Report : Roadburn 2018

(c) Niels Vinck

Par Thierry Skidz

Avec une programmation chargée comme un calibre avant l’assaut, de nouvelles salles à découvrir en dehors du complexe du 013 et une météo caniculaire pendant quatre jours (pour mémoire, on a arrêté de camper dans les environs l’année où on a cassé de la glace sur nos tentes), ce Roadburn 2018 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Comme tout bon festival aussi riche en propositions, il nous aura réservé son lot de bonnes et mauvaises surprises, de retours du diable Vauvert et de découvertes enthousiasmantes, de confirmations et de déceptions, de regrets et de frustrations aussi, entre choix cornéliens, tranchés avec la délicatesse d’Alexandre le Grand, ratages pour raisons diverses (arrêts au stand pour recharger la mule, égarements champêtres, socialisation avancée…) et attentes interminables en espérant pénétrer le saint des saints où se déroule le concert convoité. Attention le peuple gronde ! Faudra-t-il baisser la jauge du festival ou trouver d’autres endroits, comme le Hall Of Fame et surtout la Koepelhal cette année, pour drainer la foule des Roadburners et résoudre les problèmes d’attente et de salle blindées ? Ou peut-être y programmer des groupes moins bons ?! Les revendications seront transmises à qui de droit. Louons plutôt la programmation avec une palanquée de sets centrés sur la restitution live d’un album complet, un paquet de groupes programmés deux fois ou plus (ce qui multiplie d’autant les chances de les voir donc les possibilités d’impasse) et de nombreuses exclusivités alléchantes, comme les créations concoctées spécialement pour le fest par la team finlandaise alias Waste Of Space Orchestra, composée d’Oranssi Pazuzu et Dark Buddah Rising, et la team islandaise alias Vánagandr, avec des membres de Misþyrming, Naðra, Svartidauði et Wormlust. Retour sur site, ici et maintenant.

JEUDI 19 avril

Waste Of Space Orchestra (c) Niels Vinck

Même pas le temps de tremper un orteil dans le pédiluve d’un petit groupe psyché, doom ou stoner de bon aloi, comme il est habituellement de coutume en ces lieux, on plonge direct dans le grand bain, dans le dur, dans le cœur du pourquoi on est là. Bizarrement programmé dès l’ouverture, Waste Of Space Orchestra est l’un des fameux projets exceptionnels commandés par et pour le Roadburn, les « once-in-a-lifetime experiences » que  l’orga commence maintenant à avoir l’habitude de proposer. On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, disait Héraclite. Louons tout de même les programmateurs de nous offrir ce genre de spécialités originales et excitantes. Ce show inédit nous sera procuré par la réunion de deux groupes finlandais ayant le vent en poupe ces dernières années : les black métalleux psyché d’Oranssi Pazuzu et les doomsters ritualistes de Dark Buddah Rising. Les deux formations ont déjà joué par deux fois au Roadburn, font toutes les deux partie du collectif Wastement associé à la scène de Tampere et partagent déjà certains de leurs membres au sein du groupe space-rock Atomikylä que l’on a également déjà pu voir à Tilburg. Au programme, une version orchestrale des deux groupes, composée d’une dizaine de musiciens, soit quatre guitares, une basse, deux batteries, deux synthé et trois chanteurs qui incarneront chacun à leur tour un personnage (The Seeker, The Shaman & The Possessor) de cet « opéra » aussi épique que psychédélique, contant leurs quêtes de sens, de conscience et de vérité dans un univers parallèle suivant la logique des rêves. Un programme ambitieux que les deux groupes ont dû concocter avec sérieux et peaufiner dans ses moindres détails (des t-shirts et des pendentifs ayant même été fabriqués pour l’occasion). On craignait un peu d’assister à une heure de set composé de deux ou trois morceaux-jams de 20 ou 30 mn chacun et il n’en sera absolument pas question. Malgré les difficultés de composer, de répéter et de mettre en place un show avec un personnel aussi conséquent (durant une longue résidence dans une grande salle probablement), les dix finlandais se sont visiblement décarcassés pour nous offrir un set orgiaque qui sera déjà l’un des highlights de cette édition. Après une intro où les nappes des synthés prennent le dessus, le rituel psyché s’estompe rapidement pour le black iridescent, un mur de guitares s’érigeant et s’épaississant peu à peu à partir d’un riff qui rappelle fort celui du « Que Je Taime » de feu Jojo au pinacle de son épopée échevelée. Quand les batteurs passent la double et que les guitares mitraillent des fusées éclairantes qui retombent lentement dans un sifflement de mort imminente, c’est absolument terrible. On pensera pas mal à Year Of No Light, un peu à Nachtmystium. A Aluk Todolo aussi, version chorale et polyphonique. Le chanteur d’Oranssi prend ensuite le relais du dreadeux de BDR au micro sur le deuxième titre où les synthés et les batteurs s’en donnent à nouveau à cœur joie sur un riff plombé mais vaillant au son crunchy ultra acide. Tension magmatique, riffs éruptifs, solos carbonisés, gerbes de flammes, rythmiques telluriques, invocations des Grands Anciens qui répondent aussitôt à l’appel, débordements psychédéliques à gros bouillons, altérations, itérations… Tout était absolument parfait, jusqu’aux vidéos très Pazuziennes. Mention spéciale au troisième et fabuleux chanteur (Vesa Ajomo des Pazuzus ?) qui occupait le devant de la scène en showman pendant la majeure partie du set, pourvu d’une voix de goule vociférante, passant du guttural à des hurlements démentiels. A l’image de la musique qui l’accompagne, chevauchant l’intégralité du spectre sonore, du tréfonds des graves au firmament du suraigu. On ne sait pas encore si ce projet commun restera un one-shot ou si d’autres lieux auront les honneurs de l’accueillir plus tard, mais il y a quand même de fortes chances pour que ce live sortent sur disque, chez Burning World (label affilié au Roadburn) ou ailleurs.

 Evidemment, débuter par un tel plat de résistance rend forcément les concerts suivants plus fadasses ; la barre ayant été placée si haut que la concurrence s’en trouve démunie, grandement diminuée dans notre esprit, encore occupé à taper du pied sur des rythmes démoniaques.

