[Report] Hellfest 2025 (Clisson, jeudi 19 juin)

Sous un soleil de plomb et avec une affluence toujours aussi massive, l’édition 2025 du Hellfest a une nouvelle fois transformé Clisson en épicentre du metal sous toutes ses formes. Entre valeurs sûres, découvertes et paris plus risqués, cette cuvée a essuyé de nombreuses critiques. La présence de Muse en tête d’affiche a cristallisé les tensions, tout comme l’absence quasi totale de death metal et la trop grande place accordée au « modern metal » sur les Mainstages. Mais pour qui sait chercher, les autres scènes ont, comme toujours, offert leur lot de propositions plus intéressantes et aventureuses…

Tar Pond ouvre les hostilités à 16h30. Originaire de Suisse, le groupe a été fondé par le regretté Martin Ain, bassiste de Celtic Frost, disparu en 2017. Il est aujourd’hui remplacé par Chris Perez, aux côtés de Marky Edelmann (ex-batteur de Coroner), Thomas Ott et A.C. Kupper. Avec deux albums au compteur – deux réussites totales – Tar Pond livre ici sa toute première prestation en France, ce qui confère à ce moment une saveur particulière. Certes, une pénombre plus propice et une température moins brutale auraient permis de mieux savourer la lenteur hypnotique de leur doom abrasif. Mais les riffs lancinants de « Bomb », « Please » ou encore « Damn » parviennent malgré tout à nous procurer une joie sans borne. Si les curieux de passage se montrent parfois réservés, les initiés, eux, sont conquis. Tout est parfaitement en place : chant, guitare, basse, batterie… Et l’attitude nonchalante de Thomas Ott au micro ne fait qu’accentuer le charisme qui se dégage de la scène. À revoir de toute urgence, en salle et dans le noir. (Pierre-Antoine Riquart)

Figure de proue d’une scène black metal islandaise en ébullition volcanique (Altari, Andavald, Auðn, Sinmara ou Nadra – groupe dans lequel on retrouve des membres de Misþyrming), Misþyrming ouvre les hostilités sur la Temple en terrain quasi conquis. Corps et visages couverts de scories charbonneuses, tempi violents dans le sillage de leurs albums les plus récents (Með hamri, Algleymi) dont la compacité des atmosphères claustrophobes semble s’animer d’une virulence solennelle dans le contexte live, le groupe mené par le guitariste/chanteur Dagur Gislason témoigne de son expérience acquise depuis quelques années sur toutes les scènes européennes. Alors que les affres de la chaleur n’ont pas encore pompé les ardeurs du public en ce premier jour de festival, le groupe sort un set carré aux allures de best-of (le puissant « Orgia » en ouverture), même si on peut encore leur reprocher une certaine linéarité dans la forme. Efficace et sans fioritures.

On le savait déjà, mais depuis Emperor, le guitariste/chanteur Ihsahn a fait du chemin. Et si on est toujours ravi de retrouver l’un des groupes iconiques du courant black metal norvégien – comme l’an dernier sur la même scène Temple – apprécier à sa juste valeur la multiplicité des approches que son mentor peaufine dans son projet « solo » éponyme depuis l’album The Adversary en 2006 est toujours un réel plaisir. Certes, sa setlist se concentre surtout sur les albums plus récents (Arktis, Àmr, l’EP Telemark, et plus encore son dernier disque publié, Ihsahn), mais sa manière de jongler entre rock progressif tendance King Crimson, hard rock expérimental (« Nord », « My Heart Is Of The North », quelque part entre Faith No More et Opeth) et réminiscences black metal fugitives et recalibrées (« Telemark », « Stridig ») cristallisent une capacité bien réelle à jouer allégrement sur plusieurs tableaux. Visiblement à l’aise dans cette profusion de styles, Ihsahn n’a plus à se cacher derrière son passé glorieux de dignitaire du metal extrême. Et le courant passe beaucoup mieux vis-à-vis d’une ancienne génération qui lui a enfin accordé un blanc-seing pour franchir ce rubicon quand les nouveaux adeptes n’ont pas besoin de se formaliser sur ces écarts de conduite répétés. « The Distance Between Us », comme l’indique le titre d’un de ses morceaux, s’est désormais estompée, et même sur les titres les plus soft rock, comme la ballade « Until I Too Dissolve », on se prend littéralement au jeu. (Laurent Catala)

