Report : Hellfest 2018 (part 1/3)

(c) Ronan Thenadey

Par Olivier « Zoltar » Badin, Laurent Catala, Olivier Drago, Romain Lefèvre, Stéphane Leguay, Bertrand Pinsac et Benjamin « Bhaine » Rivière.

Photos : Ronan Thenadey.

Treizième édition et un succès qui ne se dément pas (malgré la concurrence) puisque pour la troisième année consécutive, le Hellfest affiche sold-out avant même d’avoir annoncé un seul nom. Ce n’est pas pour autant que les programmateurs se la sont coulée douce, puisque cette mouture 2018 faisait preuve d’encore plus d’éclectisme et d’ouverture que les précédentes. Avec notamment des journées à thème sur la Warzone (carte blanche aux Burning Heads pour leurs 30 ans le vendredi et le dimanche consacré au rock hi-energy) et les concerts de groupes un peu hors-cadre aussi différents que Jessica93, Pogo Car Crash Control, Carpenter Brut, The Lords Of Altamont, Zeal & Ardor, Batushka, A Perfect Circle et même Ho99o9 et Dälek dans le cadre d’une mise à l’honneur de l’hybridation hip-hop et metal (avec aussi Body Count, Powerflo, Limp Bizkit et Pleymo). Tout ceci en plus des cohortes de groupes heavy metal, thrash, hardcore, black et death metal habituelles. Encore une fois également, le soleil était au rendez-vous, donnant de nouveau des airs de vacances à ce pèlerinage en terre pluri-metallique.

Démarrage en fanfare, voire en cacophonie maitrisée, avec les délicieux Fange à l’heure du petit déjeuner. Les Français délivrent un set qui fait honneur aux saletés qu’on verra défiler à la Valley tout au long du week-end, un set aussi enragé que son chanteur et musculeux que son batteur, ce dernier se fendant d’ailleurs d’une prestation de haut vol. Tout le groupe est au diapason, bien aidé par un son ultra massif – on n’entendra guère plus violent de tout le week-end sur ce plan-là – et un public déjà nombreux et réceptif. La Suze coule à flots sur scène alors que les festivaliers, petits joueurs, en sont encore à peine à leur première pinte. De bon matin, Fange démontre une nouvelle fois avec maestria que c’est bien sur scène que son doom/sludge/hardcore/noise/barrez la mention inutile, prend tout son sens et surtout, tout son poids. On n’aurait guère pu rêver meilleur début de festival.  (R.L.)

À peine remis de l’écrasante demi-heure subie sous les coups de Fange, on rejoint la Temple en quelques pas pour profiter d’un total changement d’ambiance via le premier concert black metal du week-end, redoutable honneur revenant aux vétérans français de Cainan Dawn, auteurs d’un dernier album tout à fait brillant (F.O.H.A.T). Doté d’un son clair, et professant un black metal avec juste ce qu’il convient de complexité et d’ambiances occultes mais jamais pompeuses, le quatuor savoyard réussit aisément à capter l’attention d’un public qu’on sent clairement plus composé de connaisseurs que de curieux. La demi-heure de set est vite avalée, et on en aurait même bien repris un peu : les choses s’annoncent également bien sous la Temple.  (R.L.)

« Quatre morceaux, quatre riffs ». Voilà à quoi on pourrait réduire la prestation du trio space-doom canadien le plus lourd du monde, mais ce serait faire fort peu de cas du son insensé et du groove pachydermique que Sons Of Otis impose à la Valley alors que midi n’a même pas encore sonné.  Certes, le groupe fait tourner les riffs de manière si monomaniaque qu’il ferait presque passer Electric Wizard pour un groupe de death technique, mais il le fait avec un tel métier et un tel engagement qu’on ne peut que juger le résultat convaincant. Un set agréable (sans doute moins pour les futurs sourds qui avaient oublié leurs protections auditives). (R.L.)

