
(c) Silvia Grav
New Noise présente “Chacun Mes Goûts”, une série limitée de discussions où groupes et artistes mis en avant dans nos colonnes nous parlent de leurs disques de chevet. Aujourd’hui, c’est Johannes Persson, chanteur/guitariste de Cult Of Luna, qui se prête au jeu…
Le premier disque en ta possession ?
Johannes Persson : Je me souviens qu’on ma offert Hot in Shade de Kiss pour un Noël ou un anniversaire. Mes parents savaient que j’aimais bien ce groupe à cette époque, c’était cool. Mais ça n’a pas été le disque le plus marquant pour moi, je n’ai pas plus été fan que ça par la suite et aujourd’hui je les trouve surestimés. Mais ça n’engage que moi ! (Rires) Quand j’avais 11 ou 12 ans, j’avais un peu d’argent de poche, je me suis rendu chez un disquaire pour acheter Kill ‘Em All de Metallica. Mais mon père trouvait la pochette trop dérangeante et m’a donc interdit de le prendre. J’ai fait un autre choix à la place et j’en suis très heureux aujourd’hui puisqu’il s’agit d’Arise de Sepultura. Un bien meilleur album. Et je le possède encore, il est incroyable. De très bons morceaux.
Et comme Chaos A.D ou Roots, le temps n’a pas d’emprise dessus…
Du tout ! Et d’ailleurs, mes collègues et moi-même en parlions encore hier au bureau (NdR : Johannes travaille dans une agence de casting en Suède). Je me suis rendu compte que j’avais toujours considéré Roots comme leur pinacle. En réécoutant Chaos A.D, on se rend compte que c’était une vraie transition, et c’est de fait, et de loin, leur meilleur disque. On l’écoute en boucle au boulot, c’est un album merveilleux.
Un disque que tes parents écoutaient quand tu étais gamin ?
Je me souviens que mon père écoutait beaucoup de folk suédoise, surtout de la scène d’Umeå. Il serait difficile de trouver la moindre info là-dessus… Mais j’ai le souvenir de trajets en voiture avec du Chris Rea en fond sonore. Et Bruce Springsteen bien sûr, vers 85-86, après la sortie de Born in the USA.
Un disque qui t’a donné envie de faire de la musique ?
Difficile de choisir ! Pour simplifier, ce n’était pas tant l’envie de devenir musicien, mais celle de mettre un pied dans la scène punk hardcore. Un ami, qui est encore aujourd’hui un excellent guitariste, m’a appris à jouer à partir de l’EP 7 » No Spiritual Surrender d’Inside Out (NdR : premier groupe de Zack De La Rocha). Je choisis celui-ci, mais ça a été tout un processus, j’ai appris à jouer de plus en plus de morceaux par la suite, de plus en plus heavy.
Un disque avec un•e chanteur•euse qui t’a inspiré ?
Je serai tenté de répondre mon propre groupe ! (Il réfléchit) Mais ce serait une réponse chiante… Je pense à Sean Ingram, de Coalesce. Avec Give Them Rope, à l’époque, je me suis vraiment demandé comment il faisait pour hurler de cette façon. C’était un gros changement par rapport à leurs débuts, sa voix était plus haute, plus désespérée. Là, on avait l’impression d’entendre un monstre. Mais c’était bien longtemps avant que je sache que j’allais chanter à mon tour. Avec le temps j’ai compris qu’il avait dû améliorer sa technique, et bien sûr il l’a fait d’une bien meilleure façon que moi. Mais Klas Rydberg, notre ancien chanteur, m’a lui aussi toujours impressionné dans sa façon d’obtenir une telle voix.
Un disque avec un•e guitariste qui t’a inspiré ?
