Report : Levitation France 2017

Par Pierre Andrieu

Slowdive (c) Titouan Massé

Encore une magnifique édition pour le festival Levitation France, l’immanquable version française du grand rassemblement d’obédience psychédélique initié à Austin, Texas, par les Black Angels. Le groupe d’Alex Maas avait d’ailleurs inauguré la déclinaison sise dans notre beau pays en 2013 en jouant au Chabada à Angers. Et cette année, les récents auteurs de l’album Death Song étaient de retour au Quai, toujours dans la cité angevine, pour jouer en tête d’affiche, tout en haut d’une très belle programmation ayant attiré 3700 personnes réparties sur les soirées des vendredi 15 (quasi complet) et samedi 16 septembre (archi complet). On vous raconte tout ça…

Vendredi dès 19 heures, dans la grande salle du Forum, le groupe Cosmonauts délivre un set superbement psyché, qui fait un énorme effet sur un public commençant tranquillement à se chauffer pour le reste de la soirée. Comme son nom l’indique assez clairement, le groupe américain invite à faire ses valises pour la voûte céleste. Et il parvient à ses fins malgré l’horaire précoce et la lumière du jour qui perce encore au travers des vitres du Quai. Son mélange de rock garage, d’influences Lou Reed/Velvet Underground et d’inspirations psyché kraut fonctionne idéalement… Grosse claque ensuite dans la pénombre de la petite salle avec Ulrika Spacek, éclairé comme à la Factory d’Andy Warhol, lors d’un set d’anthologie, trippant au-delà du possible. Ces Anglais maîtrisent l’art et la manière de faire monter la sauce avec des rythmiques kraut pneumatiques, un enchevêtrement de guitares bruitistes et un chant torturé évoquant parfois un Thom Yorke bien enfumé. Le son, les projections et l’éclairage psyché créaient un méchant cocktail drogué totalement imparable en live. Déjà vu en première partie de Savages, puis à l’occasion d’un incroyable morceau final réunissant deux groupes à La Cigale, Bo Ningen fait une nouvelle fois forte impression lors de son concert sur la grande scène. Avec sa musique assez indescriptible, ce quatuor noise made in Japan s’illustre en transformant ses concerts en grands-messes psyché kraut funk punk (cochez la ou les bonnes cases désirées) où ces gourous illuminés s’acharnent sur leurs instruments de torture afin d’entraîner leurs adeptes dans une transe sans retour. Tout le monde finit à genoux et les globules oculaires exorbités, ce qui ne peut que signifier qu’il s’agissait là d’un putain de bon concert.

The KVB (c) Titouan Massé

Dans un autre genre, l’excellent duo anglais The KVB permet de poursuivre notre chevauchée fantastique embrumée au pays du psychédélisme, cette fois en contrée cold cave, avec une musique menaçante, mystérieuse et propice à la satellisation immobile. Sous un light show laissant à l’imaginaire de l’auditeur tout le loisir de vagabonder, le duo mixte guitare/chant + synthés/boîte à rythmes prouve de manière éclatante qu’il sait créer des atmosphères puissantes. Les guitares languides et réverbérées à la Robert Smith, la voix inquiétante, les synthés lugubres, tout est fait pour que le public plonge tête la première dans ce délire délicieusement froid et morbide. À signaler, une très bonne reprise du « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones. Très attendue, la prestation de Group Doueh & Cheveu ne déçoit pas, bien au contraire, puisque la fusion des deux troupes  opère parfaitement et donne vie à un  punk Lo-Fi mâtiné de blues du désert assez unique. Certains titres vont même jusqu’à se révéler « tubesques », comme l’imparable et bien nommé « Tout droit ». Un peu plus tard, la tête d’affiche du jour, Slowdive emmène ses très nombreux fans sur son petit nuage shoegaze, un endroit peuplé de morceaux tous plus planants, trippants et stimulants pour la psyché les uns que les autres. Comme lors de ses prestations mémorables à La Route du Rock et au This Is Not A Love Song il y a quelque temps de ça, le quintette anglais, auteur d’un nouvel album assez miraculeux, arrive à faire prendre l’escalier qui mène au paradis avec ses montées de guitares sursaturées et truffées d’effets stellaires. Toujours illuminés par les voix de Rachel Goswell et Neil Halstead, les morceaux se révèlent de jouissives bandes-son pour des vols planés soniques euphorisants. Et ce qu’ils soient récents, comme le génial « No Longer Making Time », ou cultissimes, comme l’immense « When the Sun Hits » (qui peut s’écouter des milliers de fois en faisant toujours battre le cœur aussi fort). Magique ! Déjà passablement enthousiasmé par cette première salve de concerts, on prend ensuite de plein fouet la prestation hallucinante et hallucinée des grands malades d’Acid Mothers Temple, un gang de Japonais s’y entendant pour faire monter une sorte de mayonnaise kraut noise space-rock chamanique ayant la particularité de faire foutrement tourner la tête. Noyé au milieu d’un maelstrom de bruits sidérants, l’auditeur n’a d’autre choix que de headbanguer au milieu de ses congénères, eux aussi en partance vers d’autres sphères. Dans ces conditions extrêmes, le (pourtant très court) trajet de retour va s’avérer un peu compliqué.

