Par Bhaine & Pierre-Antoine Riquart
Enchaînant les festivals depuis le début du mois de juin, l’équipe de new Noise a décidé d’aller faire un tour du côté du Ieper Fest, événement initialement purement hardcore qui existe aujourd’hui depuis plus de trente ans. Installé dans le centre culturel de la très jolie ville d’Ypres, en Belgique flamande, le Ieper propose durant trois jours une affiche très dense constituée de groupes cultes, de nouvelles pointures et de gloires locales de toute la famille hardcore élargie. Pour ce qui est du hardcore metal bagarre-friendly, l’action a généralement lieu dans la salle à l’intérieur, juste après le grand bar (qui diffuse aussi les matchs de l’euro de foot). La scène extérieure et les pavés sont eux plutôt dédiés aux formations moins porteuses question violent dancing. Entre les deux, une grande salle vitrée abrite le merch des groupes, des distros très bien fournies, les stands d’associations de libération animale et de différentes O.N.G. et, surtout, des canapés pour poser nos vieux culs. Tellement vieux qu’on zappe le vendredi pour des raisons logistiques (mais sans trop de regrets, vu que l’affiche du jour comportait essentiellement des groupes français certes excellents, mais qu’on a vus un paquet de fois) pour se concentrer sur un samedi et un dimanche bien chargés.
Samedi :
On commence avec les Américains de BiB, en intérieur. Comme beaucoup de groupes de l’écurie Convulse Records, on a là du hardcore punk primal et rectiligne, un sous-genre notamment remis au goût du jour par Spy et Gel. Si la voix de Nathan Ma se cache un peu derrière la reverb et un style à la cool pour masquer son manque d’amplitude sonore, derrière lui, les guitares sonnent comme des tronçonneuses tournant à la nitroglycérine et les boum-tchacs infatigables d’un batteur en mode lapin Duracel propulsant des titres suffisamment courts pour ne jamais être redondants. C’est loin d’être extraordinaire, mais BiB fait le taf, surtout sur une petite vingtaine de minutes (plus, ça aurait été trop). (Bhaine)
On continue avec les Floridiens de Gouge Away, dont le superbe troisième album Deep Sage a été chroniqué dans new Noise #70 et que nous avons eu le plaisir de croiser à leur stand de merch une heure avant le début de leur set – c’est aussi ça l’avantage du Ieper Fest et de nombreux festivals à taille humaine : il est assez facile de croiser les musiciens. Le groupe démarre les hostilités avec « Stuck In A Dream » et la chanteuse Christina Michelle démontre très vite l’étendue de son talent vocal en reproduisant à l’identique de l’album ses cris comme son chant clair. On remarque que l’un de leur guitariste a soit quitté le groupe soit n’a pu participer cette tournée européenne, car une femme, dont nous n’avons pu trouver le nom, le remplace. La pauvre se blesse aux doigts au milieu du set laissant sa guitare et la scène maculée de sang. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à jouer comme si de rien n’était. Respect ! Durant « Only Friend » Christina saute dans le public pour hurler tout ce qu’elle peut en se recroquevillant. Trente minutes qui ont filé en un instant nous laissant l’envie de les revoir le plus vite possible. (Pierre-Antoine Riquart)
On les a déjà vus de nombreuses fois et on en a notamment parlé dans le report du Superbowl Of Hardcore 2024 mais avec les Californiens de Dead Heat, c’est toujours l’assurance une demi-heure 100 % fun à coups de riffs thrash crossover explosifs et de mosh-parts participatives. Le frontman Chris Ramos est en forme et se réchauffe régulièrement la voix au Jack Daniels (il est loin le Ieper Fest 100 % straight edge des débuts…) tout au long d’une setlist attendue (tous les tubes des deux albums et du dernier EP) qui fait enchaîner séances de two-steps et de crowdkilling à un public ravi. Dead Heat, à la fois petit cousin latino de Power Trip et enfant illégitime de Suicidal Tendencies, met de toute façon le feu à n’importe quel festival.
On repasse en intérieur avec les massifs Texans de Judiciary. Ceux qui ont déjà assisté à l’un de leurs concerts le savent : en live, c’est la guerre. Gueulés par un Jake Collison enragé, les titres de leur second album injustement boudé tapent autant dans le mille (« Blood » !!) que ceux du premier (« Temple », « Social Crusade »). Judiciary est définitivement le plus brutal des groupes de hardcore metal thrashisant et offre du très haut niveau en termes d’exécution (et on s’y connaît en exécution au Texas). En plus, pour cette tournée européenne, leur guitariste Israel Garza, qui a rejoint Gatecreeper en 2020, est bien de la partie. Comme attendu, leur set se termine en beauté sur « Axis Of Equality » et ses deux minutes trente de mosh qui galvanisent encore plus les crowdkillers présents et un public dégoulinant de sueur.
