
Superbowl Of Hardcore (c) Darzec Photographie
Par Bhaine
Dans un monde en perpétuel mouvement, les certitudes se font rares. Mais heureusement, il en reste au moins une : passer un super moment au Superbowl Of Hardcore à Rennes. Le concept demeure inchangé depuis des années : une vingtaine de groupes, dans tous les sous-genres du hardcore punk, se succèdent sous un chapiteau planté devant la salle du Jardin Moderne. Ambiance cool et fraternelle, public connaisseur et surmotivé, son globalement impressionnant, c’est le rendez-vous incontournable, en France, des hardcoreux qui se respectent (en particulier pour le contingent du nord-ouest). Cette année, les organisateurs ont en plus fait très fort au niveau de l’affiche et, malgré l’annulation des revenants de Shattered Realm, c’est encore un home-run.
VENDREDI

Big Laugh (c) Darzec Photographie
Les habitués des festivals hardcore le savent, les sets dans cette configuration sont encore plus courts que d’ordinaire. Au Superbowl, l’exploit, c’est que tous les groupes se succèdent à raison d’un par heure sur la scène unique, changement de plateau et balance compris. Tous débutent à l’heure prévue, contrairement à nous, qui avons pris un peu de retard pour rejoindre le site. On rate donc avec regret Days Of Revelation, dont on nous a dit le plus grand bien, en se promettant d’arriver tôt le lendemain pour ne pas en rater une miette. On attaque donc cette session 2025 avec deux groupes jouant carrément sur le même créneau, Big Laugh et Destiny Bond, leurs prestations respectives atteignant à peine le quart d’heure. Vous l’avez probablement deviné : hardcore punk rapide et énervé au programme, dans la lignée des groupes emblématiques du label Convulse Records (Bib, Gel…). Petite préférence, d’ailleurs, pour le groupe Convulse de l’étape : Destiny Bond. Malgré la séparation regrettable de Gel, la relève est assurée.

Gray State (c) Darzec Photographie
Les jeunes Finlandais de Gray State qui prennent la suite sont assez comparables aux représentants de la vague edge metal floridien, type Domain et Contention. Ça joue remarquablement bien, ça bouge beaucoup sur scène et presque chaque riff donne envie de mouliner à s’en décrocher les épaules. Les solos de guitare heavy metal cassent un peu le rythme, mais tout Finlandais jouant du metal est contractuellement obligé de shredder un minimum sous peine de se faire confisquer son passeport par le surpuissant ministère local du metal symphonique. Bonus points : tous les membres du groupe sont encore là le lendemain pour profiter activement de tous les groupes présents.
Le hardcore mélodique chargé en émotions des années 2000 qui a fait la réussite de Bridge Nine Records et de Deathwish revient en force : Have Heart a donné quelques concerts de reformation, Defeater a tout cassé une semaine plus tôt au Hellfest, et Love Letter (pire nom de groupe) nous prouve aujourd’hui que le genre est plus vivant que jamais sous le soleil rennais. Formée par d’anciens Defeater, justement, et menée par le chanteur de Verse, la formation signée chez Iodine Records magnifie sur scène toute l’intensité et la force de son premier album sorti l’année dernière, le temps d’une prestation aussi brève qu’irréprochable.

Initiate (c) Darzec Photographie
Si vous lisez new Noise, vous savez qu’on adore Initiate. Et leur set du jour, entamé par leur dernier single en date puis constitué majoritairement d’extraits de l’excellent Cerebral Circus, fait bouger tout le Jardin Moderne. Les riffs syncopés à la Snapcase, la voix hurlée et le charisme de Crystal Pak, ce groove qui secoue… impossible de résister à Initiate. Et l’ambiance monte encore d’un cran lorsque les Californiens, après un speech contre la politique anti-immigrés de l’immonde agent orange installé à la Maison Blanche, se lancent dans une reprise brûlante de « Sleep Now In The Fire » de Rage Against The Machine. De quoi finir essoré alors que la soirée ne fait que commencer…
De toute la vague US des cinq dernières années, Restraining Order reste l’un des groupes les plus intéressants dans sa façon de réactualiser et de moderniser la formule hardcore punk des années 80. Le batteur et producteur Will Hirst est un monstre et tous leurs titres tiennent autant du son originel de Washington DC que de l’esprit rentre-dedans de Boston qui a fait la réussite de DYS ou SS Decontrol. Une petite demi-heure, 0 % metal, 100 % hardcore, parfaitement taillée pour mettre tout le monde KO et qui fait un bien fou.