On essaie quand même d’aller checker Stomach Earth (en gros, du sous-Blut Aus Nord par deux gars de The Red Chord, programmé par Jacob Bannon, un des deux musiciens jouant aussi dans Wear Your Wounds) dans la nouvelle petite salle nommée Hall Of Fame. Mais vu la longueur de la file d’attente, on se rabattra sur Uniform qui a déjà investi la Green Room avec la même volonté de brutaliser son auditoire que le Carolingien son prochain Sarrasin. Un chanteur hurleur qui fait tout ce qu’il peut pour insuffler un supplément de violence en ce bas monde, une guitare sur ampli basse et une batterie en manque d’inspiration qui sonne comme si elle était digitalement programmée pour une noise bordélico-atrabilaire dont le principal défaut est de balancer ses coups au jugé, là où une droite judicieusement placée vous clouerait recta sur place. Distrayant un moment, vite fatigant.

 

Earthless (c) Niels Vinck

Allons plutôt se repaître de la crème de la crème du psychédélisme californien avec le premier concert d’ Earthless, trio en résidence du week-end et programmé ce jour sur la Main Stage, dix ans après leur hallucinant concert surprise sur cette même scène qui avait retourné toute l’assistance et provoqué la première sortie d’un disque Live At Roadburn dont une bonne quinzaine de groupes a bénéficié depuis. Cette année, Earthless ne sont pas venu tout seuls, loin de là. Une armada de huit groupes les accompagne sous la bannière du San Diego Takeover. Plus d’une vingtaine de musiciens ont fait le déplacement depuis la Californie du Sud, histoire de nous faire partager les bonnes vibes pleine de fuzz d’une scène psyché bourgeonnante, désormais proche du point d’ébullition, surfant et skatant allégrement dans le sillage de la tête de gondole Earthless. Outre les darons, huit autres groupes sont donc présents ce week-end à Tilburg: Artic (le groupe du skateur pro, Mike Figueroa, nos petits favoris), Harsh Toke, dont on a déjà pu apprécier la fougue ici même, Joy (garage boogie), Petyr (à ne pas réduire au « groupe du fils de Tony Hawk »), Pharlee, Red Octopus, Sacri Monti (pas mal non plus, avec une bonne touche de Witchcraft) et Volcano, soit les principaux acteurs de cette scène hautement consanguine. Comme plaisante Nuge, autre skateur pro et bassiste d’Artic, dans le Weirdo Canyon Dispatch, fanzine concocté chaque jour du fest: « Dans cinq ans, on sera tous le même groupe ! ». En dix ans, Earthless ont, eux, bien eu le temps de finement aiguiser leurs armes et se sont magistralement aguerris. Ils sont devenus les maitres incontestés de la jam psyché high energy en trio, paré d’un groove infernal et inarrêtable, d’une basse trampoline, as de la contorsion et des coups tordus, transcendé par le feu divin d’un guitariste ayant pactisé avec le Malin. Ils réussissent sans cesse l’exploit de renouveler le plaisir d’écouter des morceaux psyché à rallonge, par la grâce d’un feeling uperclass digne des plus grands et le pouvoir de mélodies qui touchent au cœur et au foie (on leur soupçonne un amour patenté pour le hard rock et le metal). Aussi fort qu’il y a dix ans, malgré le bémol du chant, nouveauté du dernier album, pas mauvais, mais qui coupe malencontreusement la transe.

Alors qu’on pensait s’enjailler sur Årabrot, judicieusement programmé au Patronage (leur studio et local de répète se situe aussi dans une ancienne église), le trio norvégien devenu quatuor depuis l’arrivée de la suédoise Karin Park au piano, synthé et mellotron, délivre malheureusement une prestation pâlichonne, sans intensité. Désormais plus Shellac que Big Black, avec des côtés Oxbow ou Bad Seeds, et toujours une trace de Melvins dans le caleçon, les compos, un brin bancales, s’enchainent sans franchement captiver, dommage. Seule consolation, leur chanteur/guitariste et maitre d’œuvre au chapeau rond et bretelles noires, Kjetil Nernes, semble avoir retrouvé toutes ses capacités depuis son cancer de la langue il y a quelques années. A ce propos, le documentaire Cocks And Crosses était projeté chaque jour dans le sous-sol du V39, sorte de petit havre de repos en face du 013. Et leur prochain album, Who Do You Love, est prévu pour le mois de septembre ; le premier single, reprise du fabuleux « Sinnerman » de Nina Simone, sortant déjà ce week-end de Roadburn.

On tente de s’immiscer dans le bar du Cul de Sac, la plus petite salle du fest, donc systématiquement bourrée comme un oeuf, quel que soit le groupe. On a du bol de pouvoir assister à une partie du concert du duo Insect Hark (avec Dana Schechter, ex-bassiste d’Angels Of Light) qui après des débuts entre doom rugueux au synthé et indus spartiate, nous gratifie d’une inattendue et magnifique power ballade doomy, bluesy et noisy, écrasée par une chaleur toute psychédélique.

 

Ex Eye (c) Niels Vinck

Réunion de figures à haut potentiel, Ex Eye, nous fait une formidable démonstration de ce qu’une collision entre jazz et metal peut produire de plus groovy, intense et flamboyant, et même dansant quand Shahzad Ismaily, ici aux synthé et machines, nous fait du Omar Souleyman. Egalement très cinématographique, malgré l’absence de projection, le quatuor varie les plaisirs, versant aussi dans un bucolisme dark et des passages carrément doom death, portés par l’hénaurme sax de Colin Stetson et le talent de batteur de Greg Fox, toujours aussi impressionnant. Zu Vs Zs + Blind Idiot God ? Salutations finales et chaude ovation, amplement méritée, de la part de tous ceux qui avaient choisi de louper le début de Mariner.

On rentre dans une grande salle bourrée à craquer. Cult Of Luna et Julie Christmas nous font un gros (light)show, entièrement maitrisé, même vocalement, entre metal atmosphériquement chargé, noise alambiquée et post-rock menaçant. Cult Of Luna possède toujours un fabuleux bassiste et des guitares capables de tronçonner des gros rondins à l’occasion. Les fans ont été comblés.

