[Report] Dour 2019

 

Dour Festival 2019 © Cindy Voitus

 

Par Alizarine

31e édition du plus gros festival de Belgique, 1ère édition pour nous ! Même si l’affiche ne fait plus autant rêver qu’il y a une dizaine d’années (le rock y est de moins en moins présent au profit de scènes qui nous intéressent beaucoup moins), Dour reste incontournable et ce n’est pas les 251 000 festivaliers venus cette année qui nous contrediront. Une disposition circulaire des scènes rendant leur accès plus pratique, quelques endroits pour s’abriter du cagnard, des belles éoliennes qui à défaut de servir de ventilateurs donnent du cachet à l’endroit et une météo qui s’annonce favorable : on est prêts pour les festivités !

On brille par notre absence le premier jour, mais après tout, qui parmi vous a envie de lire une review d’un concert de SALUT C’EST COOL ? C’est donc avec RENDEZ VOUS que commence notre périple. C’est sur la scène nommée La Petite Maison Dans La Prairie que les Parisiens continuent de promouvoir leur excellent album Superior State sorti l’année dernière. Il est seize heures du matin et pourtant, dès le premier refrain, les festivaliers sont déjà d’attaque pour se mettre joyeusement sur la tronche. Francis Mallari et sa bande bûcheronnent comme des Charles Ingalls sous stéroïdes: « Euroshima », « Sentimental Animal », « Paralyzed », « The Distance » qui met tout le monde d’accord, tout s’enchaîne avec hargne jusqu’à la faussement calme « Last Stop » qui clôture la séance de torgnoles. On aurait préféré entendre « Double Zero » qui colle mieux à l’ambiance festival, mais on chipote : la mise en jambes était de qualité.

On reste dans les parages puisque FONTAINES D.C. est attendu sur la même scène. L’occasion de découvrir les Irlandais en live même si on est moyennement motivés, leur album Dogrel ne nous ayant pas bouleversés outre mesure. Mais que voulez-vous, la curiosité est une vilaine qualité. Dès les premières notes de « Hurricane Laughter » et son chant déclamé mi-flemme mi-flegme, on se dit qu’il y a comme du SLEAFORD MODS ou du THE STREETS dans l’air. On se dit que ça manque du grain de folie d’IDLES ou de la bave aux lèvres de GIRL BAND. Et lorsque Grian Chatten sort son tambourin, on finit par penser à OASIS qu’on regrette d’avoir loupé à Knebworth en 1996 parce qu’on était trop jeunes. Puis c’est à RIDE et aux CHARLATANS de nous venir à l’esprit pour les guitares vaporeuses, JOY DIVISION pour le son de basse profond, et finalement, il n’y aura bien qu’un titre comme « Too Real » pour réussir à nous sortir momentanément de notre rêvasserie nostalgique. Le set prend fin sur « Big », on rouvre les yeux, on baille, et on se dit que merde, c’était quand même super cool la Britpop dans les 90s.

© Aurélien Deb’s

 

 

Petit crochet sous un autre chapiteau histoire de se dégourdir les jambes et de laisser CADILLAC échappé de STUPEFLIP faire étalage de ses meilleurs jeux de mots. C’est fun, c’est énergique, mais on a surtout hâte de retourner à notre point de départ pour assister à DEATH GRIPS. On se demande un peu à quelle sauce on va être mangés, connaissant la propension des Californiens à faire ce qu’ils veulent en dépit des attentes. Finalement, ce sera un concert « Best Of » plus axé sur leur premier opus The Money Store que sur leur dernière sortie, Year of the Snitch. McRide fait pleuvoir ses imprécations sur un public convaincu et en forme : ça jumpe et ça pogote à tout va. « Lost Boys », « Get Got », « Guillotine », « Takyon » et le final « The Fever », tous nos morceaux préférés y passent. Leur show est propre et carré (comprendre cradingue et râpeux comme attendu) mais malgré l’ambiance et un Zach Hill irréprochable, on a du mal à rentrer dedans. Son pas ouf, mauvais timing ou repas Thaï à sept putain de tickets qui nous est resté sur le bide ? Peut-être un peu des trois, mais on ne se laisse pas abattre et on prend le chemin de la scène principale, pour aller voir CYPRESS HILL.