Après une telle branlée (oui, c’est le terme technique), on apprécie de prendre l’air pour jeter une oreille à Angel Du$t, le groupe punk rock pop mutant de Justice Tripp, inénarrable chanteur des regrettés Trapped Under Ice. D’autant plus regrettés que chaque nouvel album d’Angel Du$t nous laisse un peu plus perplexes… Ce qui n’empêche pas Tripp de faire toujours preuve d’un charisme démentiel, sorte de Liam Gallagher punk hardcore aux lunettes improbables et à la nuque longue flamboyante… dommage que la voix, quasiment jamais juste et manquant singulièrement de puissance, le soit beaucoup moins que les cheveux. De fait, il devient difficile de s’enthousiasmer pour des titres auxquels on n’accrochait déjà pas des masses sur disque. Comme le cadre est chouette et qu’une partie de l’assistance se montre surmotivée (notamment un groupe de jeunes filles très énervées qui va s’emparer du micro plusieurs fois et s’en donner à cœur joie), on ne va pas jouer les rabat-joie et admettre qu’on passe quand même un bon moment.
Retour indoor pour jeter un coup d’œil à Length Of Time, groupe edge metal belge culte fondé par le guitariste Michel Kirby, également membre d’Arkangel et qui, évidemment, joue ici à domicile. Mais de tous les groupes H-8000 ou assimilés, il est loin d’être notre préféré et ses impulsions metalcore 2000s ont vite raison de notre patience, surtout quand on pense à tous les bacs de vinyles pleins à craquer qui nous attendent à l’espace merch & distro…
Même constat pour Bane qui, eux, jouent en extérieur. Leur hardcore 2000s mélodique et énergique n’a jamais été notre came. Le set étant identique à celui donné à Rennes trois semaines plus tôt, on ne s’attarde pas plus que de raison pour pouvoir profiter des lieux (c’est-à-dire acheter des disques).
Après un premier album excellent qui fusionnait parfaitement le death à la Entombed et le hardcore de bûcheron, la maladie gravissime du guitariste-chanteur Mark Whelan a fauché Fuming Mouth en pleine ascension. Mais Whelan s’en est heureusement sorti et son retour aux affaires a débouché sur un second LP inespéré à défaut d’être vraiment convaincant. On ne savait donc pas trop à quoi s’attendre avec Fuming Mouth en live. Et malgré toute la sympathie et la compassion qu’on éprouve pour son fondateur et unique maître à bord, force est de constater que sa voix a bien souffert, que les nouveaux titres sont aussi plats en concert qu’en studio et comme en plus, le trio n’est pas aidé par un son faiblard et brouillon, c’est globalement raté. Le public du Ieper, qui n’a généralement besoin que d’une amorce de riff costaud pour déclencher une session de pugilat, en reste même figé. Grosse déception.
On en arrive enfin à la tête d’affiche du samedi avec les vétérans d’Earth Crisis qui lancent leur set au son du très lourd « Discipline ». Avec un line-up qui n’a pas bougé depuis 25 ans, le groupe n’a pas besoin de forcer pour se changer en bulldozer. Le son est énorme, tout comme l’énergie malgré les années, et Karl Buechner beugle plus grave qu’avant mais toujours avec la même conviction. Le public est automatiquement conquis et tous les straight-edge kids récitent ces hymnes à la sobriété et à la libération animale comme s’ils étaient au catéchisme. En dehors de « Vegan For The Animals » tiré de leur dernier EP et de deux ou trois autres morceaux (« Against The Current », « Killing Brain Cells »), on n’a droit qu’à des classiques pré-1996 (« Forced March », « Born from Pain », « All Out War »…) et la température dans la salle doit frôler les 40 °C. Parmi les grands moments, on peut citer le « I am straight-edge » repris a cappella par tous ceux de l’assistance arborant des croix sur les mains, mais le pinacle reste évidemment le « Firestorm » final avec un énorme pile-on sur Buechner pour une séance de karaoké impressionnante d’intensité. La grosse claque des patrons.
Dimanche :
On le rappelle, il s’agit d’un mini-report parce qu’on a raté le vendredi mais aussi parce que le dimanche, on a décidé de se concentrer sur le Triple-B Records Tour qui fait étape au Ieper avec quelques-uns des meilleurs représentants du nouveau label majeur du hardcore US.
On arrive donc à la fin du set de Predatory Void qui jouait en extérieur et a dû enchanter tout le voisinage à en juger par la seule brutalité de ce dernier morceau. On s’engouffre au plus vite à l’intérieur pour assister au set de Missing Link qui vient de sortir l’album de beatdown le plus méchamment et bêtement bourrin de l’année. Et il n’y a pas tromperie sur la marchandise : ponctuéé de « Side To Side! », « Two-step ! », « Open That Shit up! », voilà une demi-heure de breakdowns ininterrompus pour la plus grande joie des karatékas du pit présents en nombre. C’est lourd mais le son, légèrement brouillon n’aide pas à différencier les morceaux en dehors du très bon « New York Minute » et son hook repris en chœur par quelques acharnés. Il manque quand même ce supplément d’âme et d’inventivité dont fait preuve notamment Pain Of Truth avec qui Missing Link partage un guitariste.
