Cela fait maintenant plus de cinq ans que le Roadburn, autrefois festival majeur de la scène stoner/doom:Psychél en Europe, a entamé sa mue. « Redefining Heaviness », tel est désormais le mot d’ordre de son créateur Walter Hoeijmakers et de sa programmatrice en chef Becky Laverty, dont le but est de mettre à l’honneur des artistes dont la musique reste menaçante ou abrasive, sans obligatoirement en appeler aux guitares saturées. Si l’affiche 2024 nous avait laissés sur notre faim, celle de 2025 – pour la 21ᵉ édition – a ravivé notre enthousiasme pour ce festival aussi chaleureux qu’humain. Direction donc Tilburg, ses rues cossues et animées, son incontournable salle 013, son skate-park, ses concerts secrets, et son fameux accordéoniste posté dans le tunnel menant à la Koepelhal, autre lieu emblématique du festival.
Les réussites
Parmi les grandes réussites de cette édition 2025, impossible de ne pas saluer les deux prestations du groupe japonais de screamo-core Envy, les 17 et 18 avril sur la scène principale. Le sextet tokyoïte y a joué A Dead Sinking Story dans son intégralité – album de 2003 que Nobukata Kawai, l’un des trois guitaristes, qualifie comme le disque s’étant le moins vendu de l’histoire du Japon – ainsi qu’une sélection de morceaux plus récents. Interprétation impeccable, engagement total, énergie physique et émotion brute : Envy a fait honneur à sa réputation, et le chant intense de Tetsuya Fukagawa a arraché quelques larmes à un public suspendu à ses mots.
Autre moment fort : le concert du quatuor italien Messa, venu interpréter en intégralité son dernier album The Spin. Devant un public concentré et réceptif, Sara (chant) et Alberto (guitare) ont livré une prestation saisissante. Douceur, justesse, magnétisme pour l’une ; subtilité, précision et inspiration pour l’autre. Un sommet de classe et de sensibilité, culminant avec « The Dress », présentée comme leur morceau le plus intime. Une confirmation éclatante : Messa figure désormais parmi les groupes les plus élégants de la scène doom/rock’n’roll actuelle.
Côté États-Unis, Chat Pile a également marqué les esprits : d’abord avec un set brutal au skate-park en « show secret », puis avec un concert puissant sur la main stage. Entre deux diatribes déclamées par Raygun Busch, le groupe a enchaîné des extraits de Cool World et God’s Country, ressorti « Rat Boy » et « Dallas Beltway » de leurs EP, et osé une reprise de « Scentless Apprentice » de Nirvana. En bref : le groupe d’Oklahoma City a confirmé sa suprématie sur la scène sludge/noise rock alternative mondiale.
À 23h30 le vendredi soir dans l’Engine Room, Bambara a électrisé les fans. Devenu quintette sur scène avec l’ajout d’une nouvelle guitariste, le groupe a ouvert sur deux tubes de Stray – « Heat Lightning » et « Serafina » – joués à une vitesse bien supérieure à celle des versions studio, affirmant leur nervosité punk. Oubliant au passage les morceaux de leur sublime EP Love On My Mind, ils ont misé sur des titres issus de Shadow On Everything et bien sûr du petit dernier Birthmarks, qui eux aussi passent le cap de la scène avec brio. Une prestation intense, confirmant que Bambara fait partie de ces groupes qu’il faut absolument voir en live.
Enfin, comment ne pas mentionner Human Impact, souvent évoqué dans ces pages. Programmé lui aussi à l’Engine Room, le groupe démarre avec « Collapse » devant une salle aux trois quarts pleine. Chris Spencer, souriant et affûté, et Jim Coleman, arrivé en retard à cause d’embouteillages, et donc plutôt stressé au départ, offrent un set solide. Cinq morceaux de Gone Dark plus tard, ils surprennent en jouant « Against the Grain » d’Unsane. Le public, de plus en plus nombreux, savoure chaque titre, jusqu’au final aérien « Sparrow ». Même en concurrence avec Cave In, la salle reste comble jusqu’au bout. Prestation irréprochable.
Les surprises
Parmi les surprises de 2025, impossible de ne pas citer Dødheimsgard, formation norvégienne de black metal avant-gardiste venue interpréter à 13h50 au Terminal son dernier album Black Medium Current dans son intégralité. Habituellement peu sensible à ce genre de musique, souvent froide et désincarnée, nous avons découvert grâce à ce concert toute la richesse mélodique, la tension dramatique et la précision d’exécution du groupe. La voix possédée de Vicotnik et la présence de deux choristes y ont largement contribué. Malgré quelques digressions verbales inutiles, un vrai moment de grandeur !