Pendant ce temps-là, Hooded Menace creusaient des caveaux, empilant les cercueils sous des growls pithécanthropes avec la même conscience qu’un alcoolique boit son aftershave. L’étroite scène du Patronaat peine à contenir ces cinq imposants finlandais qui, ce soir, étaient réunis pour nous jouer l’intégralité de leur premier album, le délicat Fulfill The Curse sorti il y a déjà dix ans. Eh oui, le temps passe vite, même quand on s’efforce de jouer si lentement.

Premier passage dans la Green Room pour voir le pape du breakcore batave, Bong-Ra, même si là, on plutôt droit à du doomcore avec un batteur qui cogne dur, des nappes sépulcrales et le sieur Bong-Ra à la basse, déguisé en Trey Spruance. D’ailleurs le set prend soudainement une sympathique tournure arabisante à la Secret Chiefs 3 (ou Ishraqiyun), puis retour à un crushing doom, bien chiant à la longue.

 

Weedeater (c) Niels Vinck

Pour dire, on préfère même assister au désopilant soundcheck micro de Weedeater. Dixie imite le flow ultraspeedé d’un vendeur de bétail ricain, siffle, crache et donne quelques « suck », « crap », « fuck », « whiskey » du terroir. Pour le guitariste, ça va être plus rapide: « Yeap ! Hey ! Ok, it’s good. » Sinon la balance sera comme le concert: tout à burnes, le son de basse comme une pétarade de brontosaure. Du coup, plein de gens affluent, pensant que le set vient déjà de commencer. Mais avant cela, résonne le banjo de « Alone » (dommage que Dixie n’ai pas eu les couilles de la jouer tout seul, tout nu sur cette grande scène, comme sous son porche ou au coin du feu) et la présentation du groupe par Dixie: « On est Weedeater. On vient de Caroline de Nord et on craint à mort. Faites vous rembourser ! » Ce soir, ils jouent tout l’album God Luck & Good Speed. Un bon album et un bon set qui fut au final une bonne surprise au regard des concerts routiniers de Weedeater que l’on avait pu voir ces dernières années, classés « sympa, sans plus ». Et la bonne reprise de « Gimme Back My Bullets » de Lynyrd Skynyrd pour conclure avant le final sur « Weed Monkey ».

Changement d’ambiance radical pour le dernier concert du jour avec les shamans russes de Phurpa qui installent gentiment leur petit rituel pré-bouddhiste lors d’une balance assez ridicule, avant de s’embrouiller pendant de longues minutes avec le sondier pour avoir le son au max dans leurs micros, alors que le sol du balcon tremble déjà sous nos pieds. Pendant ce temps Bong-Ra essaie de meubler avec des nappes dark ambient. Ce qui a commencé comme une mauvaise blague se transforme une bonne demi-heure plus tard (la moitié de l’assistance ayant abandonné la partie) en drone rituel globalement pénible (et pourtant on aime beaucoup Tintin au Tibet et La Montagne Sacrée) jusqu’à l’apparition solennelle d’une trompette tibétaine qui va sonner la fin de l’ennui et le début d’un super trip, comme du Sunn O))) vocal (O’Malley a d’ailleurs publié un de leur disques sur son label, Ideologic Organ) ; le jeu consistant pour les trois chanteurs à ne jamais arrêter le drone baryton de leur chant de gorge et donc à constamment désynchroniser leurs respirations jusqu’aux coups de tambour libératoires. Chapeaux bas, les Moscovites !

VENDREDI 20 avril

Mutoid Man (c) Niels Vinck

Faute d’avoir été programmé à un horaire adapté à un coucher aux aurores et à une totale jouissance des commodités offertes par notre luxueuse chambre d’hôtel, suivie d’une errance imprévue en rase cambrouse pour rejoindre les lieux de vie, on rate Mutoid Man, le groupe de Stephen Brodsky (Cave-In) et Ben Koller (Converge), associés au sondier du Saint Vitus, célèbre salle de Brooklyn, à la basse. De nombreuses sources sûres, finement croisées entre elles, nous permettent d’affirmer que le show était festif, mais pas renversant.

Par contre, Motorpsycho, qui jouait plus de deux heures cette après-midi, a mis la claque du jour à Yoann, programmateur du Hellfest. Connaissant les norvégiens comme capables du meilleur comme du pire, on n’a pas daigné y jeter un œil. Tant pis pour nous

On commence donc tout doucement par Scatterwound, énième projet collaboratif de Dirk Serries (Fear Falls Burning), accompagné ici d’un certain Hellmut Neidhardt aka N, et, annoncé sur la prog, de Justin Broadrick en featuring du jour. On est passé deux fois cinq minutes. C’était, sans surprise, de l’ambient-drone, douloureusement insignifiante, voire atrocement chiante, plus minimaliste et inintéressant à deux qu’en solo. Et pas vu l’ombre d’un Broadrick.

 

Panopticon (c) Niels Vinck

On passe alors un petit moment en compagnie de Panopticon, étonnant groupe de black metal ricain à la forte conscience sociale, écolo et brassicole, basé au Minnesota depuis le déménagement de sa tête pensante, Austin Lunn, de sa base du Kentucky, pour y créer sa propre brasserie, baptisée HammerHeart Brewing Company en hommage à Bathory. Une discussion thématique en sa compagnie était d’ailleurs organisée en marge du fest, histoire de découvrir les meilleurs plans bibines de Tilburg. Une queue invraisemblable attend dehors devant le Patronaat (une idée pour parer à la désaffection dans les églises ? Y organiser des concerts de black metal) en espérant les voir jouer l’intégralité de leur dernier album-fleuve, The Scars Of Man And The Once Nameless Wilderness, soit presque deux heures de musique, séparée en deux parties distinctes : un premier disque purement black metal, dans un style assez proche du BM atmosphérique des Cascades, parfois plus death et plus rugueux, et une seconde galette oscillant entre folk, country, americana et bluegrass, avec banjo, mandoline, violon, grattes sèches et cloche de vache. Le set est malencontreusement inversé par rapport au disque et commence donc par la facette country. Ayant loupé le début, on aura droit à du black metal écolo-socialiste, certes de bonne facture, mais on aurait préféré voir leurs protest songs rurales.

Pas grave, on a rendez-vous au Cul de Sac pour ne pas louper les très Floydiens Comet Control. Raté, c’est déjà plein comme un estomac de mule bolivienne avant le passage à la douane, holy shit… On part se refaire la cerise sur le superbe « Planets Collide », le meilleur morceau, très Down, de Crowbar, conviés à jouer leur cinquième album, Odd Fellows Rest.