C’est difficile car je n’ai jamais vraiment eu de modèle à proprement parler. Je ne suis pas fan des gros shredders, des solos interminables. Je m’intéresse davantage aux compositeurs, à la manière dont ils structurent leurs morceaux, la façon dont ils passent d’une partie à une autre, etc. Mais bien avant de commencer à jouer de la guitare et m’y intéresser vraiment, s’il y en a bien un qui me fascinait vraiment, c’est Tom Morello. C’était du jamais entendu, encore aujourd’hui d’ailleurs ! Je ne sais vraiment pas comment il fait pour sortir tous ses sons. En tout cas, je n’ai jamais eu de héros musicaux si c’était ce que tu voulais savoir en me posant cette question.
Le meilleur album de tous les temps ?
(Sans la moindre once d’hésitation) Unbroken, Life. Love. Regret.. De loin le disque le plus influant en ce qui me concerne. Laisse-moi une seconde… (Il part chercher le disque pour me le montrer). Le voici ! Ils viennent de la scène hardcore, mais cet album n’est ni hardcore, ni metal, c’est un entre-deux. Je l’ai découvert quand j’avais 16-17 ans. Il a résonné en moi car il était politique, mais aussi chargé en angoisses adolescentes. C’est le genre de groupe qui m’a donné envie de composer. Même si Unbroken n’a désormais plus aucune influence sur moi, ce disque fait encore aujourd’hui partie intégrante de la personne que je suis. Et je l’écoute encore de temps à autres. La production n’est pas terrible, mais peu importe, tout est dans l’émotion. Je n’aime pas les albums trop propres… Enfin, à part lorsqu’il s’agit de disques de Meshuggah ! (Rires) J’aime lorsque des groupes capturent l’instant. Quand ils créent leur propre atmosphère, et là c’est le cas. Ce disque m’a donc aussi montré qu’un enregistrement n’a pas besoin d’être tout le temps parfait.
Ton disque essentiel d’un groupe ou d’un artiste suédois ?
Aaaah j’aurais dû me préparer… Je suis parti pour regretter chacune de mes réponses la minute d’après ! Attends un peu… Oh, non ! Je ne regretterai pas celui-là… (Il s’éclipse à nouveau pour trouver le disque) Isolation Years, Inland Traveller. Ils viennent de ma ville natale, Umeå, qui bien sûr est plus connue pour sa scène hardcore avec Refused en tête. On se connaît bien, et certains jouent aussi dans des groupes de hardcore. Mais ce groupe… Je ne sais pas comment le décrire. Ils capturent toute l’atmosphère de leur environnement. Ce n’est pas très dark, plutôt « morne »… Un peu folk, un peu pop, sans que ce soit de la pop. Si tu devais n’écouter qu’une chanson, je te conseillerais « Cold Morning in Minusinsk ». Ce disque est vraiment dans mon top « meilleurs albums suédois de tous les temps ». Mais il y a tellement de bons disques…
Ton disque de hardcore essentiel ?
Probablement… Ah, encore une fois je pourrais en choisir vingt, mais un des premiers à m’avoir mis le pied à l’étrier serait Start Today de Gorilla Biscuits (NdR : j’avoue tout, j’ai entendu « Limp Bizkit »). C’est l’un des plus importants pour moi.
Ton disque de black metal essentiel (il porte un t-shirt de Mayhem) ?
Oh ! Pour moi c’est Transilvanian Hunger, de Darkthrone. Une énorme influence. Ça en surprendrait plus d’un, mais quand on a commencé le groupe, cet album nous aidés à trouver notre voie. Bien sûr, on ne sonne pas du tout black metal, mais les accords à vide, ce genre de chose, ça nous a influencés. Mayhem également ! Je n’ai jamais su prononcer le titre de l’album… (NdR : il lit l’inscription sur son t-shirt) De Mysteriis Dom Sathanas. (Rires) Ce sont deux classiques ! Et je peux aussi citer Gorgoroth, Ad Majorem Sathanas Gloriam, je l’ai beaucoup écouté.
Ton disque de post-metal essentiel ?
