Anciennement localisé dans la forteresse d’Hostalrich, l’ex-festival Fortaleza Open Air devenu Winds Of Agony a pris ses nouveaux quartiers dans la salle Nau de Granollers, à une trentaine de kilomètres de Barcelone, pour porter hautes les couleurs d’une scène metal extrême catalane/espagnole particulièrement active (l’immanquable festival de rue Move your Fuckin Brain Extreme Fest début juillet à Molins de Rei en tête de liste). Dans les anciens bâtiments de l’usine Roca Umbert, transformés en tiers-lieu culturel, la présence du festival apporte une nuance de sombre plutôt bienvenue, qui culmine la deuxième nuit avec l’orage électrique démentiel qui va à la fois noyer d’eaux la cité catalane et déchirer la scène du festival avec le set hautement magnétique en simultané des Finlandais de Beherit. À l’image du groupe culte de la scène black metal/dark ambient noise, tellement rare sur scène de nos jours (on les a seulement vus ces dernières années au Rites Of North en Finlande, en Europe Centrale à Prague et au House Of The Holy en Autriche, ou encore à Osaka au Japon pour un double show, metal et electronics only), le Winds Of Agony propose une affiche des plus alléchantes, plutôt orientée black metal, mais où le death metal trouve aussi sa petite caisse de résonance.
Metal ibérique, c’est chic
La scène locale/nationale catalane/espagnole n’est pas non plus oubliée et ses représentants s’inscrivent opportunément dans la tendance black metal la plus grasse, rapide, punk de l’affiche, proche pour résumer de l’axe originel speed metal des premiers Sodom à l’image des Barcelonais d’Udûn. Une constante sans concession qu’emprunte également les Galiciens de Lóstregos, tout en teintant leur pagan black’n’roll de touches folkloriques à consonance celtiques. C’est cependant aux Barcelonais d’Atonement que revient la palme ibérique du festival, avec l’intensité toute en scansion et riffs en mode early Tankard de leur black/thrash metal judicieusement labellisé metal oxidado (metal rouillé) et dans lequel le chant très volubile et expressif du chanteur/barde Italiano opère totalement. Le prix spécial du show le plus violent revient d’ailleurs à leurs comparses et voisins de Barbarian Swords, dont le black/death metal doomy s’avère particulièrement féroce et agressif, dans le sillage de leur dernier album, Fetid.
Du death metal trié sur le volet
En parlant de death/doom, les Finlandais de Rippikoulu frappent au portillon avec leurs longs passages atmosphériques, lourds et paradoxalement presque suspensifs dans le contexte du festival. Une touche intéressante, mais peut-être un peu mal placée entre Death Worship et Blasphemy, qui nous met en tout cas toujours dans l’attente d’un successeur à leur EP Ulvaja… datant de 2014 ! Portés par des morceaux remarquablement bien écrits et structurés, leurs compatriotes de Corpsessed semblent avoir un coup d’avance en termes d’efficacité. Leur style habile parvient ainsi à prélever les motifs les plus lourds d’Obituary (leur dernier album ne se nomme-t-il pas d’ailleurs Succumb To Rot ?) pour les greffer sur des titres plus échevelés, bien défendus par le petit mais puissant vocaliste Niko Matilainen. Dans cette catégorie, les lauriers reviennent aux Grecs de Dead Congregation, tellement leur goût pour la brutalité dessine une affinité naturelle avec le Winds Of Agony. Tout comme quelques-unes des principales têtes d’affiche du WOA (Blasphemy, Aura noir), le groupe du chanteur /guitariste Anastasis Vatsalis est également un peu chiche dans la délivrance de nouveau matériel discographique, leur édition 2022 de Puryfying Consecrated Ground n’étant qu’une version remastérisée de leur premier EP de 2005. Mais en live, aucune réserve à avoir, tout comme pour les Anglo-iraniens de Trivax, avec les insertions bien senties d’éléments harmoniques moyen-orientaux dans le mix.
Black metal radical, mais varié tout de même
Comme dit précédemment, c’est bien le black metal le plus direct et radical qui constitue le cœur de chauffe musical du festival catalan. En la matière, on est plutôt bien servi avec les Allemands de Stygian Temple, chez qui on retrouve avec délectation le côté punk/black des harmonies vrillées de Horna, en particulier dans le délié des riffs et dans ce son si distinctif de la guitare lead. Les Anglais d’Abduction se distinguent eux aussi par quelques apartés plus shoegaze/blackgaze dans le son, tout en restant dans la gamme, notamment grâce à la sagacité du chant Phil Illsley – un point commun avec le vocaliste ultra-musculeux de Stygian Temple, T.B. (également vocaliste de Cold Earth et Thorybos). Il faut garder à l’esprit qu’Abduction est dans les faits un one-man-band trouvant une expression plus collective en live. On sent bien néanmoins que son univers demeure intimement lié aux expressions vocales et gestuelles de possédé de son mentor, bien caché derrière son masque mi-vaudou, mi-corpsepainted. Malgré tout, c’est la performance du Drazava du multi-instrumentiste italien Omega et du vocaliste norvégien Wrath qui marque le plus les esprits, par ses atmosphères sanguinolentes, samples de mouches bourdonnantes à l’appui, et par les variations harmoniques si typiques du chant de Wrath, capable de passer d’une tonalité black hululée comme une goule à un chant mélodique plus typé Bolzer, ou Behexen d’ailleurs, son autre groupe majeur dont on perçoit toujours quelques relents. Bien servi par les instrumentations d’Omega (pas le dernier sur la liste de la dépravation, si on rajoute ses side-projects Chaos Invocation ou Frostmoon Eclipse), leur black metal rigoureusement high in emotions séduit aisément l’assistance.
