Archive interview : Ho99o9

(c) Brian Ravaux

Ho99o9 vient de sortir son premier album, United States Of Ho99o9, chroniqué dans notre n°38 et disséqué par le groupe lui-même dans un Track By Track  dans notre n° 39, actuellement en kiosque.

On en profite pour vous recoller ici notre première interview du duo noise-rap réalisée en novembre 2015 avant un concert atomique au Point Éphémère à Paris et originellement parue dans notre n°31 :

Si on émettait quelques doutes quant au bien-fondé du buzz autour de Ho99o9 (gros engouement un peu partout, sauf en France, évidemment) après l’écoute de leur dernier EP, efficace mais bien trop court pour se faire un avis définitif, le concert du désormais trio au Point Éphémère à Paris en novembre dernier les a tous balayés (tout comme l’excellente mixtape Dead Bodies in the Lake postée sur la page Soundcloud du groupe). L’énergie démentielle dégagée par les deux MC afro-américains, The OGM et Eaddy, a contaminé le public en quelques secondes, sans espoir de guérison avant la fin d’un show intense de bout en bout durant lequel Ho99o9 a alterné hardcore-punk old school façon early Bad Brains et morceaux hip-hop électroniques, dark et abrasif à la Death Grips. Quand il ne mélangeait pas les deux.

 

