DOSSIER MELVINS Part I : UNE HISTOIRE DE MELVINS

melvins band

En commençant cette story des Melvins, je voulais faire court, concis, efficace. En la terminant, je réalise que non seulement j’ai échoué, mais surtout à quel point le résultat me paraît incomplet et approximatif. C’est qu’on ne badine pas avec 23 ans de musique barjot comme on ne résume pas les Melvins à la réunion d’un batteur en slip, d’un guitariste coiffé avec champignon atomique et d’un chapelet de bassistes interchangeables. Au jour d’aujourd’hui, il n’existe aucune histoire officielle, aucune biographie figée, si ce n’est une discographie pléthorique qui vaut bien tous les récits du monde. C’est sûrement mieux comme ça. Car la tâche est rude, un vrai bordel. Il faut recoller les morceaux, suivre le fil en démêlant les nœuds, reconstituer un puzzle sans les pièces manquantes, recouper des témoignages souvent contradictoires, et lorsqu’on arrive au bout, on se demande si tout cela en valait vraiment la peine. Pire, on se retrouve devant un vrai cas de conscience, honteux d’avoir cédé à la facilité de la chronologie bête et méchante pour évoquer cette aberration du rock à rebrousse poil, approche indigne de ce groupe qui justement n’a jamais rien fait comme tout le monde, qui a toujours fait ce qu’il voulait quand il le voulait. Tant pis, le mal est fait. Ceci est n’est qu’UNE histoire des Melvins.


1983 – 1985 : LES MELVINS SE CHERCHENT (L’AVANT CROVER)

1983. Trois high-school kids errent dans les rues de Gray’s Harbor, bled redneck de l’État de Washington, découvrant les joies et les vicissitudes de la petite délinquance juvénile, des bitures, des joints et du punk rock pendant que les autres teenagers se dopent à Supertramp et reprennent méthodiquement « Cocaine » pour la fête du collège d’Aberdeen/Montesano, comme tous les ans.
Roger «Buzz» Osborne, Matt Lukin (futur Mudhoney) et un certain Mike Dillard décident alors d’enregistrer une dizaine de titres furieux et crados dans un studio de fortune de Mud Bay tenu par deux hippies en sabots. Ces demos nourries aux Pistols, Stooges, Discharge, Bad Brains, Black Flag, Kiss et autres groupes de la vieille et moyenne garde, dormiront dans un tiroir pendant près de vingt-deux ans avant d’être déterrées par le label Ipecac en 2005 pour la postérité. Rebaptisées The Mangled Demos From 1983, elles constituent l’acte de naissance white-thrash de l’un des groupes les plus fascinants, endurants, essentiels, atypiques et sous-estimés de la planète : les vénérables Melvins.
À cette époque, les pré-Melvins (un blase emprunté à l’un des employés – haï de tous – de l’épicerie dans laquelle trimait le jeune Buzz) sont peut-être le seul groupe de punks digne de ce nom dans les environs. C’est en tout cas ce qu’en dira Kurt Cobain quelques années plus tard. Parole d’évangile ?
En 1984, les Melvins remettent une demo-tape à un certain Hugo, un petit promoteur local de Seattle. Hugo a beau se marrer, il leur arrange un concert inespéré en première partie des fort respectables Minutemen et U-Men, que Buzz apprécie énormément. Toutefois, leur quotidien consiste surtout à écumer les petits clubs de Seattle et d’Olympia, peuplés majoritairement de pseudo-punks indigènes alcoolos, junkies – souvent les deux -, ou de skaters bien trop chargés pour skater, utilisant plus volontiers leur planche pour casser des têtes que comme moyen de transport.
Très vite, Mike Dillard, pour qui les morceaux prennent une tournure trop complexe et «mathématique», quitte le trio. C’est un pote de collège de Buzz, Dale Crover, qui jouait depuis ses 15 ans dans un groupe local de reprises d’Iron Maiden et dans Fecal Matter aux côtés de Kurt Cobain, qui le remplace derrière les fûts. L’histoire ne dit pas ce que Dillard est devenu. En revanche, ce qu’elle nous dit, c’est que c’est à ce moment précis que les choses ont vraiment commencé pour les Melvins.