On ne s’attarde pas non plus car on veut absolument voir Kikagaku Moyo, un des trois groupes nippons du label GuruGuru Brain programmés ce jour, sous la bannière de The Japanese Psych Experience. Pas de bol, on arrive sur un passage funky hippie bien relou. Mais, une fois passées les vitesses, la montée dans les tours est aussi subite qu’impressionnante. Le moteur vrombit à plein régime sur un solo de sitar électrifié, passé à la moulinette du multi-effets. Terrible. S’enchaineront acid-funk fiévreux, soul-rock psyché, folk-metal bucolique et proggy kraut qui feront danser toute la salle, des barmaids au punk à crête à mes côtés. Ovation finale et grosse banane pour tout le monde.

On resterait bien dans le coin, vu que le concert avait lieu dans la Koepelhal (la Coupole, me souffle Le Néerlandais Pour Les Nuls), sorte de grand hangar vouté, qui siège à côté du Hall Of Fame où va commencer une jam de Sacri Monti, un des groupes de San Diego. Ces deux nouvelles salles sont situées à environ 500m du complexe du 013, derrière le talus de la voie ferré qui offre également une large et bienvenue zone herbeuse où sont installés un bar et quelques stands restauration, parfait pour le pique-nique ou le chill out au soleil, ajoutant à l’ambiance estivale et follement détendue de cette édition.

 

Crowbar (c) Niels Vinck

Mais pas le temps de souffler ; cette journée sera celle des choix difficiles et des enchainements marathoniens. On repart donc fissa en direction du 013 pour voir la fin du concert de Crowbar (trois titres bonus dont leur reprise de Led Zep, « No Quarter ») et la deuxième partie de celui de Kairon; IRSE!, side-project shoegaze, prog et space-rock d’un membre d’Oranssi Pazuzu. Alternant le très bon et le très moyen, chant folk de la région des lacs ou plus guttural et emphatique, ces finlandais nous régaleront surtout d’excellents morceaux space-metal enflammés qui auront évidemment notre préférence.

Tant pis pour Sacri Monti que l’on verra le lendemain, la plupart de ces groupes de SD jouant au moins deux fois, avec des jams, des sets de reprises et des concerts gratos au skate park attenant, ouverts à tous, bon esprit. Il va être l’heure à la fois pour le concert de Minami Deutsch, autre groupe japonais de l’étape, et celui de Converge centré sur You Fail Me (leur dernier très bon album) dont on aimerait bien voir, au moins une partie, vu que l’on avait déjà fait l’impasse la veille sur leur set dédié au petit dernier, The Dusk In Us. Les deux groupes jouent dans des salles attenantes, coup de bol. On va donc essayer de se balader entre les deux, en privilégiant quand même nettement les nippons, parce qu’un concert de Converge, c’est sans suspense, ni surprise : tu en as vu un, tu les as plus ou moins tous vus… Celui-là ne faisait pas exception, sauf que les morceaux valaient le coup. Et, comme à chaque fois, cette légitime réflexion : que ce groupe serait bon en power trio, avec Nate au chant lead et Ballou aux backups… Bannon est un infatigable entertainer, c’est entendu, mais un piètre chanteur, surtout sur scène et sur des titres plus calmes, comme « In Her Shadow ». Nate fait les deux à la perfection, en plus de jouer de la basse. Period. Passons dans la Green Room où Minami Deutsch installe tranquillement un groove kraut et des mélodies stellaires Spectrumiennes aux éclairs de saturation space rock. A côté de Converge, le contraste est saisissant. Leur set se révèlera tout smooth, tout cha-mellow, du velours chaud et délicatement acidulé.

Pas le temps de trainer, on traverse la rue pour se rendre au Patronaat où le duo italien Father Murphy a déjà commencé à faire trembler les murs et le sol du balcon cosy de manière assez inquiétante, avec des infra-basses d’une profondeur et d’une puissance sismiques. Jarboe arrive un peu plus tard et pose délicatement sa voix inimitable sur ce tapis de lourdes vibrations, lâchant, en contraste total, de diaphanes complaintes. On ne s’attarde pas trop non plus pour aller jeter un œil de l’autre côté de la voie ferrée où Earthless fait équipe avec le mythique Damo Suzuki (ex-Can pour les plus jeunes et les incultes) et le joueur de sitar de Kikagaku Moyo pour un set a priori très improvisé.

Histoire de ne pas trop se ramollir, on repart vite dans l’autre sens pour retourner au 013 et ne surtout pas louper Le concert du jour : Godflesh, programmé par Jacob Bannon, qui leur aura renouvelé son amour inconditionnel et sa sujétion. (Bizarrement, il n’aura invité aucun groupe de hardcore, excepté ses potes de All Pigs Must Die. Negative Approach, par exemple, n’était pas dispo ? Il doit sûrement être jaloux de la voix de stentor de son quasiment homonyme, John Brannon !). Après donc Streetcleaner en 2011 et Pure en 2013 avec sieur Robert Hampson de Loop (ce prochain Live At Roadburn est d’ailleurs prévu pour bientôt, avec un mix plus proche de ce qu’aurait voulu Broadrick à l’époque pour l’album), deux souvenirs de concerts extatiques, c’est au tour de Selfless de se voir projeter sur scène de la première à la dernière note. Evidemment, Selfless n’étant pas exactement de la même trempe que ses deux fantastiques prédécesseurs, on se doute que l’extase sera peut-être moins totale; dur de réaliser le hat trick avec un arsenal plus disparate dans la musette. Première constatation: Broadrick a de nouveau les cheveux mi-longs, il a rajeuni de vingt ans et ressemble un peu à Dale Crover, qui aurait aussi rajeuni de vingt ans. GC Green, lui, n’a pas changé d’un iota. Et si Dixie de Weedeater faisait résonner les riffs en tapant derrière sa basse avec le genou, GC continue de marteler méthodiquement la sienne en de violents hammer fists. Deuxième constat : le son est béton, gros comme un camion et les morceaux résonnent fort dans les crânes. Côté armes lourdes, le très Killing Joke « Bigot », le terrible « Anything Is Mine », le bien nommé « Crush My Soul » et le pas moins brutal « Toll » ont évidemment fait plus que le boulot, saccageant tout sur leur passage avec une violence appliquée. Côté caramels mous, on a quand même eu droit à des moments proto-Jesu mal foutus, toujours aussi gênants avec ce chant clair de bras cassé neurasthénique. Mais ils auront réussi à éviter l’accident industriel redouté (sur « Heartless » par exemple) et projeté « Black Boned Angel » ou « Empyreal » dans une tout autre dimension (celle d’un My Bloody Valentine metal-indus), en faisant superbement ressortir d’enveloppantes et spleenesques mélodies cold wave, insoupçonnées ou à peine esquissées dans leurs versions originales. Comme ils leur restent un peu de temps, ils ne jouent malheureusement pas « Go Spread Your Wings », le bonus track de plus de 20mn, mais nous gratifient de deux morceaux de choix: « Messiah » et « Merciless » s’il vous plait. Mission accomplie, coup du chapeau réussi. On propose de passer directement à Hymns ou à un set spécial Godflesh in dub pour la prochaine fois.