On attendait avec impatience la prestation de Dopethrone, l’un des tout meilleurs groupes de doom/sludge canonique de ces dernières années, sans doute un peu trop. De son côté, le trio canadien a visiblement trop fêté la défaite de la musique la veille au soir dans les rues de Paris (le groupe a donné un concert gratuit en face du bar le U.F.O dans le 11e arrondissement en compagnie de Bongzilla et Eyehategod) et a du mal à se mettre en place. Son plus que moyen, chant encore plus inaudible que sur album, batteur à moitié à la rue, bref, on sent poindre la bonne vieille déception malgré l’évident charisme de Vincent Houde, qui amuse la Valley à coups de « tabarnak » et de « motherfuckers » bien rigolards. Fort heureusement, les choses vont en s’améliorant, et la fin de set est – presque – la grosse latte attendue, avec l’imparable « Scum Fuck Blues » en clôture. Mais on les a vus en meilleure forme. (R.L.)

(c) Ronan Thenadey

Avec un chanteur désormais également bassiste, on s’attend à un show plus statique et crispé des Lyonnais de Celeste. Il n’en est rien. Et si jouer de jour les empêche d’utiliser leur trick des « loupiottes rouges dans le noir total », le light show rougeoyant et le strombo compensent largement. Entre sludge-core double épaisseur et black metal à capuche (sans capuche), les Français font le taf, impressionnent, et finissent un set compact, homogène et agressif sur un “Ces belles de rêve…” des plus vicieux. Le programme s’annonce bien violent sous la Valley pour cette édition 2018. (B.R.)

On se demandait ce qu’allait bien pouvoir donner ce concert de Celeste, privé d’obscurité totale et de ses fameuses lumières frontales, puisque programmé sous une Valley en plein début d’après-midi. Les Lyonnais ont apporté la meilleure des réponses en délivrant un set aussi dense qu’écrasant (« Cette Chute brutale »), tout en hurlements glaçants, riffs maladifs et mid-tempi meurtriers (dans le sillage de leur dernier album Infidèle(s)). Pionnier d’un post-black metal qui n’en finit plus aujourd’hui de générer des hordes à capuches, Celeste a su rappeler à tous qu’au-delà du décorum, il était avant tout un putain de bon groupe live capable de s’affranchir de ses propres codes scéniques ! Et quel final que « Ces belles de rêve aux verres embués » ! (S.L.)

L’heure du déjeuner passée, les légendes australiennes Hard-ons investissent la Warzone à la cool. Un peu trop d’ailleurs, et alors qu’on était persuadé d’apprécier leur set constitué de vieux classiques et de titres plus récents, on s’ennuie au contraire poliment. Les punk-rockers des antipodes jouent pourtant avec conviction (il suffit de voir l’implication de Peter Black à la guitare et Ray Ahn à la basse, à fond sur leurs instruments), mais rien n’y fait, ils peinent à nous séduire totalement, souffrant en outre d’un son un peu brouillon (surtout en début de set). Keish de Silva au chant, souvent en attente du fait de morceaux parfois très instrumentaux, paraît régulièrement en retrait, comme spectateur de son propre concert. Un comble pour un frontman (ce qui confirme bien que la formation historique du groupe, en trio avec de Silva à la batterie et au chant, convenait mieux au live que celle du quatuor désormais à l’œuvre) ! Pas un mauvais concert en soi, mais rien de bien excitant à retenir. (B.P.)

Seven Hate (c) Ronan Thenadey

Pour cette journée consacrée majoritairement au hardcore mélodique, toujours à la Warzone, c’est un autre grand nom, français pour le coup, qui monte sur scène : Seven Hate. On est ravis de retrouver les Poitevins qui, eux, sont dans une forme olympique. Passant totalement sous silence son premier et son dernier album, Seven Hate concentre son set sur ses deux disques les plus réputés, les toujours fantastiques Budded et Is this Glen ?. Les tubes défilent comme dans un rêve à roulettes et les temps morts se font rares au sein d’une setlist envoyée pied au plancher. Le concert conclu, on se dit qu’on aurait bien pris deux ou trois titres de plus, notamment certains plus mesurés de son album testamentaire, Matching the Profile. Mais on est largement contentés et voilà bien là l’essentiel. (B.P.)