dale crover

1986 – 1987 : LES MELVINS SE TROUVENT

Le groupe installe son matériel à Aberdeen dans une back-room de la maison des parents Crover. Les répétitions reprennent. Et là, quelque chose se passe, qui exige néanmoins un petit retour en arrière et un peu d’histoire dans l’Histoire.
En 1983, Ozzy et Dio ont quitté le Sabbath et c’est Ian Gillian de Deep Purple qui s’y colle. Le groupe enregistre alors Born Again, l’un des albums les plus calamiteux de sa discographie. Toutefois, aussi surprenant que cela puisse paraître et de l’aveu même de Bill Stevenson, l’écoute de Born Again fut le principal électrochoc qui incita Black Flag à revenir sous son nom d’origine avec My War (1984) après deux années de silence et de déboires avec Unicorn. My War, un album dont la fameuse «Face 2» eut un impact colossal sur la future scène doom, sludge et dérivée, même si au moment de sa sortie, les fans hardcore du groupe reçurent cette digression vers le lent et le lourd avec une certaine incompréhension, voire un certain mépris.

black flag?

Toujours est-il que cette «Face 2» ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd mais dans celles, avisées, de King Buzzo et Dale Crover à l’autre bout du pays. Alors, sous l’impulsion conjuguée du Black Flag de 84, des premiers Black Sabbath et de Flipper, les Melvins épaississent leur son et ralentissent considérablement le tempo. Cette collision radicale entre le punk et la lourdeur du heavy metal est alors un phénomène nouveau, brutal et culotté, à contre-courant de la course au tempo qui sévit dans les milieux hardcore, un terrain encore vierge que seul Saint-Vitus commence à explorer avec Born Too Late en 1986 (SST).
Ainsi, en février de cette année de grâce 1986, la bande à Buzzo enregistre chichement son premier EP officiel, un 7’’ baptisé sobrement 6 Songs, qui sera plus tard augmenté de quatre titres de la même période et pressé sur CD sous le nom tout aussi sobre de 10 Songs. À côté de morceaux dans une veine punk plus traditionnelle, des pièces comme «Cray Fish», «Easy As It Was» ou «Over From Underground» portent déjà en eux les germes de la petite révolution musicale opérée par les Melvins. Une révolution dont les répercussions sur toute la scène rock de Seattle seront considérables.
Mais c’est surtout leur tout premier LP, Gluey Porch Treatments, sorti en 1987 sur Alchemy Records (le label d’un certain Mark Deutrom) qui scelle définitivement l’union sacrée du couple symbiotique Dale Crover/King Buzzo dont il contient la substantifique moelle sonore : la frappe athlétique tout en toms et en roulements de Crover conjuguée à l’incroyable puissance graisseuse des riffs d’Osborne (qui fut d’ailleurs l’un des premiers à accorder sa guitare plusieurs tons en-deçà de l’accordage traditionnel après John Lee Hooker), le tout magnifié par un sens de l’humour et de l’expérimentation à l’épreuve des balles.
Pour la petite histoire, «Leeech» est une reprise du «Leech» de Green River (pré-Pearl Jam). Le groupe trouvant le riff principal trop répétitif avait définitivement banni le titre de son répertoire. C’est ainsi que Buzz, qui avait assisté à l’enregistrement des premières demos de Green River et qui au contraire de tous considérait «Leech» comme la meilleure chose qu’ils aient jamais pondue, reprend le morceau à son compte sur Gluey Porch.
À cette époque, les Melvins sont suivis à la trace par un petit groupe de jeunes fans, dont font notamment partie Kurt Cobain et Krist Novoselic. Les «pots de colles» comme les surnomme Buzz, font à la fois office de roadies et de larbins sur la majorité des dates à Olympia et Seattle. Un job pas vraiment glamour : aussi peu de dollars en poche que de groupies dans les loges et un Buzzo qui nourrit déjà la réputation de ne pas se montrer franchement tendre envers son entourage. Mais les pots de colle n’en ont cure, ils ont trouvé leur gourou.

guru

1988 – 1992 : LA CALIFORNIE & L’ÈRE BONER

Fin 1987, Matt Lukin est congédié pour ivrognerie. Il rejoint Mudhoney, tandis que Crover et Osborne partent s’installer à San Francisco. Ils engagent alors Lori Black aka Lorax (fille de l’actrice Shirley Temple), qui tenait la basse au sein du combo punk de Deutrom, Clown Alley. Avec le remplacement de Lukin par Lorax commence alors la grande valse des bassistes qui gageons-le, ne s’arrêtera selon toute probabilité qu’à la mort des Melvins eux-mêmes.

