Par Bertrand Pinsac
Rendez-vous estival des amateurs de punk rock sous ses multiples déclinaisons, l’Xtreme Fest offrait à nouveau pour sa onzième édition une affiche éclectique avec son lot de formations établies, mais aussi de découvertes et de confirmations. Pendant trois jours fin juillet et sous un soleil de plomb, le festival tarnais aura contenté et fait vibrer un public avide de convivialité au sein d’un événement à taille humaine et à un rythme détendu, très éloigné de celui marathonien de la plupart des festivals. Situé sur la base de loisirs du Cap Découverte près de Carmaux, l’Xtreme Fest est doté de quatre scènes, deux gratuites (la Beach Stage et l’Estafette) auxquelles on peut accéder sans avoir besoin de pass et deux autres (The Cage et la Family Stage) situées dans l’enceinte du festival, que l’on peut considérer comme le In. Les concerts de la Beach Stage sont des shows acoustiques sous chapiteau ayant lieu en début d’après-midi et tous les autres concerts, ceux des trois autres scènes, démarrent à partir de la fin de journée (vers 18 h) et se prolongent jusqu’aux environs de minuit puis sont ensuite suivis de DJ set. Et pour occuper les festivaliers sur le courant de journée, sont mis en place diverses animations ludiques (quizz musicaux, karaokés et divers jeux collectifs), mais on peut aussi aller piquer une tête dans le lac situé sur le site. L’ensemble donne à l’évènement un coté indéniablement festif et un air de vacances des plus appréciables. Et si le festival aura eu cette année à déplorer quelques annulations de groupes qu’on se faisait un plaisir de voir (Higher Power et Sick Of It All en tête, mais aussi Thrown et Oxymorrons), il restait largement de quoi nous rassasier. Summerholidays Vs Punkroutine!
Vendredi
On entame ce Xtreme Fest par un très gros morceau, à savoir le hardcore abrasif à caractère émotionnel de Sorcerer, qui joue sur la Cage. Cette scène est comme son nom l’indique littéralement une cage en métal circulaire située légèrement en hauteur et au sein de laquelle se trouve le groupe, le public se massant tout autour de la structure. La formation parisienne y délivre brillamment un concert très intense et tendu, malheureusement un poil handicapé par un son qui pourrait être plus puissant et percutant. Reste que les fabuleux morceaux de son album Devotion prennent une très belle ampleur live et que la performance s’avère extrêmement convaincante, plaçant la barre bien haut pour ce début de festival.
On enchaîne sans transition avec le ska punk/reggae aux colorations brass band néo-orléanaise de Mad Caddies sur la Family Stage. Les Californiens (avec à la batterie Sean Sellers de Good Riddance) jouent la carte de la détente avec un set cuivré et chaleureux où le groupe revisite certains des morceaux de ses débuts tout en présentant des extraits de son dernier album sorti cette année, le relax et chaloupé Arrows Room 117. Le trompettiste vivant en France, nous avons même droit à quelques interventions de sa part dans la langue de Molière. N’ayant suivi la trajectoire du groupe que ponctuellement depuis de nombreuses années, on est ravi de le retrouver ici pour cette prestation tout à fait plaisante. Assurément la parenthèse la plus décontractée et feel-good de ces trois jours.
Retour à la Cage pour le concert de A Wilhem Scream qui retourne proprement le public avec son hardcore mélodique d’une folle intensité. Dès le début de la prestation, le chanteur Nuno Pereira escalade les grilles et se mettre au contact des premiers rangs. L’énergie dégagée par le quintette est ébouriffante, communicative et le public ne se fait pas prier pour participer activement à la fête jusqu’à ce que le show soit subitement interrompu après la perte de connaissance d’une personne nécessitant l’intervention des premiers secours. Passé ce malheureux moment, le concert reprend de plus belle, le groupe alignant les hits up tempo, générant son lot de stage divings et un bordel monstre au sein du pit. Assurément un des meilleurs concerts de cette édition.
On s’accorde une pause puis on retourne à la Cage pour assister à une partie du concert de Real Deal qui remplace Higher Power. Les Tourangeaux adeptes d’un hardcore metal frontal ne font clairement pas dans la dentelle et leur prestation bien musclée et guère avare en moshparts dévastatrices trouve un certain écho au sein d’une partie du public présent, visiblement pressé d’en découdre. Plutôt efficace dans le genre, mais peinant à totalement nous passionner sur la longueur, le concert rentre-dedans du groupe remplit néanmoins correctement son office.