C’est au tour de Burning Heads de montrer que malgré ses désormais trois décennies de carrière au compteur, la passion, l’envie et l’énergie restent intactes. A contrario de leurs camarades de Seven Hate, les Orléanais offrent un set survolant toute leur discographie. Tant mieux, car même si les classiques se situent dans leur première partie de carrière (grossièrement jusqu’au début des années 2000), l’ensemble fait preuve d’une remarquable tenue. Frondeuse et jouant en rangs serrés, la formation nous sort le grand jeu, célébration de trente bougies soufflées oblige. Défilent ainsi rien de moins que « Piece of Cake », « In My Head », « Super Modern World », « Reaction », « SOS » et « Bring Me Down ». N’oublions pas le morceau reggae du show, l’excellent « We Gonna Party », et les reprises « Making Plans for Nigel » de XTC et « Guns of Brixton » (en version punk) de The Clash. Le groupe glisse même un petit mot au sujet de Seven Seconds, prévu initialement a l’affiche, mais ayant splitté plus tôt cette année. La grande classe. (B.P.)

Pour clore la trilogie des champions hexagonaux du punk mélodique en beauté, Uncommonmenfrommars, à l’instar de Seven Hate, reprenait lui aussi du service. Disparu des radars depuis 2013, le quatuor ardéchois n’est pas revenu pour rire, le côté potache ayant été laissé au vestiaire. Comme les Burning avant eux, les Unco’ revisitent tous leurs albums, conférant ainsi à leur setlist des airs de cartographie assez exhaustive de ce qu’est leur univers musical. Le son, excellent, rend justice à des compositions savoureuses pleines de mélodies entêtantes avec option sing-along de circonstance. On est ici en terrain connu pour les adeptes du genre et ce retour aux affaires, aussi ponctuel soit-il, fait notre bonheur le temps de ces cinquante minutes certes un peu nostalgiques, mais revigorantes. (B.P.)

Remplaçant presque au pied levé Origin, Voight Kampff se trouve programmé à l’Altar à 16h, horaire bien peu squatté habituellement par les groupes français underground. Devant un public clairsemé, les Rennais enchainent avec fougue et rigueur les brûlots techno-thrash sous influence Coroner et Death de leurs deux albums, et notamment ceux de l’indispensable – du moins pour quiconque aime le genre – Substance Rêve, sorti il y a quelques mois. On vous reparle d’eux très vite. (O.D.)

Carnivore A.D. (c) Ronan Thenadey

Carnivore A.D. Certains hurlent au scandale : « Pourquoi ? » Les raisons peuvent être nombreuses. L’envie des membres originels Marc Piovanetti et Louie Beato de continuer à jouer ces morceaux malgré la mort de Peter Steele, l’envie de rendre hommage à ce dernier,  l’envie de s’amuser, l’envie de tourner de par le monde et de se faire un peu de caillasse au passage. Où est le problème ? Surtout que les deux musiciens ont très bien choisi le remplaçant de Peter Steele en la personne de Baron Misuraca, ex-Vasaria, groupe metal goth issu de la scène hardcore new-yorkaise (Misuraca a aussi été membre de Sheer Terror et Darkside NYC et le guitariste Chuck Lenihan avait fait ses armes chez Crumbsuckers). En plus de ressembler physiquement à Steele (en plus tassé), Misuraca reproduit à l’identique le chant et le son de basse si typique du géant vert. Les classiques issus de Carnivore (1985) et Retaliation (1987) défilent (« God is Dead », « Jesus Hitler », « Sex and Violence »…), ponctués par quelques tirades antiracistes (histoire d’éviter tout malentendu, certainement). Le public semble pleinement satisfait, Marc Piovanetti, habillé en militaire américain, aussi. On laisse les « pourquoi ? » aux autres. (O.D.)