Lori Black aka Lorax
En 89, Tom Flynn leur propose de sortir un nouvel album sur son propre label. C’est ainsi qu’au mois de mai, ils enregistrent leur première galette pour Boner Records, Ozma, dont la plupart des morceaux avaient été composés presque deux ans plus tôt. Contre toute attente, l’album se vend à quelques 10000 exemplaires, un chiffre plus qu’honorable pour un disque de cette trempe, un «disque d’or» de l’alternatif. Il faut dire que peu à peu, les Melvins se sont forgé une solide réputation dans l’underground. Les tournées commencent même à devenir rentables.

L’année suivante, Crover s’absente brièvement afin de prêter main forte à Nirvana, alors sans batteur, sur une tournée en première partie de Sonic Youth sur la côte Ouest. À son retour, les Melvins enregistrent Bullhead (soit le réservoir du préservatif), qui sort sur Boner en 91. Bullhead est un manifeste sludge, un album colossal, l’un des plus lents et des plus lourds de leur discographie. Si l’album est bien accueilli par la majorité des Melvinsmaniacs, une partie de la critique et du fancore allemand s’élève néanmoins contre le caractère trop «commercial» du disque, allant même jusqu’à qualifier les Melvins de vendus. Absurde. Toutefois, ce n’est ni la première, ni la dernière fois qu’un noyau de fans bidons retourne sa veste au moment où un groupe passe de l’obscurité à la pénombre et commence à vendre des disques. La réponse des Melvins ne se fait pas attendre : aussitôt rentrés de leur tournée européenne, ils enregistrent Eggnog pour la modique somme de 600 dollars. Un EP bruitiste, fulgurant, expérimental et difficile, pour clouer le bec des teutons médisants.

dale
buzz

Fin 1991, exit Lorax ! Trop paresseuse, trop défoncée, trop «ex de Buzz». Ça sonne comme cette vieille pub pour la Vache Qui Rit dans laquelle des types castaient férocement des bovins qui ne faisaient jamais l’affaire. Joe Preston est donc la vache n°3 (3,5 si l’on compte la brève incursion de Tom Flynn à la basse pour une reprise de «God Of Thunder» de Kiss sur le tribute Hard To Believe sorti en 90). Preston est une vieille connaissance des Melvins. Fan transi de la première heure, il connaît le répertoire du groupe sur le bout des doigts avant même d’en devenir membre officiel et c’est sans aucune hésitation qu’il rompt avec Earth et Dylan Carlson qui ne lui pardonnera jamais vraiment cette trahison.
Sitôt réunis, les trois hommes se séparent brièvement pour travailler chacun de leur côté sur un EP solo. Chaque pièce du triptyque est composée et enregistrée par un membre du groupe indépendamment des deux autres, à l’instar de ce qu’avaient réalisé Gene Simmons, Ace Frehley, Peter Criss et Paul Stanley de Kiss en 1978. Les artworks de Dale Crover, Joe Preston et King Buzzo sont d’ailleurs fidèlement calqués sur ceux de Kiss.

buzz insert

joe preston insert

dale insert

Les trois disques sortent simultanément en 1992, suivis de près par le monumental Lysol, devenu l’album sans titre après que la marque du même nom a décidé d’en interdire l’exploitation par les Melvins. Même si les crédits ne figurent pas sur l’album et outre les reprises de Flipper et d’Alice Cooper, une rumeur persistante attribue la composition du titre «With Teeth» à Joe Preston et raconte que l’apposition au dos de l’album du gigantesque «Joe» (en caractères tout à fait disproportionnés en comparaison aux mentions «King Buzzo» et «Dale») serait la riposte cynique d’un Buzzo fin-gavé par les revendications de Preston pour être traité d’égal à égal au sein du groupe, et pas seulement comme la troisième roue du carrosse. Rumeur ou pas, Preston est débarqué sans ménagement pour «manque d’éthique ».

