Report : Festival Nox Orae 2017


Par Arnaud Lemoine

NOX ORAE
8ème édition – Vevey 25 & 26 août 2017

Retour sur la 8e édition d’un petit festival suisse qui n’a rien à envier aux plus grands !

Sur son avant-dernier album studio 20Ten paru en 2010, Prince composait « Lavaux », chanson funky rétro fleurant bon les débuts du Kid de Minneapolis. N’ayant jamais pris le temps d’en écouter les textes avec attention, j’ai longtemps pensé qu’il devait s’agir du nom d’une conquête, au hasard l’ex-pornstar Shayla LaVeaux. Au moment de nous rendre à La-Tour-de-Peilz, site du Nox Orae attenant la commune de Vevey, j’ai donc compris qu’il s’agissait en fait d’une déclaration d’amour du Nain Pourpre à la région veveysanne et plus particulièrement aux vignobles de Lavaux. Étant complètement à la ramasse en culture viticole, je n’aurais vraisemblablement pas su faire ce parallèle par moi-même. On a les références que l’on mérite, je suppose !
Passons sur la notoriété du breuvage, mais concédons à Prince que la vue même des coteaux surplombant un Léman couleur émeraude est juste à couper le souffle ! Depuis Lausanne quand on gagne la région de la Riviera vaudoise, nom clinquant mais résumant bien l’endroit, on est saisi par la beauté des alentours et la tranquillité du cadre. Si l’Américain était aussi familier de l’endroit, c’est aussi par sa proximité avec Montreux (une dizaine de kilomètres) et son fameux festival jazz mais pas que : du « Smoke on the Water » de Deep Purple (relatant l’incendie du casino de la ville) à la statue de Freddie Mercury (résident fameux jusqu’à sa mort), les souvenirs du rock hantent l’événement. Mais dans l’équation Suisse+Riviera+Montreux, impossible de ne pas évoquer l’aspect pécuniaire, car il faut dire que pour nous pauvres Européens, le coin reste cher et la mentalité huppée peut parfois s’avérer un poil méprisante.

Vignobles de Lavaux et Léman
crédit – Ronny Perraudin

Mais tant mieux car nous n’allons pas à Montreux ! Et le Nox Orae se révèle être un festival accueillant et à taille humaine (même si sa jauge est passé de 1200 à 1500 cette année) : pensez-vous, une scène unique au milieu d’un petit parc – privatisé pour l’occasion – situé sur la rive du Lac, et surtout un programme de choix avec deux têtes d’affiche qu’aucun festoche français de cette taille ne pourrait s’offrir : Slowdive le vendredi et The Jesus And Mary Chain le samedi !

Autour du jardin Roussy, festivaliers comme badauds profitent du beau temps, certains n’hésitant pas à piquer une tête dans les eaux du Léman.

Le Léman
crédit – Arnaud Lemoine

On croisera d’ailleurs une partie de Slowdive de retour d’une balade/baignade en bateau (chaque groupe invité a droit à sa petite croisière sur le Lac) et Simon Scott (batteur) nous confiera plus tard dans la soirée avoir posté sur son Insta des photos depuis l’eau prises sans aucun filtre afin d’en partager les teintes incroyables, et de reconnaître que de telles conditions sur un festival sont rares et précieuses pour les groupes qui passent leur temps sur la route. Et puis la proximité entre artistes et public est ici bluffante, surtout quand on voit sur certains autres évènements la débauche sécuritaire (parfois à peine efficace, n’intervenant même pas pour faire le « ménage » dans le crash-pit pour récupérer les slammeurs). D’ailleurs Matthias de Nox Orae nous confiera que l’orga compte beaucoup sur le fait que même si Roussy reste clos de palissades opaques, libre à tout un chacun de rester sur la rive, debout sur un des nombreux bancs pour assister aux prestations gratuitement. Ce qui compte c’est que tout le monde passe un bon moment. Et vers 19h30 c’est à Service Fun que revient la lourde tâche d’ouvrir le bal, un rôle ingrat puisque bien souvent le festivalier lambda zappe, trop occupé à récupérer ses bracelets ou à explorer les foodtrucks. Par chance notre curiosité était ce soir là bien plus grande que notre faim, et c’est donc devant la scène qu’on a pu assister à la performance des locaux de l’étape.