Earth Crisis (c) Darzec Photographie
On ressent toujours une petite appréhension avant de voir monter sur scène un groupe culte incarnant à lui seul une époque révolue. C’est le cas d’Earth Crisis, qui supporte tout de même mieux le poids des ans que nombre de ses contemporains grâce à la lourdeur de son hardcore metal. Lançant leur show sur « Forced March », les vegan straight-edge de Syracuse donnent le ton d’entrée : un concentré de classiques en mode rouleau-compresseur. En dehors du « Vegan For The Animals » tiré d’un récent EP, ExC enchaîne les titres de Destroy The Machines auxquels s’ajoutent « Gomorrah’s Season Ends », « Forged In Flames » et évidemment, « Firestorm », aussi balourd dans ses paroles qu’inoubliable pour son riff. Le public répond présent même s’il faudra un peu de temps pour que la mayonnaise prenne. Néanmoins, on n’atteint pas la frénésie d’un set dans un festival tel que le Ieper Fest, l’assistance du Superbowl semblant bien moins branchée straight edge que son homologue belge…

Walls Of Jericho (c) Darzec Photographie
Walls Of Jericho n’a pas sorti de nouvel album depuis presque dix ans, mais la bande de Candace Kusculain n’en a pas besoin. Un concert de WoJ, c’est avant tout une session de crossfit bordélique, et peu importe que la playlist en fond reste toujours la même. Déjà ahurissante d’énergie une semaine plus tôt au Hellfest, la frontwoman prouve encore une fois qu’elle reste la plus impressionnante du game. Vocalement, évidemment. Physiquement, encore plus, avec un cardio hallucinant. Et sa formation légèrement rajeunie suit le mouvement, tout comme l’assistance déchaînée. Au Superbowl, aucune barrière entre le groupe et son public, au propre comme au figuré, et le set de Walls Of Jericho en devient phénoménal, en opposition totale avec l’ennui poli qu’ont suscité leurs albums depuis le furieux All Hail The Dead (bien représenté aujourd’hui). Si on plaçait une dynamo sous le chapiteau du Jardin Moderne, on pourrait alimenter en électricité toute la ville de Rennes pour le reste de la soirée. Instant frisson habituel avec Walls Of Jericho : tout le public reprend comme un seul homme le refrain de « Revival Never Goes Out Of Style ». Moins habituel, le public en question va continuer à le chanter pendant dix minutes après la fin du set. Vivement demain.
SAMEDI

Lifesick (c) Darzec Photographie
On s’était juré d’arriver à l’heure, mais on débarque quand même trop tard pour voir les Anglais de Becoming A.D. C’est donc avec Lifesick qu’on attaque ce second jour. Sous la chaleur étouffante de ce milieu d’après-midi breton, les Danois attisent la fournaise avec leur hardcore death saturé d’HM2, méchant et d’une efficacité à toute épreuve, sévère dans les breaks et toujours bien frontal dans les accélérations. Bonne entrée en matière.
Final Form prend le relais vingt minutes après. Encore une fois, on a beau savoir que les équipes techniques du Superbowl sont rôdées (certains ont même beaucoup bossé sur la Warzone du Hellfest), voir des enchaînements aussi rapides impressionne toujours, d’autant que le son est toujours irréprochable. L’evil/euro-core bien agressif des Anglais – que l’on découvre ici – donne envie d’aller tester leur EP sorti chez The Coming Strife en attendant un format long qui devrait pas mal secouer.