1993 – 1996 : LES ATLANTIC YEARS

Depuis leurs débuts, les Melvins évoluaient tranquillement dans la catégorie «groupe génial dont personne n’a rien à secouer». Quand je dis «personne», je parle évidemment des magnats de l’industrie du disque, des grands manitous qui tiennent les rennes de notre consommation discoïde branlante et de notre porte-monnaie. Seulement, depuis la sortie du Nervermind de Nirvana en 91 et l’avènement explosif du grunge, la donne avait changé avec les conséquences que l’on sait : le monde se mit à dépouiller chaque phrase prononcée par le nouvel oracle générationnel Kurt Cobain et à fouiller allègrement dans son passé. Et c’est ainsi que les super majors du disque, qui avaient trouvé leur vache à lait dans tout ce qui touchait de près ou de loin à la grande mayonnaise que représentait la scène de Seattle, commencèrent sérieusement à se demander si elles n’étaient pas passées à côté de quelque chose, ou du moins si le moment n’était pas venu de rattraper le temps perdu (et le temps c’est de l’argent) en signant les Melvins, c’est-à-dire les vétérans sans qui rien de tout cela ne serait arrivé : Nirvana, Mudhoney, Soundgarden, Pearl Jam et l’accordage des guitares en ré. Échange de bons procédés, les Melvins, affublés du nouveau statut de «godfathers of grunge» ayant eux aussi besoin de faire rentrer la caillasse afin de pouvoir continuer à s’ébruiter paisiblement, signent un contrat juteux avec Atlantic. Pour autant, comme ils ne sont pas du genre à vendre de la soupe pour un paquet de pognon, les Melvins ne feront aucun compromis musical. Pour en avoir le cœur net, il suffit d’écouter «Spread Eagle Beagle», soit la dernière piste de Houdini, première livraison pour la maison Atlantic: un instrumental de plus de dix minutes composé exclusivement de percussions, une sorte de Tambours du Bronx sous codéine. Quel gros bras d’honneur que ces Atlantic years.
Lorax a visiblement refait surface (pas pour longtemps) mais se partage les lignes de basse avec l’ingénieur du son Billy Anderson. De toute façon, les sessions Houdini sont entourées d’un halo de brouillard, et savoir précisément qui a fait quoi sur ce satané disque relève quasiment de l’impossible. Cobain est également crédité à la guitare, aux percussions additionnelles et à la production bien que la version officieuse ne soit pas des plus glorieuses quant à sa réelle implication dans l’enregistrement :
– DALE : C’est plutôt nous qui lui disions ce qu’il devait faire.
– BUZZ : C’est vrai. Il faisait du bon café et nous apportait des sandwichs quand on avait faim.
Houdini a beau être la plus grosse vente jamais réalisée par les Melvins, ils se retrouvent à nouveau sans bassiste. C’est ce bon vieux Mark Deutrom, attifé de son éternel chapeau de cowboy, qui vient tâter de la quatre-cordes après leur avoir servi de sondier, notamment sur la date légendaire de Reading (1991) en première partie de Nirvana, après laquelle les Melvins s’étaient vus qualifier de «pire groupe du monde» par les organisateurs. Ensemble, ils pondent l’imparable Stoner Witch, tubesque, drôle, ébouriffant, et s’auto-proclament «meilleur groupe de l’histoire du Rock», ce que je ne suis pas loin de leur accorder.
stoner bitch
King B, Dale C et Mark D, sous contrat avec Atlantic, réussissent alors un coup de maître en sortant l’ultra-déglingué Prick (fait d’après les chutes des demos de Stoner Witch) sur le label noise indépendant de Minneapolis Amphetamine Reptile.
Vous voulez faire QUOI ??? Sortir un disque chez un indépendant ??? Bullshit ! Vous avez un CONTRAT avec nous !!!
Ok, mais écoutez-le d’abord parce que de toute façon, vous ne serez pas intéressés
Effectivement, comment auraient-ils pu être intéressés par un disque aussi informe et barjot ? Prick sort donc comme prévu chez AmRep en 94 sous le pseudonyme «Snivlem», le contrat avec Atlantic n’est pas rompu, et ce qui aurait dû friser le suicide commercial devient un «fuck you» dans les règles de l’art.
1996. Stag est la troisième et dernière livraison des Melvins pour Atlantic qui décide alors de couper les ponts.

