interview Chelsea Wolfe suite

La chanson « Little Grave » m’interpelle, peux-tu m’en dire plus ?
C’est une chanson sur les tueries de masse dans les écoles. J’y ai pensé quand Trump a déclaré qu’il fallait armer les enseignants. J’ai trouvé que c’était la pire réponse possible. On ne peut pas combattre les armes avec les armes, ça ne peut que mal se finir. C’est l’une de mes convictions politiques : je ne crois pas en la liberté de posséder une arme, c’est beaucoup trop dangereux. Je ne me vois pas comme une grande communicante sur le sujet – je ne twitte pas ni ne fais de longs discours en concert – mais je suis clairement contre les armes. La chanson a été difficile à écrire et j’ai hésité avant de la faire figurer sur l’album. Mais puisqu’elle reflète ma vie en tant qu’Américaine et tout ce que nous traversons en ce moment, je m’y suis décidée. Les paroles sont écrites du point de vue d’un élève qui décède lors d’une tuerie et de celui des parents qui subissent la perte de leur enfant. Ils se retrouvent obligés de se réveiller tous les jours sans lui.

As-tu vu Elephant de Gus Van Sant ? Cette œuvre, poignante, parle totalement de la même chose…Oui je crois, il y a longtemps, mais j’avoue ne plus du tout m’en souvenir.

Revenons à la musique. Composes-tu les titres acoustiques de la même manière que les titres heavy ou le procédé diffère-t-il totalement ?
Ma réponse risque de vous sembler d’une banalité affligeante mais chaque chanson a son propre procédé. Ça dépend beaucoup de mon groupe en fait. On se connaît depuis plus de dix ans et on fonctionne très bien ensemble. Hiss Spun a été majoritairement composé par le biais d’improvisations. Alors que pour Abyss mon groupe m’avait envoyé des rythmes sur lesquels j’ai travaillé et posé quelques paroles. Tu vois c’est assez différent. Pour Birth of Violence, je savais que je voulais une base musique acoustique et chant, avec des chansons qui se suffiraient à elles-mêmes même si on les adapterait ensuite avec le groupe lors de l’enregistrement. Les chansons – même s’il y a eu une part de collaboration sur la fin – ont donc émergé comme des pistes tout à fait personnelles que j’ai développées chez moi, à la faveur des bruits de la nature environnante. J’ai enregistré l’album à la maison en rentrant de la tournée avec A Perfect Circle, et il m’importait de me retrouver au cœur de mon foyer. Il s’agit vraiment d’une production à petit budget. J’ai acheté quelques nouveaux micros et je me suis plongée dedans à fond. On m’a aidée pour la production et l’enregistrement bien sûr, afin que tout soit parfait, mais j’avais besoin que tout vienne de moi dans une démarche assez simple. Il y a eu de très bons jours et d’autres beaucoup moins satisfaisants, mais de la magie dans l’air aussi, et encore une fois, j’ai savouré le sentiment spécial de me retrouver à la maison pour créer. J’ai adoré pouvoir me réveiller chez moi en ayant tout à portée de main. Je pouvais enregistrer mes idées du jour avec facilité. La neige, le vent et même la pluie ont créé une atmosphère idéale, très propice à ma créativité. Parfois c’était le feu de la cheminée qui craquait quand j’enregistrais le chant, j’avais envie que ces petits bruits de ma maison se retrouvent également sur le disque.

Finalement il serait presque plus opportun de sortir cet album durant l’hiver plutôt qu’en septembre !
Tu as tout à fait raison. Mais il est issu d’un si long parcours et l’hiver n’est pas vraiment encore là, donc le choix s’est imposé de lui-même. Tu sais, je ne crois pas être faite pour l’été, mon énergie est au plus bas. Je vais te dire : je déteste l’été. Je suis souvent déprimée pendant cette période. Je fais normalement en sorte de sortir mes albums l’automne ou l’hiver, mais cette fois ce n’était pas possible. Et puis au moment où les gens se seront habitués à l’album, ce sera l’automne, donc ce sera presque parfait. (Rires)

Peux-tu m’en dire un peu plus sur la pochette de l’album ?
Je l’aime beaucoup, elle est inspirée de Jeanne d’Arc. Cette femme était porteuse d’un message très fort et s’est battue pour le faire passer. Je ne me compare pas à elle, il s’agit juste d’une inspiration. Mais c’est vrai que, comme elle, je suis très calme et n’aime pas du tout les conflits… sauf que si on me pousse à bout, je peux devenir très sauvage ! (Rires) Cette pochette reprend aussi une imagerie liée à la sorcellerie. Elle me permet de m’accepter moi-même comme une sorcière : j’ose enfin me dresser et utiliser mon énergie comme un pouvoir. Le couteau comme l’épée sont des codes visuels très forts, des symboles puissants. Ça ne veut pas dire que je vais poignarder quelqu’un, juste que je peux désormais diriger mon énergie. J’espère que tu y vois une logique ! (Rires)

Cherches-tu à découvrir de nouveaux groupes ou restes-tu bloquée sur de vieux disques ?
J’ai plutôt tendance à écouter de vieux albums. J’écoutais beaucoup de nouveaux groupes quand j’animais une émission de radio à Los Angeles, mais depuis que j’ai arrêté, j’en écoute moins. J’ai découvert récemment Burial, j’étais persuadée que c’était un nouveau groupe, sauf que… pas du tout, donc on va dire que c’est nouveau pour moi mais pas pour les autres. Le titre « Archangel » sur Untrue est vraiment magnifique

Pour finir, peux-tu me donner un film, un album et un livre qui t’ont vraiment marquée récemment ?
Ce ne sera pas un film, vu que j’en regarde de moins en moins, mais une série, Legion (NdR : fiction de Noah Hawley – déjà scénariste sur la série Fargo – lancée au printemps 2017 sur la chaine FX autour du personnage assez méconnu de David Haller, fils schizophrène du professeur Xavier des X-Men). Je ne suis pas trop branchée série de super-héros, mais celle-là sort vraiment du lot car elle pousse le côté psyché assez loin. Côté musique, en ce moment j’écoute un live de Nico enregistré en 1974 dans la cathédrale de Reims, je l’aime beaucoup, il passe souvent à la maison. Enfin pour le livre, je dirai Le Hobbit de J. R. R. Tolkien… pas très original mais je viens juste de le commencer