Après cet excellent moment, on passe la porte de la Green Room pour découvrir Dhidalah, le troisième groupe japonais du jour et nouveau projet de l’ancien guitariste de Church Of Misery. Il n’a pas beaucoup changé de style, sauf quelques passages psyché un peu plus retro, vaporeux et un peu chiants… Pas le meilleur groupe nippon de ce jour.

 

Grave Pleasures (c) Niels Vinck

Il est minuit et demi. On revient dans la grande salle pour voir le début de Grave Pleasures. Même si, comme moi, on n’est pas très fan, ce mix cohérent entre Misfits virant post-punk, Danzig dans la batcave (avec le même Glenn que dans la série Henry & Glenn Forever & Ever) et The Smiths go metal (l’ingrédient déterminant), on peut facilement succomber aux morceaux les plus catchy et leur reconnaitre de proposer le pire et le meilleur à peu près au même instant, ce qui rend le plaisir encore plus grave et coupable.

On ne restera quand même pas jusqu’au bout puisqu’il est l’heure de la petite sucrerie d’après minuit et Dieu sait que le sucre d’orge sera délicieusement acidulé. On se souvenait vaguement que Gallops avait sorti un chouette disque en 2012, Yours Sincerely, Dr. Hardcore, avant de disparaitre l’année suivante, sans émouvoir grand monde. Remis en selle (rires) en 2017 avec le très bon Bronze Mystic, ce quatuor gallois s’est relancé sur les rails de la gloire et du succès. C’est tout ce qu’on leur souhaite, vu leur talent, amplement confirmé cette nuit là. Visiblement bien décidé à emprunter les mêmes chemins electro-rock labourés par Trans Am, Battles et PVT aka Pivot, Gallops composent des titres à base de guitares flottantes, de boucles tribales et de synthés 80’s, pour un rendu aussi spacey que rythmique, très rythmique. En acrobates accomplis, ils réussissent aussi à changer de configuration entre les titres ou au sein d’un même morceau, passant d’une basse à une guitare ou d’une guitare à des percus. Chapeau le numéro de jonglage ! Mathieu, guitariste de Cobra, qui ne les connaissait pas avant ce concert, me demande si ce n’est pas le meilleur groupe du monde. Peut-être bien, mon bon Mathieu, peut-être bien. (Il se ravisera après dégrisement, les reléguant à la quatrième place après les intouchables 3M : Megadeth, Metallica, Mötley Crüe, dans cet ordre là.)

SAMEDI 21 avril

Stephen Brodsky & Adam McGrath (c) Niels Vinck

Tant pis pour le concert hommage à Caleb Scofield (Cave-In, Old Man Gloom, Zozobra), mort récemment dans un accident de voiture. Organisé à la hâte et donné par ses collègues de Cave-In, Stephen Brodsky et Adam McGrath, il était prévu dans la matinée vers 13h. C’était très émouvant, parait-il, entre morceaux de Cave-In et chansons préférées de Caleb, dont « Harvest Moon » de Neil Young et « Nothing » de Townes Van Zandt. Certains y ont même versé une larme, sur « New Moon » ou quand Brodsky hurlait les passages de Caleb (l’un des tout meilleurs beugleurs du circuit) sur « Big Riff ».

Avant d’entamer les réjouissances, on part prendre notre déjeuner quotidien au resto surinamien Faja Lobi (publicité gratuite pour nos lecteurs les plus gastronomes) où l’on a pu chaque jour découvrir de nouveaux plats tel le pom, le tjau min, le moksie metie, la soupe de poulet aux herbes, le piment Madame Jeannette (du nom d’une pute vraiment hot) et le délicieux beignet de banane plantain avec sa sauce à la cacahuète. Si Elvis avait connu ça, il serait mort 15 ans plus tôt !

C’est la panse pleine et l’esprit léger que l’on rentre de plain-pied dans le domaine de l’ultra-dooom janséniste, terre désolée battue par les vents, où règnent en maitre le riff stèle de caveau, le feulement d’outre-tombe et la mélodie triste comme un jour sans beignet de banane plantain. Les quatre Munichois de Worship se proposent de nous en faire un état des lieux complet à bord de leur camion frigorifique, avec générosité, et toute la lenteur, l’ostentation et la majesté requises. Jouissant d’un petit culte dans le milieu du funeral doom grâce à leur demo de 1999, The Last Tape Before Doomsday, d’abord sorti en France sur le label Impaler Of Trendies Productions, et ressorti ensuite une multitude de fois, sous tous les formats. C’est justement ce disque fondateur qu’ils nous jouent cette après-midi. Les connoisseurs savent donc que le meilleur sera pour la fin avec le morceau « Worship » et son fameux feedback final. « Comme on n’a jamais pu enregistrer la version que l’on voulait à l’époque, on va s’amuser un peu avec ce morceau aujourd’hui. » Ils se sont bien amusés, nous régalant en même temps d’une fabuleuse version qui magnifiait la mélodie originelle entre My Dying Bride et Year Of No Light.