1997 – 2004 : SEPT ANS DE RUTMANIS

De retour à l’ombre d’AmRep, le trio enregistre Honky en 6 jours à peine et enchaîne une tournée avec Helmet. D’ailleurs ils tournent énormément pendant cette période, partageant l’affiche avec Kiss, Primus, The Obsessed, Godheadsilo, Nine Inch Nails, Primus, White Zombie, Rush, Tool, L7…
Cette année-là, Buzz s’acoquine avec Mike Patton en intégrant Fantômas, son projet post-Faith No More, aux côtés de Trevor Dunn (Mister Bungle) et de l’ex-Slayer Dave Lombardo pendant que de son côté, Crover joue le frontman (guitare, chant) au sein de son power trio Altamont. Mais voilà qu’après quatre années de bons et loyaux services, Deutrom rend son tablier (à moins que son tablier ne lui ait été rendu?) et part s’installer à Londres avec son chapeau. De nouveau, les Melvins se retrouvent orphelins de bassiste, mais les larmes ne coulent jamais bien longtemps.
En effet, en produisant Sorry In Pig Minor – dernier album en date du fameux groupe noise-rock de Minneapolis les Cows – et en partageant une scène au Lollapalooza, Buzz avait mûri l’idée de débaucher Kevin Rutmanis afin de combler la place laissée vacante par le cowboy grincheux. À peine un mois plus tard, Rutmanis est intronisé et le trio embarque pour le Ozzfest 98 grâce ou à cause de l’insistance de Tool auprès des organisateurs pour les faire rentrer dans la programmation (la vraie raison étant que Tool avait besoin du soutien d’un groupe-ami dans cette épreuve du feu). Finalement, le Ozzfest restera sans doute l’un des plus mauvais souvenirs de mémoire de Melvins : programmation navrante, «petits » groupes sous-payés ou pas payés du tout, mesquinerie de l’organisation et metal-attitude en carton.

melvins - l'ère rutmanis
L’année suivante, ils rejoignent l’écurie Ipecac, maison co-fondée par Greg Werckman (ex-label manager d’Alternative Tentacles) et Mike Patton. L’occasion pour le label d’entamer une série de rééditions d’albums épuisés ou inédits des Melvins, mais surtout de sortir successivement The Maggot (1999), The Bootlicker (1999) et The Crybaby (2000), soit les trois piliers de la fameuse «trilogie Ipecac». Enregistrées quasi-simultanément avec des moyens similaires, chaque pièce est cependant un acte singulier : The Maggot, un disque punk, metal, vif, tendu et «over the top», The Bootlicker, plus calme, sinueux et psychédélique, et enfin The Crybaby, génial album de collaborations avec des invités aussi improbables que Jim Thirwell (Foetus), Hank Williams III, Tool, David Yow (Jesus Lizard), Kevin Sharp de Brutal Truth, Bliss Blood, Mike Patton, Henry Bogdan (Helmet), Skeleton Key, Godzik Pink et surtout, le teen-idol déchu des seventies Leif Garrett dans une interprétation lymphatique de «Smells Like Teen Spirit» complètement invraisemblable.
Avec Electroretard (2001), sorte d’hommage humoristique et distancié à eux-mêmes, les Melvins opèrent un détour par Man’s Ruin, le label aujourd’hui défunt du sérigaphe-illustrateur Frank Kozik (qui avait déjà réalisé l’artwork de la pochette d’Houdini). Dans les remerciements, on peut lire «Thank you A. Hilter!», en référence à un vieux sketch des Monty Python. Et puis il y a ce dessin qui représente un lapin avec une petite moustache carrée et un uniforme nazi. Les Allemands ne sont pas contents et les Melvins se poilent.
La collaboration avec Ipecac se poursuit avec l’album live Colossus Of Destiny et Hostile Ambient Takeover sur lequel on retrouve Adam Jones de Tool crédité aux «Virus».
buzz live

