des labels, c’est marrant. Mais j’adore Thrill Jockey et Constellations, qui touchent a beaucoup de genres. Cela étant dit, c’est le moment de parler de Svart Records, et je suis dans ma période Kairon; IRSE ! Ils gravitent autour d’Oranssi Pazuzu. C’est le mélange parfait entre Radiohead et de grosses instrus shoegaze ou black metal, mais aussi pop ou jazz. Des gros morceaux à rallonge. Je recommande vivement leurs trois albums, mais Ujubasajuba est le meilleur !
Ton album live préféré ?
Il y en a tellement, mais l’un de ceux le plus écouté dans ma vie, et parce l’approche change totalement des albums studio : Familiar To Millions d’Oasis, enregistré chez eux à Manchester. Cet album est finalement beaucoup plus rock, tu n’y entends pas un seul son clean, c’est un gros live rock. On y trouve même une reprise de « Hey Hey My My » de Neil Young par Noel en solo.
Ta pochette de disque préférée ?
Très très difficile… Ah oui, si ! Je ne sais pas si c’était la mode dans l’indus des 80s, mais on a eu droit à une période avec des pochettes un peu « soviets », comme celles de KMFDM ou Die Krupps, ou « japonisantes ». Et certains artistes m’ont donné l’impression de mélanger les deux. De fait, je vais citer Foetus, un des projet de JG Thirlwell. Il est peu voire pas connu du grand public, mais c’est une figure de l’indus, remercié dans tous les albums de NIN. 20 ou 30 albums au compteur, plein de trucs bruitistes et inaudibles, mais d’autres plus accessibles. Et je cite deux albums : Sink et Nail. J’aime ce mélange d’esthétique, je les trouve hyper cool.
Un disque plaisir coupable inavouable ?
Aucun album inavouable, mais des morceaux, oui, beaucoup ! (Rires) C’est dur ! Dans le gros pactole de daube : The Weeknd. Ce single ultra produit, qui sonne new wave, « Blinding Lights ». Je m’en suis lassé, mais à un moment il ne me déplaisait pas. J’ai écouté deux trois autres trucs de ce mec, mais je ne peux pas, ça m’irrite presque. C’est mon gros morceau de merde. Et sinon, peut-être London Grammar, Wasting My Young Years…
Un disque qui n’est pas plaisir coupable, mais qu’on ne s’attendrait pas à trouver dans ta collection ?
Peut-être Anna Calvi, son premier album. Tout le monde ne connaît pas, elle est mainstream dans certains pays, et écoutée par pas mal de vieux en France, qui l’ont découverte en écoutant France Inter. En live c’est impressionnant, elle a une grosse présence. Mais je m’en lasse vite car les morceaux sont de plus en plus formatés. Son premier album est le plus spontané.
Un disque que tu offrirais à ton/ta meilleur·ami ?
C’est marrant parce que je viens d’offrir Field Songs de Mark Lanegan, un de mes albums préférés de tous les temps. J’ai toujours adoré Lanegan, sauf ses derniers disques. Je pense que c’est un beau cadeau à faire, tout le monde peut l’écouter. C’est sombre, lugubre, et ça sent le whisky.
Un disque tu offrirais à ton/ta pire ennemi·e ?
Je bloque un peu… Peut-être un bon truc de black metal qui pourrait pousser cette personne à bout, et peut-être la faire changer ! Allez, Darkthrone ou Burzum.
Ton disque préféré de 2020 ?
Je place à nouveau Kairon; IRSE!. Polysomn est celui que j’ai le plus écouté et qui m’a le plus impressionné. Sinon, rien ne m’a vraiment retourné parmi les sorties de l’année que j’attendais…
Le disque que tu écoutes en boucle en ce moment ?
En ce moment, j’écoute pas mal d’ambient et de classique. Hildur Guðnadóttir revient le plus souvent. Je l’ai découverte à travers plusieurs films (NdR: la violoncelliste et compositrice islandaise a été récompensée aux Oscars, aux BAFTA, aux Golden Globes et aux Critics Choice Awars pour la bande-son du film Joker), j’écoute en boucle Without Sinking. Il est dans mon casque en permanence. Lugubre, profond, très très beau. Et j’aurais certainement encore répondu Kairon; IRSE!
Ton dernier disque acheté ou acquis ?
J’ai acheté une réédition de Bravery, Repetition and Noise de Brian Jonestown Massacre. Je l’ai beaucoup écouté à l’époque de la sortie du film/documentaire Dig!. Je trouve cet album très différent des autres. Moins folk à base de tambourin et compagnie. Très sombre, et rien que la pochette l’annonce. « Let Me Stand Next To Your Flower » ne ressemble à rien de ce qu’ils ont fait et « Nevertheless » est le plus beau de leurs morceaux.
Et enfin : team vinyles, team CD, team cassettes ou team streaming ?
Les quatre ! Je porte tous les maillots. Si ce n’est que je n’ai plus de lecteur cassette, il va falloir que je m’en rachete un. Mais pas de discrimination. Mp3, wav… Chez moi vinyle et CD, CD dans la voiture.
Couvre-Sang, le nouvel album de DDENT, est sorti en juillet dernier. Vous pouvez l’écouter ICI. Louis est également membre du projet black metal indus Krv, dont le premier album est sorti au printemps. En streaming ICI. Les deux disques sont disponibles chez Chien Noir, nouvelle structure fondée par Louis. Interview à lire dans new Noise #54, actuellement en kiosque.
Propos recueillis par Clément Duboscq
La playlist :