[Chacun Mes Goûts] #14 – Spécial artworks : Dehn Sora

 

New Noise présente “Chacun Mes Goûts”, une série limitée de discussions où groupes et artistes mis en avant dans nos colonnes nous parlent de leurs disques de chevet. Aujourd’hui, interview spéciale consacrée aux pochettes d’albums. C’est Dehn Sora, graphiste et photographe ayant notamment travaillé pour Blut Aus Nord, Amenra, Ulcerate ou Ulver, mais aussi musicien sous le nom de Treha Sektori et au sein de Throane et Ovtrenoir, qui se prête au jeu…

 

La première pochette de disque qui t’ait marquée ?

Deicide, Once Upon The Cross. Je suis tombé dessus dans une grande enseigne, l’année de sa sortie. J’étais donc très jeune. J’ai ressenti une sorte d’attirance pour l’interdit, la même qui pouvait me mener vers les rayons « horreur » des video-clubs, à l’âge où tu n’as « pas le droit » de t’y perdre. Ce n’est pas sensé correspondre à ta sensibilité, mais tu sens que quelque chose de fort peut se produire. C’est un de mes premiers pas vers ce genre.

Ecouter DEICIDE - Once Upon The Cross un titre diffusé sur Hotmixradio

Une pochette d’un disque qu’écoutaient tes parents quand tu étais gamin ?

Serge Gainsbourg, Le Zénith de Gainsbourg et Miles Davis, Tutu. Gainsbourg, il y avait les mêmes odeurs de cigarettes chez moi… J’ai découvert l’artiste bien plus tard, plus attiré par certaines périodes. En fait, le son de ce live ne me parle pas, sa teinte n’est pas du tout intemporelle à mon sens. Mais il correspond à des souvenirs familiaux, qui font que Gainsbourg a fait partie de ma vie sans que j’y sois spécialement attaché. J’ai dû entendre ce live des centaines de fois enfant. Le solo de basse sur « I’m The Boy » est unique par contre. Miles Davis, idem, il fait partie de la bande-son de mes premières années. Cette pochette m’a toujours hypnotisée. La simplicité, la dureté, il veut soit nous hurler dessus, soit nous appeler à l’aide. Bien plus tard j’ai découvert Converge en voyant un t-shirt « Jane Doe » et en me disant qu’elle me rappelait « Tutu ».

Le Zenith de Gainsbourg: Gainsbourg, Serge: Amazon.fr: Musique

Tutu de Miles Davis - CeDe.com

Une pochette d’un disque qui t’a fait découvrir le metal et ses dérivés ?

Black Sabbath, Paranoid. Lorsque je l’ai eu entre les mains, jeune également, j’ai pensé que j’allais écouter quelque chose « d’enfantin ». Car j’ai le souvenir de ne voir alors qu’un individu « jouant au chevalier » sur cette pochette. Je me rappelle également avoir été surpris, évidemment. Mais pas tant effrayé. C’est un album assez solaire je trouve. Il avait le goût de certains films que je découvrais alors, comme Easy Rider par exemple. Je ne comprenais pas le ton, les propos, leur sens véritable. Ce disque m’inspirait l’aventure, j’avais l’impression de toucher un univers beaucoup plus vaste,  plus « mystique », sans que je puisse mettre ce mot dessus à l’époque.

Paranoid: Black Sabbath, Black Sabbath: Amazon.fr: Musique

Une pochette d’un disque qui t’a donné envie de te lancer dans les arts visuels ?

Joy Division, Unknown Pleasures. Cliché, probablement. Mais un tel niveau de force dans la simplicité a rarement été atteint. Tellement de choses à dire autour de ce visuel… Ces lignes sont toujours aussi belles à contempler, belles à s’y perdre. Il est intemporel… Une pochette n’est selon moi pas là pour simplement illustrer un disque. Ce n’est pas un « outil » pour attirer le regard et donc la curiosité. C’est une partie importante de ce qu’exprime un album. Ça doit être son bouclier.

Unknown Pleasures: Joy Division, Joy Division: Amazon.fr: Musique

Une pochette par un artiste qui t’inspire ?

Portal, Ion, par Zbigniew Bielak. Il m’a été difficile de répondre, parce qu’il y en a des centaines. Mais Zbigniew Bielak fait partie des artistes récents dont les œuvres me frappent à chaque fois. Son travail avec un groupe aussi suffocant et fascinant que Portal ne pouvait qu’aboutir à un résultat fort. L’objet est également primordial pour moi, il donne son essence à un album, le rend immortel. Et le travail réalisé sur l’édition vinyle va bien au-delà de la simple justice rendue au vertige que procure cet artwork.

Portal – Ion | GVAC

Un groupe pour lequel tu aimerais travailler ?

Neurosis & Jarboe. Un rendez-vous raté pour moi, pression trop forte, incompréhension… (NdR : il fait référence à un projet de pochette pour la réédition de l’album). J’ai eu néanmoins la chance de pouvoir réaliser un poster et de désormais travailler avec Jarboe. Neurosis étant toujours pour moi un de ces groupes moteurs qui permettent de percer les moments de doute, toucher leur histoire serait un honneur. Travailler pour eux et tout donner serait une façon de les remercier pour ce qu’ils m’ont apporté.

NEUROSIS Neurosis & Jarboe reviews

Une pochette que tu aurais aimé réaliser ?

