[Report] Soulcrusher Festival 2018

Par Alizarine

Avec une affiche plus ou moins similaire à celle du Desert Fest, qui avait lieu la semaine suivante, cette troisième édition du Soulcrusher (le 6 octobre à Nimègue, Pays-Bas), à la ligne directrice plus black que doom que sa consœur belge, eût raison de votre humble servitrice quant à son choix de festival automnal. Trois heures de bus, une soirée à faire connaissance avec notre hôte sur place et nous voici tout pimpants le lendemain à 14h sous un soleil radieux aux portes du Doornroojse, prêt à prendre un bon bain de noirceur.

L’endroit offre deux salles pour ces festivités se déroulant sur une journée : la Purple Room (petite salle) et le Red Hall (plus grande, avec un accès aux balcons). A 14h30, pour le premier set, la petite violette est déjà bien remplie. On comprend immédiatement que, festival sold-out oblige, on va devoir être fin stratège et faire des choix cornéliens pour ne pas rater les formations qui nous font le plus envie.

Frayle ouvre donc le bal. Tout jeune groupe avec seulement un EP à son actif, Gwyn Strang (seule présence féminine sur scène ce jour-là) et ses acolytes nous offre un doom éthéré qui n’est pas sans rappeler King Woman et toute la clique de sombres damoiselles qui tiennent le haut du pavé depuis quelques mois. Hélas rien de très captivant ici: la voix de Strang est certes très mignonne, mais elle est complètement noyée sous les guitares Sean Bilovecky. On passe rapidement notre tour pour aller prendre place au premier rang du Red Hall afin de ne pas rater une miette du noise-rock de Part Chimp. Le concert bruxellois de la bande à Tim Cedar nous ayant mis une belle rouste quelques mois plus tôt, on n’allait pas se priver de s’en reprendre une nouvelle ! Le groupe commence son set à trois (chant/guitares/batterie), bientôt rejoint par un bassiste (pas le leur) qui aura bien de la peine à s’imposer tant le trio de départ tient la baraque avec une passion qui fait plaisir à voir. Jon Hamilton est aussi déchaîné derrière ses fûts qu’Animal des Muppets et le groupe enchaîne une set-list impeccable, principalement composée de leur dernier album IV, jusqu’à finir sur « 30,000,000,000,000,000 People » et son riff obsédant jusqu’au chaos final de guitares saturées. Une prestation très solide donc, malgré ce bassiste tombé comme un cheveu sur la soupe. On tente ensuite de se frayer un chemin jusqu’à Phantom Winter, mais la salle est tellement bondée qu’il est impossible de voir quoique ce soit : on profite donc de cette déconvenue pour jeter un œil au stand de merch et de ravitaillement, ainsi que pour voter pour les groupes « maillons faibles » qu’on boycottera contre notre gré pour avoir une chance de mettre un pied dans la Purple Room.

Dragged Into Sunlight

Retour au Red Hall pour y découvrir Slomatics: riffs super heavy, batteur-chanteur certes investi mais noyé sous le dégoulinement des amplis, et il faut le dire, set carrément monotone. Le groupe est visiblement très inspiré par Floor et Conan, le fun et la puissance en moins. En plus de ne pas avoir le courage de se laisser convaincre, l’horloge nous indique que Wiegedood vont bientôt commencer et qu’il est hors de question de ne pas être aux premières loges. En Belgique, les concerts estampillés metal ou dark comportent leur lot hallucinant de t-shirts Church Of Ra-related au mètre carré et on constate que les Pays-Bas ne sont pas non plus en reste à ce niveau-là. Avec des membres d’AmenRa et Oathbreaker dans cette formation black metal, on se dit que le public est forcément conquis d’avance. Pour autant, les trois Flamands ne se reposent pas sur leurs lauriers : baignés dans une lumière rouge de bon aloi, ils nous sautent à la gorge à la première seconde avec « Prowl ». On se laisse ravager les neurones par l’intensité terrifiante du groupe et les envolées mélancoliques du guitariste Gilles Demolder. La totalité de l’album De Doden Hebben Het Goed III est jouée et le titre éponyme met l’assistance en transe et à genoux tellement l’équilibre sauvagerie/mélodie est parfait. Quand les dernières notes d’ « Onder Gaan » retentissent et voient le groupe quitter la scène, on se dit que décidément, Wiegedood est aussi talentueux sur scène que sur disque et qu’on tient sans doute LA prestation de tout le festival.