Vous êtes amis depuis longtemps ?
Eaddy  :
On s’est rencontrés par le biais de deux amis communs au lycée. On s’est retrouvés dans les mêmes fêtes, les mêmes concerts à New York, et ça a tout de suite collé entre nous…
Vous partagiez les mêmes goûts musicaux ?
The OGM  : On écoutait tous la même chose, mec ! On a grandi dans une banlieue bien merdique, presque un ghetto. On écoutait tous du hip-hop, du gangsta rap, DMX, Bone Thugs-N-Harmony, etc.
Eaddy : Écouter du rock ou du punk dans la banlieue, ça aurait été trop bizarre, mal vu… En fait, on a commencé à s’y intéresser par hasard, en regardant MTV.
The OGM : On attendait de voir passer certains clips de rap et on tombait sur ceux de Marilyn Manson, Korn, System Of A Down ou… merde, comment ils s’appellent, ceux avec les masques ? Slipknot !
Eaddy : Oui, voilà, et ces groupes nous paraissaient complètement barrés ! Je les trouvais cool en fait, mais j’écoutais ça en cachette tu vois. J’avais peur de dire à mes potes que j’aimais ce genre de trucs… (Rires)
The OGM : Pareil pour moi. Mais un jour Eaddy m’a parlé d’une de ces vidéos, et je n’en revenais pas : « Quoi, tu connais ça toi aussi ? »
Eaddy : On n’osait vraiment en parler à personne, je te jure ! (Rires)
The OGM : Puis on a commencé à trainer dans des concerts punk de groupes locaux à New York : Japanther, Cerebral Ballzy, The Death Set, etc. C’était ce qui s’offrait à nous, les shows les plus proches.
Eaddy : Oui, c’était à Williamsburg (Ndr : Brooklyn, NY), avec tous ces groupes hipster pop-punk plus ou moins underground. Un peu plus tard, j’ai découvert les Bad Brains, puis des groupes locaux montés par des musiciens de nôtre âge qui, eux, m’ont fait découvrir toute la scène hardcore plus ancienne… Et à partir de là, tous ces groupes pop-punk, genre « ouais, c’est cool, tout le monde est content ! », ont commencé à me paraître bien fades…
Tu préférais D.R.I… (Il porte un sweat du groupe)
Ouais ! J’ai halluciné en découvrant tous ces groupes, D.R.I., Cro-Mags, Suicidal Tendencies, Black Flag, ils étaient tellement plus intenses ! On a alors commencé à aller dans de vrais concerts hardcore, et waouh, c’était le truc le plus dingue que j’avais jamais vu.
Et c’est après ça que vous avez décidé de monter un groupe mélangeant hardcore old school et hip-hop moderne ?
The OGM :
Non, à cette époque on ne faisait encore qu’aller aux concerts, on était juste des fans. Moi, je rappais déjà en solo, du rap classique, avec des textes sur les meufs, la thune, la weed, ce genre de conneries. Mais Eaddy n’avait jamais rappé, il n’avait même jamais fait de musique. Il était plutôt dans le graphisme, il faisait des flyers, des T-shirts. Au début, c’était ça l’idée : je m’occupais de la musique et lui des visuels. Puis, un jour je lui ai dit : « Tu devrais écrire un couplet pour un morceau, je t’enregistrerai voir ce que ça donne. » J’ai trouvé ce qu’il avait fait plutôt cool, donc il a de plus en plus contribué, et c’est là qu’on s’est dit : « Bon, là, c’est en train de devenir un groupe. »
Eaddy : Ce n’était vraiment pas prévu au départ, ça s’est fait comme ça…
Spontanément…
The OGM : Oui, vraiment. On était déjà potes depuis des années avant tout ça, et jamais nous n’avions envisagé de jouer de la musique ensemble, car il n’en avait jamais fait. J’avais plein d’autres amis musiciens, j’aurais pu monter un groupe avec n’importe lequel d’entre eux, mais non, c’est assez dingue, c’est avec Eaddy que ça s’est fait… (Rires) On a donné notre premier concert en 2012, et ça nous a boostés. On jouait n’importe où, dans des petits clubs, mais aussi dans des caves et des sous-sols chez n’importe qui. Et à chaque fois, les gens pétaient les plombs. C’est là qu’on s’est dit que ça devenait sérieux, qu’il nous fallait un meilleur nom de groupe pour être facilement trouvables sur Internet, un site web, et surtout un batteur.
D’ailleurs, HO99O9 est-il désormais officiellement un trio ?
Ensemble :
Oui.
Votre batteur, Ian Longwell, était celui de Santigold, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Il est génial. On l’a rencontré en 2014 par le biais d’un ami commun de Los Angeles, où on vit maintenant. Il nous a dit : « Vous devriez faire un essai avec mon pote, car il est batteur mais aussi producteur. » On l’a rencontré à New York, on a joué ensemble et ça a tout de suite collé.
Devoir jouer avec un batteur vous semblait une évidence, du fait de votre passion pour le punk et le hardcore, pour dynamiser et rendre encore plus visuels vos concerts ?
Eaddy :
Oui, voilà. En fait, on voulait un batteur dès le début, mais on n’en trouvait pas. Certains flippaient un peu de jouer avec nous, d’autres n’étaient pas assez bons…
The OGM : Les gens nous demandent souvent pourquoi on n’a pas de guitariste ni de bassiste. Ce n’est juste pas notre truc. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de s’exprimer en musique, celle-ci est juste la nôtre. On vient du hip-hop, c’est logique. Mais la batterie, c’est différent, la dynamique n’est pas la même, on voulait sentir un gars frapper derrière nous.
Composez-vous vos morceaux hardcore de la même façon que vos morceaux hip-hop ?
C’est un peu différent. Les morceaux punk naissent de jams guitare/basse/batterie qu’on enregistre, puis on compose en assemblant les parties qui nous semblent les meilleures. Pour les morceaux hip-hop, on trouve des beats, et on recherche ensuite les sons, les samples. Eaddy était plus à fond que moi dans le punk, c’est donc lui qui a fait pencher mes morceaux rap vers le hardcore/punk.
Eaddy : Mais l’inverse se produit aussi maintenant. On part d’un morceau punk, et on se dit qu’on peut le jouer de façon plus hip-hop, sans perdre pour autant en agressivité. C’est un juste milieu à trouver.
Le groupe est étiqueté noise rap, aggro rap, freak rap, expérimental rap, punk rap…
Oh oui, ça n’arrête pas. (Rires) J’en ai vu un nouveau aujourd’hui : zombie rap ! Certainement à cause de notre imagerie, et du fait qu’on dit souvent aimer les films de genre. Ça a le mérite d’être marrant au moins ! Pour moi, on fait juste du rap hardcore et du hardcore punk, nos bases se situent là. Après, OK, on y ajoute certains éléments un peu différents, de l’electro, et des sons bien dark…
Certains de vos morceaux hip-hop rappellent quand même beaucoup Death Grips. Vous sentez-vous des liens avec ces groupes étiquetés noise rap ? Death Grips, B L A C K I E, Moodie Black, Clipping., et bien sûr Dälek, qui vient comme vous de Newark dans le New Jersey ?
Qui ?
Dälek.
Ensemble :
Ça ne nous dit rien.
Vous êtes sûrs ? J’ai du mal à le croire. Je prononce mal peut-être : d a l e k…
Eaddy :
Non non, je ne vois pas… J’ai déjà entendu ce nom, mais je n’ai jamais écouté et on ne les connaît pas.
The OGM : Je ne nous comparerais pas à Death Grips ou à un de ces groupes, on n’a rien à voir… Notre son est différent. (Ndr : On sent qu’il ne faut pas insister sur le sujet.)