La scène du Nox Orae
crédit – Arnaud Lemoine

SERVICE FUN (Vevey/Zürich CH)

C’est en chemises aux couleurs bariolées que le quatuor lance les hostilités : en ligne de gauche à droite, batterie, guitare, basse et clavier. Le premier morceau plonge dans un psychédélisme lo-fi que n’auraient pas jadis renié certains pensionnaires de l’écurie Not Not Fun, (on pense à Magic Lantern par exemple) avec de longues envolées instrumentales auxquelles le clavier apporte une couleur singulière. Dès l’entame on constate que nos quatre lascars savent jouer ! On apprendra plus tard que d’une ils ont pas mal bourlingué sur la scène locale, chacun dans des projets différents, mais surtout que Service Fun a été monté par Marc Méan, pianiste suisse jazz de renom, qui a délaissé les salles de concerts pour un accoutrement moins conventionnel.

Marc Méan/Service Fun
crédit – Arnaud Lemoine

Au fil des compos, plus ou moins alambiquées, on cerne un peu mieux les envies du groupe, passant allègrement d’une pop catchy multicolore (« Harissa ») qui rappelle les instants les plus extravertis des Foals, à des titres moins clinquants mais tout aussi frappants, là où certaines inflexions rythmiques apportent une couleur jazzy qu’on retrouvait autrefois chez Do Make Say Think ou Fly Pan Am, habitués du label Constellation. Le groupe n’a pas (encore) d’album, mais gageons que la performance et l‘accueil du public devraient accélérer les choses de ce côté-là. Ouvrir le festival sur une bonne surprise : quoi de mieux ?

http://servicefun.ch/

Comme nous avions convenu d’échanger quelques mots avec Slowdive, après en avoir croisé le chemin au mois d’avril pour une interview en amont de son album éponyme-événement (cf New Noise #39), l’arrivée de Foxygen se sera faite sans nous. Néanmoins, pendant que Rachel puis Neil et Simon expliquaient comment se déroule leur tournée des festivals, on avait de suite pu se rendre compte de la différence de niveau sonore sur scène par rapport à Service Fun : Foxygen joue avec des cuivres, et joue FORT.

FOXYGEN (Los Angeles, US)

À l’instar des deux frangins des Lemon Twigs, Foxygen semble tout droit sorti d’une autre époque. Sur leur dernier album Hang, Sam France et Jonathan Rado ont poussé un peu plus en avant leur rétro-exploration d’une pop seventies biberonnée à la soul et saupoudrée de paillettes glam. Si on peut légitimement questionner l’intérêt aujourd’hui de repomper ce que beaucoup de gens (comprendre « Baby-Boomers ») considèrent comme l’Age d’or, ayant donné naissance à des œuvres parfaites et intouchables, on peut aussi concéder à ces jeunes gens (qui n’ont jamais vécu une seule minute de cette période sinon sur YouTube) une certaine application et honnêteté. Et à voir France (lunettes noires, chapeau et costume blanc) ce soir sur la scène du Roussy singer Jagger, on ajouterait même une certaine dévotion.

Foxygen
crédit – Nicolas Cuany

Mais là où Hang constitue finalement une parenthèse sympathique, tirant profit de sa courte durée (à peine une demi-heure), la prestation du soir va se révéler particulièrement usante pour les moins accrocs. Sur la précédente tournée, Sam avait choisi trois choristes pour l‘accompagner et habiller son show. Si la session KEXP encore visible ici (https://youtu.be/PmcnRHFd94E) est largement gâchée par les voix des demoiselles, complètement à côté de la plaque, ça n’aura pas empêché Foxygen de reproduire l’essai, cette fois en version réduite. Mais avec un chanteur qui en fait des tonnes à ses côtés, la pauvre demoiselle a beau minauder, elle passe la plupart du temps pour un simple objet de décoration, accessoire de la panoplie de mode de la star au micro.