Sûrement Through Silver in Blood de Neurosis. Mais je ne sais même pas si Neurosis est considéré comme un groupe post-metal…
Si si, souvent…
Quand un ami me l’a fait écouter, j’ai tout de suite senti une connexion avec ce qu’on faisait. On se disait : « OK, ils font ce qu’on essaye de faire, mais tellement mieux, c’est parfait dans le genre, on devrait peut-être s’arrêter là« . Après ils ont sorti Times of Grace, qui en est proche, mais bon le disque avec lequel tu découvres un groupe reste souvent celui que tu préfères, non ? Je suis un gros fan des quatre premiers albums d’après leur période punk hardcore. Souls at Zero, Enemy of the Sun… Je me souviens avoir emprunté le CD à un pote. J’ai fini par le rendre mais je l’ai gardé tout l’été ! Et je l’ai écouté en boucle. (Rires)
Ton album préféré de Cult Of Luna ?
Très honnêtement, il m’est difficile de les évaluer. Le premier n’est sûrement pas notre meilleur, mais il représente parfaitement ce que nous étions à l’époque. Et ça n’a rien à voir avec ce que nous sommes maintenant. Je pense que nous sommes meilleurs aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été. Nos morceaux les plus anciens m’ennuient un peu. Je pense que l’album qui nous a mis sur la bonne voie est Somewhere Along the Highway. (Il hésite) Il faudrait que je le réécoute, ça fait un petit moment que je ne l’ai pas fait. Mais je n’ai jamais été aussi fier d’un album que de notre dernier, A Dawn to Fear.
Un disque d’un groupe ou d’un artiste avec qui tu es ami ?
(Rires) Ça pourrait être celui-là ! (Il me remontre l’album d’Isolation Years avant de réfléchir) Je pense à Kongh, Sole Creation. Il renferme les meilleurs riffs jamais composés, selon moi. Je viens de l’apercevoir là, laisse-moi te montrer… Je pourrais choisir de nombreux groupes. En tout cas, la première chanson sur cet album est iiiiincroyable ! Un groupe génial.
(Silence alors qu’il se rassoie sur sa chaise, quand soudain…) OH !
Tu as une autre idée ou tu t’es fait mal ?
On peut rembobiner ? Je ne peux pas ne pas mentionner Breach ! S’il y a la moindre question qui me permettrait de placer It’s Me God, banco.
J’en ai peut-être une qui marcherait ! Un disque que tu mettrais entre les mains de l’enfant ou l’ado que tu étais ?
(Petit rire) Eh bien, je ne regrette aucun album de mon parcours musical. Mais oui, je peux effectivement répondre It’s Me God de Breach ! Il fait au moins partie de mon top 3 des meilleurs albums de tous les temps.
Ta B.O. de film préférée ?
J’en écoute beaucoup… Ça dépend vraiment. J’aime celle de Vangelis pour Blade Runner. Celle de Drive est géniale aussi ! Mais je me dois de répondre celle de Neil Young pour Dead Man, le film de Jim Jarmusch. On l’écoutait au bureau l’autre jour. Juste des nappes de guitares, tous ces sons bien bizarres. C’est une très belle B.O., entrecoupée de dialogues, puis il y a des orgues. J’adore les orgues. On en a beaucoup utilisé sur notre dernier album, et je pense qu’on continuera à l’avenir.
Un disque que tu fais écouter à tes enfants ?
À vrai dire ça serait plutôt l’inverse ! (Rires) Ils ont 6 et 8 ans aujourd’hui, ils sont en capacité de savoir ce qu’ils aiment et n’aiment pas. Ça peut même aller jusqu’à ce qu’ils chouinent quand j’écoute quelque chose qui ne leur plait pas, particulièrement mon fils. Mais pour ma fille, je me souviendrais toujours de la première chanson qu’elle a écoutée de sa vie. C’était à peine un quart d’heure après sa naissance. Tout d’un coup on s’est retrouvés seuls avec elle, on est restés debout toute la nuit, j’ai lancé « Alice » de Tom Waits. Et elle s’est endormie dessus. Mais aujourd’hui, je ne force pas mes gamins à écouter quoi que ce soit. C’est à eux de découvrir par eux-mêmes. De toute façon, quoi que je mette entre leurs mains, ils vont se rebeller. (Sourire) Je préfère les voir écouter Marshmello maintenant, et les laisser fouiller dans ma collection de disques quand ils le voudront et qu’ils seront plus âgés. Du coup ils me font écouter Marshmello ! (Rires)
Un disque que personne ne s’attendrait à trouver dans ta collection ?
