[Report] This Is Not A Love Song 2019

(c) Marie Meletopoulos

 

Par Laurent Catala

Si l’indie rock a encore quelques velléités de sortir des sentiers battus, c’est bien un festival comme THIS IS NOT A LOVE SONG qui peut s’en faire le meilleur témoin. Avec ses ouvertures récurrentes vers le noise-punk et le hip-hop, plus quelques concerts de haute facture (Low), l’édition 2019 a en tout cas démontré qu’il y avait encore de l’espoir en la matière.

En quelques années, le festival nîmois TINALS (This Is Not A Love Song) est devenu une référence en matière de musiques indie : une terminologie pas toujours très rassurante quand on n’est pas forcément fan de de pop ou de folk, mais que le rendez-vous gardois est toujours parvenu à élargir/pervertir suffisamment pour éviter la sclérose du tout-mélodique. C’est donc encore marqué par quelques shows des dernières éditions (Death Grips et King Gizzard en tête) que j’abordais cette édition 2019, pleine d’inconnues et de quelques têtes plus familières. Certes, la programmation avait cette année (je ne saurais pas dire si c’est plus ou moins que les années précédentes) une tendance assez prononcée pour des groupes et projets mettant la mélodie au premier plan : un axe consensuel, porté par quelques invités de prestige comme une Lou Doillon au charisme certain (et à la voix intéressante dans son nouveau contexte plus rock) et les Japonaises de Shonen Knife, quand même plus à leur avantage quand elles se souviennent de leurs racines punk tendance Ramones ; mais surtout en ce qui me concerne un argument récurrent pour quitter fréquemment les espaces ensoleillés (et très chauds) extérieurs pour débusquer, le plus souvent dans des intérieurs musicaux plus confinés – enfin si la possibilité d’y déambuler y était permise, la circulation dans le bâtiment principal de la Paloma, salle de concert semblant sortie du désert en périphérie de ville qui accueille le festival, étant tout sauf aisée – quelques nouvelles pépites rares et plus sauvages.

Shonen Knife

À ce petit jeu, plusieurs projets trouvaient une résonance intéressante, mettant en valeur une véritable science du mélange des genres. Le trio Messthetics, réunissant le bassiste de Fugazi, Joe Lally, le batteur Brendan Canty et le guitariste Anthony Pirog, déploie ainsi une relecture assez fascinante du hardcore US originel. Son énergie y est étonnement revisitée dans des morceaux jouant d’ouvertures blues, jazz ou prog rock pour trouver une incandescence plutôt jubilatoire. Même constat jouissif du côté des jeunots Londoniens de Black Midi, dont la musique convoquant l’esprit de Birthday Party, Shellac et Can s’avère plus convaincante que le mélange indigeste de heavy rock et de pop ostentatoire des Coréens de DTSQ. À la fois déglinguée et harmonique – notamment quand le chanteur/guitariste Geordie Greep se prend d’intonations vocales presque lyriques, entre Nick Cave et Scott Walker –, leur performance défrise littéralement. Et on ne peut qu’apprécier leur générosité (quel batteur !), quand on la compare au set de Shellac qui, quelques heures plus tard, ne parvient pas à décoller, du fait sans doute principalement du cynisme distant avec lequel le groupe de Steve Albini mène sa performance (pas ou peu d’échanges avec le public mais beaucoup entre eux, setlist discutable).

Shellac

Si l’ouverture de TINALS est réelle, elle n’est pas non plus extravagante. Pas de metal (contrairement aux années précédentes), ni d’electro (hormis le pénible James Blake et le disco-rock bon enfant des régionaux de l’étape de Rinôçérôse), mais quelques bonnes expériences à leur proximité immédiate, comme l’étrange live aux humeurs de Suicide/DAF sous éther du duo Warm Drag. Tandis que Paul Quattrone, batteur de The Oh Sees et !!! reste rivé sur ses machines, la chanteuse Vashti Windish s’adonne à un tour de chant très expressif, sorte de croisement entre l’esprit punk de Siouxsie et les intonations plus rituelles de Nico. De fait, une fois encore à TINALS, c’est le hip-hop qui s’avère le meilleur vecteur d’hybridation de l’affiche. L’ombre de MC Ride (de Death Grips) plane ainsi avec force sur la performance possédée de Jpegmafia, bien dans le sillage de son album Veteran. Pétrie de trap-bass-music féroce, de parties industrielles lourdes, mais également de titres aux colorations paradoxalement plus mélodiques, le rappeur de Baltimore enchaîne et déchaîne. Un tour de force que transcende avec une énergie dubstep/punk plus linéaire, mais tout aussi efficace, son alter ego anglais, Scarlxrd, particulièrement bien aidé par son blanc-bec de comparse aux machines (à montrer à Andrew Fearn de Sleaford Mods ?)