Foxygen
crédit – Nicolas Cuany

Tout le contraire du trio cuivre en arrière plan, qui lui s’en donne à cœur joie, sans pour autant ramener la couverture à lui. Techniquement les zicos sont vraiment en place, mais au bout d’une heure et demie, on ne leur prête même plus attention, trop focalisé sur les gesticulations de Sam France et ses tics vocaux ultra-référencés. Et puis certains titres de Hang (« Avalon » ou « America ») prennent une coloration presque trop criarde, les arrangements exacerbés lorgnant quasiment sur la tradition américaine des musicals : de quoi faire grincer quelques dents parmi l’assemblée. Au final, on a un peu l’impression d’être invité à une soirée déguisée pour gosses en mal de sensation rock’n roll « vintage ». Et si le public a l’air plutôt réceptif, le décalage avec le reste de l’affiche ce soir laisse cette curieuse impression de « surabondance », de « feel good pop » un peu artificielle et calibrée. Dommage.

http://www.foxygentheband.com

On avait laissé Slowdive backstage en train de se préparer, et malgré l’excursion lacustre de l’après-midi, les traits étaient tirés. Il faut dire que son comeback pousse le groupe à honorer un maximum d’invitations à jouer de par le monde. Pour preuve, Rachel au maquillage confiait être sur les rotules, à peine revenue d’Asie dix jours auparavant et enchainant une nouvelle mini-tournée européenne. C’est donc un poil anxieux qu’on abordait le retour de la légende shoegaze en terre helvète tandis qu’un beau feu d’artifice illuminait le ciel veveysan.

SLOWDIVE (Reading, GB)

Mais l’inquiétude ne sera que passagère, car même si l’entame du concert sur un « Slowmo » (la nouveauté par rapport aux shows d’avril dernier) des plus prenants laisse tout de même filtrer quelques crispations dans le jeu de Goswell, à partir de « Crazy for You », la chanteuse semble enfin détendue et profiter de l’instant, distribuant les sourires au public une fois les photographes du pit repartis.

Rachel Goswell
crédit – Arnaud Lemoine

En t-shirt Spacemen 3, Neil Halstead à droite de la scène paraît lui très concentré, mais à l’instar de Christian Savill à gauche, il s’autorise de fréquents moments de jubilation, dos au public et face à son ampli pour laisser monter les feedbacks détonnants comme sur le final de « Souvlaki Space Station ». De plus en plus à l’aise en live – lui qui était resté près de 20 ans sans toucher une basse – Nick Chaplin tape des poses Gallup-esques et continue d’habiter les compos du groupe (« Sugar for the Pill » lui doit toujours autant) avec classe. Surtout, il s’applique à aider Simon Scott à rester dans les clous, le batteur étant ce soir un poil en difficulté, victime de quelques petits passages à vide où le tempo perd un peu de sa constance, ce que Chaplin s’empresse de relancer sans sourciller.

Nick Chaplin
crédit – Nicolas Cuany

Il est toujours aussi délicieux d’observer les regards du public fixés vers la scène, ce mélange de félicité, d’abandon et de surprise devant la puissance que dégage par moments Slowdive, capable d’alterner douceur et furie sans pour autant se révéler agressif. D’ailleurs, même Rachel profite ce soir de certains passages à la guitare pour pousser les décibels et se noyer dans le son (le final de « Catch the Breeze » par exemple, moment tellement cliché, mais tellement beau du shoegazer-type : Goswell s’acharnant sur sa Gretsch, les yeux vers le sol !)