L’absence du très avenant et très convivial DJ Muggs (interview mythique à lire dans new Noise #46) aurait pu nous laisser l’âme en peine, mais surprise, c’est Mix Master Mike (BEASTIE BOYS) qui le remplace. Après une démo de ses skills sur les platines qui en rajoute une couche à notre plaisir de le voir, toute la plaine de la Last Arena est hypée. B-Real et Sen Dog déboulent pour entamer un « Band of Gypsies » de leur petit dernier, Elephants on Acid. Même stratégie que leurs homologues Californiens vus juste avant : une setlist qui fait le tour de leur discographie en insistant sur les deux premiers albums et les hits des suivants. Stratégie qui paye puisque l’ambiance est là, malgré la présence récurrente de Cypress à Dour au fil des années. Le public ne s’en lasse pas, donc, d’autant plus lorsque résonnent les mythiques « Insane in the Brain », « I Ain’t Goin’ Out Like That » et la cover de « Jump Around » de HOUSE OF PAIN. On rentre dormir plutôt contents, mais surtout très impatients d’assister à la journée metal du samedi.

Birds In Row © Cindy Voitus

 

 

On fait l’impasse sur la journée du vendredi, mais après tout, qui parmi vous a envie de lire une review d’un concert de FLAVIEN BERGER ? On revient donc chauds comme la braise pour le marathon du samedi : VONNIS, BIRDS IN ROW, WIEGEDOOD, THE BODY vs FULL OF HELL, YOB, ELECTRIC WIZARD et NEUROSIS sont au programme sous le chapiteau de La Salle Polyvalente. Seize heure du matin encore, on a raté VONNIS pour cause d’embouteillages, mais c’est avec plaisir qu’on retrouve BIRDS IN ROW qui continuent de défendre leur excellent disque We Already Lost the World dont c’est justement le premier anniversaire. Comme d’habitude avec les Lavallois, ça joue vite, ça joue fort, ça dégueule de sincérité par tous les pores. L’entièreté de l’album est joué avec en bonus « You, Me & The Violence » qui met le feu aux poudres. En arrière-plan, des projections vidéo montrent une performance de shibari et on chavire pour l’urgence et la fougue de ce groupe qui n’hésite jamais à communiquer avec son public pour lui délivrer des messages super positifs. La sensibilité du trio est proportionnelle à sa force de frappe et on se dit qu’il est rare de trouver des groupes alliant aussi impeccablement engagement politique et musical.

Hélas le public semble moyennement réceptif à la finesse du punk hardcore et la présence d’un bon nombre de t-shirts CHURCH OF RA nous fait dire que WIEGEDOOD est attendu de pieds fermes. Les trois Gantois sont la fierté nationale du jour (du moins pour les metalleux, pour les autres c’est plutôt DAMSO qui investira la scène principale le soir même). Notre dernière rencontre live avec le trio remonte à octobre dernier où ils avaient délivré l’un des meilleurs sets du festival néerlandais, le Soulcrusher. Curieux de savoir s’ils allaient réitérer le même tour de force, on se cale aux premières loges. Et sans surprise, c’est déflagration sur déflagration: « Ontzielling », « Doodskalm », « De Doden Hebben Het Goed III » ou encore « Prowl », les tournées intensives n’ont visiblement pas émoussé la rage foudroyante des Flamands. Une prestation carrée, directe et marquante, d’autant plus que deux grands-mères viendront se coller aux barrières pour brandir une pancarte « 80 ans et fan de guitares ». Assister à un concert de black metal en compagnie d’octogénaires ? Dour rend décidément l’improbable possible !

Full Of Hell © Aurélien Deb’s

 

 

Tout est possible, donc, jusque dans leur programmation où, pour notre plus grand bonheur, se mélangent THE BODY (enfin surtout l’impressionnant Chip King puisque Lee Bufford ne vient jamais en Europe pour cause de phobie aérienne) aux grindeux prolifiques de FULL OF HELL. Un mariage qui a donné naissance à deux tueries sorties sur disque en 2016 et 2017 et une collaboration live que l’on attendait, de par le fait, avec impatience. Deux hurleurs, deux batteurs, un bassiste/saxophoniste et un guitariste soit une trentaine de minutes de hurlements de coq coincé dans une moissonneuse-batteuse en marche au milieu d’immeubles qui s’effondrent. Un vrai régal mais qui n’est pas au goût de tout le monde, puisque la plupart du public a soit fui, soit anticipé le repas pour ne pas louper une miette de la suite des évènements. Tant pis pour eux, nous on est full of heaven ! « Light Penetrates», « Earth Is a Cage », « One Day You Will Ache Like I Ache » : les face-à-faces de Dylan Walker et Chip King, les envolées folles de saxo et les percus annonciatrices d’apocalypse sont sauvages et à la hauteur des promesses d’une telle fusion. La surprenante reprise du « Gates of Steel » de DEVO met fin à la fête et on se sent privilégiés d’avoir assisté à ce coq-tail détonnant, certes court mais chargé en intensité.