Ce n’est pas un secret, j’écoute pas mal d’electro. Mais s’il y a un genre que je déteste vraiment, c’est l’EDM. Il faudrait anéantir cette musique le plus vite possible ! (Sourire) Cependant, je ne sais même pas si on peut qualifier ce qu’ils font d’EDM, mais je trouve certains de leurs morceaux intéressants, de par leurs côtés obscurs. Merde, je ne me souviens plus du nom du groupe… Attends, je cherche… (Soudainement) AH NON ! Je sais ! Il y a ce groupe, je ne sais pas pourquoi j’aime, mais ça ne fait aucun doute : Empire Of The Sun ! Je ne sais pas s’ils sont encore actifs, mais leurs deux premiers albums sont excellents : Walking on a Dream et Ice on the Dune.
Un disque que tu offrirais à ton meilleur ami ?
Peut-être un album de Wovenhand, Consider the Birds.
Un disque que tu offrirais à ton pire ennemi ?
(Rires) Quelqu’un de mauvais pourrait peut-être devenir meilleur grâce à un bon album ? Peut-être que quelque chose d’agressif le canaliserait ? Je choisirais un groupe powerviolence canadien qui s’appelait Acrid, avec Eighty-Sixed.
Il me semble d’avance connaître la réponse, mais quelle est le dernier disque que tu t’es procuré ?
Ah oui ! (Rires) Tu me suis sur Instagram non ? C’est Bubblegum de Mark Lanegan. Je me suis rendu compte que je ne le possédais pas, j’ai donc voulu le commander en ligne, il était à 20€, mais j’ai été découragé par les 10€ de frais de port… Du coup, j’ai fait un tour chez un disquaire avec l’espoir qu’il l’ait, et il l’avait ! Je ne suis pas fier d’avoir attendu 16 ans pour l’acheter alors qu’il s’agit d’un de mes albums préférés… Ceci-dit, Je l’avais peut-être en CD quelque part. Je l’écoute assez fréquemment, de même que tout ce qu’a pu faire Mark Lanegan.
Le disque que tu écoutes en boucle ces jours-ci ?
Il se trouve que j’écoute une CHANSON en boucle en ce moment. Je vais à la salle de sport tôt le matin, et celle qui me motive à fond, c’est… Attends, je cherche le titre. C’est un morceau de Propagandhi, groupe dont je suis très fan, surtout des deux premiers albums. Et c’est… « Letters to a Young Anus » (rires), sur leur album Victory Lap. Je ne suis pas plus fan que ça de celui-là, mais cette chanson est très énergique et fait un bien fou ! Mais comme je te disais, au boulot en ce moment on écoute Chaos A.D en boucle ! Deux fois rien qu’aujourd’hui.
Et pour finir : Team CD, Team vinyles, Team K7 ou Team streaming ?
Team vinyles, bien sûr. Le plus pratique reste le streaming, quand je suis au boulot ou en déplacements. Tout le monde s’est tranformé en collectionneur de vinyles ces dernières années, moi y compris ! Je pense que le vinyle est le meilleur format, et de loin. Pour deux raisons, la première étant l’artwork. Ça donne une tout autre dimension au disque. Et la deuxième, le fait d’être dans l’action. Tu prends le disque dans tes mains, tu le poses sur ta platine et tu l’écoutes. C’est presque une cérémonie.
A Dawn to Fear, le dernier album de Cult Of Luna, est sorti en septembre dernier chez Metal Blade Records. Chronique et interview à lire dans new Noise #51. Et vous pouvez l’écouter ICI.
Propos recueillis par Clément Duboscq
La playlist :