Le groupe enchaine les perles, récentes (« Star Roving ») comme plus anciennes (« Avalyn »), mettant aussi à l’honneur les harmonies vocales partagées par Rachel et Neil (« Machine Gun » en apesanteur). Et si le final ne réserve guère de surprise, l’Anglaise a dorénavant pris l’habitude de quitter la scène sur « Golden Hair » dès la fin de sa partie vocale, abandonnant ses acolytes à leur lente montée atmosphérique toujours aussi émouvante. On l’aperçoit d’ailleurs sur le côté de la scène en train de filmer la performance. Encore une fois, Slowdive confirme qu’il est de retour et en pleine forme, et que surtout il n’a pas vraiment envie de s’arrêter là. Car même la fatigue ne semble pas gâcher l’intense bonheur qui se lit sur les visages de ses musiciens au moment de saluer.

http://www.slowdiveofficial.com

Alors que la setlist prévoyait un « 40 Days » en rappel, le groupe ne reviendra pas, vraisemblablement pour des questions d’horaires. Mais c’est dans ce brouillard irréel de décibels et de fumigènes que le public tentera de reprendre pied avec la réalité. Pas pour longtemps cependant !

MOON DUO (Portland, US)

Car de brouillard il sera question encore une fois avec Moon Duo, les Américains ayant choisi d’avoir intensément recours à la machine à fumée qui, mêlée aux spots rouges (pour le plus lumineux), crée un épais rideau de scène artificiel pour habiller toute leur performance, laissant parfois leurs seules silhouettes se détacher.

Moon Duo dans la brume du Nox Orae
crédit – DR Nox Orae

Enveloppé dans cette étrange lueur, le couple Ripley Johnson (Wooden Shjips) et Sanae Yamada, accompagné de John Jeffrey à la batterie, délivre un set puissant et particulièrement agressif. Si Foxygen avait joué très fort, que dire de Moon Duo ! Mais avec la musique de ces vétérans de la scène psyché de Portland, on peut tout à fait comprendre comment le volume est un élément clé de la perception de leur prestation. Jeffrey maintient une cadence motorik sur la plupart des titres, et la guitare de Johnson semble couper le brouillard en tranches acérées, d’une façon bien plus appuyée que sur disques. Parfois à peine visible derrière ses claviers Yamada se substitue impeccablement à toute ligne de basse : ses parties sont véritablement celles qui orientent un morceau, lui procurent sa couleur. On pense dans ces instants les plus hypnotiques à un Suicide avec un penchant mélodique plus affirmé.

Moon Duo ombres et lumières
crédit – DR Nox Orae

À un moment, depuis l’arrière de la scène où une partie de Slowdive profite de cette cure de décibels, on verra la police du canton débarquer et aller vérifier quelques indices du côté de la console : à croire que Moon Duo faisait un peut trop de bruit pour la petite bourgade vaudoise ? Impeccable d’efficacité les trois Américains enchainent les titres d’un trait, piochant principalement dans leur récent Occult Architecture vol.1 , assurant les transitions en faisant appel à quelques samples ou simplement en laissant sonner les larsens et les agrégats de synthé. « Creepin’ », « The Death Set » ou « Cold Fear » prennent en live une autre dimension qui, ajoutée au visuel de la prestation, force au respect. Et lorsqu’ils quittent définitivement la scène du Roussy, les spectateurs commencent à regagner la sortie lentement, comme encore groggy de saturations. Moon Duo, victoire par K.O.

http://moonduo.org/

Pendant ce temps, le festival continue à diffuser du son, ce jusqu’à 4 heures du matin, permettant ainsi aux moins fatigués – ou à ceux désirant prolonger la fête – de rester sur place. Une bonne manière aussi d’éviter un embouteillage sur le quai, chacun quittant les lieux à son propre rythme. Vers 2h30, alors qu’on regagne à pied le centre-ville, le calme de Vevey ce vendredi soir en est assourdissant ! Tout juste si on ose parler sans chuchoter : qui pourrait se douter qu’à quelques centaines de mètres de là, la soirée vient de déverser tout son beau vacarme sous les applaudissements nourris ?