L’honneur de clôturer cette première journée revient à Crisix sur la Family Stage suite au désistement de Sick Of It All, les problèmes de santé de Lou Koller ayant contraint les New-Yorkais à annuler toute leur tournée européenne estivale. Généreux, les sympathiques Espagnols ont décidé d’offrir les profits générés par leur concert à Lou, pour l’aider à payer ses frais médicaux. Une heure durant le quintette délivre son thrash festif, véloce et précis, recevant en retour l’approbation du public qui lui réserve un bel accueil. Et si on n’est pas particulièrement familier de la discographie du groupe, on se laisse tout de même gentiment prendre au jeu d’un set sans temps mort et parfaitement exécuté. Bien sûr, on regrette que Sick Of It All (dont les Espagnols reprennent un titre ce soir) ne soit pas de la partie pour cette édition, mais Crisix assume son statut de remplaçant avec un show millimétré et plein de ferveur.
Samedi
La température est montée d’un cran par rapport à la veille et c’est sous une chaleur écrasante qu’on se rend à la Cage pour la prestation de Monde De Merde, formation orléanaise au sein de laquelle on retrouve l’ex-Burning Heads Pit Samprass à la guitare. Le soleil tape tellement fort en cette fin de journée que la majorité du public assiste dans un premier temps au concert depuis la Family Stage, cette dernière étant une scène couverte. Le groupe, mené par sa chanteuse Lucette, envoie son punk hardcore d’obédience old school sans concession avec application, fédérant à sa cause une audience qui, peu à peu, brave la canicule pour se coller à la scène. Le concert s’avère très convaincant et les interventions au sujet du consentement et mots de soutien à l’ONG Sea Shepherd ne laissent planer aucune ambiguïté quant aux opinions et prises de position de ce groupe aux valeurs saines. On adhère autant au fond qu’à la forme.
On enchaîne, à l’ombre de la Family Stage, avec le concert des New-yorkais de Makewar, trio gruff punk (cf. l’article consacré à ce sous-genre dans new Noise #71, en kiosque actuellement) mélodique aux influences légèrement pop et emo. Le chanteur-guitariste arbore un t-shirt Hot Water Music, ce qui est tout sauf un hasard tant parfois certains plans du groupe rappellent ceux des patrons du genre. Il s’agit là du dernier concert de la tournée européenne du groupe et ce dernier ne manque pas de nous exprimer tout le plaisir qu’il a de finir sur une note aussi positive et face à un public aussi chaleureux. Boostée par un batteur au jeu assez impressionnant, le groupe offre un set solide, occupant pleinement l’espace scénique et dégainant ses morceaux aux refrains catchy et aux mélodies marquantes (dont un chanté en espagnol). Bref, c’est propre, carré et pour tout dire très emballant.
C’est sur les bons conseils de notre camarade Guillaume Circus du zine W-Fenec, qu’on se rend ensuite à l’Estafette pour y découvrir un groupe anglais jusqu’alors totalement inconnu de nos services, Aerial Salad. Et on se prend tout simplement une énorme baffe. Jeune trio originaire de Manchester, la formation pratique un punk nerveux, fiévreux et dissonant aux influences noisy et post-punk, rappelant parfois The Fall ou Gang Of Four. Véritables bêtes de scène avec un chanteur-guitariste doté d’un charisme fou et aux pas de danse et déhanché frénétiques, Aerial Salad interprète sa musique avec une passion et une énergie extrêmement communicatives. Le concert est impressionnant et le groupe à bloc tout du long. Moment le plus ahurissant de cette prestation géniale, le batteur, en surchauffe, court dès la fin d’un morceau vomir sur le côté de la scène (trop de chaleur ? Excès d’alcool ? Un subtil mélange des deux ?), laissant ses deux camarades meubler comme ils peuvent avant de revenir tout sourire et ré-attaquer de plus belle comme si de rien n’était. La plus belle découverte du festival et un groupe à suivre de très près !
Changement d’ambiance radical avec sur la Family Stage Moscow Death Brigade, visiblement très attendu par de nombreux festivaliers à en juger par l’affluence générée par la présence du trio russe cagoulé. Son style, mélange de hip-hop et d’electro à tendance euro-dance, est taillé pour le live avec ses beats basiques et casse-nuques et le public s’enflamme, se trémousse et donne de la voix sans se faire prier, généreusement encouragé par les deux MC qui chauffent le public à base d’harangues rudimentaires et musclées. Au final, le show le plus joyeusement décalé sur le plan musical que l’on ait vu au cours de ces trois jours.
La nuit tombe peu à peu et Zebrahead investit à son tour la Family Stage pour un concert qui lui aussi fédère un public très conséquent, mais dont le côté too much nous laisse circonspect, ce d’autant que le son n’est pas vraiment bon, avec notamment des guitares clairement trop faibles. Bar sur scène, choristes aux déguisements de squelette, ballade du lead-guitariste sur un flight-case, chanson d’anniversaire pour un des agents de sécurité, et au milieu de tout ça un set un peu décousu avec tout de même quelques titres fa mouche. Mais le groupe, à vouloir séduire à tout prix, en fait vraiment trop, recevant pourtant un bel accueil de la part d’un public qui semble largement contenté par ce show over the top.