Yob © Cindy Voitus

 

 

 

Si pour nous les choses sérieuses avaient commencé depuis un moment, il semblerait que le regain d’affluence à La Salle Polyvalente soit un signe qu’on commence à rentrer dans le vif du sujet. YOB vient déployer son aura doomesque avec une setlist qui ne laissera pas beaucoup de place à son dernier long format, Our Raw Heart. Contrairement à leur show auquel on avait assisté au Soulcrusher 2018, seul le titre éponyme sera joué, accompagné entre autres de l’excellente « Ball of Molten Lead », « The Lie That Is Sin » ou encore « Breathing from the Shallows ». Le son est parfait, la prestation vocale impeccable, c’est profond, puissant, bref on s’en prend plein la tronche. Un sans faute pour Mike Scheidt et sa bande qui tissent une toile dont il est difficile de se dépêtrer et qui confirment que « Yob Is Love ». Ces Orégoniens sont incontournables, et à ne rater sous aucun prétexte sur scène.

Dans la famille stoner/doom, on attend maintenant les papes d’ELECTRIC WIZARD avec pour intro « Procreation of the Wicked » de CELTIC FROST (qu’on aime à rebaptiser « Procrastination of the week-end » mais ceci est un autre sujet). « Witchcult Today » et « Black Mass » ouvrent le bal, illustrées par des projections vidéos psyché à base de films d’horreur érotico-nanardesques, de messes d’Anton LaVey et de motards rebelles. Des cas éparses de transe au stade terminal sont constatés dans le public, cachés derrière leurs cheveux (pour ceux qui en ont encore) et secouant lourdement la nuque en signe de prosternation, contagieuse affliction qui nous atteint également. Les guitares de Jus Oborn et Liz Buckingham bourdonnent de concert avec la basse de Clayton Burgess, nous donnant la sensation d’être attaqués par un frelon aux dimensions Godzillesque. « Incense for the Damned », « Satanic Rites of Drugula » et «The Chosen Few » finissent d’enterrer nos cervicales jusqu’au coup de massue de « Funeralopolis », hélas amputée (le revers de la médaille d’être dans le timing quand on compose des morceaux qui durent mille plombes !). Fin du set, la messe est dite, c’était mortel.

Dour 2019 © Massive Productions

 

Petit crochet du côté de BATTLES,  puisqu’avec un ex-DON CABALLERO et un ex-HELMET (et actuel TOMAHAWK) on se dit que ce serait dommage de tout louper. Sauf que le trio n’est plus qu’un duo suite au départ du bassiste Dave Konopka, et son absence pèse lourd dans la balance. On tient à peine un titre, le manque de pêche ayant raison de notre intérêt. Et puis surtout, c’est bientôt l’heure de NEUROSIS.

Les concerts de post-metal sont souvent à double tranchant : soit on se fait ravager les neurones par la puissance du son, soit on se fait ravager par l’ennui au point d’en arriver à dresser sa liste de courses pour le lendemain. On vivra un peu des deux ce soir-là. Le son est magistral et les tremblements de terre du duo basse/batterie ne manquent pas de nous scotcher. Avec une rythmique lourde comme le plomb et des envolées de guitares qui nous propulsent pour un aller simple dans la stratosphère, Neurosis ne faillit pas à sa réputation. Hélas l’enchaînement des morceaux peine à convaincre entièrement : deux titres de Fires Within Fires, deux titres de Honor Found in Decay pour finir sur « To the Wind » et « End of the Harvest ». Ça manque de classiques, ça manque surtout d’un quart d’heure que leur ont volé les doomeux Britanniques qui les ont précédés et qui aurait peut-être permis à Scott Kelly et ses acolytes de jouer un ou deux morceaux plus attendus.

Même si on a loupé la journée de dimanche (indépendamment de notre volonté) avec entre autres WHISPERING SONS et VIAGRA BOYS, il n’en reste pas moins que cette édition 2019 nous aura fait ressentir que le rock n’est plus la cible du festival de Dour. La disparition de la Cannibal Stage il y a quelques années (ensuite rebaptisée Caverne) mettant à l’honneur hardcore et metal, laisse maintenant massivement place à des scènes trap, hip-hop et electro. Peut-être est-ce la programmation hardcore du Ieper Fest ayant lieu la semaine d’avant, peut-être est-ce le rock qui est devenu une musique de vieux ? En tout cas, l’idée de rassembler sur une même journée et sur une même scène les metalleux laisse un petit goût d’espèce en voie d’extinction. Néanmoins, on n’aura pas boudé notre plaisir puisque le choix des artistes était aussi pertinent que judicieux, nous laissant de quoi nous repaître pour l’été.