 On attaque ce premier jour, très chaud mais pas encore caniculaire, par un gros morceau à la Valley à 18h avec Slomosa et son stoner rock — ou plutôt tundra-rock, comme le quatuor aime à qualifier sa musique. Le public s’est déplacé en nombre pour accueillir les Norvégiens, qui s’emploient à faire groover toute l’assistance au son des tubes extraits de leurs deux albums. Carrée et investie, la formation est épaulée par un cinquième membre en retrait sur scène, enrichissant les morceaux à coups de troisième guitare et de tambourin. Slomosa soigne son entrée avec l’imparable « Cabin Fever », annonciateur d’un set aussi emballant que convaincant du début à la fin. Difficile de résister à l’énergie déployée sur « Rice » ou encore à l’enchaînement « Battling Guns »/« There Is Nothing New Under The Sun », véritables démonstrations du talent du groupe pour composer des bangers irrésistibles, évoquant par instants Queens Of The Stone Age. Le chanteur-guitariste Ben fait l’effort de glisser quelques mots en français, et en profite à mi-parcours pour adresser un tacle sans équivoque – et salué bruyamment par le public – à Benjamin Netanyahou, Donald Trump et Marine Le Pen. Les quarante minutes passent à une vitesse folle, et l’audience en redemande. Le show se clôt sur le puissant « Horses », et l’on se dit que Slomosa vient très certainement de convertir de nouveaux adeptes : il ne semble plus qu’une question de temps avant que le groupe ne passe du statut d’espoir à celui de grand nom de la scène stoner.

Retour à la Valley à 21h50, alors que la nuit tombe doucement, pour plonger avec délectation dans les eaux instrumentales des Suisses de Monkey3, qui eux aussi fédèrent largement. Près d’une heure d’un moment suspendu, durant lequel le groupe nous fait voyager au son de son heavy blues planant et ascensionnel, toujours tendu vers le céleste grâce à un sens remarquable de la spatialité sonore et un savoir-faire exemplaire dans la gestion de compositions aux mélodies hypnotiques et captivantes. Monkey3 est bien aidé en cela par des projections vidéo immersives, dont on regrette presque de ne pas pouvoir profiter dans une obscurité complète, tant elles renforcent le caractère psychédélique du set. Celui-ci repose en grande partie sur son dernier album en date, le superbe Welcome To The Machine, dont trois titres sont joués ce soir, complétés par le classique « Icarus » et le viscéral, narcotique « Through The Desert ». Le groupe bénéficie d’un son excellent, clair et parfaitement équilibré, qui met encore davantage en valeur ses qualités d’interprétation. Mention spéciale à Boris, dont le jeu de guitare incarne le moteur d’une machine parfaitement huilée, propulsant chaque titre toujours plus loin, toujours plus haut. Comme tout le public, on chaloupe, porté par cette musique propre à la rêverie éveillée — une parenthèse enchantée, chaleureuse et langoureuse, qui, on le présume, a toutes les chances de figurer parmi les meilleurs concerts de cette édition. Absolument magistral.

