Report : Freakshow festival 2017

Par Laurent Catala

Quand les freaks font le show, sur scène et dans le public, que le rock se fait bruyant, distordu, bizarre et aussi sec que la poussière d’un site brûlé par le soleil au pied du Vercors, aucun doute ne peut être permis, vous êtes bien au Freakshow, au milieu d’une neuvième édition qui sentait le soufre.

Back to the Freakshow village again. À la différence du personnage de la série Le Prisonnier, dont l’imparable retour au Village prend des allures d’hyperbole carcérale récurrente, revenir chaque année dans le cadre champêtre et rock’n’roll de Gigors dans le sud du Vercors pour le traditionnel festival Freakshow s’apparente à une pénitence plutôt jouissive et électrisante. Un sentiment de liberté retrouvé donc, qu’incarnaient cette année les milliers de papillons de nuit qui s’étaient exceptionnellement donnés rendez-vous pour essaimer sur le site et qui ajoutait au tableau conventionnel, avec ses trois chapiteaux de cirque fou et son arbre de sabres lasers en épicentre, la ligne frénétique d’une ruche bouillonnante.

Un équilibre choisi, entre implantation roots et impertinence musicale, que résumait bien l’affiche de la première soirée avec sa mosaïque de styles représentés. Hardcore/crossover avec les Américains d’Article 15, free/noise psyché avec Noyades, Stoner/doom/grunge avec Part Chimp et hardcore’n’roll avec leurs compatriotes anglais de Bad Breeding, post-punk avec les Islandais de Fufanu, post-speed-metal avec les Chicagoans d’Oozing Wound, heavy synth wave from la Grande Triple Alliance de l’Est avec Spectraal et noise-rock avec Hallelujah ! Seul manquait en fait au programme – une hérésie presque en ces terres autrefois fréquentées par The Oh Sees et autres Ty Segall – un groupe bien garage, la faute en revenant à la défection de Yonatan Gat, guitariste new yorkais resté malheureusement bloqué sur le tarmac de l’aéroport de JFK et dont on se rappelle encore de la performance édifiante (jouant enroulé dans un tapis) avec ses complices Israéliens de Monotonix au cours d’une après-midi de Villette Sonique il y a quelques années.

 

Le speed-métal désaxé d’Oozing Wound

Oranssi Pazuzu (c) Kevin Pailler

Dans cette furie symptomatique de l’esprit frondeur de la team de Gigors Electric (l’association derrière la manifestation), ce sont les protégés de Thrill Jockey d’Oozing Wound qui ont fait la plus forte impression, avec leur speed-metal vintage revisité en mode noise, avec un bassiste sans cesse sur la corde raide et un batteur passant en permanence de la démultiplié au martellement plus tribal. Très bonne surprise nordique également avec les jeunots islandais de Fufanu dont on craignait la ligne plus pop. Celle-ci fut alertement battu en brèche par un style fielleusement hypnotique et dansant, version magnétique et modernisé d’un Gang of Four aux intonations funk parasitées, sinueusement synthétique et porté par un chanteur particulièrement en verve. Excellentes prestations également, en mode rentre-dedans des punk-métalleux communautaires du Nouveau-Mexique d’Article 15 – dont on pouvait suivre les pérégrinations nomades dans l’un des docus Music on The Road diffusé dans le ciné-truck du  festival – et en mode plus virevoltant de la part du trio magique lyonnais Noyades dont on ne cesse d’apprécier la posture free et enjouée tendance « Go Fast » psychédélique. Mention spéciale enfin au punk-rock vitriolesque de Bad Breeding, dont on a pu apprécier le son grêle et hors-champ du guitariste (un peu à la manière de Fuzz dans feu-Silverfish), le style curieusement américain par moments (très Truman’s Water en fait), et dont le chanteur possédé – d’ailleurs souvent au bord de la rupture vocale – a choisi de passer la fin du concert au beau milieu du public, laissant même en épilogue groupe et micro (immédiatement happé par quelques spectateurs forcenés) vivre leur vie pour se transformer en spectateur attentif avant de regagner les loges par la petite porte. So british.