Le problème des festivals, c’est qu’ils imposent une cadence difficilement compatible avec les activités touristiques ! En se couchant à 4h pour émerger à 9h histoire de prendre le petit-dej sympa de l’hôtel, on est bien obligé de siester un peu pour reprendre des forces pour la soirée à venir ! Bien dommage quand on sait qu’on est à quelques minutes du musée Chaplin, ou à moins de 40 bornes de Gruyères et son musée H.R.Geiger. Mais faisons contre fortune bon cœur : lorsqu’on aborde cette seconde journée avec Nox Orae, le soleil est toujours au rendez-vous et la billetterie affiche complet. Ty Segall étant à l’affiche, et faisant partie des chouchous du public (déjà venu l’écouter précédemment ici-même avec son projet Fuzz), gageons qu’il en est pour partie responsable. Mais ne sous-estimons pas le grand retour des Jesus And Mary Chain qui n’ont pas mis les pieds en Suisse depuis vraisemblablement la tournée Stoned & Dethroned en 92 !

THE CATS NEVER SLEEP (Genève, CH)

Comme la veille avec Service Fun, Nox Orae laisse à un groupe local la chance d’ouvrir pour la soirée. Les Genevois de The Cats Never Sleep montent donc sur scène vers 19h00, alors que la lumière diminue à peine et que le site est encore loin d’accueillir tout son public. Le premier morceau laisse augurer d’un curieux mélange, entre revival 90s, psychédélisme 70s et soupçons funky incarnés par des guitares wah qui s’incrustent régulièrement au second plan. Mais dès « Parasol », issu d’un premier long format, Massage, sorti en début d’année, c’est surtout la présence scénique d’Alex Merlin qui attire tous les regards. Car si ses collègues en arrière plan paraissent appliqués sur leur instrument respectif, le jeune homme éclipse immanquablement chacun d’eux, arpentant la scène de long en large, venant taper la pose près de la fosse, se roulant sur le retour de son batteur, la chemise grande ouverte sur son torse nu. On ne peut s’empêcher de repenser aux propos de Hiro Yamamoto, bassiste originel de Soundgarden, dans le livre Everybody Loves Our Town: An Oral History of Grunge de Mark Yarm, lorsqu’il avouait se sentir un poil mal à l’aise avec le jeu de scène de Chris Cornell qui finissait torse poil à chaque concert du groupe.

The Cats Never Sleep
crédit – Arnaud Lemoine

Il y a chez le Suisse quelque chose de charismatique qui peut vite être entaché par un « excès d’implication ». Pour rester dans le rock 90s US, on pourrait penser à Blind Melon et à la présence solaire mais parfois « encombrante » d’un Shannon Hoon, tant on sent le chanteur capable de fulgurances vocales, mais trop prompt à prendre la lumière pour ne plus savoir vraiment qu’en faire. L’intéressé, fan de Jack White, confesse innocemment que c’est sa manière de vivre la musique et qu’il n’en a même pas conscience. «Il y a des gens qui aiment, et d’autres qui viennent à la fin dirent aux musiciens que le chanteur devrait arrêter les drogues. Alors que je suis toujours sobre ! Et quand ils l’apprennent, ils décident que je joue un rôle, et ils n’accrochent pas. Je le fais pourtant naturellement » déclarait-il à un zine local.

The Cats Never Sleep
crédit – Nicolas Cuany

D’ailleurs dans « Hummus » il réaffirme sa procession de foi straight-edge (« je ne m’envoie pas de came, mais plutôt du houmous »), histoire d’appuyer le fait que tout ce qui se vit sur scène est 100 % authentique et nullement « sous influence ». Malheureusement dans ce contexte de festival, où l’attention peut vite être captée par d’autres éléments que ceux sur scène (de surcroît en plein jour), il faut reconnaître que la prestation des Cats aura peut-être eu moins un impact musical que visuel, les chansons plutôt bien ficelées de Massage (le très estival « Wide Open » ou « Whales in the Clouds » qu’on pourrait rapprocher de l’univers coloré et décalé d’un Connan Mockasin), laissant ici une impression décousue reposant bien trop sur le minaudage de son chanteur.