Headbussa (c) Darzec Photographie
On monte d’un cran avec les Parisiens de Headbussa, seul groupe français de la journée mais pas des moindres. De toute la bouillonnante scène parisienne, ce sont sûrement ceux qui incarnent le mieux cette nouvelle vague, même s’ils jouent ici sans leur batteur et leur bassiste habituels. Ce qui ne change rien à leur méthode coup de poing, caractérisée par une certaine agressivité verbale et sonore, et surtout par un groove hyper nerveux inspiré de la scène beatdown new-yorkaise (Irate, Billy Club Sandwich…) en deux fois plus vif. Les amateurs de violent dancing s’éclatent et leur demi-heure impartie passe à une vitesse folle.
Ceux qui ont déjà vu les Anglais de Pest Control savent à quoi s’attendre et ne sont pas déçus : on a droit à la séance hardcore crossover aux accents thrash metal promise et pas à autre chose. Fort d’un récent EP sorti chez Triple-B, sa meilleure sortie jusqu’ici, le groupe offre une ode au two-step, à la bousculade et au cassage de nuque. Et même sans l’effet de surprise, leur reprise du breakdown de « Domination » de Pantera fait toujours son petit effet.

Ignite (c) Darzec Photographie
On tape enfin dans le plus ancien avec Ignite. Dire qu’on n’était pas motivés à l’idée de revoir la formation hardcore mélodique californienne est un euphémisme. Pas qu’on n’aime pas le groupe, non, au contraire, on adore. Mais l’Ignite qu’on aime, c’est celui avec Zoli Teglas. Son remplaçant, Eli Santana, un énorme poseur, nous avait moins impressionnés en 2022 avec sa prestation vocale qu’avec ses poses gênantes cheveux au vent devant un ventilo stratégiquement placé. Trois ans plus tard, il reste un bon poseur (il faut dire qu’il est aussi acteur à ses heures, on l’a notamment aperçu dans la série HBO Westworld), mais vocalement, il se montre cette fois irréprochable. Son registre se révèle même plus varié que celui de Teglas, si bien que tous les vieux titres joués aujourd’hui s’en trouvent rafraîchis. Majoritairement basée sur l’album Our Darkest Days, la setlist a des allures de court best-of (manque juste « In My Time »), et même si le public du SB est plus réceptif aux démonstrations de brutalité sonore qu’aux mélodies enlevées, le concert se révèle un excellent moment ensoleillé et une très bonne surprise.

Congress (c) Darzec Photographie
C’est moins le cas pour les fondateurs de l’edge metal Congress. Les Belges n’ont joué qu’une poignée de concerts ces deux dernières années après presque vingt ans d’absence et, parfois, ça se sent, avec notamment quelques pains ici et là et un chanteur qui finira à bout de souffle. À l’instar des groupes youth crew qui se reforment aujourd’hui, sans l’énergie et la rage adolescentes de l’époque, Congress a beaucoup de mal à déclencher la même hystérie que par le passé. Pas que leur prestation soit mauvaise, loin de là, mais là où leurs contemporains Earth Crisis s’appuient sur la lourdeur, le mélange holy terror/death thrash bien sec de Congress sonne un peu daté tant il a été copié et amélioré depuis, et ce, même si les Belges interprètent leurs meilleurs titres (« Lifting The Ban », « Slaves Of Decay », « Under Pressure »…). Preuve qu’il vaut mieux la jouer très heavy quand on vieillit dans le hardcore metal game, le meilleur moment du show est l’instrumental très lourd « Ak Modan », superbe reprise d’un thème du jeu vidéo Castlevania 4.

Sunami (c) Darzec Photographie
S’il fallait décerner un prix du meilleur son de guitare du festival, c’est sans conteste l’ancien Gulch Mike Durrett de Sunami qui monterait sur la plus haute marche du podium. Le groupe californien fondé suite à une blague a bien grandi et atteint un niveau qu’ils n’avaient pas du tout anticipé. Succession ininterrompue de mosh-parts aux riffs démentiels, leur set reste 100% hardcore même si le groupe fricote aussi avec le slam death moderne d’un Sanguisugabogg. Résultat : le public se fait rouler dessus non-stop, et encore plus avec « Gate Crasher », « Weak Die First » ou un « Fence Walker » tiré du tout frais split EP avec Pain Of Truth.