De son côté, Atlantic ne trouve rien de mieux à faire que de sortir Melvinsmania, The Best Of The Atlantic Years, une compilation dispensable et vite torchée, à l’image des notes de pochettes.
En 2004, les Melvins célèbrent leurs 20 bougies avec la parution de Neither Here Nor There, conçu par Buzz et sa femme Mackie, en charge du design de la plupart des pochettes du groupe depuis 1993. Neither Here Nor There aurait pu prendre la forme traditionnelle du livre-anniversaire: un groupe de rock à l’heure du bilan revient avec force nostalgie sur deux décennies de carrière et d’anecdotes avant de passer dans la douleur au stade pré-mortem de l’âge de la maturité. Vous vous en doutez, Neither Here est à des lieues de ce genre d’élucubrations poignantes: peu de mots, une compilation, mais surtout des images, variations loufoques autour de leurs artworks, photos amateurs, objets insolites au rapport lointain, le tout organisé aléatoirement, sans ordre particulier pour brouiller un peu plus les pistes, dans un splendide foutoir en forme d’art-book. Et histoire de continuer à être là où on ne les attend pas, les Melvins remettent le couvert avec trois albums de collaboration : le premier avec Lustmord, ex-SPK et pionnier de la scène industrielle expérimentale (Pigs Of The Roman Empire sur Ipecac) ; les deux suivants (Never Breathe What You Can’t See et Sieg Howdy) avec le pape punk de la liberté d’expression, Jello Biafra des Dead Kennedys. Ces deux albums renouent plus de 20 ans après avec le punk pur jus de l’époque Dillard/Lukin.

2004 – ???? : CONFUSION IS SEX

En 2004, les Melvins annonçaient l’annulation de leur tournée européenne pour cause de «bassiste malade», au grand dam de tous les fidèles qui se pressaient déjà au portillon des salles obscures. Leur prestation sur les films expérimentaux de Cameron Jamie était toutefois maintenue à Paris et ailleurs, mais dans la pénombre de l’auditorium de Beaubourg il était impossible de distinguer les traits du troisième homme et personne ne semblait connaître véritablement le fin mot de l’histoire. Quelques temps plus tard, l’annonce officielle du départ de Kevin Rutmanis secouait à nouveau le petit monde du rock, avec cette question brûlante sur les lèvres: qui serait le prochain sur la liste? Des rumeurs circulaient sur une éventuelle fusion des Melvins avec le duo basse/batterie Big Business, que rien ne venait pourtant confirmer.
La réponse, tout le monde sembla la trouver lors d’un concert à Londres dans le cadre des All Tomorrow’s Parties en octobre dernier: Trevor Dunn était l’heureux élu, ne serait-ce que pendant cette version live de Houdini.
Mais de retour aux États-Unis, ils enchaînèrent quelques dates avec David Scott Stone (qui les avait déjà dépannés au début du millénaire) à la basse.

melvins + rutmanis & david scott stone

Pour parachever cette gigantesque embrouille, le FantomasMelvins Big Band annonçait les dates de la tournée européenne 2006 avec… Jared Warren et Coady Willis de Big Business.
Alors quoi, qui, comment ?
Aux dernières nouvelles, la fusion avec Big Business est effective. Affublé d’un deuxième batteur gaucher, le trio devient un quatuor. L’enregistrement du prochain album studio est prévu pour le premier juillet prochain.
Quant à Trevor Dunn, il devrait lui aussi poursuivre l’aventure Melvins, mais uniquement sur les dates de la tournée Houdini, puisqu’une version live de cet album (Houdini Live 2005: A Live History of Gluttony and Lust) devrait sortir le 23 mai sur Ipecac.

« J’ai dépassé toutes les espérances que j’avais pour ce groupe les premières années. Ce que veulent la plupart des groupes, c’est uniquement devenir de grosses rock stars. Dès le départ, ils ont un plan de carrière, chose qu’on n’a jamais eu. Sauf qu’aujourd’hui, nous avons une carrière derrière nous, alors qu’eux ont été découragés et ont abandonné. Si nous pouvons vivre de notre musique, c’est simplement parce qu’on ne voit pas les choses sous cet angle stupide. Je ne conduis pas de Lamborghini et on ne se fait pas de « pipes-parties » backstage avec des Hooter Girls, tu vois ? La seule chose qu’on fait, c’est payer nos factures et vivre » (Buzz, interview pour pitch.com, 2004)

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Francoise Massacre
Publié dans: VERSUS MAG #8 (Mai 2006)

couv VERSUS MAG #8