Quand on sait que le disque joue justement sur cet aspect très hétéroclite, recyclant les influences krautrock, psyché US, garage ou pop, il est dommage de constater que la prestation live ne parvienne pas vraiment à retranscrire un univers qu’on estime pourtant très personnel. Un groupe à revoir vraisemblablement dans les conditions de salle, et en misant sur le fait que le jeu de Merlin, une fois la surprise passée, puisse se muer en un véritable avantage.

En interview, la bande des Cats Never Sleep avoue aussi une fascination pour Ty Segall et sa troupe. D’ailleurs, avant de quitter la scène Alex avouera au micro être honoré d’ouvrir pour l’Américain, et on le verra depuis le fond de la scène déguster chaque instant de la prestation, avec les yeux du fan.

TY SEGALL (San Francisco, US)

De mon côté, je dois avouer avoir le plus grand mal à suivre le rythme des sorties du sieur Segall, tant il est productif non seulement sous son nom, mais aussi avec ses divers side-projects tout aussi turbulents. En amont du festival, un site suisse avait osé la comparaison avec un autre natif de Palo Alto, l’acteur-réalisateur James Franco, qui a bien du mal à tenir en place et confie toujours bosser sur plusieurs projets en même temps. Il y a certainement de ça chez Segall, mais comme chez Franco, il est possible que cette caractéristique finisse par user.

Ty Segall
crédit – Mehdi Benkler

Mais à voir la foule nombreuse s’amasser devant la scène, il faut croire que cette hyper-activité ne gêne pas tout le monde, bien au contraire. En attendant les Américains installent eux-mêmes leur matos, et prennent rapidement possession de la scène pour un show XXL (une bonne quinzaine de titres et quelques bonus en rappel).

En ouvrant avec « Break a Guitar », titre introductif de son album éponyme, le blondinet et sa bande, tout de rouge vêtue (sauf un guitariste en costume plus sombre), annoncent clairement la couleur d’un set placé sous le signe du riff vrombissant. Avec un furieux clin d’œil à Black Sabbath, le morceau a de quoi faire headbanger. Si sur disque, l’Américain produit un rock garage plutôt bien ficelé mais sans grande originalité non plus, on m’avait promis monts et merveilles concernant ses prestations scéniques. Le problème c’est qu’au bout de deux titres, on a l’impression d’en avoir déjà fait le tour ! Surtout, le show, au delà d’afficher une grande maitrise technique, ne dégage que très peu d’émotion. Si certaines zones de la fosse pogottent à l’envi, Segall, concentré sur sa Travis Bean, semble utiliser une palette monochrome pour faire parler sa musique.

Ty Segall
crédit – Nicolas Cuany

Et le problème est là, sur scène comme sur disque, Ty Segall n’est pas le champion de la nuance, si bien qu’à force d’enfiler les riffs – évoquant tantôt Sabbath donc, tantôt Hawkwind, avec la touche glam d’un T-Rex parfois- on a le désagréable sentiment d’avoir affaire à un produit consommable dans l’urgence, quelque chose qui voudrait rappeler le stupre d’antan (mais tout le monde n’est pas Led Zepp, même si le Californien s’amusera ce soir là à singer « Stairway to Heaven » entre deux titres pour faire « marrer » la galerie) mais qui ne trompe peut-être qu’une génération en mal de héros, saturée de groupes à streamer.

Et la comparaison avec James Franco n’est peut-être pas si usurpée : après tout l’acteur se prend régulièrement pour un grand réalisateur, en tentant d’adapter des classiques ou des romans phares réputés impossibles à passer à l’écran (Méridien de sang de Cormac McCarthy par exemple) sans comprendre que sa propre posture le place au devant de la scène plutôt qu’au service de l’œuvre. Le tout avec un aplomb déconcertant. De la prestation de ce soir, et renforcé par une foule totalement dévouée (avec le lourdingue de rigueur qui crowd-surfe avant de venir faire le beau sur scène), il ne ressort rien de plus qu’une grosse dose de testostérone dénuée de sensibilité. Et un concert qui dure, qui dure, et dont on cherche désespérément à comprendre ce qu’on manque. Pour avoir enquillé une bonne partie de la disco du gars depuis, je pense que je vais arrêter de me poser des questions : Ty Segall, c’est pas pour moi !