Acid Mothers Temple (c) Titouan Massé

Boosté par une magistrale première soirée, on retrouve Le Quai gonflé à bloc le lendemain pour assister au set marquant de Moon Gogo, nouveau projet du facétieux touche-à-tout Federico Pellegrini (ex Little Rabbits et French Cowboy) en compagnie d’E’Joung-Ju, une joueuse de geomungo, instrument à cordes coréen aux sonorités étranges. Les folk songs psyché world de ce curieux duo se font à la fois mélancoliques (le chant de Federico est souvent poignant) et aventureuses (on ne sait jamais trop où on va être propulsé). L’originalité de cet OVNI musical intrigue, donnant envie d’en entendre plus très vite… Un autre très belle découverte ensuite, avec la songwriteuse australienne Jen Cloher, venue présenter un nouvel album éponyme en compagnie d’un impeccable groupe dans lequel figure son amie Courtney Barnett à la guitare lead. La dénommée Jen fait montre d’un charisme et d’un aplomb qui renforcent encore l’impact de ses chansons de très belle facture évoquant un genre d’indie rock stonien. C’est efficace, bien chanté et truffé de riffs accrocheurs sans être consensuel. On ne peut donc qu’approuver, au même titre que le reste de la foule ! Direction la grande salle du Quai pour le show psyché à souhait des Canadiens d’Elephant Stone, qui offrent un concert suave, pop, kaléidoscopique et racé. Avec en cadeau-bonus moult interventions au sitar du leader du groupe, Rishi Dhir. C’est frais et singulier, tout en restant accessible et de nature à donner l’illusion de prendre un parachute ascensionnel. Elephant Stone obtient donc un beau succès auprès de l’assistance, déjà très en joie et compacte alors qu’il n’est que 18 heures…

CFM (c) Titouan Massé

On enchaîne avec CFM, le projet de Charles Francis Moothart, un musicien que les fans de Ty Segall connaissement bien puisqu’il l’accompagne dans ses multiples projets : Ty Segall Band, Fuzz, GØGGS, etc. Très scénique, cette escapade solo se focalise sur un style heavy rock à base de riffs surpuissants à la Black Sabbath ou Stooges. Pour faire court, voilà du rock’n’roll musclé admirablement bas du front, servi bouillant par quatre types bien décidés à tout défoncer. Bref, CFM ne révolutionne rien (et n’en a pas la prétention…), mais s’impose comme un quatuor salement jubilatoire à voir en live. Plus calme mais tout aussi bienvenu dans la programmation, The Murlocs sert un peu plus tard de grandes louches de rhythm and blues pop, bien évidemment psyché. Ce groupe australien de fort bon aloi articulé autour d’Ambrose Kenny-Smith, éminent membre de King Gizzard And The Lizard Wizard (qu’on espère ardemment voir l’année prochaine à Levitation !), dégage une belle dose de bonnes vibrations tout droit venues des années 60. Fagotés comme des garagistes/spationautes, le chanteur/harmoniciste en chef et ses acolytes font gentiment le show alors que résonnent leurs sympathiques titres donnant envie de fumer de la drogue sur une plage de sable fin. Puis petite baisse de tension avec The Holydrug Couple, dont la pop psyché assez bien foutue peine néanmoins à sortir du lot. La suite s’avère vraiment décevante avec le set de Petit Fantôme, qui, malgré de bons morceaux de pop rock rêveuse, gâche tout avec un chant irritant d’ado ayant oublié de muer et des textes très naïfs. Signalons néanmoins que la majorité du public semble apprécier… Sur ce, on compte bien se rattraper avec le show du Villejuif Underground, mais celui-ci est annulé suite à un malencontreux problème de van empêchant le groupe d’arriver dans les temps à Angers. Que cette mésaventure soit arrivée à Beach Fossils ne nous aurait pas dérangés plus que cela, vu que la dream pop fadasse du groupe américain n’a jamais eu nos faveurs. Décidément, c’est l’enchaînement de la lose… Heureusement après ce long couloir d’ennui arrivent les tarés jusqu’au-boutistes d’A Place To Bury Strangers, qui se font une joie de jouer leur coldgaze noise suicidaire le plus fort possible et dans le noir presque complet. Sous les stroboscopes incessants et la fumée épaisse, on distingue des guitares qui volent en l’air et finissent en bouillie, ce qui booste encore les titres, proprement démoniaques. Les oreilles explosées, les yeux défoncés, on prend un pied pas possible à suivre ce show dément, qui voit le groupe venir jouer au milieu du public et finir comme il a commencé, c’est-à-dire en déclenchant des tsunamis de distorsion dans l’allégresse générale.

The Black Angels (c) Titouan Massé

Bonne idée des Black Angels d’avoir choisi les New-Yorkais comme première partie de leur tournée. La troupe venue d’Austin poursuit quant à elle les débats sur la grande scène avec un set best of de presque deux heures composé de plusieurs titres du très bon dernier disque, Death Song (« Currency », « Life Song », « I Dreamt », « Grab as Much (as you can) »…), ainsi que de nombreux classiques extraits des albums précédents (« Bad Vibrations », « Entrance Song », « Science Killer », « Young Men Dead »…). Peu causants comme à leur habitude mais très bien soutenus par des projections bluffantes, Alex Maas & Co placent leurs fans sur une magnifique rampe de lancement : ceux qui ne slamment pas ou ne headbanguent pas passent l’intégralité du show les yeux fermés, complètement dans leur monde. Sans doute partis en goguette vers une lointaine destination inaccessible sans sa bande-son psychédélique jouée en direct live.

 

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