Retour à la Cage pour une prestation attendue de pied ferme, celle de Guilt Trip. Pendant 45 minutes d’une folle intensité, le quintette anglais nous retourne littéralement avec son hardcore metal surpuissant, enchaînant les breaks assassins et les mosh-parts punitives, mettant la pression en continu sur un public massé contre la scène et qui enchaîne two steps, windmills et floorpunch. Le son est absolument énorme et les compositions du dernier album du groupe, le fabuleux Severance, sont autant d’uppercuts qu’on encaisse avec un plaisir non feint et délicieusement masochiste. Le groupe reprend même partiellement le « Davidian » de Machine Head, donnant l’occasion au public de donner de la voix. À ce stade du festival, la performance de Guilt Trip est assurément la plus enragée, puissante et véhémente d’entre toutes et on tient peut-être là LE concert de cette édition. Tout simplement parfait !
Cette deuxième journée se conclut en beauté sur la Family Stage avec les légendaires Descendents et un concert exemplaire bourré de tubes pop punk et hardcore où le quatuor aligne les classiques avec une précision instrumentale qui n’a d’égal que sa pertinence mélodique. Pour cela, pas besoin d’artifice : aucun light-show, zéro backdrop, juste le groupe interprétant à la perfection ses morceaux à la classe intemporelle pendant une heure pied au plancher. Vu leur réputation, on pensait que les Descendents auraient fédéré en masse et pourtant les Californiens jouent devant un public certes réceptif et conquis par le set, mais aussi relativement clairsemé, loin de la foule qui s’était déplacée quelques heures plus tôt pour Moscow Death Brigade et Zebrahead en ce même lieu. Tant pis, les absents ont toujours tort et les Descendents nous ont ce soir régalés, délivrant un concert à l’ancienne, sobre, direct et misant tout sur des morceaux immenses !
Dimanche
On commence la journée en douceur et en début d’après-midi au bord du lac, à la Beach Stage, avec le concert de Pit Samprass. La petite scène est dressée sous un chapiteau ouvert, mais le soleil tape fort et il y fait une chaleur caniculaire quand bien même on profite sans rechigner de l’ombre qui nous est allouée. Armé de sa guitare, de sa bonne humeur et de son humour pince-sans-rire, Samprass enchante avec son set electro-acoustique constitué exclusivement de reprises extraites de ses deux albums solo, Naked et Covered. On passe ainsi de Johnny Cash à Sixto Rodriguez, de The Clash à Lee Hazelwood, de Jawbreaker à Junior Murvin, le tout dans une ambiance très détendue grâce à un public complice qui n’hésite pas à y aller de quelques chœurs discrets sans même y être invité par le chanteur-guitariste tout sourire et dégoulinant littéralement de sueur. L’ensemble est bon enfant et on profite pleinement de ce moment symbiotique et intimiste aux colorations bucoliques. En somme idéal pour démarrer cette dernière journée qui s’annonce chargée.
Il semble que le thème de la journée soit celui de la reprise puisqu’on enchaîne à l’Estafette avec Punky Tunes, quintette punk mélodique originaire de Selestat, qui démarre sa prestation en interprétant « Mystery » de Turnstile ce qui a pour effet immédiat de faire rappliquer pas mal de monde devant la petite scène. Carrée, énergique et dotée d’un bon son, la formation poursuit brillamment avec ses propres compositions très accrocheuses extraites de ses deux EP, puis, à mi-parcours du concert Marie au chant annonce que le groupe va à présent faire basculer le set en ne jouant plus que des reprises de leurs formations fétiches. Ainsi sont interprétés pêle-mêle des morceaux de Rancid, 7 Seconds, Bad Religion, Kid Dynamite, H2O, Uncommonmenfrommars, Sick Of It All, Bouncing Souls et Interrupters, pour la plus grande joie d’un public qui se déhanche gentiment tout en reprenant en chœur la plupart de ces classiques punk et hardcore mélodique.
Pour ceux qui aiment la précision et la folle vitesse d’exécution, rendez-vous à la Family Stage où les Canadiens bondissants de Belvedere assènent leur hardcore hyper mélodique et ultra rapide pour le bonheur des amateurs du genre qui célèbrent cette belle prestation comme il se doit en enflammant le pit. Communicatif et plaisantant volontiers à propos des clichés liés à sa nationalité (l’amour du hockey et de la poutine), le quatuor déroule tout son savoir-faire sans accorder une once de répit à un public participatif et faisant bruyamment connaître son contentement face à un set aussi emballant auquel on ne peut qu’adhérer nous aussi.