(c) Brian Ravaux

OK. Vous disiez tout à l’heure que vous aviez cherché un nom qui soit facilement trouvable sur Internet. Est-ce pour cette raison que vous avez remplacé les « r » de « horror » par des 9.
Non, c’est juste le 666 inversé. Dans notre banlieue, tout le monde taguait ou dessinait des 999, parce que c’était cool, même si la plupart des mecs ne savaient même pas d’où ça venait. Puis c’est devenu une sorte de code pour nous, qui signifie qu’on ne suit aucune règle, aucune mode, qu’on fait ce qu’on veut. Parce que le punk, c’est ça avant tout. Mais ça va au-delà de la musique, c’est un putain de code.
Vous dites que vous voulez rester éloignés de toutes modes, etc., pourquoi vous êtes-vous installés à Los Angeles ?
Tout le monde a cette image de Los Angeles, et de la Californie en général, avec plein de gens trendy, superficiels. Alors, c’est vrai, il y en a beaucoup, je ne vais pas dire le contraire. Mais c’est comme partout ailleurs, tu y trouves des gens cool, avec le même état d’esprit que toi. En fait, la raison principale de notre déménagement là-bas, c’est le climat. Je ne pouvais plus supporter le froid ! (Rires) On vient d’une région où il fait froid l’hiver, où il tombe beaucoup de neige.
Avez-vous déjà enregistré votre premier album ?
(Il minaude) Peut-êêêêtre… Peut-être pas ! (Rires) On bosse, on a de nombreux morceaux, peut-être allons-nous sortir quelque chose bientôt, peut-être pas…
(Rires) Pourquoi tant de mystère ?
On ne veut rien s’imposer. On n’a pas de label, ce qui veut dire pas d’obligations, pas de deadline, on fait tout nous-mêmes, avec l’aide de notre management. On bosse dur, on se consacre à 100% au groupe. On arrive à en vivre pour l’instant, pourquoi s’embarrasser avec un label ? En ce qui concerne l’album, on attend le bon moment, on en parlera à ce moment-là…
En tout cas, vous avez posté une mixtape sur votre page Soundcloud il y a quelques semaines…
Oui, c’est une sorte de compilation de titres qu’on joue lors des concerts, mais que les fans n’avaient jamais entendus à moins de nous avoir déjà vus, plus une ou deux nouvelles compos. C’est pour que les gens puissent se familiariser avec les morceaux avant de venir aux shows.
Vous avez beaucoup tourné, et participé à de nombreux festivals des deux côtés de l’Atlantique, dont les Eurockéennes, Reading, Afro Punk et… Gathering of the Juggalos (Ndr : le festival annuel autour du groupe hip-hop Insane Clown Posse)…
(Éclats de rire) Putain, c’était vraiment spécial, étrange. Mais c’était super. Rien à voir avec un festival typique. La façon dont les gens sont habillés, déguisés, c’est unique, on dirait une immense famille. Et les stands, tu as de la bouffe… et de la drogue. Et des stripteaseuses dehors, devant tous les gamins, ça m’a fait halluciner.
Eaddy : C’est vraiment toute une culture qui s’est créée autour de ce groupe, il faut le voir pour le croire…
Vu de l’extérieur, ça semble très white trash…
C’est l’« Amérique de base » en fait… juste ça.
The OGM : Mais c’est beaucoup plus sympa que ça en a l’air, c’est très familial, et à partir du moment où tu participes, tu fais partie de cette famille. Au début, on ne savait pas trop à quoi s’attendre, on se disait : « Oh merde, dans quoi on va tomber ? » Et une fois là-bas, c’était super… que de l’amour ! On a rencontré ICP, on a rencontré tous les mecs, et ils étaient cool. Je crois que c’était la seizième édition, seize ans, c’est énorme mec !
Oui, j’ai du mal à imaginer, surtout qu’Insane Clown Posse n’a plus aucun succès en Europe.
Ils ont leur propre label, leur propre festival, leur propre communauté.
Et leur propre soda !
Ah oui, c’est vrai ! Je trouve tout ça génial en fait. On va sûrement y rejouer l’an prochain.
En parlant des fans, quelles sont les réactions qui vous ont le plus touchés ou surpris à la fin de vos concerts ?
Quand des mecs un peu plus vieux viennent nous voir en nous disant : « Putain les gars, j’ai 48 ans, et pendant une heure, grâce à vous, j’ai eu l’impression d’en avoir de nouveau 18. » Ça arrive fréquemment, et ça fait plaisir.
Eaddy : Un gars nous a tweeté l’autre jour : « Votre mixtape est mortelle, j’ai tellement la gaule que je vais gicler du sang ! » (Rires)
The OGM : Ah ouais, pas mal celle-là !
Vous n’avez jamais eu de problèmes avec la police ? Vos concerts sont assez furieux, vous aimez vous déguiser, et vous les terminez régulièrement à moitié nus, voire carrément à poil…
(Rires) Non, jamais eu de problèmes avec les flics…
Eaddy : Fuck the police, mec ! (Rires) Franchement, et ce n’est pas de la fausse modestie, je ne trouve pas nos concerts si dingues. On y injecte juste de l’intensité, de la passion, on les vit à fond, ça me semble juste normal.
Vos projets pour l’an prochain ?
Destruction massive.
The OGM : Rien de spécial : tourner plus, jouer dans de plus gros festivals, avoir plus de succès, progresser musicalement, manger mieux pour rester en bonne santé, ce genre de trucs !

(c) Brian Ravaux