Du précédent passage de The Hellacopters au Hellfest en 2018, on garde le souvenir d’un excellent show en forme de best-of, les Suédois n’ayant alors rien de nouveau à défendre. Sept ans plus tard et deux albums supplémentaires dans la besace, les patrons scandinaves du heavy rock 70s font leur retour, cette fois sur la Warzone, pour une performance hi-energy de haut vol. Comme on s’y attendait, le guitariste Dregen est absent – probablement toujours convalescent après sa fracture de la main survenue il y a plusieurs mois. Il est remplacé par un guitariste certes bien moins flamboyant sur le plan du look (celui de Dregen tenant du croisement entre Steve Van Zandt et Keith Richards), mais redoutablement efficace et totalement en phase avec Nicke Royale lors de duels de six-cordes galvanisants. Petit bémol néanmoins : un déséquilibre sonore entre sa guitare et celle de Royale, cette dernière étant trop en avant durant la première moitié du concert, ce qui atténue un peu le plaisir avant que les choses ne s’équilibrent peu à peu. Côté setlist, c’est du velours : The Hellacopters revisite sa discographie en enchaînant ces tubes dont eux seuls ont le secret. On vibre au son de « Carry Me Home », « Toys And Flavours », « The Devil Stole The Beat From The Lord », « By The Grace Of God », « Everything’s On T.V. » et « I’m With The Band ». Sans surprise, ce sont les morceaux tirés des trois classiques Grande Rock, High Visibility et By The Grace Of God qui remportent les plus grandes faveurs du public. Un public certes enthousiaste, mais nettement moins fourni que lors de leur précédente venue à Clisson – Korn jouant en même temps sur une Main Stage n’a sans doute pas aidé à rameuter les curieux. Le bassiste Rudolf De Borst tente d’y remédier en haranguant la foule à plusieurs reprises, l’invitant à exprimer bruyamment sa joie d’être là. Mais entre happy fews, on se délecte sans réserve devant une telle débauche d’énergie. Le groupe, en pleine possession de ses moyens, se donne sans compter avec une classe rock’n’roll totale. On n’en attendait pas moins d’une formation légendaire, véritable bête de scène capable de mettre à l’amende bon nombre de groupes aux prétentions similaires. (Bertrand Pinsac)

Qu’elle semble grande la scène de la Warzone quand démarre le set du duo garage/punk speedé Teen Mortgage. La grosse hype qui accompagne le groupe de Washington D.C., justifiée par un très bon premier album, explique leur présence ici, mais sous la chaleur déjà écrasante de Clisson (et ça ne fait que commencer), leur set se montre moyennement convaincant. Le chanteur/guitariste James Guile a l’air de fondre devant son pied de micro et le public reste amorphe malgré les bonnes compos du Britannique et de l’Américain. Trop brouillons, trop statiques… on se dit qu’ils auraient peut-être été davantage à leur place dans la cage de la Purple House, la nouvelle « attraction » du Hellfest qu’on n’a même pas eu le temps de tester. Ou alors, ce sont les nouveaux titres de Teen Mortgage qui se révèlent finalement moins efficaces en live puisque l’enchaînement final « S.W.A.S. »/« Falling Down » (tirés de l’EP Life/Death) réveille, un peu tard, une Warzone un peu trop tranquille.

S’il y a bien un musicien qui porte une tenue de scène de circonstance ce week-end, c’est bien Raygun Busch, chanteur de Chat Pile. Pieds et torse nus, en short uni, à chaque concert il a l’air de sortir de sa tente Quechua pour aller s’affairer à un barbecue estival. Bon, la fureur du noise rock/sludge mutant de Chat Pile s’exprime mieux en soirée que par un bel après-midi ensoleillé, mais ça n’empêche pas les ricains de labourer la Valley avec leurs rythmiques implacables, leurs riffs dissonants et la basse écrasante de Stin, fan de Korn devant l’éternel. Toujours trollesque, Chat Pile démarre son set par « Rainbow Meat », un titre tiré de son premier EP This Dungeon Earth avant d’interpréter les meilleurs morceaux de God’s Country et Cool World. Comme à son habitude, Busch cause cinéma local entre chaque chanson et vu qu’aucun film n’a été tourné à Clisson (les reels et shorts d’influenceurs, ça ne compte pas), le thème du jour c’est logiquement l’enfer. Le public ne comprend pas toujours les vannes mais Busch fait toujours pouffer de rire Luther, son guitariste, et ça semble suffire à son bonheur. Quoi qu’il en soit, ils ont l’air de passer un bon moment et nous aussi, même si ce n’est pas non plus l’énorme baffe promise, les circonstances s’y prêtant peu.