Le pétard Bongzilla a un effet très à rebours. Le groupe existe depuis 1995, n’a pas sorti d’album depuis treize ans, et l’Europe semble les (re)découvrir depuis quelques années. Pourtant, à part leur chanteur/guitariste Muleboy au look de tueur-à-gages famélique (tatoos jusque dans le cou, moustache de pervers, croassement de corbeau), on a l’impression d’avoir à faire à de simples rednecks à casquettes pressés d’aller se boire une Bud tiède. Mais ces riffs nom de Dieu, ces RIFFS. Pas compliqués en soi, sous (très) forte influence Sabbathienne et goudronnés à souhait, ils sont bastonnés encore et encore, le groupe jouant volontairement sur la répétition et les changements de tempo. Pas de grands discours, à part un inévitable « ah, si vous avez de la weed, on est preneurs ! » et pas d’artifice, mais une leçon de sludge groovy et juteux à souhait, couronnée par l’interprétation de deux nouveaux morceaux laissant sous-entendre qu’ils vont enfin reprendre le chemin des studios très bientôt. (O.Z.B.)

Un des nombreux dilemmes du week-end : Meshuggah ou Crowbar ? La plupart de mes collègues ayant opté pour les premiers, direction la Valley. Même si tous les retours concernant les Suédois ont par la suite été ultra-positifs, aucun regret, car Crowbar donne là le meilleur concert qu’il nous a été donné de voir de lui, et ce malgré deux bémols : un son qui aurait mérité d’être plus fort et l’absence de Todd Strange, bassiste historique revenu dans le groupe après l’enregistrement de The Serpent Only Lies (2016), mais de toute évidence déjà reparti. (Edit : il était apparemment retenu aux Etat-Unis pour « raisons familiales ») « Conquering », « All I Had I Gave », « …And Suffer as One », « Cemetary Angels » « Planets Collide », « Broken Glass » : le set best of tient toute ses promesses, le groupe semblant bien plus à l’aise sur cette scène que sur la Mainstage où il avait joué en 2014 (O.D.)

On n’est pas toujours très confiants à l’idée de voir un groupe aussi technique et intense que Meshuggah – mais dont le son pâtit parfois d’excès de compression – sur la grande scène Main Stage. Force est de constater que les Suédois se débrouillent très bien en la matière, même si les enluminures polyrythmiques du batteur Thomas Haake se ressentent avec moins d’impact et que le chant parfois un peu monocorde de Jens Kidman peine à trouver les modulations nécessaires pour accrocher un plus large public. Efficace et puissante, la performance de Meshuggah s’illumine sur les morceaux plus syncopés et progressifs, comme « Bleed » où un filage jazz-rock semble éclairer les riffs d’une nouvelle vie intérieure, les rendant d’un seul coup aussi fluides qu’un coulis de notes glissant dans vos oreilles. De quoi donner matière à entendre aux fans de leurs compatriotes d’Europe commençant à se presser dans les rangs latéraux pour le concert suivant, et à qui le guitariste Per Nilsson (de Scar Symmetry, qui remplace Fredrik Thordendal sur cette tournée) semble adresser quelques grimaces en singeant ses accords face à la caméra. La permanente de Joey Tempest n’a plus qu’à bien se tenir. (L.C.)

On ne sait pas si on verra un jour un mauvais concert de Meshuggah, mais une chose est certaine, ce ne sera pas aujourd’hui : son absolument monstrueux (un des tout meilleurs du fest à la MS2), groupe visiblement ravi de revenir au Hellfest, et si la setlist s’avère relativement classique – à l’exception de la plus rare « Pravus » -, elle est toujours aussi imparable : « Do Not Look Down », l’éternel « Rational Gaze », l’injouable (et pourtant joué à la perfection bien qu’un poil ralenti) « Bleed », l’ultraviolent « The Hurt That Finds You First », et un final dantesque sur ce qui est désormais un classique du groupe, « Demiurge ». Difficile de trouver à redire quoi que ce soit à ce concert et à propos de Meshuggah, qui s’installe chaque année davantage au panthéon des plus grands groupes de metal de l’histoire. (R.L.)