Le lendemain, rebelote et nouvelle chasse aux papillons électriques. Dans nos filets cette fois encore du post-punk britannique passé à la moulinette hardcore US avec Total Victory et surtout Death Pedals, dont le mélange furax laissait augurer d’un métissage transatlantique entre Future Of The Left et les flétrissures soniques de Mudhoney, The Stooges ou Drive Like Jehu (leur set se termina d’ailleurs fort justement par une reprise salace du « Braintrust » du combo post-hardcore californien Hot Snakes). En noise, les locaux du Chemin de la Honte – groupe dans lequel sévit notamment seigneur Totome, bassiste, boss du festival et landlord du coin qu’on ne lynchera pas pour le coup – ont fait fière impression avec leur rock reptilien mécanique et répétitif, quelque part entre Shellac et Tuxedomoon, louvoyant toutes basses en avant (elles sont deux, plus une guitare) dans des schémas mélodiques curieusement instillées par le timbre de voix presque hululant de la bassiste (évidemment)-chanteuse… « Les Joies du Métier », comme le fredonne d’ailleurs le groupe avec à-propos. En metal, Oranssi Pazuzu faisait figure de super-tête d’affiche. Un rôle que les Finlandais ont rempli avec professionnalisme, leur ingénieur du son retardant de plusieurs minutes le début du concert pour obtenir le son idoine de chaque instrument. Une attente qui en valait la peine, puisque celui-ci a rarement semblé aussi clair et bien mis en valeur – surtout les claviers et ses effets crypto-psychédéliques confondants, véritable marque de fabrique du groupe – sertissant le free-black-metal hyper singulier du combo d’une teinte cérémonielle forcément curieuse dans le cadre plutôt baba-punk-cool de la Vallée de Gigors.

 

Cocaine Piss (Off)

Cocaine Piss (c) Kevin Pailler

Parmi les spécificités de cette seconde soirée, on pouvait noter une tendance électro-rock plus marquée avec un chapelet de projets variables, alternant le péchu efficace mais sans surprise (10 000), le drôle et performatif (les boxeurs héritiers de Jean-Louis Costes de X/Or, ou le duo Moulinexx dont la cage entourée de cellophane n’aura pas résisté longtemps aux coups de canifs des punk à chiens perchés de l’assistance, avant d’être mis à mal par un public ravi de faire tanguer le duo sur sa base) et le véritablement éruptif, avec le duo machines/batterie Big Lad – anciennement Shitwife – composé du bassiste de Death Pedals Wayne Adams (aka Ladyscraper) et du batteur Henri Grimes (de Shield Your Eyes), trublion breakcore dont les frappes live semblaient tout droit sortir d’un set croisé de Lightning Bolt et de Venetian Snares. Un final chaotique en mode gabber/hardcore Aphex Twinien plutôt réussi, mais qui ne fera pas oublier le véritable coup de cœur de la soirée, à savoir les Liégeois de Cocaine Piss, dont le noisecore scandé façon Melt Banana a été adoubé par Mister Albini himself sur leur récent album The Dancer. Dommage que leur performance ait été écourtée après un passage visiblement peu appréciée par la chanteuse Aurélie Poppins au milieu du public pogotant. Celle-ci à peine remontée sur scène, termina le morceau par quelques « fuck off ! fuck you ! » peu amènes avant de balancer le micro au sol et de regagner les coulisses suivie par son trio de chevelus. Un choix peu conciliant et d’ailleurs mal perçu par un public qui n’avait sans doute pour le coup pas volé l’appellation « freaks » qui conditionne la labellisation du festival. Allez, pas grave, on reviendra l’année prochaine papillonner dans ce marché à bestiaux rock sans nul autre pareil pour une dixième édition qui pourrait d’ailleurs bien être la dernière. Heu ? Fuck off, quoi !

Moulinexx (c) Samantha