Miracle du jour, on arrive à pénétrer jusqu’au fond du Cul de Sac pour voir le one-man-band black metal Mania, batteur-chanteur au concept par dépit ou hyper-couillu ou un peu con. Pour faire du BM, il faut quand même des guitares. Pas de problème, Nate Myers (ex-Leech) en a plein son laptop et envoie les bandes. On remplace bien des batteurs par des boites à rythmes, mais le concept trouve rapidement ses limites en live, avec l’impression de voir un batteur enregistrer ses parties studio tout en hurlant. C’est fun un moment, mais pas trop longtemps. C’est dommage parce que les morceaux étaient plutôt très bons.

Direction la Green Room pour revoir Minami Deutsch rejoint aujourd’hui par leur compatriote Damo Suzuki pour un set toujours aussi kraut Pacifique avec un côté surf sous reverb, et Damo qui chante dans une langue connue de lui seul. Une bonne montée jusqu’à la transe tribale en fin de set.

On passe aussi revoir un peu de Panopticonsur la grande scène. On a le bol de recevoir en pleine face le superbe « Into The North Woods » après une intro folky americana au coin du feu, et le très speed et beaucoup plus bourrin « Capricious Miles » qui contient pourtant aussi un max de claviers.

Puis on file de l’autre côté des rails pour s’exploser sur le concert d’Artic. Du psyché à fond les ballons, sans chichi, ni entourloupe : tout dans le rouge incandescent du début à la fin, tout en sachant varier les plaisirs, dans la lignée de Comets On Fire et Psychic Paramount, en plus bluesy, parfois retro 60’s.

Sortir de ce jaillissement de vie pour se retrouver devant Mizmor équivaut à une mise à mort. Auteur d’un récent album somme, Yodh, du genre à caler une commode (très en vogue ces derniers temps ; Bell Witch jouait déjà son Mirror Reaper dans la même Koepelhal plus tôt dans l’après-midi), ce side-project de Liam Neighbors aka A.L.N. de Hell fatigue très vite avec son death doom spleenesque et son beuhmeuh empesé. Et si l’on apprenait déjà à composer de bons morceaux de 3, 4 minutes avant de se lancer dans la symphonie pompière ?

Retour au Patronaat pour assister à la première performance de la collaboration islandaise intitulée Hieros Gamos entre le folk rituel de NYIÞ et le black metal psychédélique de Wormlust. Intrigante sur le papier, cette performance se révèlera absolument navrante dans la réalité, relevant plus du foutage de gueule et du comique involontaire que du concert mémorable. Passé un quart d’heure de muzak dark ambient, surgissent plusieurs encapuchonnés armés d’objets étranges, et un homme-arbre, un sac plastique sur la tête, qui, après avoir psalmodié deux, trois trucs, pratiqué des contorsions avec ses doigts, semble bénir l’auditoire avant d’y errer en caressant les têtes des incrédules (encore en signe de bénédiction ou de protection ? nul ne le saura). Il ne se passe pas grand-chose de plus. On retiendra quand même un fugace moment d’intensité avec violon, piano martelé, accordéon et voix surgie d’un cachot qui n’aurait pas vu la lumière depuis des décennies. Ah l’attente, le coup de l’escalier, la rhétorique du désir, tout ça…

 

Boris & Stephen O’Malley (c) Jostijn Ligtvoet

Allons vite voir la fin du concert donné par Boris et Stephen O’Malley qui jouent dans la grande salle le monolithe drone Absolutego, premier album-morceau des japonais, sorti en 1996. A priori, ils ont eu la bonne idée de changer sa structure en une exponentielle à la place de la parabole initiale, montée-redescente. On  loupe la première demi-heure et on arrive donc en pleine éruption, un déluge sonique s’écoulant de la douzaine d’amplis frigo, plantés les uns à côté des autres, comme un mégalithe de bruit et de fureur. On a finalement plus l’impression d’entendre Amplifier Worship, le deuxième album des nippons, qu’Absolutego, ce qui n’est pas pour nous déplaire. D’un psychédélisme brulant plutôt que drone chiant.

Parfaite mise en température pour le concert de The Heads, les Mudhoney du space rock, que l’on estimait déjà comme le meilleur groupe garage psyché de la planète et qui, loin de décevoir, aura encore gravi une marche de notre panthéon pour tutoyer les étoiles. Tilburg à genoux ! Le quatuor de Bristol a évidemment ramené Hawkwind, MC5 et les Stooges dans ses bagages, mais aussi Pixies, Sonic Youth et toute la vague shoegaze et noisy pop anglaise des 80’s et 90’s, de The Jesus & Mary Chain à My Bloody Valentine, en passant par Loop et Slowdive, pour nous offrir un fantastique trip speed freak halluciné, truffé de classiques tirés de leurs trois premiers fabuleux albums (« Dissonaut », « Jelly Loop », « Coogan’s Bluff », « Widowmaker », « Spliff Riff », « Legavaan Satellite »…) et agrémenté de vidéos permettant de réviser son Kamasutra. Grandiose. Du bonheur en barre avec des guitares qui se livrent à toutes les acrobaties soniques et une section rythmique qui, elle, trace tout droit. On voudrait voir ici ce groupe tous les ans, tellement il correspond pleinement à l’essence et à l’esprit de ce festival.

On embarque un moment dans la montgolfière de Godspeed You ! Black Emepor qui joue son premier set de deux heures ce soir, le temps d’un morceau aux sonorités indiennes et un autre plus Americana. Ca plane tranquille. (Pour ceux qui, comme moi, voudrait savoir : oui, ils ont aussi joué « Moya », mais on l’a loupé.)

Histoire de planer un peu plus fort, on passe voir Sacri Monti dans la Green Room à côté. Après un excellent premier titre (« Staggered In Lies ») entre Witchcraft et Danava, le quintet de San Diego démontre un amour inconditionnel de la NWOBHM (Maiden et Saxon en tête), comme de la vieille garde formée par UFO, Uriah Heep ou Budgie ou les ricains de Blue Öyster Cult. Très cool.

On ne traine pas trop non plus parce la curation made in Bannon nous a réservé une excellente surprise : la (nouvelle) reformation de Greenmachine pour jouer leur démentiel premier album, D.A.M.N., sorti sur Man’s Ruin en 1998, dont la production over the top aura définitivement cramé tous les tympans qui auront eu l’outrecuidance de se poser un jour dessus. Un nom de groupe piqué à Kyuss (dont ils seraient une version hardcore), une pochette semblable à celle d’Unsane ou des Cherubs, et finalement un produit 100% massacre situé à la confluence de ces trois références. En live ce soir, le son est plus ramassé, plus compact et dégueule moins par tous les pores, mais ce concert sera en tout point mémorable, tendu comme une boule de nerfs, porté par une hargne de teigne, des hurlement de sauvageons sous PCP et des morceaux qui alignent toujours les beignes, même avec vingt ans dans la face.