http://www.ty-segall.com

Une fois les aficionados du Californien partis se restaurer, c’est un public un brin plus âgé qui prend le relai devant la scène pour guetter l’arrivée de The Jesus and Mary Chain dont on commence à installer le matériel.
Dans les premiers rangs, les fans historiques des Écossais ont du mal à cacher leur enthousiasme. Certains son tellement excités, enquillant clopes-bières et produits « relaxants » qu’ils en deviennent drôles jusque dans leurs lapsus. Avec l’accent suisse « Ah juste trois accords majeurs bien bruyants et j’vais de suite être à fond, et quand ils vont faire ‘Just Like Heaven’, j’vais ptet verser ma larme ». « Just Like Heaven » donc… Entre le miel et le paradis remarque… Bref ambiance détendue en surface, mais beaucoup semblent avoir la boule au ventre de peur d’être déçus. Une fois le décorum installé (amplis avec logos du groupe, rangée de spots en fond de scène qui dessinent un J+MC), l’arrivée de ce qui fut en son temps le groupe le plus bruyant et dangereux du Royaume-Uni (les échauffourées mémorables pendant son concert de l’Institut des Arts Contemporains de Londres fin 84) pouvait enfin avoir lieu.

La scène des Jesus and Mary Chain
crédit – Arnaud Lemoine

THE JESUS AND MARY CHAIN (Glasgow, GB)

De retour avec Damage and Joy après 19 ans d’absence, les frères Reid – qui n’ont pas l’air d’avoir vraiment enterré la hache de guerre, tant le manque de communication entre les deux se fait cruellement sentir, sont davantage concernés par donner un show à la hauteur des attentes, que de jouer la provoc d’antan. Ouverture sur « Amputation », premier titre de leur nouvel album, les Jesus and Mary Chain prouvent qu’ils sont bel et bien de retour et qu’ils assument : le concert du soir fera la part belle autant à ce dernier opus qu’aux disques historiques. D’ailleurs Jim Reid, en pleine forme, enchaine avec « April Skies » issu de Darklands pour le plus grand bonheur des fans qui étaient loin de s’attendre à un traitement de faveur de plus de 20 chansons !

Jim Reid
crédit – Nicolas Cuany

Les classiques « Some Candy Talking », « You Trip Me Up » ou « Head On » sont bien sûr de la partie. Seul bémol les deux interventions de Bernadette Denning qui eut bien du mal à chanter juste sur « Always Sad » (qu’elle interprète pourtant sur l’album Damage & Joy) et sur le légendaire « Just Like Honey ». Problème de retour ?

William Reid
crédit – Nicolas Cuany

Certains reprocheront au groupe de faire le minimum syndical sur scène. Certes, William semble n’en avoir rien à foutre d’être là, et ne regarde pas son frangin, mais Jim se montre plutôt heureux d’être là, remerciant souvent en français et se défend plutôt bien vocalement parlant. En revanche, si les Mary Chain restent fidèles à leur réputation en termes de décibels, on aurait pu s’attendre à un son un peu plus touffu et bourdonnant. Il n’en fut rien. Mais ces réserves restent infimes puisque le set fut vraiment à la hauteur des attentes, notamment avec une version très rentre-dedans et – presque indus par moments – de « Reverence » (qui ouvrait Honey’s Dead en 92) et un savoureux enchainement « The Living End » et « Taste of Cindy », références échappées du mythique Psychocandy.

http://thejesusandmarychain.uk.com/

C’est avec « I Hate Rock’n Roll » en tête que beaucoup quitteront le site après que les frères Reid ont éteint les amplis et redescendu la rampe de spots J+MC. Dommage, car l’ultime concert du festival allait réserver son lot de surprises et d’émotions !