Au moins la nuit est tombée lorsque Sunn O))) débute son set. Vu l’évolution du public du Hellfest, de moins en moins pointu, programmer un groupe aussi radical sous la Temple tenait du pari risqué – et on peut dire qu’il n’a pas été gagné…. Visuellement, les robes de bure, les murs d’amplis et la brume omniprésente font toujours leur petit effet. En revanche, le son, trop faible, empêche les bourdonnements telluriques du groupe de provoquer autre chose qu’une vague curiosité. On repense à leur première venue à Clisson, en 2012, et au trip terrifiant qu’ils avaient alors offert – on en est très loin ce soir. Le public, déjà peu nombreux, s’éclipse peu à peu. Et nous aussi, on ne s’attardera pas. Malgré le sérieux de la prestation et la dimension visuelle toujours impressionnante, la magie n’opère pas. On sourit tout de même en observant les quelques festivaliers déconcertés se demandant quand cette « intro » va enfin déboucher sur quelque chose. Bravo à l’orga de s’acharner à programmer des artistes aussi singuliers pas du tout en adéquation avec la majorité du public actuel du Hellfest, mais ce type de proposition peine désormais à trouver sa place.

Le public du Hellfest, lui, semble beaucoup plus en phase avec le rap-metal-core des Parisiens de Rise Of The Northstar, propulsés sur la Mainstage en remplacement des (moins drôles) Ultra Vomit. Objectivement, leur scénographie impressionne : décor manga SF, feuilles de cerisier qui volètent, immense drapeau nippo-français (wtf?!) en guise de backdrop. Niveau look, c’est plus sobre qu’avant, mais musicalement, les riffs simplistes font bondir un public massif qui ne demande que ça. On ose même espérer que ça se prend (un tout petit peu) moins au sérieux. Qu’on aime ou pas, dans la logique « attractions » du parc à thèmes qu’est devenu le Hellfest, ROTN matche forcément, à l’instar de la ribambelle de groupes metalcore spectaculaires qui auront l’honneur des Mainstages tout le week-end. Ultime preuve de bon goût des rap-metal-coreux parisiens : leur set se termine sur l’affichage d’un QR code pour aller écouter leur nouveau single. La prochaine étape, c’est quoi ? Un code promo pour du merch ? Une sponso NordVPN ? Pff.

On va être transparents, si on s’est cogné la moitié du set de ROTN, c’était pour être bien placés au moment où Korn allait entrer en scène. Grosse tête d’affiche du jeudi, les vétérans du nü-metal nous ont rarement déçus au Hellfest. Et dès l’intro de « Blind », jouée derrière un immense rideau noir qui tombe pile au moment où Jonathan Davis lâche le mythique « Are you ready?! », on sent qu’on va vivre quelque chose de fort. Ce qui se confirme pendant une heure, avec un son monumental et cinq musiciens en très grande forme. Le nouveau bassiste Ra Díaz (ex-Suicidal Tendencies) impressionne, nettement au-dessus de Fieldy sur le plan technique, Ray Luzier fracasse tout à la batterie, et le duo de guitaristes semble avoir retrouvé la fougue de ses vingt ans. Mais c’est surtout Davis, hyper impliqué, qui surprend par sa justesse dans tous les registres : chant, hurlement, growl, rap… rayez la mention inutile. La setlist assume que tout le monde ou presque se fout des albums récents : à deux ou trois exceptions près, le concert est entièrement dédié aux premières années du groupe. « Clown », « Twist », « Got The Life »… Les quadras (et plus) présents en masse jubilent. Moment attendu : Davis sort la cornemuse pour l’intro de « Shoots And Ladders », qui se fond magistralement dans le breakdown de « One ». En moins de deux minutes, Korn enterre la prestation de Metallica de l’an dernier, sur cette même scène. Après un rappel triomphal – « 4U », « Falling Away From Me », « Divine » et « Freak On The Leash », rien que ça – on peut sans trop s’avancer affirmer que Korn a plié le game du jeudi.

Et pour clore cette première journée courte mais déjà harassante, rien de tel qu’un peu de blackgaze haut de gamme. Alcest livre exactement ce qu’on attendait : un set magistral, toujours en équilibre entre onirisme planant (souvent) et accès de black metal plus vigoureux (un peu). La scénographie, sobre mais magnifique, reprend les visuels de Les Chants De L’Aurore, leur dernier album. Le public, déjà bien épuisé, répond tout de même présent — et profite enfin d’une température extérieure à peu près décente, même si les tentes de l’Altar et de la Temple restent des étuves. Alcest, toujours impeccable, mérite largement son succès international et leur prestation nocturne au Hellfest donne très envie de les revoir dans un environnement plus propice à l’immersion dans leur univers si singulier. (Bhaine)

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