 

The Body & Thou (c) Niels Vinck

On finit cet enchaînement de fou par la paire The Body & Thou qui va délivrer un concert atomique dans une Koepelhal qui démontre enfin à tous les sceptiques que le son peut y être incroyable. Méchamment puissant et absolument parfait de bout en bout, comme la prestation des deux Body et des cinq Thou, aujourd’hui amputés de leur batteur (remplacé par celui de Braveyoung) et de leur excellent bassiste au sourire perpétuel et au jeu si particulier, jouant la patte tombante et le bras en écharpe comme un vieux jazzman ou un oiseau à l’aile brisée. Sa remplaçante lui emprunte le même style, le menton et le bras flottant sur sa poitrine, procurant à l’ensemble une souplesse et une assise particulière, surtout pour du sludge si metal et si massif. Peut-être un des secrets de ce groupe qui a su, dès son premier album en 2007 et tout au long d’une pléthorique discographie depuis, imposer Baton Rouge sur la carte du sludge louisianais (Baton Rouge, You Have Much To Answer For, dit le titre de l’un de leurs innombrables EP) grâce à une classe quasi-constante et un style unique dans un genre si largement cartographié. Ce soir, ils nous en auront offert une nouvelle et monstrueuse démonstration, à partir de morceaux principalement issus de leur album et maxi en commun avec The Body, dont la jouissive reprise du « Terrible Lie » de Nine Inch Nails et deux autres de choix : « Prayer To God » de Shellac et « Well Fed Fuck » de Born Against (voilà un autre bon groupe que Jacob Bannon aurait pu programmer !). Toujours passionnant, malgré l’extrême brutalité de la chose, grâce à un groove étrangement hypnotique, ainsi qu’aux perpétuelles mélodies trainantes sous les couches de granit, méthodiquement semées entre deux riffs bûcherons, à la manière du petit Poucet. Seule déception, on n’aura quasiment pas entendu les époumonements cacochymes de Chip King du Body qui se concentrait surtout sur sa guitare.

Coup de chance, on peut encore enchainer sur la fin du concert baptisé « East Meets West Jam » aka « The San Diego Takeover VS The Japanese Psych Experience » soit surtout Earthless & Kikagaku Moyo se partageant la grande scène et la grande jam psychédélique. Parfait final de cette éprouvante mais riche journée.

DIMANCHE 22 AVRIL

Wrekmeister Harmonies (c) Niels Vinck

On arrive de bonne heure, le surinamien est malheureusement fermé le dimanche et le show spécial de l’équipe black metal islandaise est, comme celui des Finlandais jeudi, programmé super tôt. On a quand même un peu de temps pour voir quelques morceaux de Wrekmeister Harmonies (Béla Tarr reprezent), pas foufou en duo, les multiples featurings présents sur leurs albums manquant cruellement en live.

L’heure islandaise a sonné. A l’entrée de la grande salle, on nous distribue un programme, comme à l’opéra, qui présente le nom du supergroupe, Vánagandr, composé de plusieurs membres d’éminents groupes de la scène black metal islandaise, Misþyrming, Naðra, Svartidauði et Wormlust. On y apprend aussi le nom de la performance, Sól án varma (soit « Soleil Noir », en gros), le « nom » des morceaux, « Afbrigdi » (soit « Variations ») de I à XI, et les initiales des sept mercenaires. Lapidaire, voire abscons. On aurait dû se méfier, parce que ce concert ne sera malheureusement qu’un festival de bonnes intentions aux concrétisations beaucoup trop sporadiques. La faute revenant sûrement à un son quasiment inaudible pendant la majeure partie du set (on était pourtant juste à côté de la console) qui se résumera en un déluge abstrait de basses sourdes, de batterie dynamitée et de nappes dans le brouillard. Grosse déception. Seules consolations (visuelles), les magnifiques explosions solaires filmées en HD et au ralenti, projetées en fond de scène pendant tout le set.

 

Zonal & Moor Mother (c) Jostijn Ligtvoet

On part se remonter au Patronage avec Hell qui joue son formidable album, éponyme comme tous les autres, sorti l’an passé. Moins killer et vicelard que sur disque (sans les effets sur les voix surtout), le trio fait quand même passer un très bon moment sludge-doom au son Bongzillesque caliente. Ils ont même le bon goût de finir avant l’heure prévue, le temps d’aller nous placer dans la grande salle pour Zonal, c’est-à-dire la réactivation du duo Justin Broadrick/Kevin Martin qui sévissait jusqu’en 2002 sous le nom de Techno Animal, soit l’une des meilleurs nouvelles de l’année. Le duo est accompagné par la MC, poétesse, activiste et musicienne afro-futuriste Moor Mother et c’est malheureusement là que le bat va blesser aux entournures. C’est con, mais c’est un peu comme si on avait rendez-vous avec un vieux pote que l’on n’avait pas vu depuis des années et qu’il se pointait au rencart avec sa nouvelle meuf. Même si elle est super sympa, on sait très bien que ce ne sera pas la même limonade. Car, même si on aime beaucoup ce que fait la dame en solo par ailleurs, on aurait préféré pour une première sortie depuis toutes ces années, une réunion entre nous, comme au bon vieux temps. Remettons à plus tard les présentations des connaissances, les nouvelles accointances, les featurings, les crossovers… Ce que confirmera le live, surtout que la MC de Philly balance ses mots scandés, ses slogans éructés, ses prédications et ses états d’âme sans aucun flow, comme jetés en l’air et retombant vite au sol, sans effet. Souvent ses interventions erratiques, zébrant le continuum dub industriel, ne seront pas un plus, mais en trop. Le mieux est l’ennemi du bien… Malgré ce gros bémol, très très bon concert. Frustrant, mais super (oui c’est possible). Musicalement, les deux DJ sont au top, ressortant le canon à infrabasses étouffantes qui font littéralement trembler l’air ambiant et écrasent la pomme d’Adam contre la glotte, recyclant le meilleur de Techno Animal à travers des beats hip-hop bitumeux et des dub Scorniens, aussi physiques que visqueux. On se revoit bientôt ?