Mysticum (c) Ronan Thenadey

Au milieu des élucubrations black metal, symphoniques, paganistes et proto-darkfolk qui émaillent la programmation de la scène Temple cette année – mention spéciale aux chants grégoriens de Batushka et aux tableaux néolithiques de Heilung – les Norvégiens de Mysticum font figure de pionniers des nouvelles technologies. Rivés à trois mètres de haut sur leurs trois plateformes écrans dans un set-up très art numérique/live audiovisuel, les trois guitaristes délivrent une prestation impressionnante fidèle en tout point à celle à laquelle nous avions pu assister il y a deux ans au Inferno festival d’Oslo. Travaillé en boucles électroniques, leur black metal foncièrement old school* trouve de nouvelles résonances industrial-black, voire techno-black, qui font mouche sur des titres comme « Dissolve Into Impiety », tiré de leur dernier album en date, Planet Satan, et attire bien évidemment autant l’œil que l’oreille. Une spécificité et une originalité évitant à bon escient les poncifs du grotesque et que peu de groupes estampillés black metal sont véritablement parvenus à contourner sur cette édition. Il faut toutefois noter les Américains de Tombs dont le post-black cru et teinté de post-metal/sludge de leur dernier album The Grand Annihilation s’avère une excellente surprise, en reliant avec une volupté sonique les canons de Neurosis ou Swans à ceux de Darkthrone ou Deathspell Omega.
* Il ne faut pas oublier que le groupe devait être initialement signé sur le séminal label du guitariste de Mayhem, Euronymous, Deathlike Silence, avant que celui-ci ne soit assassiné par Varg Virkernes/Burzum en 1993, et que son premier LP est en fait un split avec Ulver paru l’année suivante (L.C.)

Les Islandais de Sólstafir investissent la Temple sur les coups de 20h45. On est loin du soleil de minuit, pourtant c’est bien une mélancolie toute hivernale qui dépose ses cristaux de gel dès les premières minutes du tout récent « SilfurRefur ». La setlist en forme de best of (festival oblige) revisite les quatre derniers albums du groupe, les emblématiques « Köld », « Fjara » et « Ótta » en tête. Le son, bien qu’un poil aigu, parvient à recréer les vagues immersives et telluriques qui font le subtil ADN de Sólstafir. Une identité tout en contraste que les cow-boys du 66è parallèle (étonnamment chaleureux avec le public) retranscrivent à merveille dans un cadre pourtant assez casse-gueule. Brávö à eux ! (S.L.)

Le plus étrange avec Suffocation, c’est qu’à force de changer de musiciens comme d’autres de caleçons, ils sont presque devenus leur propre tribute band, avec comme seul rescapé de la formation d’origine l’inoxydable Terrance Hobbs (48 printemps). Car alors que leur growler Frank Mullen venait d’annoncer que les quelques concerts à venir seraient ses derniers, ce n’est pas lui qui tient le micro, mais un clone assumé, allant jusqu’à reproduire ses moindres intonations et même sa technique (brevetée) du « air coupe papier ». Tout cela commence donc sérieusement à sentir le sapin… Enfin, jusqu’à ce que le concert commence. Eh oui, la jeunesse, ça a du bon (leur nouveau batteur n’était même pas né lorsque leur premier album est sorti !) et surtout, ça donne une patate d’enfer. Cerise sur le napalm, une setlist à se faire pâmer les vieux fans car allant étonnamment chercher loin, très loin dans leur discographie, comme par exemple « Catatonia » ou « Jesus Wept » de leur tout premier EP Human Waste de 1990, ou même le morceau-titre d’Effigy of the Forgotten. Ce n’est peut-être plus LE Suffocation, mais niveau puissance d’exécution, cette nouvelle mouture n’a rien à lui envier. (O.Z.B.)