Black war’n’roll !
Mais bien sûr, si ce même public black-metalleux s’est pressé si nombreux dans la grande banlieue barcelonaise, c’est aussi pour voir deux des représentants les plus émérites de la branche canadienne du label texan Nuclear War Now! Car en effet Death Worship et Blasphemy sont de sortie, et ça ne peut pas se manquer de ce côté-ci de l’Atlantique. Groupe Studio premier du guitariste/chanteur Ryan Förster, aka Deathlord of Abomination and War Apocalypse, depuis que Blasphemy se concentre sur la parution d’albums live toujours plus déflagrant, Death Worsphip compte aussi dans ses rangs le bassiste mastodonte allemand Kadeniac, qui joue encore dans Bloody Vengeance…et Blasphemy live ! Une manière donc de se préparer avec ce show de Death Worship à celui des titans de Blasphemy qui le suivait de près. Pour le coup, le message est bien passé, même si Death Worship est dans une approche moins crue, moins wall of noise, mais tout de même bien rentre-dedans et bourrine. Car niveau violence débarrassée de tout scrupule, murs de larsens chapeautés de feedbacks découpés au chalumeau, et trio de hurlements rauques de damnés (merci Gerry J. Buhl alias Nocturnal Grave Desecrator and Black Winds), de soli free-black de bas du manche only (merci Geoff Drakes aka Caller of The Storms) et de coups de batterie perçant la nébulosité générale comme un fracas de tonnerre répété (merci Sean Stone aka 3 Black Hearts of Damnation and Impurity), les Ouest-Canadiens de Blasphemy sont simplement inégalables. Tel l’Armageddon s’abattant sur nos têtes, leur concert fait inlassablement la fête aux hymnes fracassants de cruauté immonde de leurs deux albums officiels du début des années 90, Fallen Angel et Gods Of War, mais aussi à leur démo culte Blood Upon The Altar, dans le sillage desquels les infatigables « Demoniac » et « Ritual » viennent clore le sacrifice. Difficile de s’extraire d’une telle masse, qui semble encore plus massive depuis que le bassiste Kadeniac est encore venu renforcer le pack.
La cérémonie Beherit en apothéose
Mais bon, ne nous voilons pas la face, la cerise sur le gâteau de cette édition inaugurale du Winds Of Agony demeure bien entendu la performance des Finlandais de Beherit, pionnier de la connexion léthale entre black metal et ambient/kraut, depuis la sortie de leur phénoménal Drawing Down The Moon en 1993. Groupe séminal de l’immense scène black metal finlandaise, Beherit a été aussi un de ceux à sortir le style de son ornière métallique primitive pour en transcender les formes autour de l’utilisation particulière des synthétiseurs (c’est-à-dire non-symphonique), et d’une approche dark-ambient qui lui a permis très rapidement de relier le côté evil du black/metal au côté progressif des tonalités électroniques. Depuis plusieurs années, le groupe entretient le mystère derrière des parutions discographiques elliptiques (leur Bardo Exist, uniquement paru en digital sur Bandcamp, et leur WBRRR en édition vinyle limitée seulement) et des apparitions live triées sur le volet. Le groupe peaufine également sa carapace esthétique derrière une scénographie bleutée opaque, empêchant toute velléité de prise photographique trop rapprochée. Mais on s’en tamponne tant la qualité est au rendez-vous. Pour Winds Of Agony, les fans de la première heure ont été notablement gâtés, puisque Drawing Down The Moon se taille la part du lion de la setlist – même si on ne retrouve pas malheureusement toute la saveur du mix originel voix/instruments dans le live. À l’évidence, le groupe sait manipuler ses sonorités avec une tension palpable, les rapprochant parfois plus de Throbbing Gristle que de n’importe quelle autre formation de black metal. On découvre aussi quelques prises de guerre gouleyantes faites sur le disque At The Devil’s Studio 1990 (« Withcraft ») et la démo Morbid Rehearsals (« Grave Desecration »). Alternant les claviers et le chant, Marko Laiho / Nuclear Holocausto Vengeance dirige les débats comme un maître de cérémonie capricieux, délaissant parfois ses claviers pour se glisser devant la scène tel un fantôme émergeant des volutes de fumée, tandis que Jari Pirinen / Sodomatic Slaughter le suit comme son ombre dans la noirceur de ses phrasés de percussion. Les deux autres membres – le bassiste Abyss, Twisted Baptizer et le plus jeune guitariste Black Moon Necromancer of Hadès – se coulent dans le rituel comme de zélés mystes et on leur en sait gré. Car on a là de l’authentique et du old-school from the grave qui permettra sans doute justement de graver ce concert dans la mémoire du bon millier de fans qui ont eu la chance d’y assister.
Laurent Catala