On se remet une petite couche de Godspeed avec un morceau qui ressemble furieusement à la musique du room service sur la télé de notre chambre d’hôtel, ce qui est fort possible vu comment leurs morceaux sont pillés par les sound designers et autres fouteurs d’ambiance pour illustrer tout et n’importe quoi, de Zone Interdite à Appels d’Urgence en passant par les documentaires animaliers, à peu près comme ceux de la BO de Requiem For A Dream ou d’Explosion In The Sky…

 

Wolfbrigade (c) Niels Vinck

Tu sais qu’avec Wolfbrigade, à partir du moment où tu montes sur la bécane, c’est parti pour 40mn d’autoroute à fond de train, même si on aimerait bien quelques ralentissements dans les virages, histoire de pouvoir apprécier les mélodies catchy qui font de leurs albums des must du genre. Sans surprise, les tauliers crust-metal suédois n’en ont cure (un superbe mid-tempo quand même) et auront foutu le waï dans le Patronage pendant toute la durée de leur set high energy, nous offrant une récréation d-beat presque aussi parfaite que Disfear l’an passé : pogo, circle pit, finger pointing et sing along quasiment tout du long, parce qu’au bout d’une demi-heure, tout le monde était rincé.

On a ensuite le choix entre Joy, autre groupe de San Diego, qui jamme au Cul de Sac, avec le Dr. Space du scandinave Øresund Space Collective, ou la fin du concert de Hail Spirit Noir dans la Green. On opte pour la Green pour des raisons pratiques. Ce n’était pas franchement mémorable, mais ces black métalleux grecs peu orthodoxes sont un peu le pendant sudiste roots d’Oranssi Pazuzu, mélangeant allégrement black metal, folk local, psyché 70’s et prog emphatique avec un orgue vintage des plus surprenants.

Passons à un autre cas, plus inattendu encore, celui des japonais de Vampillia, collectif d’une dizaine de musiciens d’Osaka comprenant, entre autres, un ex-Boredoms et le phénoménal Tatsuya Yoshida, ex-batteur des Ruins. Comme s’ils n’étaient pas encore assez nombreux, ils aiment à collaborer avec des acteurs aussi divers que Nadja, The Body, Pete Swanson (Yellow Swans), Clark, μ-Ziq, Attila Csihar et Sole (dans le même morceau !), Jarboe, Lustmord, Merzbow ou leurs potes de World’s End Girlfriend. Intégrant ou désintégrant post-rock, néo-classique, emopop pluvieuse, folk bastringue, musique tristoune d’animés japonais, noise, IDM et black metal, leurs morceaux, très cinématographiques, se placeront souvent ce soir entre Mono et Envy avec piano, violons et un chanteur, nommé Mongoloid, plus growler que screamer. Dis comme ça, sur le papier, ça ne fait pas forcément rêver, mais, en live, c’est tellement bien foutu, hyper intense et tellement évident, que ces kamikazes transgenres emportent aisément le morceau. Tatsuya est toujours un batteur incroyable, les quatre guitaristes sont au taquet et quand Mongoloid entre en scène sur « Ice Fist », surgonflé, acclamé par la foule comme une mégastar (il doit y avoir du fan, on a pourtant repéré aucun geek cosplay en mal de Nolife TV, RIP), c’est l’explosion. Super surprise et le meilleur reste à venir puisqu’ils reviennent tout à l’heure avec leur projet V.M.O. (pour Violent Magic Orchestra, en référence au Yellow Magic Orchestra de Ryuichi Sakamoto), furieuse collaboration avec Pete Swanson et Mondkopf.

 

GosT (c) Niels Vinck

Pour nous faire patienter pendant l’entracte, on va guincher sur GosT dans la Green Room. Deux gonzes en toge noir, le visage masqué. L’un immobile tenant un crâne entre ses mains, l’autre qui fait le con autour et la musique aussi, accessoirement, entre ses synthé, machines et sauts de cabris à la guitare, dans un mix complètement mongol mais ultra festif, combinant black metal et dancefloor, synth-wave, horror gothique et breakcore, entre Nightsatan, Mysticum, Antoni Maiovvi, B.O. de K2000 et Harshlove.

C’était parfait, mais au bout d’une demi-heure, on retourne au Patronage pour ne pas louper V.M.O. qui devrait pulvériser le niveau de dinguerie de cette soirée. Plus electro, plus bourrin, encore plus patchwork, encore plus de slams et encore plus fou que Vampillia, V.M.O. va nous offrir le bouquet final de ce feu d’artifice dominical. On retrouve à peu près la même équipe, mais sans Tatsuya, ni violon, ni piano. A leur place, Pete Swanson, grand artificier des circuits et infatigable tripoteur de boutons (qui composerait la majorité des titres et serait responsable des nappes bruitistes) et le parisien Mondkopf, a priori chargé des beats electro et de la bonne tenue de l’ensemble dans un habillage où l’on retrouve, accouplées à des bombardements dignes d’Atari Teenage Riot pouvant aller jusqu’à du grind-makina, des sonorités très immersives à la Mike Paradinas aka μ-Ziq. Pour animer la scène, en plus des guitaristes rebondissant comme des lutins priapiques, pas moins de trois chanteurs grimés aux poses théâtrales, dont Mongoloid, un maigrichon à la tête de Joker et une furie déchainée qui passera son temps en équilibre sur les retours ou dans le public. Pour ne rien gâcher, des excellentes projections en N&B, ésotériques et très hypnotiques, parachèvent de propulser ce concert parmi les tout meilleurs de cette édition. Méga show, son dément, maxi ovation finale.

Avant de rentrer dormir 24h d’affilée, on (se) traine une dernière fois dans la grande salle pour voir les black métalleux chinois de Zuriaake qui ont fait le gros effort de projeter les idéogrammes des paroles, avec les sous-titres en anglais, sur leurs beaux visuels axés Mère Nature, en même temps que le chanteur les déclamait. A part ça, ils avaient de très beaux costumes, mais leur black était très basique, malgré les quelques mélodies et instruments traditionnels.

Merci, au revoir, à l’an prochain, si Dieu le veut bien. (kassdédi, à Lucien Jeunesse)

(c) Niels Vinck

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