It It Anita

Évidemment, à TINALS, force reste au rock et aux déflagrations de guitares en mode post-punk et mélodies new wave torturées. Si la plupart des groupes dans ce créneau s’avèrent fort sympathiques (Rendez-vous, Shame), l’originalité n’est pas toujours leur point fort et c’est finalement dans le Patio, où la proximité avec la mini-scène doit avoir son importance, que les concerts se révèlent parmi les plus intéressants. Les Nîmois d’OPTM montrent ainsi pas mal de qualité, avec leur noise rock plutôt malléable et envoûtant, mais c’est la seconde performance des Irlandais de Fontaines DC qui s’y révèle le plus efficace. Quelques heures après un premier concert au son trop compressé sur la scène extérieure Mosquito, leur set trouve ici une résonance immersive plus brute et captivante. Les morceaux, au fil noisy-pop parfois teinté d’un décalage très The Fall, y sont habilement modulés par le contraste vocal – et les intonations très Ian Curtis – du chanteur Grian Chatten, et le public en redemande. Malgré tout, ce sont les deux groupes les plus attendus (du moins par moi) qui font la différence dans la catégorie la plus électrique. Dans la grande salle intérieure, les Anglais de Fat White Family démontrent assez aisément qu’ils sont probablement le groupe le plus créatif émergeant de cette nouvelle scène post-punk britannique. Si le chanteur Lias Saoudi arbore désormais une coupe de cheveux des plus courtes, le sens de la démesure générale reste toujours échevelé, notamment quand Alex White et ses faux-airs de Mink DeVille balayent les rythmiques rock décomplexées du groupe de lignes de cuivres vrombissantes avec son énorme saxophone. Dans la décidément trop petite scène club, les Liégeois de It It Anita la joue forcément encore plus hardcore. Ils terminent d’ailleurs tous les quatre leur concert foutraque au beau milieu de la salle, après que tout le monde a mis la main à la pâte pour y transporter intégralement la batterie d’un Bryan Hayart, dont le look de jogger fou pourrait donner des idées à Jean-Claude Van Damme.

Rendez Vous

Autre axe mis en avant par le festival, celui du songwriting et d’une dimension folk/rock plus moderne. Vedette annoncée de ce prisme vindicatif aigre/doux, le musicien américain Kurt Vile offre un concert plutôt plaisant. L’écriture est incontestablement maîtrisée et les titres suffisamment souples et rock pour relever l’épreuve de la scène. Une appréciation qui vaut, à un degré moindre, pour son pendant féminin (du moins si l’on se réfère à leur album commun Lotta Sea Lice), l’Australienne Courtney Barnett. Mais leurs concerts, sur la grande scène extérieure, manquent sans doute un peu de contraste et de bouleversement pour créer le sentiment émotionnel toujours attendu sur ce genre de musiques. Sur ce plan, la bonne surprise est à mettre à l’actif des New-Yorkais de Big Thief. Le jeu de la guitariste/chanteuse Adrianne Lenker notamment, forcément plus débridé que dans ses incarnations solo très minimalistes, parvient à façonner d’étranges points de liaison entre les harmonies des morceaux et des parties noise et déstructurées plus hirsutes qui épicent considérablement l’écoute. Un résultat qui s’avère même très puissant quand la rythmique basse/batterie du groupe décide subitement de la jouer plus heavy ! La performance du week-end reste cependant sans contexte celle de leurs compatriotes de Low dans la grande salle intérieure. Le slowcore intimiste et obsédant du trio emmené par les imbrications, notamment vocales, du couple Alan Sparhawk (chant guitare) / Mimi Parker (batterie, chant), sans oublier l’excellent bassiste Steve Garrington, maintient sous pression pendant tout le concert un état ambivalent de lourdeur et de délicatesse plutôt rare en la matière. Dans ses morceaux les plus mélodiques, le groupe semble osciller entre le rock-psyché de The Black Angels et la distance nébuleuse et éthérée des vieux Cocteau Twins et Dead Can Dance. Mais quand le curseur s’emballe dans des moments de tension belliqueuse extrême, comme par instants sur leur excellent récent album Double Negative, c’est davantage l’ombre vorace de Throbbing Gristle, Spectrum ou My Bloody Valentine qui s’invite pour aboutir à des pièces à la virulence exacerbée. L’émotion pop ultime en quelque sorte, et une empreinte à la fois sonique et sentimentale qui colle plutôt bien au créneau méli-mélo bruissant d’un festival comme TINALS.

Low