Ce supplément d’âme, on le trouve bien chez Gridiron, qui intègre une dimension rap-core à son beatdown hardcore de brutasse. En live, l’aspect rap est cependant moins évident, Matt Karll préférant gueuler plutôt que poser son flow pour se faire entendre. Peu importe en définitive puisque les riffs sont si bons et le line-up tellement haut de gamme (membres de Scarab, Foreign Hands, Never Ending Game, Simulakra…), que tous les meilleurs titres de No Good At Goodbyes rendent dingue le public du Ieper. L’excitation est même montée d’un cran par rapport à la veille : des golgoths moulinent à s’en décrocher les épaules, des nanas de 50 kg multiplient les high kicks et spinkicks au milieu des pachydermes énervés et des nerds à lunettes crowdkillent à tout va, quitte à se faire fracasser… Heureusement que les sets ne dépassent pas la demi-heure…
On souffle un peu en jetant un œil aux vieux punks belges cultes de Hiatus (sympa, mais pas dingue) tout en se désaltérant comme il se doit avant de retourner dans la fournaise du Triple-B show. Second set en moins d’une heure pour le guitariste Will Kaelin avec cette fois la formation hardcore metal prolo Never Ending Game. Fort d’un dernier LP assez formidable, Outcry, le groupe de Detroit est une machine à mosh-parts qui sort son épingle du jeu grâce aux riffs de Kaelin, mais surtout à la voix et aux les lignes de chant de Mikey Petroski. C’est puissant, mais pas seulement. Rien que sur « Tank On E », un semblant de mélodie et de mélancolie évoquent bien la rouille et le désespoir white thrash d’un Detroit en souffrance. Comme avec leurs petits camarades, on a droit à une petite demi-heure jouée à fond pour un set impeccable.
On a déjà vu Gel la semaine d’avant au Hellfest et si le quintette s’en est bien sorti, on a bien senti que la taille de la scène à Clisson ne lui convenait pas des masses. Ce que confirme ce concert au Ieper où le groupe, dont la cote de popularité a explosé cette année, se montre bien plus à l’aise. Évidemment, ils ne bénéficient pas ici d’un son aussi énorme mais leur hardcore punk qui ne fait pas dans le détail s’en accommode très bien et les quelques sonorités indie rock des nouveaux titres (à sortir sur un prochain EP) enrichissent une prestation excellente.
Le Triple-B Tour se conclut indoor avec Magnitude qui doit faire… sans son batteur, obligé de rentrer aux États-Unis en catastrophe. Heureusement pour eux, Derrick Daniel de Never Ending Game va jouer une partie du set et le multi-instrumentiste Lennon Livesay (bassiste de Gridiron, entre d’autres) s’occupera du reste. Ça aurait pu être compliqué, mais il en faut plus pour arrêter ces straight edge kids associant si bien le hardcore plus old school et mélodique de Mouthpiece à l’école new school 90 s de Strain et compagnie. Le jeune public straight edge est bien sûr à nouveau très impliqué, arrachant le micro de Russell Bussey sur les imparables « Deliverance » ou « Opposition ». Le frontman manque de puissance (surtout à côté du bassiste Alex Cejas qui se charge des chœurs) mais il possède un style bien à lui et n’est pas avare en énergie. Devant la scène, ça vire au grand chahut, en mode légèrement plus bon enfant que les séances de bagarre du reste de l’après-midi. Mention spéciale au sympathique anonyme qui a passé un long moment à quatre pattes à se faire piétiner le dos pour servir de tremplin à tous les slammeurs ravis de pouvoir se projeter poing en avant jusqu’au troisième rang. Encore une fois, un set excellent pour un autre des meilleurs représentants du roster Triple-B.
On est alors obligés de tirer notre révérence alors que derrière nous, les cultissimes Dropdead effectuent une démonstration de grinding crust forcément power-violent. On essaiera de les revoir ailleurs. Moins de regrets en revanche pour les deux têtes d’affiche de la soirée puisqu’on compte bien voir Congress au Revolution Calling Fest au mois de novembre et qu’on a déjà revu Harm’s Way la semaine d’avant au Hellfest (surtout qu’ils sont ici en mode quatuor, l’un de leurs guitaristes étant indisponible).
Quoi qu’il en soit, on conseille évidemment à tous ceux qui aiment le hardcore et tous ses sous-genres d’inscrire le Ieper Fest au programme de leurs pérégrinations estivales. Et on promet que l’année prochaine, si l’affiche est aussi canon que celle de cette année, on essaiera de vous faire un report intégral et une couverture complète de ce festival devenu culte. (Bhaine)