Slapshot (c) Darzec Photographie
Promis, cette fois c’est terminé : Slapshot va raccrocher les gants après quarante ans de bons et loyaux services. Le hardcore de Boston est un genre et un esprit à part entière et personne ne l’incarne mieux que la gueule cassée de Jack « Choke » Kelly, seul membre d’origine. Ayant déjà largement dépassé la soixantaine, le boxeur est un peu moins alerte sur le ring, mais il éructe avec toujours la même rage les sempiternels « Old Tyme Hardcore », « I Told You So » ou cette inévitable (et formidable) reprise des Smiths, « Bigmouth Strikes Again ». Six mois avant la quille, il n’y a pas meilleur moyen de saluer celui qui est devenu une légende vivante.

Discharge (c) Darzec Photographie
Un autre groupe légendaire vient enflammer la nuit rennaise quelques dizaines de minutes plus tard : les crust punks de Discharge. Voilà plus de dix ans que le chanteur Jeff Janiak a prouvé sa légitimité en bouffant la scène de tout son charisme pour interpréter les vieux titres de ses vénérables camarades. Évidemment, le groupe pioche toujours dans les premiers disques plus punks du groupe et évite soigneusement les albums crossover des années 90 (dommage) et l’aussi affreux qu’hilarant album glam metal des années 80 (pas du tout dommage, quoique…). Sur une prestation resserrée de 45 minutes, ça marche d’autant mieux et les punks en cuir clouté présents se régalent, avant de se barrer, visiblement peu intéressés par le New York Hardcore Metal de Merauder.

Merauder (c) Darzec Photographie
Placer Merauder en tête d’affiche finale peut paraître surprenant. Bien sûr, l’indépassable Master Killer est le meilleur album du genre (et carrément le meilleur album de tous les temps tous genres confondus pour l’auteur de ces lignes). Mais du line-up qui l’a enregistré ne reste plus que le chanteur Jorge Rosado qui, en plus, venait alors d’intégrer le groupe alors que tous les titres avaient déjà été écrits avec son prédécesseur Minus. Le Merauder d’aujourd’hui est donc presque un tribute band. Mais, toujours accompagné du fidèle Kevin Mahon depuis douze ans et de musiciens plus jeunes, Rosado fait le show et les titres demeurent tellement bons que leur concert devient instantanément un grand moment. Même lorsque les New-yorkais s’écartent de Master Killer avec « Find My way » (vieux titre de la période Minus recyclé sur Five Deadly Venoms) ou « Ahora » (du sous-estimé God Is I), c’est la guerre dans le pit. Non seulement Jorge est en voix et se donne tellement qu’il finit chaque morceau au bord de l’apoplexie, mais il se montre en plus réellement touchant lorsqu’il dédie un morceau à une amie qui vient de se suicider avant de fondre en larmes. Arrive bien sûr la doublette finale « Master Killer »/« Life is Pain » qui voit le Portoricain foncer dans le pit, les stage-divers se multiplier comme des Gremlins plongés dans l’eau et la chanteuse de Pest Control ramasser un micro pour lâcher un couplet. À cause de ce chaos sur scène, on ne sait pas comment le bassiste de Final Form s’est retrouvé à la basse à la place de celui de Merauder le temps d’un final dantesque. On en regrette presque que Jorge et sa bande cèdent à la tentation d’un rappel avec un « Crossfire » un peu fatigué. Ce qui n’enlève rien à la prestation de Merauder, bien meilleure que celles d’il y a dix ans et qui conclut sur une excellente note un Superbowl 2025 encore plus intense que la session 2024 qui avait pourtant déjà placé la barre très haut.
Si l’ambiance est (relativement) moins survoltée cette année, la qualité des groupes et de la production, ainsi que l’atmosphère générale de ce festival à taille humaine (environ 1000 personnes par jour) en font décidément un rendez-vous immanquable. Histoire de chipoter, on dira juste qu’il faudrait, si c’est possible, un ou deux stands bouffe supplémentaires pour que le kiff soit total. Mais quand on en arrive à mégoter sur le nombre de food trucks sur un fest, c’est qu’il n’y a pas grand-chose à redire.