(c) Ronan Thenadey

Autant Dopethrone semble avoir souffert de sa date parisienne sauvage de la veille, autant la légende du sludge de NOLA, Eyehategod, imperméable à tout, revenue de tout – notamment Mike Williams, à nouveau échappé des portes de la mort suite à une greffe de foie -, semble avoir fort bien digéré les festivités. En formation resserrée, sans backdrop, sans quasiment de lightshow, sapé comme des hillbillies revenant de la pêche à la crevette (mention spéciale à l’homme le plus débonnaire du monde, Jimmy Bower), Eyehategod délivre pourtant une leçon d’intensité pouilleuse, de groove déglingué et de riffing sludge punkoïde. Mike Williams a toujours l’air d’un zombie mais semble infiniment plus en forme que la dernière fois qu’on l’a croisé, errant sans but dans les allées du Roadburn en 2015, et sa voix est « meilleure » que jamais. Niveau setlist, du classique (« Medicine Noose », « New Orleans is the New Vietnam », « White Nigger », « Parish Motel Sickness » et un « Sister Fucker » un peu raté dans son exécution), ce qui semble parfaitement convenir à une Valley évidemment blindée, et qui fait un triomphe au groupe. Un set de patrons, sans fioritures. (R.L.)

Il est de bon ton de se moquer de Satyricon, les deux compères à sa tête passant pour d’odieux poseurs à mille lieues de l’élite true black si chère aux petits cœurs noirs de tant de metalheads. Ajoutez à cela une propension à pondre des albums toujours plus accessibles (le dernier en date, Deep Calleth Upon Deep, est un modèle du genre) et de moins en moins black metal, et on obtient un vrai pot de miel à rageux. Pourtant, et comme presque à chaque fois, Satyricon délivre un set pas loin d’être impérial, au son parfait (peu de groupes peuvent en dire autant sous la Temple), et porté par un Satyr en forme olympique, tout en poses impayables et en échanges ampoulés, mais chaleureux, avec le public. Frost, de son côté, fait toujours peur aux enfants quand il joue : aussi autiste que possédé, son jeu dépouillé habille à la perfection les compositions directes du groupe, qui pour l’occasion balaye une bonne partie de sa large discographie, faisant cependant la part belle aux albums récents, le dernier en tête (« Deep Calleth Upon Deep », « Midnight Serpent » et la superbe « To Your Brethren in the Dark »), mais également Now Diabolical (« K.I.N.G », « The Pentagram Burns »). Imparable. (R.L.)

C’est avec une petite appréhension et pas forcément beaucoup de motivation qu’on se cale à la Warzone devant la tête d’affiche de la journée « punk à roulettes » du Hellfest. Non seulement parce que la discographie des honorables Bad Religion est plutôt inégale, mais surtout parce que la tête de proue historique d’Epitaph n’est plus très fraîche. Greg Graffin ressemble même de plus en plus à un dirlo de collège jouant du rock de daron le week-end qu’à un boss de fin de niveau du punk rock. Mais l’envie est là, mine de rien, et après deux trois titres de chauffe, on se laisse prendre par la ribambelle de tubes (« We’re Only Gonna Die », « 21th Century Boy », « Against the Grain »…) enchaînés par les parrains du hardcore mélodique. Pas forcément ce qu’on verra de plus marquant ce week-end, mais une place facile dans le top 3, catégorie « feel-good tranquille ». (B.R.)

