[Report] Ideal Trouble 2021

Heimat (c) Titouan Massé

Retour en quelques lignes sur l’édition 2021 d’un festival Ideal Trouble désormais bien installé dans les agendas, et dont les humeurs puisaient cette année encore dans les associations électro-rock synthétiques et bricolées les plus diverses.

Troisième édition pour le festival Idéal trouble concocté par Etienne Blanchot (ex-programmateur de Villette Sonique) et qui, outre sa programmation toujours fureteuse, a le bon goût de tirer un trait d’union sacralisé entre deux des lieux essentiels de la périphérie musicale parisienne, à savoir La Station – Gare des Mines de la Porte d’Aubervilliers et les Instants Chavirés montreuillois.

Crack Cloud (c) Titouan Massé

Musicalement, la tendance de cette floraison 2021 était aux différentes articulations entre expérimentations électroniques lo-fi et tonalité synthwave/pop mutante à flux tendus. Bien entendu, une trajectoire trop rectiligne ne présentant pas d’intérêt, quelques écarts étaient de mise, avec notamment la présence des Canadiens de Crack Cloud lors de la soirée d’ouverture. Bien emmené par leur batteur-chanteur Zach Coy – dont le rôle s’avère plus celui d’un pulsateur, tant dans la voix que dans le jeu de batterie, que d’un véritable frontman rock – la formation art-post-punk de Vancouver a produit un concert alerte, mais aussi un peu expédié. La faute à la pluie sans doute, à un son capricieux, mais aussi à une énergie laissée en bonne partie semble-t-il, au Manchester Psych Fest du week-end précédent et sur la scène du Hope And Ruin de Brighton la veille. Dommage.

Kou (c) Philippe Levy

Pour se vitaminer électriquement le corps et les oreilles, il valait mieux être le lendemain au set de Lionel Fernandez (Sister Iodine, Antilles, Ibiza Death) aux Instants Chavirés. Toujours plus free, toujours plus brut, son nouveau projet Contumace (album à paraître prochainement sur Tanzprocesz) y révélait des ardeurs toxiques propices, entre tension post-industrielle, boucles électro-statiques et chorégraphies de guitariste ensauvagé. Une puissance de feu manifeste qui tranchait parfaitement avec la première partie plus immersive de l’ambient vibratoire du projet Kou, conçu par Thomas Coquelet et Apolline Schöser (de Nina Harker, qui ouvrait pour Crack Cloud la veille) : une orchestration tout en écho et réverbération de 21 harmoniums vintage particulièrement hypnotique.

Contorsions sonores à gogo

Les vendredi et samedi, le gros de la fête Idéal trouble battait le rappel à Aubervilliers dans un grand déballage hédoniste. Les formats électroniques y arboraient de nombreux atours, avec d’un côté les improvisations chaotiques, à base de matériels analogiques, de circuit bending et d’instruments bricolés des Rennais de France Sauvage, et de l’autre, l’IDM frénétique des Bruxellois de Carcass Identity. Dans ce registre un brin déluré, la performance de l’allemand Chris Imler, compagnon de route de Félix Kubin (et qui remplaçait au pied levé Puce Mary) a plutôt fait mouche, avec son ode à l’anticonformisme dancefloor en mode country club EBM vaudou.

Anika (c) Titouan Massé

On attendait sans doute un peu plus de la performance d’Heimat. La très belle association d’Armelle Oberle et Olivier Demeaux (de Cheveu) sur l’album Zwei, avec son alchimie kaléidoscopique de textures vocales en allemand/italien et de contorsions sonores bigarrées en mode folklore imaginaire, donnait envie d’en voir plus en live. Malheureusement, le son rendit leur concert difficile d’écoute et un peu frustrant. Parmi les têtes d’affiche annoncées, l’allemande Anika et la dernière mouture de son groupe 100 % féminin parut donc un peu plus à son avantage, même si la posture toujours très diaphane, toute en retenue, de la chanteuse anglo-allemande a aussi quelque chose de lassant. Dans le sillage de son album plus pop/rock Change, publié sur Sacred Bones, le concert se fit plutôt agréable, quoiqu’un peu minaudant, à l’image de ses textes (les « I Don’t Want You » de « Naysayer » par exemple). Une impression somme toute normale quand on préfère ses collaborations avec des artistes comme Schakleton.

Duma (c) Titouan Massé

Dans les accointances rock, voire même metal, Idéal Trouble a eu la bonne idée de faire appel aux Kenyans de Duma, une des nombreuses cartes de visite du label expérimental basé à Kampala, Nyege Nyege Tapes. Une performance plutôt réussie, même si en guise de grindcore industriel et de power electronics, leur musique s’apparente davantage sur scène à une relecture vocalement growlée et sourdement doom/breakcore de projets comme Dälek, Ho99o9, Deathgrips ou Jpegmafia. Râpeux et rampant à souhait tout de même.

Synthwave dantesque

Pour parachever le week-end, une armada de projets synthwave plus dantesques les uns que les autres sont convoqués au portillon. À Dame Area revient la palme de l’efficacité extatique incantatoire. Rappelant par instants la verve bouillonnante de Kap Bambino, les secousses post-indus typés DAF/TG du duo catalan savent nourrir leur set impulsif de scansion techno-punk et de souffleries métronomiques idoines. Après la prestation très cold-wave 80s des Suisses de Reymour, Naomie Klaus (anciennement connue sous le nom de Laura Palmer) surprend par sa manière très personnelle de pratiquer son revival indie-techno-pop. Elle pioche dans tous les registres, de l’abstract downtempo au trip-hop psychédélique en passant par quelques intonations hip hop ou Madchester/Happy Mondays, et, parvient en y ajoutant un grain de lyrisme tordu supplémentaire dans la voix – parfois étonnement grave – à rendre sa formule suffisamment curieuse pour la faire accrocheuse.

Christophe Clébard (c) Titouan Massé

Plus sombre et mélancolique a priori, le show de Christophe Clébard (« Je Suis Triste Car Je Suis Triste », « On Va Crever », tout est dit) qui clôt le festival trouve une résonance toute particulière au fur et à mesure de son déroulement. Rapidement nu comme un ver sur scène, l’artiste à la coupe au bol, entraine le public dans les arcanes interlopes de sa musique synthétique pervertie de basses minimalistes et de nappes turgescentes, mais aussi noyée de textes schizophrènes et débauchés, aussi déprimants qu’une soirée SM tournant à l’ennui flasque. À rougir de plaisir pour qui n’a pas les yeux – et les oreilles – dans les poches.

Laurent Catala