Changement de salle pour prendre Inter Arma en cours, et difficile de ne pas être happé tout de go. Leur black-sludge-jazz épique fait instantanément mouche et on se laisse embarquer, nuque sautillante et cheveux dans les yeux jusqu’à leur « Transfiguration » qui ne peut pas être plus à-propos. Une très bonne surprise, même si le son n’est pas à la hauteur et même si le public a injustement déserté les lieux. On décide de sacrifier Hemelbestormer sur l’autel de la restauration, on en profite également pour aller piller le stand merch de Heads. dont on attend le show avec une grande impatience, et on retourne au Red Hall pour assister au début de Deafheaven, l’une des têtes d’affiche de ce festival. George Clarke semble en très grande forme, secouant sa tignasse et son tambourin comme un damné pendant un « Honeycomb » qui a l’air de captiver l’assemblée avide. Hélas, toute la rédaction de new Noise n’étant pas friande de miel dans son metal noir, on préfère migrer vers l’autre scène, plein d’excitation à l’idée d’aller écouter Whores.. Et c’est sans regret tant les Américains vont mettre la barre très haut avec leur noise-rock ultra nerveux. Ce sont décidément les trios qui remportent la mise jusque-là, mais hélas le public semble très réservé et peu expansif proportionnellement aux efforts délivrés par Christian Lembach et son gang (dont un tout nouveau batteur, Rey Washam, ayant officié chez Scratch Acid, Rapeman, Tad, Ministry ou encore Lard). De « Fake Life » à « Shower Time » en passant par « Bloody Like The Day You Were Born », Whores. ne lâche pas la pression et délivre un set aussi groovy que rugueux – sans doute le plus percutant de toute cette édition ex-aequo avec Wiegedood, dans un tout autre style.

Yob

Petit passage chez Yob, autre tête d’affiche, qui remporte la palme du record d’affluence alors que l’on pensait la majorité des spectateurs partis après Deafheaven. Avec son doom intelligemment nuancé, le groupe retient toute l’attention du public et arrive à la maintenir sans jamais faillir. Les nouveaux titres fonctionnent très bien en live (« The Screen », « Our Raw Heart ») et le groupe a autant l’air d’apprécier ce moment que le public. Grosse performance donc, qu’on quitte à contre-coeur pour lorgner ce qu’il se passe du côté des blackeux d’Ultha. The Inextricable Wandering venant tout juste de sortir, autant dire que la curiosité est à son comble à l’idée de découvrir les nouveaux morceaux. Hélas, les nuances de guitares se perdent complètement dans un gloubiboulga sonore et l’on en vient une fois de plus à pester contre la mauvaise acoustique de la Purple Room. Malgré tout, « I’m Afraid To Follow You There » arrive à nous coller suffisamment de frissons pour nous faire apprécier toute la délicatesse dont sont capables ces Allemands, alliant nappes de synthés à vous hanter et déluges de guitares évoluant sans cesse entre mid-tempo et agression.

C’est l’heure d’assister au concert de Heads. dont l’album Collider est l’une des belles découvertes de l’année. On était mentalement préparés à ne les voir jouer que trente petites minutes, et dieu que le temps passe vite quand on s’amuse ! Malgré le fait que le groupe se retrouve sur la grande scène après un switch de line-up avec Dragged Into Sunlight et malgré la très grande nervosité du tout nouveau batteur qui fait ici sa première apparition (l’ancien batteur étant pris par sa collaboration avec The Ocean), les germano-australiens se montrent complètement à la hauteur de nos espérances. Alternance de tensions et d’éclats sur « Mannequin », basse fracassante au possible sur l’excellente « Black River », et final dantesque avec un « Wolves At The Door » qu’on attendait comme le messie : court mais intense…mais court quand-même. La salle qui était à moitié vide en début de set se retrouve finalement beaucoup moins clairsemée et on sent le public agréablement surpris par cette prestation qu’il n’attendait pas vraiment. Dernier groupe à officier de la soirée, Dragged Into Sunlight fait déborder la Purple Room et la baigne dans une douce ambiance à base de chandelier gigantesque, de têtes de cerfs empaillés et d’encens. Si les concerts de Cult Of Fire dégagent  une fragrance plus enivrante, ceux de Dragged Into Sunlight sont autrement plus percutants : lumières épileptiques, atmosphère dérangeante et chargée d’une violence écrasante. Quoi de mieux pour se faire broyer l’âme que cette immersion en terres infernales ? « Lashed To The Grinder And Stoned To Death » est effectivement l’impression qui nous colle à la peau en quittant les lieux.

Whores.

Après un retour à la réalité plus que rude, on repart finalement très heureux de ce festival malgré la frustration. Le running order sans temps mort et la taille de la salle violette obligent le spectateur curieux à assister à des bandes-annonces plutôt qu’à des concerts. Mais l’on sait bien que c’est le revers de la médaille lorsque l’on assiste à un festival, d’autant plus lorsque celui-ci est aussi concentré sur la durée. Néanmoins, ce n’est pas pour rien si le Soulcrusher affichait complet : avec un line-up suffisamment éclectique pour s’imprégner d’auras différentes mais aussi suffisamment cohérent pour y trouver son compte, nul doute que l’édition prochaine sera tout aussi excitante. Et on sera là pour vous le confirmer !