Comme de coutume au Hellfest, on n’arrête pas de courir d’une scène à l’autre et on quitte d’un pas pressé celle de la Valley et le formidable set d’Eyehategod pour rejoindre celle de la Warzone et assister à la performance de Bad Religion qui commence tout juste dans la foulée. Un démarrage pourtant compliqué pour les parrains du hardcore mélodique, avec des problèmes de son sur les deux premiers morceaux (et les écrans vidéo refusant de fonctionner). Fort heureusement, tout rentre dans l’ordre dès le troisième titre, le toujours galvanisant « Give You Nothing ». Et on constate une fois encore que, décidément, le punk conserve puisque les années (ainsi que les changements de line-up) n’ont semble-t-il pas de prise sur la santé musicale de la formation californienne. Fidèle au cahier des charges scéniques auto-imposé, BR continue de faire tourner sa setlist autour de toute une série de classiques (« New Dark Age », « Supersonic », « We’re Only Gonna Die », « Sinister Rouge », « 21 Century (Digital Boy) » et bien sûr « American Jesus ») en la complétant par d’autres titres moins réputés (mais pas moins fameux) du répertoire-maison. Une excellente prestation que l’on quitte à regret un peu prématurément (on rate le dernier quart d’heure) pour aller se placer de nouveau à la Valley pour le set de Corrosion Of Conformity. (B.P.)

Un des concerts les plus attendus en ce qui nous concerne, puisque c’est la première fois que nous voyons Corrosion Of Conformity avec Pepper Keenan au chant – si l’on excepte le titre « Vote with a Bullet », qu’il était venu jouer avec le C.O.C. version trio lors de l’édition 2011 du Hellfest (il s’y produisait également avec Down). Mais là aussi, décidément, manque un membre historique : le fabuleux batteur Reed Mullin. Heureusement, son remplaçant est au niveau et malgré un son brouillon, le groupe envoie avec une sauvagerie inouïe « The Luddite » et « Broken Man », histoire de rappeler qu’avant de virer metal/stoner/heavy rock, C.O.C. était un groupe hardcore/crossover. Le son s’améliore ensuite, et le quatuor enchaine ses plus grands classiques, à savoir « Vote with a Bullet », « Clean My Wound » et « Albatross », mais aussi un fulgurant « Over and Over », pour la plus grande joie d’un public venu en masse sous la Valley. Keenan, lui, est juste dégoûté de rater Judas Priest qui joue sur la Main Stage au même moment. Pour avoir vu le début du concert des légendes du heavy metal, on le rassure, il n’a rien loupé : son catastrophique (deux guitares ? On aurait au moins aimé en entendre une) et un Rob Halford toujours capable de fantastiques stridences vocales, mais à la gestuelle si empâtée qu’il fait peine à voir… (O.D.)

Judas Priest (c) Ronan Thenadey

Heureusement, histoire de ne pas oublier que le Hellfest est aussi (encore ?) une célébration du heavy metal canal historique, quelques légendes cloutées bénéficient toujours d’un accessit privilégié aux méga-concerts du début de soirée sur des Main Stage désormais trustées par les générations suivantes, plus hydrides (Deftones, Avenged Sevenfold, Limp Bizkit et consorts). Porte-étendard emblématique du genre, Judas Priest confirme dans le sillage de son nouveau Firepower sa valeur inaltérable en la matière. Certes, Rob Halford n’a plus sa prestance gesticulatoire, le poids des ans a alourdi sa silhouette et son arrivée en moto sur le culte « Hell Bent for Leather » est moins ronflante qu’auparavant. Mais sa voix criarde reste toujours aussi épique sur les charges plombées que le groupe assène avec une maîtrise perpétuée avec brio par la nouvelle génération de guitaristes (Richie Faulkner et Andy Sneap, qui remplace désormais Glenn Tipton, atteint d’Alzheimer, lors des tournées). « Sinner », « Freewheel Burning », l’hymne « Metal Gods » s’enchaînent tambour battant dans un concert célébrant toute l’histoire du groupe en mode flashback, avec projection des pochettes en arrière-plan sur l’écran géant à l’appui. Et lorsque le batteur Scott Travis demande au public le prochain titre qu’il veut entendre, l’apparition du cavalier mécanique de « Painkiller » s’accompagne d’une ovation qui traduit le soutien dont le groupe continue de bénéficier, même s’il est curieux de voir les guitaristes actuels s’escrimer en live sur le morceau tandis que les images des figures tutélaires KK Downing et Glenn Tipton inondent l’écran en mode ghosts. (L.C.)