Autre surprise inattendue : Altin Gün, groupe néerlandais aux membres d’horizons divers, a littéralement retourné une 013 pleine à craquer avec son mélange de rock psyché et de musiques du monde. Emmenés malgré nous par les copains de Vivement Doomanche, nous n’en sommes pas ressortis indemnes. Après trois nouveaux morceaux, c’est « Vay Dünya » qui fait chavirer la salle, suivi d’un « Leyla » tout aussi enivrant. Une heure dix de transe parfaitement maîtrisée. Une révélation.
Neuf ans après avoir mis le groupe en pause, Kylesa – soit Laura Pleasants et Philip Cope – a choisi le Roadburn pour son retour scénique. Entourés du batteur Roy Mayorga (Ministry, Jerry Cantrell, ex-Nausea, Amebix, Crisis, Soulfly, Shelter, Stone Sour…) et du bassiste John John Jesse (ex-Nausea), ils entament leur set sur « Firestarter » de The Prodigy avant d’envoyer « Tired Climb ». Si le son est d’abord approximatif, tout se stabilise avec « Don’t Look Back », moment où Laura impressionne par sa virtuosité. Philip reste juste au chant, et le groupe surprend avec une reprise du « Clutches » de Nausea, méconnue du public. À partir de « Scapegoat », la fosse s’embrase jusqu’au final « Running Red ». Un retour pour le moins triomphal.
Autre moment fort : le trio japonais Kuunatic, dont le rock psyché aux intonations rituelles a résonné dans la Next Stage. Si le groupe met un morceau pour se caler, tout décolle avec « Dewbow », grâce notamment à une basse « à la OM » et des chants liturgiques étonnants. Une vraie curiosité, comme seul le Roadburn sait en proposer.
Enfin, les Finlandais de Haunted Plasma ont également surpris. Composé de membres d’Oranssi Pazuzu, K-X-P et Grave Pleasures, le groupe livre un set hypnotique entre électronique noire et volutes ambient. Leur chanteuse, remplaçante de Mathew McNerney, apporte une touche onirique bienvenue. Même si nous n’avions pas écouté leur album I, nous sommes repartis convaincus.
Les déceptions
Côté déceptions, la prestation de Michael Gira et Kristof Hahn (Swans) laisse un goût amer. Programmé sur la Next Stage, leur show expérimental reste de toute façon inaccessible à qui n’est pas arrivé bien en avance. Une fois entrés, c’est pour assister à vingt minutes laborieuses, entre tension palpable et erreurs techniques. Gira bougon, Hahn agacé, musique absconse : nous quittons la salle sans regret.
Autre déception : Sumac, accompagné de Moor Mother. Sur le papier, cette rencontre entre sludge noise et poésie radicale avait de quoi intriguer. En réalité, Sumac tourne en rond sur quelques accords pachydermiques, pendant que Moor Mother récite ses textes noyés d’effets. Peut-être plus efficace sur disque que sur scène.
Même désillusion pour Big Brave : si leurs albums nous touchent, leur set ici frôle le drone plus que le doom. Une question d’humeur, sans doute.
Enfin, Gott, projet emmené par Farida Lemouchi, peine à convaincre. La Hall of Fame est à moitié vide, l’ambiance tiède. Si « The Colour Empty » et « Venus in Mirage » sont bien exécutés, l’absence de leur reprise de Fleetwood Mac (« The Chain ») déçoit. Bougies allumées, tension avec la sécurité, nouveaux titres moins marquants : il manquait l’étincelle. Pas un désastre, mais la magie n’a pas opéré. Le groupe mérite mieux, et on espère le revoir dans de meilleures conditions.
En conclusion
Malgré ces quelques déceptions – il y en a toujours – cette édition 2025 du Roadburn reste une réussite quasi totale, grâce à une programmation audacieuse, une organisation bien rodée malgré les travaux à la Koepelhal, une qualité sonore exceptionnelle dans toutes les salles, et une bière craft toujours aussi savoureuse. Il ne reste qu’à espérer que cette énergie unique perdure et que Becky Laverty continue d’équilibrer habilement artistes perchés et groupes à fort impact. Rendez-vous en 2026 !