Après cette belle séance de cardio, on repart à l’Estafette retrouver Forest Pooky en formation quatuor. Le singer-songwriter est accompagné pour l’occasion par Le Bazile de Not Scientists à la batterie, Mathieu de Lame Shot à la guitare et Fred des Pookies et Not Scientists à la basse. Jouant à fond la carte d’une folk rock distinguée et subtilement arrangée, Forest nous sert sur un plateau les chansons de son dernier excellent album Violets Are Red, Roses Are Blue And Dichotomy et nous ravi totalement avec ses mélodies célestes et délicates, prouvant une fois de plus quel formidable chanteur il est. Mais il se montre également un entertainer de premier ordre : ses interventions ponctuant chaque titre, drôles et décalées, créent une vraie complicité avec le public. On quitte le concert alors que Forest, seul en scène, reprend brillamment le « Life On Mars » de David Bowie, car un autre concert très attendu vient de démarrer sur la Family Stage…
… Il s’agit de celui de Strung Out, formation hardcore mélodique au riffing parfois sous influence metal. Et c’est le pied le plus total : les tubes sont là, le groupe est hyper en place, le son fait honneur aux compositions mélodiques et véloces des Californiens et le public reprend les refrains à tue-tête, accompagnant Jason Cruz, charismatique chanteur en très grande forme vocale aujourd’hui. Le groupe visite son répertoire, présentant au passage des titres de son dernier album sorti il y a peu, mais ce sont évidemment les morceaux de ses débuts qui sont les plus ovationnés. Le concert dure 45 minutes, mais s’avère si enthousiasmant que nous n’aurions rien eu contre quelques titres supplémentaires. Carton plein !
C’est à présent au tour de The Meffs de prendre place au sein de la Cage. Le très sympathique duo anglais guitare-batterie commence à avoir le vent en poupe à force de tourner sans relâche et on comprend l’engouement qu’il suscite dès l’intro du concert. L’énergie et l’implication du groupe sont ébouriffants et trouvent un écho très positif au sein d’un public saluant avec ferveur chaque titre interprété. La formation s’essaie même à son tour à l’exercice de la reprise avec le tube de Prodigy « Breathe », qu’elle s’approprie avec aisance. Au chant et à la guitare, Lily Hopkins harangue le public et va se frotter à lui, se faisant porter pour l’exécution d’un solo depuis le pit. Musicalement, si on peut sommairement définir The Meffs comme du punk, le duo brasse tout de même large et on trouve des éléments garage, noisy, grunge et riot grrrl au sein de sa mixture tout à fait savoureuse.
Ici les concerts se suivent mais ne se ressemblent pas et on se rend à l’Estafette pour notre seconde session de ska punk du festival avec le set de Mustard Plug. Groupe culte pour certains, mais également second couteau de la troisième vague ska qui a sévi aux États-Unis durant les 90s, la formation originaire du Michigan va nous prouver aujourd’hui qu’elle est dans une forme olympique. C’est donc une réelle et très belle surprise que d’assister à un set aussi bien rôdé, fun et vivifiant. Ça skanke à tout va, ça sautille autant sur scène que dans le pit avec un public qui se fait de plus en plus conséquent à mesure que le concert s’étire. Et comme tout le monde y va de sa reprise aujourd’hui, pourquoi pas le sextette qui, au même titre que The Meffs précédemment, joue la carte du décalage et de la réappropriation en nous offrant une version personnalisée (et donc cuivrée) du « Waiting Room » de Fugazi. Et ça fonctionne du feu de dieu ! Un très bon concert de la part d’un groupe que nous n’avions plus écouté depuis bien 25 ans et donc des retrouvailles étonnamment réussies.
Après cet instant fraîcheur, on rempile à la Cage pour ce qui sera notre dernier concert, à savoir le concert absolument époustouflant de The Casualties. Furibard et d’une folle intensité, le set des New-Yorkais est tout simplement énorme. À cheval entre street-punk et hardcore-punk up-tempo, les morceaux du quatuor font l’effet d’un shoot d’adrénaline et galvanisent une audience nombreuse, ultra réceptive et très participative. Véritable bête de scène, le frontman David Rodriguez n’hésite pas à escalader la cage pour se jeter dans le public puis fait monter sur scène un gamin qu’il affuble d’un drapeau à l’effigie de son groupe. Mais le pinacle de cette prestation démentielle restera sans conteste cet énorme circle-pit que lance le groupe tout autour de la scène circulaire (un circle-cage en somme), créant un joli bronx et un moment euphorisant de folie collective. Résultat : avec ceux de A Wilhem Scream et de Guilt Trip, le show de The Casualties aura été le plus puissant, frénétique et exaltant de tout le festival !
Merci à Junk Koroba pour ses photos.