Magma, Kobaia. Pas forcément la plus belle de leur discographie à mes yeux. Mais c’est une pochette fondatrice, d’un groupe qui se situe « au-delà ». J’aurais aimé la réaliser, car ça aurait signifié être présent au moment de sa création, de comprendre, d’être au cœur d’un univers très vaste, de cette quête d’éternel qu’ils symbolisent. La création est un questionnement au-delà du terrestre, et c’est ce que représente Magma pour moi. Et concernant cet artwork, je ne saurais toujours pas dire si ces griffes écrasent le monde ou viennent l’agripper pour l’emmener dans un autre nid et le protéger.

Kobaïa: Magma, Magma: Amazon.fr: Musique

La plus belle pochette de tous les temps ?

Tim Hecker, Virgins. Je ne sais pas si c’est vraiment celle que je considère comme « la plus belle de tous les temps », car il est difficile de classer, mais j’ai spontanément pensé à ce visuel. Je n’ai pas d’autre explications que le fait d’avoir été fasciné en le voyant pour la première fois. Ce genre de fascination inexplicable. Il y avait dedans tout ce qui me parlait : inquiétude, élégance formelle, 1000 suppositions sur le propos. Je m’imaginais témoin de la scène, j’essayais de comprendre quelle aurait été ma réaction. On ne sent aucune mise en scène, tout est tangible. Ça a été un léger déclic, j’ai ensuite cherché à rendre mes visuels moins « graphiques », à  travailler davantage pour qu’on ne sente aucune technique, à faire en sorte que chaque visuel soit l’instantané d’un autre monde.

Tim Hecker – Virgins | L'ombre sur la mesure

La pochette dont tu es le plus fier ?

La réédition de The Work Which Transforms God, de Blut Aus Nord. Chaque réalisation de pochette étant une expérience, il m’est difficile de répondre. Mais avoir participé à remodeler le visuel de cet album si important pour moi, a été, et est toujours, plus qu’une fierté. Je repense à ces moments passés à décortiquer chaque note, chaque ambiance. À ce moment où il m’a fallu repenser, quasi dix ans plus tard, un album fondateur. Qu’apporter, que dire de plus ? C’est un expérience dont je suis sorti grandi. Aujourd’hui, je le ré-interpréterais totalement différemment. Mais même si je suis rarement satisfait de moi-même, je ne changerais rien, car elle représente ce moment précis. C’est également l’une des premières, et par la suite nombreuses, expériences avec Metastazis, ami auprès duquel le quotidien est toujours bombardé d’idées.

Blut Aus Nord – The Work Which Transforms God (2003) | Invisible Blog

Une pochette de disque réalisée par un artiste ami ?

Josef Van Wissem, When Shall This Bright Day Begin, par William Lacalmontie & Maks Pathologikal. Le travail de William m’éblouit toujours. On parle bien là de fraternité. Je connais chaque histoire, chaque moment autour de ses photos. De fait, j’ai l’impression de les vivre différemment, d’en connaître les divers sens. Son travail représentera toujours à mes yeux l’histoire complexe d’une image, depuis son idée jusqu’à sa matérialisation. J’ai d’ailleurs longtemps vu des previews de cet artwork sans remarquer le second personnage. J’ai aussi choisi cette pochette car Maks Pathologikal, avec qui nous sommes proches, a travaillé sur la typo et le layout. Et l’album est sorti sur un label ami (NdR : Consouling Sounds). J’aime aussi tout ces contrastes anachroniques : la musique a une teinte médiévale et le visuel s’inscrit dans son époque tout en étant perdu dans le temps. Je citerai également Au-Dessus avec End of Chapter par Metastazis, Chaos Echoes, Transient par Stefan Thanneur et le sans-titre de Cowards par Fortifem.

When Shall This Bright Day Begin | jozefvanwissem

Une pochette d’un disque d’un groupe ami ?

Amenra, Mass III. J’ai grandi avec eux. Ils ont été autour de moi durant toutes ces années complexes, et ce depuis le moment où nous nous sommes serrés la main la première fois en éprouvant cette sensation apaisante de se connaître depuis toujours. Tous ces moments à chercher la fête là où elle ne sera pas, mais insister tout de même… Dans cet artwork, il y a comme une promesse pour moi. Nous irons boire dans les mêmes eaux, même voûtés. Il y aura toujours un endroit, qui nous attirera sans raison apparente. Et on s’y retrouvera.

MASS III | AMENRA

Une pochette de disque que tu montrerais à ton/ta meilleur•e ami•e ?

Insect Ark, The Vanishing. J’échange en permanence des images avec mes proches. Mais, pour résumer, dans les sorties récentes, je partagerais celle-ci.

The Vanishing | Insect Ark

Une pochette de disque que tu montrerais à ton/ta pire ennemi•e ?

Throane, Derrière-Nous, la Lumière. J’imagine que mon pire ennemi détesterait tout ce qui me touche de près ou de loin. Donc, un album personnel serait autant une insulte que le message immédiat que passe cette pochette.

Derrière-Nous, La Lumière | THROANE

Une pochette de disque que tu aimerais encadrer chez toi ?

Aphex Twin, Richard D James Album. Je la ferais tirer en format déraisonnable et je l’afficherais dans un endroit inévitable pour rendre le plus de monde possible mal à l’aise.

Richard d James Album : Aphex Twin, Aphex Twin: Amazon.fr: Musique

 

Retrouvez les travaux de Dehn Sora ICI.

Propos recueillis par Clément Duboscq

 

La playlist :