Si quelqu’un a déjà vu un mauvais concert de Napalm Death, qu’il nous raconte ! Leur énième participation au Hellfest ne fait pas exception à la règle. Toujours pas de Mitch Harris à la guitare, mais on s’est fait une raison depuis un moment et on s’habitue à l’intérimaire John Cooke qui a définitivement pris ses marques. Groupe de metal extrême le plus punk et sympathique de la planète, Napalm slalome entre extraits d’Apex Predator, passages obligés (« Suffer the Children », what else ?) et même, une reprise d’Anti-Cimex (yeah !). Le son est cracra mais ça dépote comme un Boeing au décollage. De toute façon et comme toujours, les Anglais donnent tout, et nous, on reçoit avec le sourire. (B.R.)

C’est plus fort que lui : festival ou pas, ce bon vieux Barney Greenway ne peut s’empêcher de prêcher, de vouloir (r)éveiller les consciences coûte que coûte et ainsi rappeler au grindeur forcené comme au mongolien déguisé en taco géant, qu’au-delà d’un festival fun et bon-enfant, le monde reste quand même un sacré plat de merde. Alors, va pour une symphonie au napalm en brut(e) majeur ! La doublette tirée du séminal Scum (« Multinational Corporation »/« Instinct of Survival ») lance une setlist en forme de raid aérien qui va puiser un peu partout dans l’arsenal de Napalm Death : « On the Brink of Extinction », « Smash a Single Digit », « The Wolf I Feed », « Practice What You Preach » et même « Self Betrayal », tiré de l’EP Greed Killing … Du classique (« Suffer the Children », « Breed to Breathe », « Scum »), de la reprise (« Victims of a Bomb Raid » d’Anti-Cimex, l’indéboulonnable « Nazi Punks Fuck Off » de Dead Kennedys), quelques extraits de la dernière compilation en date Coded Smears… (« Call That an Option? »), les quatre de Birmingham brûlent tout sur leur passage avec cette saine brutalité que confèrent révolte et conviction. Avant de tirer leur révérence sur un « Inside the Torn Apart » aussi inespéré que magistral ! (S.L.)

A Perfect Circle (c) Ronan Thenadey

On n’attendait rien, mais alors strictement rien du concert d’A Perfect Circle, suite à un dernier album assez décevant (il s’est écoulé par palettes entières, vous êtes donc peut-être nombreux à ne pas partager cet avis…), mais aussi parce que mis à part son premier, le chef-d’œuvre Mer de Noms, on réécoute rarement le reste de sa discographie. Pourtant, grosse giffle : un son incroyable, limpide et puissant, un Maynard James Keenan en retrait visuellement, comme toujours, mais qui met à l’amende tous les chanteurs entendus ce jour, un bassiste des plus charismatiques (Matt McJunkins, ex-Eagles Of Death Metal, membre de Puscifer et Ashes Divide), et des nouveaux morceaux que l’on se surprend à apprécier dans ce contexte live (sauf « So Long, and Thanks for the Fish », faut pas déconner non plus…) malgré leurs arrangements pompeux. Quelques vieux classiques sont évidemment de la partie (« The Hollow », « Rose », « Thomas ») histoire de renforcer le set en guitare lourde, ainsi qu’une reprise du « Dog Eat Dog » d’AC/DC. Là aussi, un membre est absent, le guitariste James Iha, occupé par la tournée de reformation des Smashing Pumpkins. Pas sûr néanmoins que sa présence ait changé quoi que ce soit à ce perfect concert (même si on aurait aimé entendre « Judith »). (O.D.)

Whitfield Crane (c) Ronan Thenadey

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