FAIRE (Paris, FR)

Avant d’arriver à Vevey, de Faire on ne savait pas grand chose, voire rien du tout. Quand on a vu débarquer les trois lascars sur scène alors que le site se vidait (à croire que le gros du programme était déjà derrière nous), on s’est dit qu’on verrait bien… Et on a vu. Plus que ce qu’on imaginait même puisque le trio parisien a une petite tendance exhib qu’il aime faire partager sur scène (faites un tour sur leur insta… et puis après tout quand on se réclame de a « gaule wave »…

Faire
crédit – Nicolas Cuany

Débarqué d’une autre prestation donnée plus tôt dans la journée, Faire a donc dû balancer devant la petite foule massée dans la fosse et bien décidée à prolonger la fête avec ces drôles d’oiseaux. Le côté très communicatif des musiciens pendant l’exercice, laissait redouter un show un poil trop dans l’emphase, dans l’interaction incessante avec un public, comme pour vérifier que tout le monde s’amuse bien. Mais une fois le concert vraiment lancé (moment assez flou à vrai dire puisque les trois n’ont pas cherché à quitter la scène pour « officialiser » le début des hostilités), les réserves furent bien vite balayées.

« Christiane » un délire trans-techno sur un Christian-Christiane qui a décidé de dépasser la notion de genre a définitivement installé l’univers du groupe sur la scène du Roussy. Sur scène, c’est une anarchie bon-enfant qui au fil des morceaux s’installe : ces trois-là sont juste un pur concentré d’énergie. Joyeux foutoir et instruments maltraités (un Dave Smith OB6 qui a dû en voir de toutes les couleurs), revêtement phosphorescent sur divers éléments scéniques et tenues de scènes extravagantes faites sur mesure : Faire respire la créativité, quitte à parfois se disperser et improviser avec l’idée de partir en c… au moindre instant !

Faire
crédit – Michel Bertholet

Le groupe apprécie ces moments où tout devient flou, que les beats et les saturations enivrent et où les choses ne sont plus vraiment ce que les apparences laissent présager. Il met les prénoms féminins dans la lumière avec des titres comme « Mireille se rappelle » ou « Marie-Louise » (une ballade estivale hybride electroclash et rock 60s avec une protagoniste qui « va encore faire beaucoup de jaloux »), quant à « Sissi » : « elle m’attrape par mon antenne, pour le mettre dans le trou de ses rêves… Sisi, quelle cochonne ». Vus de l’extérieur, l’intensité de la performance et ses effets sur la fosse, où le public danse en parfaite communion, sont bluffants.

Les sonorités se révèlent bien plus agressives que sur disques (les récents EP Le Tamale et C’est l’été parus chez Microqlima) et on ne va pas s’en plaindre au contraire. On sent que ces mecs synthétisent à la fois un esprit punk-DIY dans la lignée des grands du rock alternatif hexagonal (Béru, Mano, Négresses Vertes, etc) en fuyant leur côté politique pour une attitude plus festive ou simplement nihiliste. L’expérience live s’avère une véritable claque, si bien que pour quiconque les ayant découvert sur scène, le passage aux disques sera voué à une légère déception. Mais rendons grâce à Nox Orae d’avoir su mettre ce trio à l’affiche, de surcroît pour refermer cette édition 2017 dans la joie et le bordel (« On n’est pas des putes » chante pourtant Faire). Après un rappel inespéré, les Parisiens coupent définitivement le son, non sans avoir encore mis à mal le matériel (taper sur des cymbales avec un micro SM-58 n’est peut-être pas une si bonne idée !), et montré encore quelques détails anatomiques. Incorrigibles !

http://faire.microqlima.cool/

La 9e édition de Nox Orae aura lieu les vendredi 31.08 et samedi 01.09.2018 et on en guettera assurément la prog tant l’expérience fut agréable et dépaysante.


Merci à Matthias Kerninon de Nox Orae et Julia Tames de MontreuxRiviera.

Et aux photographes de Nox Orae :
Nicolas Cuany (www.instagram.com/nicolas_cuany)
Mehdi Benkler (http://mehdibenkler.tumblr.com/)
Michel Bertholet (http://www.mibphotographie.ch)